BURUNDI République du Burundi

De nouvelles atteintes aux droits humains ont terni les espoirs suscités par les élections de 2005, qui laissaient entrevoir la fin de douze années de guerre civile. Les forces gouvernementales se sont rendues coupables notamment d’arrestations et de détentions arbitraires, d’actes de torture, de mauvais traitements et d’exécutions extrajudiciaires et, jusqu’à l’adoption en septembre d’un accord de cessez-le-feu, le dernier groupe armé encore engagé dans des hostilités contre le gouvernement a continué entre autres de tuer des civils soupçonnés de collaborer avec les forces gouvernementales. Le parti dirigeant a encore accru son ingérence dans les pouvoirs exécutif et judiciaire et a cherché à faire taire les critiques formulées par les médias, les opposants politiques et les défenseurs des droits humains.







Contexte
Le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), a fait l’objet de très nombreuses accusations de corruption. Il a entravé l’indépendance de la magistrature et a usé de mesures de harcèlement et d’intimidation à l’égard des médias indépendants, des opposants politiques et des défenseurs des droits humains.
Au mois d’août, sept anciens hauts responsables et dirigeants de l’opposition politique ont été arrêtés en raison d’une tentative de coup d’État présumée. Parmi eux figuraient l’ancien vice-président Alphonse-Marie Kadege et l’ancien chef de l’État Domitien Ndayizeye, qui a été inculpé de « menaces à la sûreté de l’État ». Toutefois, nombreux étaient ceux qui se demandaient si cette tentative de putsch avait réellement eu lieu.
Le 6 septembre, la deuxième vice-présidente, Alice Nzomukunda, a démissionné en invoquant les manœuvres de corruption et d’ingérence politique déployées par le président du parti au pouvoir.
Dans les provinces de Bujumbura-rural, de Bubanza et de Cibitoke, le conflit armé s’est poursuivi tout au long du premier semestre entre le Parti pour la libération du peuple hutu – Forces nationales de libération (PALIPEHUTU-FNL), généralement désigné sous le nom de FNL (Forces nationales de libération), et les forces armées gouvernementales (Forces de défense nationale, FDN). Le 7 septembre, le gouvernement et les FNL ont signé un accord de cessez-le-feu. À la fin de l’année cependant, plusieurs questions épineuses n’avaient toujours pas été résolues, notamment celle concernant l’intégration des éléments des FNL au sein des FDN.

Arrestations et détentions arbitraires
Les services de renseignements généraux (la Documentation nationale), la police et l’armée se sont rendus coupables de nombreuses arrestations et détentions arbitraires et illégales. Les autorités ont justifié ces mesures en mettant en avant la sécurité nationale et en accusant les personnes interpellées d’être proches des FNL. Il est néanmoins apparu que de nombreuses arrestations et incarcérations avaient été illégales.
En avril, plus d’un millier de personnes habitant la province de Bujumbura-mairie et les provinces avoisinantes se trouvaient incarcérées depuis plusieurs mois sans avoir été déférées à la justice. Seules 34 d’entre elles avaient fait l’objet de poursuites engagées par le ministère public.
Des cas d’arrestations arbitraires et illégales par les autorités locales ont également été signalés dans d’autres provinces, dont celle de Ngozi.
Selon certaines informations, le 20 avril, un professeur du lycée Don Bosco, à Ngozi, a été frappé et menotté par des policiers, avant d’être incarcéré dans le cachot communal de Kiremba. Il a été maintenu illégalement en détention durant quelques jours, sans être présenté à un juge. Il était accusé d’avoir volé du bois dans une forêt appartenant à l’administration locale.

Exécutions extrajudiciaires
Tout au long de l’année, les services de renseignements et l’armée ont été impliqués dans des exécutions extrajudiciaires de civils.
Entre les mois de mai et d’août, une trentaine d’habitants de la province de Muyinga ont été arrêtés de manière arbitraire par les forces armées gouvernementales, qui étaient en liaison avec les services de renseignements et l’administration locale. D’après des sources locales, au moins 16 d’entre eux ont été exécutés et leurs cadavres jetés dans des rivières. Trois agents de l’État ont été arrêtés pour ces homicides, dont le directeur des services de renseignements de Muyinga. Toutefois, malgré la délivrance de mandats d’arrêt, les autorités n’ont pas interpellé les hauts fonctionnaires qui auraient ordonné ces exécutions.
Le 4 août, dans la commune de Kinama (province de Bujumbura-mairie), quatre personnes soupçonnées d’appartenir aux FNL ont été arrêtées par des policiers accompagnés d’un ancien combattant du CNDD-FDD opérant manifestement pour le compte des services secrets. Le 14 août, ce dernier a emmené les quatre personnes à bord d’un véhicule. Le lendemain, leurs corps criblés de balles ont été retrouvés par des habitants de la région. L’ancien combattant du CNDD-FDD a été incarcéré à la prison de Mpimba, mais plusieurs témoins ont affirmé l’avoir aperçu en liberté à Bujumbura.

Torture et mauvais traitements
Le gouvernement a omis d’inscrire la définition de la torture dans les textes législatifs nationaux et d’aligner le Code de procédure pénale et le Code pénal sur les normes internationales relatives aux droits humains.
Tout au long de l’année, Amnesty International a recueilli des témoignages sur les tortures et mauvais traitements qui auraient été commis par les services de renseignements et les forces de sécurité, qu’elles soient de la police ou de l’armée.
Dans la nuit du 23 janvier, dans la commune de Ruhororo (province de Ngozi), Matrenus Ciragira et sa famille ont été agressés par des individus armés de fusils et vêtus d’uniformes de la police. Au cours de cette attaque, l’épouse de Matrenus Ciragira a été violée sous les yeux de ses enfants. Aucune enquête n’a été effectuée.
D’après les informations reçues, le 2 août, des policiers ont roué de coups de pied l’ancien vice-président Alphonse-Marie Kadege alors qu’il se trouvait dans une salle d’interrogatoire.
Le 26 juin, dans le secteur de Mivo (commune de Ngozi), deux membres du personnel de l’organisation non gouvernementale (ONG) Population Services International (PSI) – également appelée Population, santé et information – ayant participé à un programme de sensibilisation sur le sida ont été arrêtés et, semble-t-il, torturés par deux policiers. Aucune enquête n’avait été ouverte à la fin de l’année.

Attaques contre la liberté d’expression
Les relations entre les autorités et les médias indépendants étaient tendues et conflictuelles. Des agents de l’État et le parti au pouvoir ont, à plusieurs reprises, menacé des journalistes.
Le 17 avril, à l’issue d’une conférence de presse organisée par Mathias Basabose, député CNDD-FDD, à Kinindo (Bujumbura), une trentaine de journalistes ont été convoqués par la police et ont reçu l’ordre de remettre leurs enregistrements et leur matériel, pour vérification des informations recueillies. Les journalistes, qui ont refusé d’obéir aux injonctions, n’ont pas été autorisés à quitter les lieux. Des confrères sont alors arrivés afin de relater les événements, et plusieurs d’entre eux auraient été frappés par les policiers à coups de crosse et de matraque.
Le 3 septembre, Hussein Radjabu, président du CNDD-FDD, a prononcé, devant des milliers de sympathisants, un discours dans lequel il menaçait les journalistes de représailles si ceux-ci poursuivaient leurs critiques à l’égard de ce parti et du gouvernement.
Ce même jour, le site Internet du CNDD-FDD affichait une photographie de Gabriel Nikundana, rédacteur en chef de la station de radio Isanganiro, accompagnée d’un texte disant que le journaliste s’était réfugié au Kenya. Lorsqu’il est apparu que ces propos étaient mensongers, un autre article a été diffusé sur le site, le 5 septembre, associant Gabriel Nikundana à la tentative de coup d’État présumée et le présentant comme un « extrémiste ».

Prisonniers d’opinion
Tout au long de l’année, les défenseurs des droits humains ont été en butte au harcèlement et certains ont été arrêtés de façon arbitraire pour avoir exprimé leurs opinions de manière pourtant pacifique.
Le 5 mai, Térence Nahimana, directeur de l’ONG Cercle d’initiative pour une vision commune (CIVIC), a adressé au chef de l’État une lettre accusant le gouvernement de retarder délibérément les négociations de paix avec les FNL. Térence Nahimana a été arrêté le 9 mai par les services de renseignements. Il a été remis en liberté après trois heures d’interrogatoire avant d’être de nouveau interpellé le lendemain. Le 15 mai, il a été inculpé de « menaces à la sûreté de l’État » et incarcéré à la prison de Mpimba.
Le 16 août, Gabriel Rufyiri, président de l’ONG Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), a été interpellé de façon arbitraire. Il a fait l’objet d’une incarcération illégale pour avoir affirmé que des membres du gouvernement et du parti au pouvoir étaient mêlés à des actes de corruption. L’OLUCOME avait révélé la vente, présumée abusive, de l’avion présidentiel, ainsi que certaines irrégularités dans des contrats conclus par le gouvernement.

Violences contre les femmes
Des femmes de tous âges ont été victimes de violences sexuelles, dont des viols, aussi bien dans les zones urbaines que dans les régions rurales. Malgré la cessation des hostilités dans la majeure partie du pays, les organisations locales de défense des droits humains ont signalé un nombre très élevé de viols.
L’État n’a guère réagi et l’appareil judiciaire n’assurait aux victimes qu’une protection très insuffisante. La police et les autorités judiciaires classaient souvent sans suite les affaires de viol et ne procédaient à aucune enquête, sauf dans les cas où la victime était une jeune enfant ou lorsque des pressions étaient exercées par les organisations locales de défense des droits humains.
Le 21 février, deux hommes se sont introduits par effraction chez V.N., une femme de vingt-sept ans habitant la commune de Kamenge, puis ils l’ont frappée, bâillonnée et violée et ont infligé le même sort à sa sœur. Ni l’administration locale ni la police n’ont ouvert d’enquête sur cette affaire. V.N. a, par la suite, été rejetée par son entourage.

Atteintes aux droits humains commises par les FNL
Au cours du premier semestre, les FNL ont usé de menaces et de manœuvres d’intimidation contre les civils des provinces de Bujumbura-rural, de Bubanza et de Cibitoke, exigeant souvent un toit, de l’eau ou de la nourriture. Les FNL ont également tué des fonctionnaires subalternes ainsi que des civils soupçonnés de collaboration avec les forces armées gouvernementales.
Le 16 janvier, Amélie Bapfumukeko, conseillère municipale de Nakibuye, dans la commune de Kanyosha, a été enlevée et tuée par des individus présumés être des combattants des FNL. Son cadavre a été retrouvé le lendemain, à environ 500 mètres de son domicile. Les membres locaux des FNL accusaient Amélie Bapfumukeko d’avoir collaboré avec les forces armées gouvernementales.

Fonctionnement de la justice
Cette année encore, le système judiciaire souffrait d’un manque de ressources ainsi que de carences sur le plan de la formation. Par ailleurs, les autorités gouvernementales et certains membres du CNDD-FDD auraient influencé des décisions judiciaires de façon irrégulière.
Le 16 février, un professeur de collège de Gashikanwa (province de Ngozi) et membre du CNDD-FDD a été arrêté par la police qui le soupçonnait de viol sur cinq de ses élèves. Une fois la nouvelle de cette arrestation divulguée, le procureur général chargé de l’enquête a reçu des menaces par téléphone de la part de membres des services de sécurité et de députés CNDD-FDD qui exigeaient la remise en liberté de l’enseignant. Le procureur a finalement fait relâcher celui-ci, et ni ses services ni la police n’ont poursuivi les enquêtes ouvertes sur les viols présumés.

Mécanismes de lutte contre l’impunité
Au cours de l’année, les autorités ont diffusé des messages ambigus sur leur volonté de s’attaquer efficacement à la question de l’impunité.
Le 3 janvier, le président de la République a décrété que les prisonniers politiques devaient bénéficier d’une « immunité provisoire », conformément aux dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Burundi (dit Accord d’Arusha) conclu en 2000. Quelques jours plus tard, le ministre de la Justice annonçait la mise en liberté, à titre provisoire, de 673 prisonniers politiques. Fin mars, plus de 3 200 prisonniers avaient été libérés. Toutefois, cette décision n’a pas été suivie de mesures concrètes et spécifiques visant à lutter contre l’impunité.
Début février, le gouvernement a présenté un mémorandum afin d’entamer des pourparlers avec les Nations unies au sujet de la mise en place d’une commission de vérité et de réconciliation et d’une chambre spéciale, dans l’objectif d’enquêter sur les crimes commis au Burundi et d’en déférer les responsables à la justice. Fin février, une mission des Nations unies est arrivée à Bujumbura afin de préparer les négociations relatives à ces deux mécanismes. Cette rencontre représentait une étape importante, mais le mémorandum du gouvernement contenait des propositions susceptibles d’entraver les actions de lutte contre l’impunité. Il proposait ainsi une « procédure de réconciliation » qui risquait d’empêcher ou de restreindre l’ouverture d’enquêtes et la poursuite de crimes relevant du droit international. Les avancées enregistrées étaient par conséquent très limitées.
Le 18 juin, à Dar es Salaam, en Tanzanie, le gouvernement et les FNL ont signé un accord de principe en vue d’instaurer une paix, une sécurité et une stabilité durables au Burundi. Le document indiquait que la commission de vérité et de réconciliation (qui n’était pas encore créée) serait renommée Commission vérité, pardon et réconciliation. Son mandat consisterait à établir les faits entourant les « périodes sombres de l’histoire du Burundi » et à déterminer les responsabilités des divers protagonistes en vue de parvenir au pardon et à la réconciliation nationale.

Peine de mort
Après la remise en liberté de 3 200 prisonniers politiques, 218 autres prisonniers se trouvaient toujours sous le coup d’une condamnation à mort. Aucune exécution n’a eu lieu depuis celles, en 1997, de sept civils ; les tribunaux ont cependant continué de prononcer des condamnations à la peine capitale.

Personnes réfugiées et déplacées
En février, le Burundi comptait 20 000 réfugiés rwandais. À la fin de l’année, environ 16 000 d’entre eux avaient été rapatriés dans leur pays par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Entre janvier et décembre, environ 32 000 réfugiés burundais sont rentrés au Burundi avec l’aide du HCR. Au mois de juin, le HCR a changé sa politique en passant de la facilitation des rapatriements à l’encouragement aux retours volontaires.
À la fin de l’année, plus de 100 000 personnes vivaient toujours dans des camps pour personnes déplacées, essentiellement dans les provinces du nord et de l’est du pays.

Visites d’Amnesty International
En février, des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Burundi afin d’effectuer des recherches sur les violences contre les femmes, ainsi que sur le processus de démobilisation, de désarmement et de réinsertion des combattants. Une délégation de l’organisation a également participé à un atelier avec des défenseurs des droits humains.

Autres documents d’Amnesty International


 Burundi. L’immunité provisoire ne contribue en rien à mettre fin à l’impunité (AFR 16/001/2006).

 Burundi. Vers quelle réconciliation ? (AFR 16/003/2006).

 Burundi. Des journalistes et observateurs des droits humains sont pris pour cibles (AFR 16/004/2006).

 Burundi. Abus des mesures de détention (AFR 16/011/2006).

 Burundi. D’Itaba à Gatumba : un besoin impératif de justice (AFR 16/014/2006).

 Burundi. Briefing to the Committee against Torture (AFR 16/016/2006).

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