RWANDA

Le gouvernement conservait sa mainmise sur tous les secteurs de la société civile, contrainte d’œuvrer dans un climat de crainte et de suspicion. Les procès de personnes soupçonnées de participation au génocide de 1994 se sont poursuivis. On pouvait craindre que certains d’entre eux n’aient pas été conduits en toute équité. Plusieurs milliers de personnes étaient détenues dans des conditions très pénibles depuis longtemps, sans avoir été jugées. Six cents prisonniers restaient sous le coup d’une condamnation à mort.




Contexte
La communauté internationale continuait de considérer que le Rwanda de l’après-génocide avait progressé de façon spectaculaire. Pourtant, les pouvoirs publics ne dispensaient pas l’éducation ni les soins de santé élémentaires aux groupes qui n’étaient pas représentés politiquement au niveau local. Les tensions entre les différentes ethnies et au sein même de certaines ethnies persistaient.
Déjà crispées, les relations diplomatiques entre Kigali et Paris se sont détériorées en novembre, lorsqu’un juge français a émis des mandats d’arrêt internationaux contre neuf proches collaborateurs du président Paul Kagame.

Attaques contre des journalistes indépendants

Les journalistes étaient en butte à des manœuvres d’intimidation et de harcèlement ainsi qu’à des violences, autant d’actes qui ne donnaient lieu à aucune enquête indépendante et impartiale. Les autorités ont par ailleurs affirmé à maintes reprises que la liberté d’expression n’était pas restreinte au Rwanda et ont accusé les journalistes indépendants de manque de professionnalisme.
En janvier, à Kigali, le domicile de Bonaventure Bizumuremyi, rédacteur en chef d’Umuco, a été saccagé par quatre hommes armés de gourdins et de couteaux. Le journal avait auparavant accusé le parti au pouvoir d’incompétence et d’ingérence dans le pouvoir judiciaire.
La justice manquait d’indépendance et faisait régulièrement prévaloir des dispositions législatives restreignant la liberté d’expression.
En août, la Haute Cour de la République a confirmé la condamnation pour « outrage public » de Charles Kabonero, directeur de la publication d’Umuseso, à une peine d’une année d’emprisonnement avec sursis et à une amende. En 2004, le journal avait mis en doute l’intégrité du vice-président du Parlement, Denis Polisi.

Défenseurs des droits humains
En juin 2006, la Commission nationale des droits de l’homme a remis son rapport pour l’année 2005, rédigé en kinyarwanda. Selon la presse nationale, ce document, qui avait bénéficié du concours de certaines organisations rwandaises de défense des droits humains, indiquait une grande amélioration de la situation des droits de la personne au Rwanda depuis 2004.
Des militants ont toutefois indiqué qu’ils agissaient sous l’étroite surveillance des autorités, que la liberté d’expression demeurait sévèrement contrôlée depuis les mesures restrictives imposées en 2004 aux organisations de défense des droits humains et que l’autocensure était monnaie courante.
À la fin de l’année, le Parlement étudiait un projet de loi destiné à renforcer l’encadrement par l’État des activités et des publications des organisations non gouvernementales.

Procès pour génocide
Les procès se poursuivaient devant les tribunaux gacaca (système de juridictions populaires institué en 2002 afin de juger les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide de 1994). Le système gacaca semblait manquer d’impartialité et, selon certaines informations, les accusés n’étaient pas autorisés à se défendre, que ce soit lors de la procédure d’investigation précédant le procès ou au cours de celui-ci à proprement parler. La phase initiale de collecte des informations était en outre apparemment contrôlée par les autorités locales (nyumbakumi) alors que, au regard de la loi, la responsabilité en revenait directement aux juges gacaca.
Le manque de qualification et de formation de ces juges, tout comme les pratiques de corruption constatées dans certaines communes, alimentaient une méfiance généralisée à l’égard de ce système.
À Munyaga, dans la commune de Rwamagana (province de l’Est), un juge se serait rendu auprès de personnes convoquées aux fins d’interrogatoire afin de leur extorquer de l’argent en échange d’un acquittement. Dans cette même commune, deux personnes ont été condamnées à trente ans d’emprisonnement, bien que leur participation au génocide n’ait pas été établie formellement.
Les autorités locales et des associations de victimes ont indiqué que, dans la province de l’Est, certains survivants du génocide qui allaient témoigner devant un tribunal gacaca avaient été soumis à des actes d’intimidation, de harcèlement et de violence.
Frédéric Musarira, un rescapé du génocide, aurait été assassiné en novembre à Rukumberi, dans la commune de Ngoma (province de l’Est). Le meurtrier serait un homme qui avait été libéré de prison peu de temps auparavant, après avoir reconnu sa participation au génocide. Des survivants du génocide auraient tué au moins huit personnes en représailles.
Tout au long de l’année, des Rwandais ont tenté d’échapper à la justice gacaca en se réfugiant dans les pays voisins. Certains craignaient que ces tribunaux ne révèlent au grand jour leur rôle dans le génocide. D’autres redoutaient d’être victimes d’accusations mensongères.
D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), environ 20 000 Rwandais ont fui le sud du pays au début de l’année afin de demander asile au Burundi. Ils tentaient d’échapper à la persécution des autorités locales et aux citations à comparaître décernées par les tribunaux gacaca, ainsi qu’à la sécheresse.
En juillet, d’autres groupes de Rwandais ont quitté la province de l’Est afin de se soustraire au système gacaca. Quarante personnes originaires de Munyaga, dans la commune de Rwamagana, se sont ainsi rendues en Ouganda.

Détention provisoire
Plusieurs milliers de prisonniers étaient maintenus en détention sans jugement depuis de longues périodes. Environ 48 000 détenus se trouvaient en instance de procès pour leur participation présumée au génocide.
Dominique Makeli, ancien journaliste de Radio Rwanda, était détenu depuis près de douze ans sans avoir jamais été jugé. Les chefs d’inculpation retenus contre lui ont été modifiés à maintes reprises. La plus récente des charges faisait état d’incitation au génocide lors d’une émission diffusée sur Radio Rwanda en 1994.
Deux religieuses catholiques, Bénédicte Mukanyangezi et Bernadette Mukarusine, étaient maintenues en détention sans jugement depuis plus de douze ans.

Conditions carcérales
D’après les informations reçues, la population carcérale s’élevait à quelque 69 000 personnes en 2006. Toutes les prisons, à l’exception de celle de Mpanga, étaient surpeuplées. Selon les informations dont Amnesty International avait connaissance, la prison de Gitarama comptait ainsi 7 477 détenus alors que sa capacité d’accueil s’élevait officiellement à 3 000 places.
Les conditions de détention demeuraient extrêmement dures et s’apparentaient parfois à une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. D’après les informations recueillies, certaines prisons et certains centres de détention disposaient de cellules souterraines.
Au moins 50 personnes étaient, semble-t-il, incarcérées depuis plus d’un an dans une cave de la prison de Gitarama, dans des conditions éprouvantes et insalubres. Ces détenus n’étaient que rarement autorisés à sortir.

Peine de mort
Six cents personnes étaient sous le coup d’une condamnation à mort. La dernière exécution a eu lieu en 1998. En octobre, le bureau politique du parti au pouvoir a vivement recommandé l’abolition de la peine capitale. Son maintien constituait en effet l’un des principaux obstacles au transfert sous la compétence nationale des détenus actuellement placés sous la juridiction du Tribunal pénal international pour le Rwanda ou des Rwandais inculpés de participation au génocide et vivant à l’étranger.

Enquêtes sur le génocide et les crimes de guerre
La commission d’enquête chargée en avril 2005 de se pencher sur le rôle présumé de l’armée française dans le génocide a commencé son travail en avril 2006.
En mai, le procureur général rwandais a établi une nouvelle liste de personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide et vivant, semble-t-il, à l’étranger. On s’est interrogé sur l’exactitude de la liste – qui comptait 93 noms –, car certaines des personnes mentionnées étaient vraisemblablement décédées ou ne se trouvaient pas dans le pays indiqué. Certains gouvernements étrangers ont entamé des procédures judiciaires contre les individus soupçonnés de participation au génocide et qui résidaient, parfois sous une fausse identité, sur leur territoire.
En novembre, le juge français qui enquêtait sur la destruction, en 1994, de l’avion de l’ancien président Habyarimana a émis des mandats d’arrêt internationaux contre neuf hauts fonctionnaires rwandais. Il a également demandé au Tribunal pénal international pour le Rwanda de prononcer la mise en accusation de l’actuel chef de l’État, Paul Kagame, afin qu’il soit arrêté pour son implication dans ces événements.
L’enquête ouverte par un juge espagnol sur l’assassinat de ressortissants espagnols et sur d’autres crimes commis entre 1990 et 2002 au Rwanda était, semble-t-il, achevée. Les investigations ont porté sur le rôle directement joué par 69 membres du Front patriotique rwandais (FPR) qui, pour certains, occupaient de hautes fonctions dans l’armée.


Tribunal pénal international pour le Rwanda

Les procès d’individus soupçonnés d’avoir joué un rôle majeur dans le génocide se sont poursuivis devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (le Tribunal). Fin 2006, 56 personnes se trouvaient en détention. Neuf procès – dont certains concernaient plusieurs accusés – étaient en cours. Sept autres se sont conclus dans le courant de l’année : deux personnes qui avaient été placées en détention ont été acquittées, tandis que les autres ont été condamnées à des peines d’emprisonnement. On attendait qu’il soit statué sur l’appel interjeté dans une autre affaire. Dix-huit suspects mis en accusation par le Tribunal se trouvaient toujours en fuite.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a donné mandat au Tribunal d’achever tous les procès d’ici à la fin 2008. Le Tribunal a dès lors cessé de prononcer des mises en accusation de personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité commis au Rwanda.
Depuis sa création, le Tribunal n’a jugé que des membres ou des sympathisants du gouvernement en place en avril 1994. Il n’a pas entièrement mis en œuvre son mandat, qui consistait à enquêter sur tous les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en 1994, y compris sur ceux imputables au FPR.

Mise à jour : disparitions forcées
Augustin Cyiza, personnalité influente de la société civile, aurait été victime de disparition forcée en 2003 pendant la période électorale. En 2005, des représentants de l’État rwandais ont nié avoir connaissance de son sort mais, selon certaines sources non officielles, il aurait été enlevé et assassiné.
Léonard Hitimana, membre de l’Assemblée nationale transitoire, a disparu en avril 2003. En avril 2006, le président de la Commission nationale des droits de l’homme a déclaré que l’enquête ouverte sur cette affaire était confidentielle et que ses conclusions seraient communiquées en temps voulu. On restait sans nouvelles de Léonard Hitimana à la fin de l’année.

Prisonniers politiques
En 2005, Pasteur Bizimungu, ancien président du Rwanda, et Charles Ntakirutinka ont été condamnés respectivement à quinze et dix ans d’emprisonnement pour incitation à la désobéissance civile, association de malfaiteurs et détournement de deniers publics. Avant leur arrestation, les deux hommes avaient formé un nouveau parti politique, le Parti démocratique du renouveau (PDR-Ubuyanja). De nombreux observateurs des droits humains considéraient que les poursuites engagées contre eux avaient pour objectif d’éliminer l’opposition politique. Pasteur Bizimungu et Charles Ntakirutinka étaient incarcérés à la prison centrale de Kigali.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Rwanda au mois d’octobre.

Autres documents d’Amnesty International

 Rwanda. La liberté d’expression réprimée (AFR 47/002/2006).

 Rwanda. Les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires dans le centre de détention militaire de Mulindi doivent faire l’objet d’une enquête indépendante (AFR 47/004/2006).

 Appel au Conseil de sécurité des Nations unies pour qu’il veille à ce que le mandat du Tribunal pénal international pour le Rwanda soit rempli (IOR 40/045/2006).

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