HAÏTI

République d’Haïti
CAPITALE : Port-au-Prince
SUPERFICIE : 27 750 km²
POPULATION : 8,5 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Boniface Alexandre, président par intérim
CHEF DU GOUVERNEMENT : Gérard Latortue
PEINE DE MORT : abolie
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé

Les policiers continuaient de recourir à une force excessive et certaines informations ont fait état d’exécutions extrajudiciaires. Aucune enquête digne de ce nom n’a été menée, et le sentiment d’impunité s’en est trouvé renforcé. Le nombre d’homicides illégaux et d’enlèvements imputables à des groupes armés clandestins a augmenté, exacerbant les tensions politiques à la veille des élections. Les affrontements opposant les soldats des Nations unies à des groupes armés illégaux se sont poursuivis tout au long de l’année 2005. Malgré la persistance des violences contre les femmes, les autorités n’ont pris aucune mesure satisfaisante pour les prévenir et les sanctionner. Le fonctionnement de la justice demeurait insatisfaisant et de très nombreuses personnes restaient emprisonnées sans inculpation ni jugement. Des violations des droits humains perpétrées dans le passé demeuraient impunies.

Contexte

L’année 2005 a été marquée par l’instabilité et la violence, en particulier dans la capitale, Port-au-Prince. les grandes quantités d’armes en circulation favorisaient les activités criminelles et les atteintes aux droits humains. Le nombre d’enlèvements avec demande de rançon a fortement augmenté, excédant le millier entre mars et décembre. Toutes les catégories sociales étaient touchées et les étrangers n’étaient pas épargnés. Parmi les victimes figurait Jacques Roche, l’un des plus célèbres journalistes et poètes d’Haïti, qui a été enlevé et assassiné en juillet. De nombreux enfants ont été enlevés, les ravisseurs cherchant à extorquer de l’argent à leurs parents. Au moins 20 membres de la Police nationale d’Haïti (PNH) ont été arrêtés pour leur implication présumée dans des enlèvements.
D’une manière générale, la sécurité s’est améliorée dans l’ensemble du pays, même si des bandes armées continuaient de défier la PNH et les soldats de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) dans la capitale, en particulier à Cité Soleil. Les affrontements se sont poursuivis tout au long de l’année 2005 et, bien que plusieurs chefs de gang aient été tués, la plupart des morts et des blessés étaient des civils sans armes - hommes, femmes et enfants. De nombreux cas d’exécution illégale, de viol, de chantage et d’incendie volontaire ont, cette année encore, été signalés dans les quartiers défavorisés contrôlés par les bandes armées.
La MINUSTAH a vu ses effectifs renforcés et son mandat prolongé jusqu’en février 2006. Elle comptait désormais plus de 8 000 militaires et policiers. Au mois de mars, les forces de la mission ont repris deux postes de police, à Petit-Goâve et Terre-Rouge, qui étaient occupés depuis 2004 par d’anciens responsables des Forces armées d’Haïti (FADH), démantelées en 1995, et d’anciens rebelles. La MINUSTAH a reconnu sa responsabilité dans la mort de plusieurs civils, tués lors d’opérations militaires menées à Cité Soleil en juillet.
Au mois d’avril, Remissainthe Ravix, chef autoproclamé des forces armées démobilisées, a été tué lors d’affrontements avec la police. Les ex-officiers des FADH et anciens rebelles n’avaient pas été désarmés à la fin de 2005. D’anciens membres des FADH ont exercé des pressions sur le gouvernement intérimaire afin qu’il les indemnise à la suite de leur démobilisation, en 1995, et qu’il réactive leur plan de retraite. Les autorités ont accepté de leur verser l’équivalent de 23 millions d’euros, sans toutefois exiger la mise en œuvre d’un programme de démobilisation et de désarmement. Des centaines d’ex-membres des FADH ont été incorporés dans la PNH sans véritable vérification préalable concernant les violations des droits humains qu’ils avaient pu commettre.
Des délégations du Conseil de sécurité des Nations unies et de la Commission interaméricaine des droits de l’homme se sont rendues sur place en avril et ont exprimé des préoccupations quant à la situation des droits humains dans le pays. Le Conseil de sécurité des Nations unies a renforcé le mandat de la MINUSTAH et lui a conféré un rôle plus appuyé dans la professionnalisation de la PNH, à la suite de multiples cas signalés de violations des droits de la personne imputables à des policiers. En juin, le ministre de la Justice a démissionné et le chef de la police a été limogé, à la suite des critiques de la communauté internationale au sujet du système judiciaire haïtien et de l’incapacité des forces de police à respecter les normes internationales relatives au maintien de l’ordre.
Initialement prévues aux mois d’octobre et de novembre, les élections locales, législatives et présidentielle ont été reportées à quatre reprises et devaient se tenir au début de 2006. Les difficultés survenues lors de l’organisation du scrutin et la lenteur de l’enregistrement de plus de quatre millions d’électeurs, notamment dans les quartiers défavorisés et les zones rurales, ont suscité de graves préoccupations quant à la capacité du gouvernement intérimaire et du Conseil électoral provisoire (CEP) à organiser des élections conformes aux normes internationales. Le CEP a habilité 43 partis politiques et 35 candidats à l’élection présidentielle, parmi lesquels figurait une seule femme.
Amnesty International s’interrogeait sur l’indépendance du système judiciaire, le gouvernement intérimaire ayant révoqué cinq membres de la Cour de cassation qui s’étaient prononcés en faveur de la candidature d’un Américano-Haïtien à la présidentielle.

Violences contre les femmes

De plus en plus de violences liées au genre, en particulier des viols de femmes par des membres de gangs, étaient signalées dans les quartiers déshérités de la capitale.
Attendues depuis longtemps, des réformes du Code pénal visant à combler les lacunes en matière de criminalisation des violences liées au genre, notamment le viol, ont enfin été adoptées par décret présidentiel au mois d’octobre. Le nouveau Code pénal érigeait le viol, autrefois défini comme une infraction morale, en infraction pénale passible d’une peine pouvant aller jusqu’à dix années de travaux forcés. Toutefois, la plupart des victimes de viol n’ont pas porté plainte, par crainte de représailles ou parce qu’elles ne faisaient pas confiance aux autorités ni à la justice. Le gouvernement intérimaire n’a rien fait pour lutter contre la tolérance généralisée à l’égard des violences contre les femmes ni pour apporter une aide aux victimes de sévices sexuels.

Homicides et attaques imputables à des groupes armés illégaux

Des gangs et des groupes armés illégaux ont tué plusieurs dizaines de civils ainsi que 12 policiers. La plupart de ces homicides étaient le fait de bandes manifestement partisanes de l’ancien président, Jean Bertrand Aristide. La guerre des gangs s’est apaisée avec la mort du chef d’une bande proche du parti d’opposition Lavalas, tué en février.
Le 31 mai, un groupe armé partisan de Lavalas, selon certaines sources, a attaqué et incendié le marché Tèt-Bœuf à Port-au-Prince. Plus de 15 personnes auraient trouvé la mort.
Le 10 août, des groupes armés de machettes communément appelés « attachés » auraient tué au moins 10 personnes dans les quartiers Delmas 2 et Bel-Air de la capitale. Selon certaines informations, ils opéraient avec la complicité de membres de la PNH.

Recours excessif à la force et homicides illégaux perpétrés par la police

La PNH avait toujours recours à une force excessive et se serait livrée à plusieurs exécutions extrajudiciaires. Parmi les victimes figuraient des suspects de droit commun, un journaliste et des sympathisants de Lavalas.
Le 14 janvier, des membres de la PNH auraient tué Abdias Jean, journaliste d’une radio de Miami, alors qu’il faisait un reportage sur une opération menée par la police à Village de Dieu, à Port-au-Prince. La police a nié les faits. Des résidents du quartier ont affirmé qu’Abdias Jean avait été éliminé parce qu’il enquêtait sur la mort de quatre bandits présumés tués lors de l’intervention de la PNH. Selon des témoins, il avait présenté sa carte de presse aux policiers.
Le 27 avril, des membres de la PNH ont ouvert le feu sur des personnes qui manifestaient pacifiquement devant le siège de la MINUSTAH, faisant cinq morts et plusieurs blessés.
Le 20 août, la PNH a interrompu un match de football qui se jouait au stade de Martissant devant environ 5 000 spectateurs. Selon certaines informations, les policiers auraient ordonné aux personnes présentes de se coucher à terre tandis que des « attachés » appartenant au groupe Lame Ti manchèt (Armée de petites machettes) s’en prenaient aux suspects désignés par la police. Le stade était cerné par des policiers et des « attachés », qui ont tué par balle ou à l’arme blanche ceux qui tentaient de fuir. Neuf personnes sont mortes et quatre autres ont été blessées. Au moins 13 policiers ont été arrêtés à la suite de ces homicides.

Prisonniers d’opinion et prisonniers politiques

De très nombreuses personnes ont été détenues en dehors de tout cadre légal pendant de longues périodes et ont été privées du droit à un procès équitable.
Au mois de novembre, Louis Joinet, l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme en Haïti nommé par les Nations unies, s’est déclaré préoccupé par le manque de transparence caractérisant la justice haïtienne et par la lenteur injustifiée des autorités lorsqu’il s’agissait d’ouvrir des poursuites contre des détenus. Il a demandé la libération de tous les prisonniers politiques.
Le Conseil de sécurité des Nations unies, de même que d’autres organes internationaux, a exhorté le gouvernement intérimaire à accélérer le traitement des dossiers de prisonniers politiques, en particulier celui d’Yvon Neptune, ancien Premier ministre.
Incarcéré depuis juin 2004, Yvon Neptune a observé une grève de la faim en mars et avril afin de protester contre ses conditions de détention et son maintien en prison sans jugement. En juin, le juge d’instruction a fini par inculper Yvon Neptune et 30 autres personnes de participation à un massacre qui se serait déroulé à La Scierie en février 2004. L’ancien Premier ministre n’avait toujours pas été jugé fin 2005.
Le 21 juillet, Gérard Jean-Juste, un prêtre catholique sympathisant de Jean Bertrand Aristide, a été placé en détention après avoir été attaqué par une foule hostile devant l’église où avaient lieu les obsèques du journaliste Jean Roche. Candidat potentiel de Lavalas à l’élection présidentielle, Gérard Jean-Juste a été arrêté illégalement et place en détention sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. Amnesty International le considérait comme un prisonnier d’opinion.
Annette Auguste, également connue sous le surnom de Sò Ann, chanteuse populaire et personnalité influente de la société civile, était toujours privée de liberté sans avoir été formellement inculpée. Cette femme de soixante-cinq ans a été appréhendée le 11 mai 2004 par des soldats de l’infanterie de marine des États-Unis appartenant à la force multinationale intérimaire qui avait été déployée en Haïti quelques heures après le départ en exil du président Aristide. Annette Auguste a été remise aux autorités haïtiennes, qui l’ont fait incarcérer au pénitencier de Pétionville. La raison précise de son arrestation était inconnue. Cette personne était maintenue en détention sans jugement car on la soupçonnait d’avoir incité des partisans de Lavalas à attaquer des étudiants en décembre 2003.

Attaques contre des journalistes

Tout au long de l’année, des journalistes ont été victimes de harcèlement et de diverses autres atteintes à leurs droits fondamentaux. Au mois de septembre, le Conseil des sages, organe chargé de conseiller le gouvernement intérimaire, a publiquement menacé d’engager des poursuites contre les journalistes qui diffuseraient les propos de responsables de l’opposition favorables au retour en Haïti de Jean Bertrand Aristide.
Le 14 janvier, Claude Bernard Serrat et Jonel Juste, journalistes au Nouvelliste, ont été attaqués par une foule hostile à Bel Air, un bastion des partisans de Jean Bertrand Aristide. Selon les informations recueillies, les agresseurs ont accusé la presse d’avoir contribué à l’éviction de l’ancien chef de l’État.
Kevin Pina, journaliste et réalisateur américain, et Jean Ristil, journaliste haïtien travaillant pour l’agence Associated Press, ont été arrêtés le 9 septembre tandis qu’ils observaient une perquisition menée à l’église du père Jean-Juste (voir plus haut). Accusés d’avoir manqué de respect envers le magistrat menant la fouille, ils ont toutefois été libérés sans inculpation au bout de quatre jours.
Le 3 octobre, des agents de sécurité du président Boniface Alexandre ont attaqué Guyler C. Delva, correspondant de l’agence Reuters, et Jean Wilkens Merone, reporter de Radio Métropole. Les deux journalistes effectuaient un reportage sur la cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire lorsqu’ils ont été traînés dans une salle d’audience et violemment battus.

Impunité

Aucun système ne permettait de rendre la justice, de faire respecter l’état de droit et de protéger de manière impartiale les droits humains. Les responsables de la PNH coupables d’atteintes aux droits fondamentaux jouissaient d’une totale impunité. La plupart du temps, les enquêtes sur les violations perpétrées par la police - si enquête il y avait - n’étaient pas conformes aux normes internationales. Aucune violation des droits humains n’a donné lieu à des poursuites ou des condamnations.
Les autorités se sont par ailleurs montrées peu empressées à se pencher sur les violations des droits humains commises les années précédentes, y compris sur les homicides politiques et les massacres perpétrés il y a déjà longtemps. D’anciens chefs militaries accusés de s’être livrés à des violations des droits fondamentaux sous le régime militaire (1991-1994) jouissaient toujours de l’impunité. Les investigations sur les meurtres des journalistes Brignol Lindor et Jean Dominique étaient au point mort.
Au mois de mai, la Cour de cassation a annulé pour vice de procédure les peines prononcées dans le cadre de l’affaire du massacre de Raboteau, faisant valoir que le procès, tenu en 2000, n’aurait pas dû se dérouler devant un jury. Trente-quatre anciens membres de l’armée et de groupes paramilitaires avaient été condamnés à des peines allant de deux à dix ans d’emprisonnement. Pour les organisations de défense des droits humains, le procès de Raboteau constituait un tournant dans la lutte contre l’impunité en Haïti. La plupart de ceux qui avaient été condamnés dans le cadre de cette affaire s’étaient évadés de prison au début de l’année 2004.
Au mois d’août, Louis Jodel Chamblain, ancien numéro deux d’un groupe paramilitaire qui agissait sous le régime militaire (1991-1994), a été libéré de prison sans qu’aucune raison de droit ne justifie cet élargissement. Il attendait d’être jugé, pour la deuxième fois, dans le cadre de l’affaire du massacre de Raboteau. Il avait été condamné par contumace en 2000 et s’était livré aux autorités après l’éviction de Jean Bertrand Aristide, en 2004. La législation haïtienne prévoit que les personnes condamnées par contumace doivent être rejugées à leur retour en Haïti.

Désarmement

Le projet de désarmement n’avait guère avancé. Une Commission nationale de désarmement a été créée en février, mais elle n’a été opérationnelle qu’au mois de juillet. Le Conseil de sécurité des Nations unies a demandé à maintes reprises la mise en œuvre immédiate d’un programme de désarmement, mais ses appels ont été ignorés. L’absence de volonté politique pour désarmer les groupes armés illégaux a miné les initiatives de paix et de sécurité tout au long du processus de transition. La MINUSTAH a lancé des programmes de désarmement de petite envergure au niveau local, à titre de projets pilotes, mais elle s’est heurtée à l’opposition de certaines catégories de la société haïtienne.

Autres documents d’Amnesty International

 Haïti. Lenteur du désarmement et déni de justice (AMR 36/005/2005).

 Haïti. Justice effacée, l’annulation du jugement de condamnation par la Cour de cassation, dans l’affaire du massacre de Raboteau, est un gigantesque pas en arrière (AMR 36/006/2005).

 Haïti. À l’approche des élections, la prolifération des armes est synonyme de multiplication des atteintes aux droits humains (AMR 36/011/2005).

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