KENYA - « MÊME LES RATS CHEZ MOI SONT INQUIETS »

LES HABITANTS DES BIDONVILLES DU KENYA SONT CHASSÉS DE CHEZ EUX SANS PRÉAVIS OU VIVENT DANS LA PEUR PERMANENTE D’UNE EXPULSION.

LE FIL D’AMNESTY SE PENCHE SUR CERTAINES DES CAUSES DES EXPULSIONS FORCÉES ET SUR LES MOYENS D’INTENSIFIER LA PRESSION POUR Y METTRE FIN.

Une femme assise dans les décombres du quartier de City Carton. Près de 400 logements de ce quartier informel de Nairobi, la capitale kenyane, ont été détruits lors de l'opération d'expulsions forcées du 10 mai 2013. Des habitants se sont retrouvés sans abri et sans ressources. © Amnesty International

Caroline Allan a vécu à City Carton, un quartier informel – ou bidonville – de Nairobi, au Kenya, pendant 30 ans. Elle y avait construit une maison, où elle vivait avec ses cinq enfants et son frère aîné. Couturière, elle confectionnait des vêtements pour les gens du quartier.

Vers 4 heures du matin, le 10 mai 2013, la famille a été réveillée brusquement par des jeunes hommes armés de pieds-de-biche, de machettes et de masses. « J’ai couru, a-t-elle raconté plus tard à Amnesty. Mon frère était malade. Quand ils sont arrivés, il est tombé. Je l’ai aidé à se relever, et on a couru. Je n’ai rien pu sauver – ils ont brûlé ma machine à coudre. »

Quelque 400 habitations ont été détruites en l’espace de deux jours. Beaucoup d’habitants ont relaté plus tard que les hommes en question démolissaient les maisons, les pillaient et frappaient les gens. Tout cela sous les yeux de quelque 170 policiers qui ont pris une part active aux expulsions en bouclant le quartier, en tirant des coups de feu à balles réelles et en faisant usage de gaz lacrymogènes pour dissuader les habitants d’approcher.

Beaucoup de gens ont trouvé refuge auprès d’amis et de parents. Ceux qui n’avaient nulle part où aller vivent désormais dans des abris fabriqués avec du bambou, des bâches en plastique et des cartons, le long d’une piste voisine. Ils n’ont plus de toilettes, ont difficilement accès à l’eau et risquent d’être inondés quand il pleut.

Caroline et ses voisins n’ont reçu aucun préavis d’expulsion – ils avaient simplement entendu des rumeurs dans un bar, la veille au soir. Aujourd’hui, ils se mobilisent pour faire valoir leurs droits, notamment leur droit à réparation.

LE LOGEMENT EST UN DROIT HUMAIN

La Constitution kenyane reconnaît le droit à un logement convenable. L’expulsion forcée reste pourtant une méthode couramment utilisée pour évacuer un terrain à Nairobi. Faute de loi l’interdisant clairement, d’autres personnes à travers le Kenya risquent de se retrouver dans la même situation que Caroline et ses voisins.

Une expulsion est dite forcée et constitue une atteinte aux droits humains si elle n’est pas conforme à une procédure légale. Le droit relatif aux droits humains prévoit des garanties spécifiques, telles qu’une véritable consultation, l’examen des solutions possibles et un délai de préavis suffisant. Les expulsions ne doivent pas avoir lieu de nuit ou par mauvais temps et personne ne doit être laissé à la rue.

« MÊME LES RATS SONT INQUIETS »

Les projets de développement urbain sont l’une des causes principales des expulsions forcées. Deep Sea est un autre bidonville de Nairobi qui compte près de 12 000 habitants, dans le secteur huppé de Westlands. Il existe toujours, en dépit des nombreuses tentatives d’expulsion.

Il est aujourd’hui à nouveau menacé en raison du projet Missing Links, un chantier de construction d’axes routiers financé par l’Union européenne. L’une de ces routes traversera Deep Sea, ce qui risque d’entraîner l’expulsion de 3 000 habitants.

Nous avons demandé à un homme s’il était inquiet. « Inquiet ? a-t-il répondu. Même les rats chez moi sont inquiets. Si nous n’avons rien à manger, eux n’auront rien non plus. »

Mais Deep Sea contre-attaque, réunissant un millier de volontaires des bidonvilles de Nairobi pour former l’Équipe de réaction rapide, laquelle collabore étroitement avec Amnesty Kenya pour s’élever contre les expulsions forcées et venir en aide aux habitants concernés (lisez le récit de John Kamau ci-dessous).

BIDONVILLES ET EXPULSIONS FORCÉES
Plus d’un milliard de personnes vivent dans des quartiers informels ou des bidonvilles à travers le monde.
Dans les villes africaines au sud du Sahara, 75 % de la population vit dans un bidonville.
À l’horizon 2025, la majorité des Africains vivront en ville et non plus dans des villages. Les expulsions forcées sont une violation grave du droit au logement.
Sources : Conseil des droits de l’homme des Nations unies, ONU Habitat

DES MILLIERS DE LETTRES DE SOUTIEN

Des gens du monde entier les soutiennent. Les chercheurs d’Amnesty ont récemment rencontré le gouverneur du comté de Nairobi, Evans Kidero. Celui-ci a reconnu que son bureau avait reçu des milliers de lettres et de courriels de protestation.

Nous pensons que c’est grâce à ces lettres – envoyées à la suite de la publication de notre Action urgente sur l’expulsion de City Carton – que le gouverneur a accepté de nous rencontrer.

Evans Kidero a expliqué qu’il avait chargé des représentants d’enquêter sur ce qui s’était passé et de trouver des solutions pour les personnes qui ont été jetées à la rue. Nous n’oublierons pas de lui rappeler ces paroles.

HALTE AUX EXPULSIONS FORCÉES

Amnesty fait campagne pour mettre fin aux expulsions forcées à travers le monde. Au Kenya, nous demandons aux autorités d’accorder à tous les habitants de City Carton un accès à une indemnité pour les violations qu’ils ont subies, et de leur proposer une solution de relogement décente. Nous les exhortons également à consulter les habitants de Deep Sea et à empêcher les expulsions contraires aux droits humains.

Avec nos partenaires locaux, nous appelons aussi la nouvelle ministre kenyane de la Propriété, de l’Habitat et de la Ville, Charity Ngilu, à adopter sans délai une loi interdisant les expulsions forcées.

Et le 7 octobre – Journée mondiale de l’habitat des Nations unies –, nous rappellerons aux États que tout le monde a droit à un logement convenable. Nous publierons les résultats des recherches en cours sur City Carton et Deep Sea. Parce que ces deux quartiers sont une bonne illustration des scénarios d’expulsion observés à travers le Kenya et l’ensemble de l’Afrique (voir notre photo-reportage sur le Nigéria également au sommaire).

John Kamau tient un petit hôtel dans le bidonville de Deep Sea. Il a six enfants. @ Nikola Ivanovski

« LEUR PROJET NE POUVAIT ABOUTIR QUE S’ILS NE NOUS CONSULTAIENT PAS »

« J’ai rejoint une association du village appelée l’Équipe de réaction rapide. Nous échangeons des idées sur les moyens de nous opposer à la destruction de nos habitations car, dans tous les villages de Nairobi, des gens sont obligés de partir à cause de ce problème.

« Nous ne nous fions pas aux rumeurs. Nous nous téléphonons, nous tissons un réseau dans ce village et d’autres pour découvrir la vérité et trouver comment lancer une campagne.

« Nous avons commencé par voir des gens qui passaient et prenaient des photos dans la rue. Certains faisaient penser à des géomètres. Ils n’entraient pas dans les bureaux de l’administration locale et n’étaient pas accompagnés par les anciens du village ou un responsable. Donc, nous nous sommes dit qu’il se tramait quelque chose à notre insu. Nous avons découvert qu’ils avaient des projets qui ne pouvaient aboutir que si nous n’étions pas consultés.

« S’ils viennent démolir ici, à Deep Sea, ma famille et moi serons concernés au premier chef, parce que je n’ai nulle part où aller. Mes enfants devront quitter l’école et se mettront à faire des bêtises, et ce sera un problème, même pour l’État.

« Nous avons l’impression de ne pas être traités comme des êtres humains. Nous sommes traités comme des animaux. Je voudrais que les autorités établissent leurs stratégies dans le cadre de la Constitution afin qu’elles nous traitent comme des citoyens kenyans et nous proposent des logements dans de bons quartiers où nous pourrons vivre. »

AGISSEZ Aidez-nous à mettre un terme aux expulsions forcées au Kenya. Signez notre pétition à partir du 8 octobre en cliquant ici. Visionnez notre diaporama à l’adresse amnesty.org/endforcedevictions.
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