GUERRE AU NORD ET AU SUD-KIVU : LA BELGIQUE ENTRE SOUTIEN À LA RDC ET TENSIONS DIPLOMATIQUES AVEC LE RWANDA

Depuis janvier, la guerre à l’est de la République démocratique du Congo a exacerbé la crise humanitaire, avec l’avancée du groupe armé M23 soutenu par le Rwanda. La Belgique soutient Kinshasa au sein de l’Union européenne en appelant à des sanctions contre les responsables du M23 et en plaidant pour des solutions diplomatiques. Cependant, ses actions ont provoqué une rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda, mettant en lumière la complexité de la situation.

Depuis le 28 janvier, la guerre à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) a pris un nouveau tournant critique. Le M23, un groupe armé rebelle soutenu par Kigali, est entré dans Goma, la capitale du Nord-Kivu. Au moins 3000 personnes, dont une partie de soldats, mais principalement des civils, ont été tuées durant les affrontements. À Goma, la situation humanitaire qui était déjà critique auparavant est désormais catastrophique. Entre 600000 et 800000 personnes sont déplacées dans la périphérie de la ville à cause de l’instabilité de la région et vivent ainsi dans des conditions de famine, de recrudescence d’épidémie, notamment de choléra, et bénéficient d’un accès aux soins limité. Selon les chiffres de l’ONU, la province du Nord-Kivu comptait à la fin de l’année dernière 2,8 millions de personnes déplacées.

Le M23 est un groupe armé congolais lancé par d’anciens dirigeants du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) qui avaient intégré puis déserté l’armée congolaise. À plusieurs reprises, l’ONU a démontré que le Rwanda soutenait financièrement, mais aussi matériellement le M23.

Depuis lors, le mouvement rebelle continue sa progression. Le 16 février, il s’est emparé de la ville de Bukavu, la capitale du Sud-Kivu. Blaise Bulambo Bubala est membre de l’ONG Action des chrétiens activistes des Droits de l’Homme à Shabunda (ACADOSHA), mais également membre du réseau de protection des défenseurs des droits de l’Homme et coordonnateur du groupe de travail sur les mines et les hydrocarbures de société civile du Sud-Kivu ; il raconte le climat d’insécurité qui règne dans la région. Depuis que la ville est sous le joug du M23 et qu’il a publiquement dénoncé le pillage de certaines entités de traitements de minerais, il a reçu des menaces de mort et a dû fuir la ville. « Je suis dans un lieu où je n’ai pas la possibilité d’aller en ville, je n’ai pas la possibilité de communiquer avec qui que ce soit et je continue, encore aujourd’hui, de recevoir des menaces de mort. J’essaie un peu de bloquer certains numéros qui m’appellent, mais le grand danger c’est qu’il y a certains acteurs de la société civile qui ont fait allégeance à ces mouvements terroristes du M23 et qui deviennent de plus en plus des éléments très dangereux, qui profèrent des menaces à notre encontre et qui travaillent pour le service des renseignements au profit de ces mouvements terroristes. »

Il décrit l’insécurité qui règne dans Bukavu : « Il ne se passe même pas un seul jour sans que des gens ne soient enlevés. La criminalité s’est exacerbée. On vit un véritable climat d’incertitude où nous n’avons pas de liberté de mouvement, où nous n’avons pas même la possibilité d’être avec nos plus proches, avec nos familles parce que nous sommes en dehors de la ville ; on se cache et on ne sait pas en qui on peut avoir confiance. » Il rappelle la nécessité d’un appui de la communauté internationale afin d’accentuer les sanctions à l’endroit des responsables du M23 et que les violations des droits humains cessent.

Sanctions européennes et rôle de la Belgique

Le 17 mars dernier, l’Union européenne adoptait des sanctions prévoyant l’interdiction de se rendre dans l’UE, ainsi qu’un gel des avoirs dans l’Union pour neuf personnes, dont trois hauts gradés rwandais, le directeur général de l’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz (RMB), et quatre cadres congolais du M23.

C’est dans la foulée de cette décision que le Rwanda a rompu les relations diplomatiques avec la Belgique en dénonçant des « tentatives pitoyables de la Belgique de maintenir des illusions néocoloniales ». Une décision regrettée par Maxime Prévot, le ministre des Affaires étrangères, qui évoque une « réaction disproportionnée ».

De fait, sur le plan diplomatique, la Belgique joue un rôle important dans le soutien à la RDC et fait également partie des États qui plaident en faveur de résolutions au sein de l’Union européenne. Alejandra Mejia, qui travaille pour l’ONG Commission Justice & Paix en tant que responsable prévention des conflits et Afrique centrale, développe les raisons de ce soutien : « La Belgique, en raison de son lien historique et colonial avec la République démocratique du Congo, ne peut se détourner de ce pays. En outre, la forte diaspora congolaise présente ici joue un rôle clé dans le plaidoyer citoyen. De nombreuses rencontres politiques, notamment celles des opposants, se tiennent également en Belgique, ce qui permet à nos diplomates et à nos parlementaires spécialistes de l’Afrique centrale de bien comprendre la situation. Soutenir la RDC n’est pas une décision facile, surtout face à un Rwanda qui, bien que critiqué pour son régime, demeure un État stable, et c’est en grande partie cette stabilité qui explique son maintien dans la sphère internationale. »

Pour autant, la décision de Paul Kagamé de rompre les relations diplomatiques avec la Belgique est difficilement compréhensible, selon Alejandra Mejia : « Le Rwanda est un pays fort dépendant de l’aide au développement, et c’est d’ailleurs l’un des pays les plus endettés au niveau international (plus de 73% du PIB en 2023 selon les chiffres de la Banque mondiale, NDLR). »

Concernant les soutiens possibles à l’échelle européenne, Alina Garkova du réseau Europe Afrique centrale (EurAc) plaide de son côté pour le retrait du protocole d’accord entre l’UE et le Rwanda sur les minerais. Mais aussi la cessation de toute coopération militaire avec le Rwanda, et particulièrement le financement alloué dans le cadre de la Facilité européenne pour la Paix (FEP) afin de garantir que l’aide ne soit pas utilisée pour renforcer des opérations militaires en RDC.

Certaines inquiétudes persistent quant aux capacités de soutien dans les années à venir, notamment à travers la coopération au développement. Suite à l’accord conclu par le nouveau gouvernement fédéral belge, 25% du budget de la Direction générale de la coopération au développement et de l’aide humanitaire ont été réduits, soit une diminution de 318 millions d’euros. Ces coupes budgétaires ne se limitent pas à la Belgique ; aux États-Unis, le gouvernement de Donald Trump a drastiquement réduit les financements alloués à USAID, affectant ainsi de nombreuses ONG opérant en République démocratique du Congo. En conséquence, de nombreux·euses travailleur·euse·s humanitaires ont perdu leur emploi, ce qui a également conduit à une réduction de l’aide humanitaire sur place.

Par Lisa Guillaume, journaliste

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