« IMAGINEZ : VOUS ÊTES DANS UNE CELLULE ET VOUS ATTENDEZ D’ÊTRE PENDU »

SELWYN STRACHAN A PASSÉ 1 715 JOURS DANS LE COULOIR DE LA MORT À LA GRENADE, AVANT D’ÊTRE FINALEMENT RELÂCHÉ EN 2009, AU TERME DE 26 ANS DE PRISON.

IL A RACONTÉ AU FIL D’AMNESTY POURQUOI CETTE EXPÉRIENCE A FAIT DE LUI UN FERVENT PARTISAN DE L’ABOLITION DE LA PEINE CAPITALE DANS SON PAYS ET À TRAVERS LES CARAÏBES.

Selwyn Strachan lors d'une visite à Amnesty International à Londres, au Royaume-Uni, en 2010. @ Amnesty International

Pourquoi êtes-vous opposé à la peine de mort ?
Des innocents peuvent être – et ont été – condamnés à mort et exécutés.

J’ai été détenu dans le couloir de la mort à la prison de Richmond Hill, à la Grenade, de 1986 à 1991. En décembre 1986, j’ai été déclaré coupable de 11 chefs d’accusation pour homicide et condamné à mort par pendaison avec 13 autres personnes, qui étaient comme moi d’anciens responsables du gouvernement ou de l’armée. Amnesty a qualifié notre procès de « manifestement et fondamentalement inique ». La peine capitale était obligatoire à l’époque et nos condamnations ont été confirmées le 12 juillet 1991.

J’ai passé 1 715 jours dans le couloir de la mort et les 31 derniers jours ont été les plus durs. Les autorités pénitentiaires ont monté la potence dans les 72 heures qui ont suivi la décision du 12 juillet. La potence n’était pas loin de nos cellules. Imaginez : vous êtes dans votre cellule, vous attendez d’être pendu, et vous entendez les coups de marteau incessants des ouvriers qui travaillent fébrilement à l’installation de la potence.

Les derniers jours, nous avons appris que les cinq premiers d’entre nous allaient être préparés pour la potence. Un des cinq est venu dans ma cellule pour me dire quelques mots d’adieux. Je me souviens très bien lui avoir dit : « Tiens bon, même si c’est la fin. » J’étais encore persuadé que quelqu’un interviendrait pour empêcher notre exécution.

À l’issue d’une campagne internationale énergique, à laquelle ont participé Amnesty et d’autres organisations de la Grenade et d’ailleurs, nous avons été graciés et condamnés à la prison à perpétuité, alors que la perpétuité n’était pas prévue par la législation grenadienne.

Qu’est-ce que le nouveau réseau Greater Caribbean for Life, qui milite contre la peine de mort, représente à vos yeux ?
Il a fait du bon travail dans des conditions difficiles. N’oubliez pas qu’il intervient dans une région où aucun des pays anglophones n’a encore aboli la peine de mort. Par ailleurs, 27 % des homicides commis dans le monde se produisent ici, alors que nous ne représentons que 8,5 % de la population mondiale.

Le réseau (facebook.com/GCFLife) est une excellente tribune pour échanger des informations et des idées afin de faire avancer la cause abolitionniste. Certains abolitionnistes très impliqués et déterminés y participent, et j’ai énormément de respect pour eux, comme Camelo Campus Cruz, de la Coalition portoricaine contre la peine de mort, ou Leela Ramdeen, de la Commission catholique pour la justice sociale, à Trinité-et-Tobago.

Quels sont vos motifs d’inquiétude au sujet de la peine de mort à la Grenade ?
Nous avons l’impression que rien ne bouge. Même si nous sommes abolitionnistes dans la pratique depuis 35 ans, nous n’avons pas voté les résolutions des Nations unies appelant à un moratoire sur l’application de la peine de mort. C’est assez paradoxal.

La peine capitale n’est plus obligatoire [la loi disposait que les personnes qui avaient commis certains crimes, comme un homicide, étaient obligatoirement condamnées à mort, même en cas de circonstances atténuantes]. Les bases nécessaires à l’abolition définitive de la peine capitale à la Grenade sont donc en place. Il ne manque que la volonté politique et une communication adéquate sur le sujet.

Que faites-vous pour faire évoluer les mentalités au sujet de la peine de mort ?
Je me donne énormément de mal pour sensibiliser les médias. C’est un travail de longue haleine. Si l’opinion est largement favorable à la peine de mort ici, c’est parce que le volet éducatif de la campagne n’est pas encore totalement opérationnel. Or, c’est un élément essentiel. Mais les piètres conditions sociales et économiques dans lesquelles vivent encore les habitants des Caraïbes jouent également un rôle capital.

Néanmoins, je crois que le vent commence lentement à tourner. Ces 10 dernières années, les tribunaux ont pris des décisions historiques : dans l’affaire Pratt et Morgan, en Jamaïque, et dans l’affaire Hughes et Spence, à Sainte-Lucie. Ces deux affaires ont restreint les possibilités de recours à la peine capitale, même si elles ne l’ont pas abolie. C’est un pas dans la bonne direction.

Quels ont été les effets sur votre vie et sur votre action militante du soutien d’Amnesty par le passé et de la campagne en cours pour l’abolition de la peine capitale ?
Le soutien d’Amnesty a joué un rôle considérable pour moi, compte tenu du fait que j’ai été emprisonné pendant 26 ans, dont presque cinq dans le couloir de la mort.

Dans mon cas, Amnesty n’a jamais vacillé dans sa campagne inlassable contre la peine de mort. L’organisation a réclamé ma libération et celle de mes codétenus du couloir de la mort car nous étions incarcérés depuis des années à la suite d’un procès n’ayant pas respecté les normes reconnues internationalement en matière de droits humains. Le rôle d’Amnesty dans mon sauvetage a grandement contribué à mon engagement actuel contre la peine de mort.

Avez-vous un message à faire passer aux détenus condamnés à mort et aux militants qui oeuvrent pour qu’il n’y ait plus d’exécutions nulle part dans le monde ?
Oui, mon message tient en peu de mots.

À ceux d’entre vous qui sont dans le couloir de la mort : gardez la foi, ne perdez pas espoir, la Coalition mondiale contre la peine de mort (www.worldcoalition.org/fr/index) est à l’oeuvre pour vous sauver la vie.

Et aux militants qui oeuvrent pour qu’il n’y ait plus d’exécutions nulle part dans le monde : poursuivez votre action remarquable et courageuse. Continuez à vous sacrifier pour les autres. Ce faisant, vous appliquez de manière concrète et constructive ce slogan fort : ARRÊTEZ LE CRIME, PAS LA VIE !

LA PEINE DE MORT DANS LES CARAÏBES ANGLOPHONES

La peine capitale est maintenue dans la législation de tous les pays anglophones des Caraïbes : Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Barbade, le Belize, la Dominique, la Guyane, la Grenade, la Jamaïque, Sainte-Lucie, Saint- Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines et Trinité-et-Tobago.

La peine capitale est dans la plupart des cas prononcée pour meurtre et appliquée par pendaison. La trahison et le terrorisme sont des infractions passibles de la peine capitale dans certains pays.

La Grenade n’a procédé à aucune exécution depuis 1978 et est considérée comme un pays abolitionniste dans la pratique.

Pour les personnes déclarées coupables d’homicide à la Barbade et à Trinité-et-Tobago ou de trahison à la Barbade, la seule sentence possible est la mort (la peine de mort est obligatoirement prononcée).

La dernière exécution qui a eu lieu dans la région est celle de Charles Laplace, pendu à Saint-Kitts-et- Nevis en 2008.

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