ÉRYTHRÉE

Plusieurs milliers de prisonniers d’opinion étaient maintenus en détention au secret, sans inculpation ni jugement. D’anciens responsables du gouvernement étaient détenus dans des lieux secrets. On était sans nouvelles de nombreuses personnes arrêtées pour des motifs politiques ou religieux, notamment des journalistes. Nombre d’entre elles étaient de fait victimes de disparition forcée. Un général d’armée était détenu depuis quatorze ans et trois autres personnes, arrêtées en raison de leurs convictions religieuses, depuis douze années. Un grand nombre de prisonniers ont été torturés. Les conditions de détention, notamment l’enfermement dans des cellules souterraines ou dans des conteneurs en métal, s’apparentaient à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Les soins médicaux étaient pratiquement inexistants.



Contexte
Les deux tiers de la population dépendaient de l’aide alimentaire d’urgence apportée par la communauté internationale. Le gouvernement a expulsé du pays plusieurs organisations non gouvernementales qui fournissaient une assistance humanitaire. Des donateurs ont continué à assurer une aide humanitaire d’urgence. La plupart avaient toutefois suspendu depuis longtemps leurs programmes d’aide au développement, car le gouvernement n’avait pas mis en œuvre le processus de démocratisation prévu par la Constitution, ni les traités internationaux relatifs aux droits humains qu’il avait ratifiés.
Comme les années précédentes, les défenseurs des droits humains n’étaient pas autorisés à mener leur action. Les organisations indépendantes de la société civile et les groupes religieux non reconnus par les autorités étaient interdits. L’unique parti politique autorisé était le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ, au pouvoir), nouvelle appellation du Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE). Nulle forme de dissidence n’était tolérée.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a prorogé jusqu’en janvier 2007 la Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE), tout en dénonçant l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations relatives à la question de la frontière. L’Érythrée a, cette année encore, demandé à l’Éthiopie d’appliquer l’avis de la Commission du tracé de la frontière, rendu à l’issue du conflit armé qui a divisé la région de 1998 à 2000, et a refusé toute négociation sur la ligne de démarcation entre les deux pays. Le Conseil de sécurité a reproché à l’Érythrée d’accroître ses restrictions sur les déplacements des soldats de la MINUEE dans la zone de sécurité temporaire que celle-ci administre du côté érythréen de la frontière. Il a également dénoncé les arrestations de plusieurs agents de la MINUEE survenues au cours de l’année. De plus, le Conseil de sécurité a critiqué la détention au secret sans inculpation ni jugement d’un membre du personnel international de la MINUEE, privé de liberté pendant plusieurs semaines à la suite d’accusations, semble-t-il mensongères, de traite d’êtres humains.
Le gouvernement continuait à accueillir des mouvements d’opposition éthiopiens et soudanais. D’après un groupe d’experts mandaté par les Nations unies pour surveiller l’application de l’embargo international sur les armes imposé à la Somalie, l’Érythrée a fait parvenir une aide militaire ainsi que des armes à l’Union des Tribunaux islamiques en Somalie. L’Érythrée était menacée par l’Alliance démocratique érythréenne, un mouvement d’opposition armé basé au Soudan et bénéficiant également du soutien de l’Éthiopie.

Persécutions religieuses
Les groupes religieux minoritaires, dont les témoins de Jéhovah et plus de 35 Églises chrétiennes évangéliques, demeuraient interdits ; leurs lieux de culte ont été fermés et les rassemblements religieux proscrits. Seuls étaient autorisés l’islam, l’Église orthodoxe érythréenne, l’Église catholique et l’Église luthérienne (Mekane Yesus), au sein desquels les groupes dissidents faisaient également l’objet d’une répression. Il en allait de même pour ceux qui refusaient de se soumettre à l’autorité de l’État. Le patriarche Antonios, chef de l’Église orthodoxe érythréenne, avait été déchu de son autorité au milieu de l’année 2005 et était depuis assigné à domicile pour s’être élevé contre l’arrestation en 2004 de trois prêtres orthodoxes et contre les peines d’emprisonnement, dans un lieu secret, qui leur avaient été infligées.
Des dizaines de membres de ces Églises proscrites ont été arrêtés au cours de l’année pour avoir célébré des offices à leur domicile ou lors de mariages, ou pour avoir proclamé leur foi devant des tiers. Ils étaient retenus dans des postes de police, dans des prisons de haute sécurité ou dans des camps militaires. Ils étaient bien souvent torturés ou menacés et devaient signer, pour être libérés, un document dans lequel ils déclaraient mettre un terme à leur pratique religieuse. Ils étaient détenus illégalement et au secret, sans avoir comparu devant un tribunal ni avoir été inculpés. Des appelés du service national étaient eux aussi sanctionnés s’ils exerçaient leur culte.
D’après les estimations, 2 000 membres d’Églises évangéliques minoritaires, dont une vingtaine de pasteurs, étaient maintenus en détention dans des conditions très pénibles. Parmi eux se trouvaient des femmes et des enfants. Au moins 237 personnes ont été arrêtées en 2006, un nombre en diminution par rapport à l’année précédente, peut-être en raison des virulentes critiques émises par la communauté internationale à propos de ces persécutions religieuses. La plupart des détenus se trouvaient dans des camps militaires et étaient enfermés dans des cellules souterraines ou des conteneurs métalliques. Aucun n’a été autorisé à recevoir la visite de ses proches depuis son arrestation. Les pasteurs emprisonnés étaient pour la plupart regroupés dans la prison de haute sécurité de Karchele, à Asmara.
Helen Berhane a été remise en liberté en novembre. Cette chanteuse renommée de gospel appartenant à l’Église évangélique Rema était détenue dans le camp militaire de Mai Serwa depuis mai 2004. Le mois précédant sa libération, elle avait été admise à l’hôpital, à Asmara, dans un état de santé très précaire après avoir été une nouvelle fois torturée.
Trois témoins de Jéhovah étaient maintenus en détention au secret dans le camp militaire de Sawa, près de la frontière soudanaise, depuis 1994. Cette année-là, le gouvernement a privé toutes les personnes de cette confession de leurs droits élémentaires en tant que citoyens, au prétexte qu’elles refusaient de porter les armes ou d’effectuer leur service militaire. D’autres ont été arrêtées au cours de l’année, ce qui portait à 27 le nombre de témoins de Jéhovah détenus sans inculpation ni jugement.

Prisonniers d’opinion et prisonniers politiques
Depuis la vague de répression qui a frappé l’ensemble de l’opposition en septembre 2001, 11 anciens ministres du gouvernement ou responsables du FPLE se trouvaient en détention secrète pour une durée illimitée sans avoir été jugés ni même inculpés. Aucune information n’a jamais pu être obtenue sur le lieu où ils se trouvent, ni auprès du gouvernement ni par d’autres sources. On craignait pour leur sécurité après de nouvelles allégations, recueillies en 2006, selon lesquelles le général Ogba Abraha, comme peut-être d’autres personnes détenues en secret, serait depuis lors mort en détention des suites d’une maladie et de l’absence de soins. Le gouvernement n’a pas répondu aux demandes d’informations sur le sort qui leur avait été réservé ou sur leur lieu de captivité, ni aux appels lancés afin qu’ils puissent recevoir des visiteurs indépendants. Nombre de ces personnes étaient de fait victimes de disparition forcée. Parmi elles figuraient l’ancien vice-président Mahmoud Ahmed Sheriffo et son ex-épouse Aster Fissehatsion, ainsi que les anciens ministres des Affaires étrangères Haile Woldetensae et Petros Solomon.
Des centaines d’autres prisonniers d’opinion appréhendés à la même époque ou plus tard, qui se seraient eux aussi opposés au gouvernement, étaient maintenus en détention au secret sans inculpation ni jugement. On était sans nouvelles d’un grand nombre d’entre eux. Plusieurs demandeurs d’asile renvoyés de force de Malte en 2002 et de Libye en 2003 se trouvaient toujours en détention.
Aster Yohannes, épouse de Petros Solomon et ancienne membre du comité central du FPDJ, était maintenue au secret depuis 2003. Elle était rentrée cette année-là des États-Unis pour rejoindre ses enfants, dont elle n’a pas été autorisée à recevoir la visite.

Journalistes
En novembre, neuf journalistes travaillant dans des médias publics ont été arrêtés et placés en détention. L’un d’eux a été libéré mais, à la fin de l’année, les huit autres étaient maintenus en détention sans inculpation ni jugement à Asmara.
Dix journalistes de médias privés, arrêtés en 2001 au cours de la vague de répression contre l’opposition, et un autre travaillant pour la presse gouvernementale, arrêté en 2002, étaient toujours maintenus au secret sans avoir été jugés ni inculpés. Certains d’entre eux se trouvaient dans la prison de haute sécurité de Karchele, à Asmara, mais on était sans nouvelles des autres. Tous les médias privés demeuraient interdits depuis l’année 2001.

Conscription militaire
Le service national, qui comportait un service militaire et un service en faveur du développement (prenant par exemple la forme de travaux de voirie ou de construction) demeurait obligatoire. Tous les hommes de dix-huit à quarante ans y étaient soumis, pour une durée indéterminée. Les femmes en étaient quant à elles, en principe, libérées à vingt-sept ans. Les réservistes, y compris les anciens combattants du FPLE, pouvaient être rappelés jusqu’à l’âge de cinquante ans. Certains conscrits ont eu la permission d’effectuer leur service dans l’administration civile, mais devaient néanmoins se soumettre à des contraintes d’ordre militaire.
Les autorités ne reconnaissaient pas le droit à l’objection de conscience, pourtant reconnu par la communauté internationale. Ce point concernait particulièrement les témoins de Jéhovah, qui refusent le service militaire (mais non le service en faveur du développement) pour des raisons religieuses.
Les autorités ont mis en place des mesures draconiennes afin d’empêcher les conscrits de se soustraire au service militaire et d’éviter la désertion de milliers d’appelés. La police a procédé à des perquisitions et à des rafles. Soupçonnés de complicité dans la fuite ou la désertion de leur enfant, des centaines de parents ont été placés en détention, peut-être pour une durée illimitée dans certains cas. Ils n’étaient libérés que s’ils versaient une importante caution, destinée à obliger le déserteur à se rendre.

État de droit
Les rares tribunaux en activité ne protégeaient pas les droits constitutionnels en vertu desquels nul ne peut être torturé ni placé en détention arbitraire. Dans des affaires de corruption et d’infractions à caractère politique, des tribunaux d’exception ont infligé des peines d’emprisonnement à l’issue de procès expéditifs se déroulant dans le plus grand secret et au cours desquels l’accusé n’avait pas le droit de se faire assister par un avocat ni de faire appel. Des comités de sécurité secrets ont, semble-t-il, prononcé des peines d’emprisonnement sans aucun semblant de procès.
Les tribunaux militaires n’étaient pas opérationnels. Les conscrits accusés d’une infraction militaire, telle que la désertion, la tentative de désertion ou l’absence sans autorisation, étaient emprisonnés de manière arbitraire ou sanctionnés par des actes de torture, et peut-être exécutés dans les cas les plus graves, sur ordre de leur commandant.

Torture et mauvais traitements
Des personnes détenues par les forces de sécurité ou par l’armée et soupçonnées d’être des opposants ou de soutenir des groupes d’opposition en exil ont été torturées. D’autres, incarcérées pour des motifs religieux, ont été torturées afin qu’elles abjurent leur foi. La torture constituait également une forme de sanction établie de longue date contre les civils détenus par l’armée ou les forces de sécurité et contre les conscrits accusés d’infractions militaires. Les victimes étaient notamment attachées des heures ou des jours durant dans des positions douloureuses (notamment selon la méthode dite de l’hélicoptère), et frappées.
Des personnes arrêtées en raison de leurs convictions politiques ou de leurs croyances religieuses étaient détenues dans des conditions très pénibles s’apparentant à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Nombre d’entre elles étaient enfermées dans des conteneurs métalliques sans installations sanitaires, où régnaient des températures extrêmes. Les soins médicaux étaient quasiment inexistants et les prisonniers n’étaient conduits à l’hôpital que s’ils étaient presque mourants. Le général Bitwoded Abraha, incarcéré pratiquement sans interruption depuis 1992 à la prison de haute sécurité de Karchele, à Asmara, était atteint depuis des années de troubles mentaux liés à ses mauvaises conditions de détention. Il n’avait toutefois pu obtenir aucun traitement médical ni psychiatrique. Aster Yohannes, détenue dans cette même prison, se trouvait également dans un état de santé précaire et ne bénéficiait pas de soins adaptés.

Autres documents d’Amnesty International

 Érythrée : L’anniversaire de l’indépendance est l’occasion de lancer un nouvel appel en faveur de l’amélioration urgente de la situation des droits humains dans le pays (AFR 64/004/2006).

 Érythrée. Cinq ans ont passé et des membres du parlement et des journalistes sont toujours en détention secrète sans avoir été jugés. On craint que certains ne soient morts en détention (AFR 64/009/2006).

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