Europe et Asie centrale — Mise à jour régionale

Les événements nouveaux survenus entre janvier et avril 2008


Au cours des premiers mois de 2008, les gouvernements n’ont rien fait de plus pour assumer le rôle qu’ils ont joué dans les « restitutions ». Certains États ont cherché à remettre en cause l’interdiction universelle de la torture en essayant de renvoyer des personnes vers des États où elles seraient exposées à un risque sérieux de graves atteintes aux droits humains. Mais ils ont rencontré des difficultés, ce dont on ne peut que se féliciter. La liberté d’expression continuait à être menacée dans toute la région. Dans de nombreux pays, les défenseurs des droits humains bénéficiaient de possibilités d’action de plus en plus réduites.


Contre le terrorisme : la justice

Un manque de volonté politique se manifestait toujours dans le traitement de la question des « restitutions », encore que des faits divulgués en 2007 aient révélé de manière incontestable la complicité de certains États européens. On savait maintenant de façon publique que des failles dans la législation rendaient possibles les actions illégales des services nationaux de renseignement de pays d’Europe ou du reste du monde en leur évitant d’avoir à rendre des comptes, mais ces informations étaient reçues par la plupart des États dans le silence et l’inaction.

La nécessité d’enquêtes exhaustives et indépendantes sur les allégations de participation aux vols de « restitution » a été mise en évidence lorsque les gouvernements du Royaume-Uni et des États-Unis ont reconnu, en février, que deux vols s’étaient posés à Diego Garcia en 2002, alors même que les autorités du Royaume-Uni avaient auparavant affirmé, notamment auprès d’Amnesty International, que ce territoire n’avait jamais été utilisé en vue du transfert de prisonniers.

En février a eu lieu un événement plus positif : la Cour européenne des droits de l’homme a pris une décision historique dans l’affaire Saadi c. Italie, réaffirmant l’interdiction absolue de la torture et des autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les autorités italiennes avaient voulu renvoyer Nassim Saadi en Tunisie au motif qu’il constituait un risque pour la sécurité. La Cour a cependant estimé, en s’appuyant sur des rapports émanant d’Amnesty International et d’Human Rights Watch, qu’il existait des motifs sérieux de croire que cet homme risquait réellement, en cas de renvoi dans son pays, d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements.

Tout en reconnaissant à quel point il était difficile pour les États de protéger leurs habitants contre la violence terroriste, la Cour a affirmé que le danger du terrorisme ne devait pas remettre en question le caractère absolu de l’interdiction de la torture.

Dans d’autres circonstances, en avril, la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles a jugé que le Royaume-Uni se mettrait dans l’illégalité en renvoyant un homme en Jordanie et deux autres en Libye, en application de la politique britannique consistant à procéder à des expulsions après avoir obtenu des assurances. Dans la première affaire, la Cour d’appel a reconnu qu’Abou Qatada risquait d’être jugé après son retour en Jordanie dans des conditions qui constitueraient une violation flagrante du droit à un procès équitable, car des preuves obtenues sous la torture seraient très probablement retenues contre lui Dans la deuxième affaire, la Cour d’appel a affirmé, comme elle l’avait déjà fait, qu’un protocole d’accord avec la Libye ne suffisait pas à protéger les personnes renvoyées dans ce pays d’un risque réel de torture ou d’autres mauvais traitements.

Mais des préoccupations en matière de torture et autres mauvais traitements ont surgi dans d’autres contextes que celui du terrorisme international. Le 6 mars, par exemple, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a demandé aux autorités turques de revoir complètement les conditions d’incarcération d’Abdullah Öcalan de manière à lui fournir un cadre où il pourra avoir des contacts avec d’autres détenus et disposer d’un plus large éventail d’activités. Abdullah Öcalan purge actuellement une peine de détention à perpétuité après avoir été condamné en 1999 pour « trahison et séparatisme », en tant que dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le rapport du CPT souligne la détérioration de l’état du prisonnier, due à une situation de stress chronique et à un isolement social et émotionnel prolongés, associés à un sentiment d’abandon et d’amertume.

Immigration
Les restrictions imposées aux droits des migrants, la prolongation de la durée de détention et la limitation des droits des demandeurs d’asile comptent toujours parmi les priorités politiques de l’Union européenne et de ses États membres.

En avril, la présidence slovène de l’Union européenne est parvenue à un accord préliminaire en vue d’une directive relative aux normes et procédures communes applicables au retour des migrants en situation irrégulière ou des demandeurs d’asile déboutés. Amnesty International constate avec inquiétude que cet accord prévoit une période de détention de six mois au maximum, qui peut être augmentée d’une période de douze mois dans certains cas où des « efforts raisonnables » n’ont débouché sur aucun résultat. Le gouvernement italien envisage de porter à dix-huit mois la durée maximale de détention des migrants en situation irrégulière et de rendre plus expéditives les procédures d’éloignement


Traite des êtres humains

Les droits des personnes réduites à une forme moderne d’esclavage, ou en danger de connaître une telle situation, ont bénéficié d’une avancée considérable lorsque la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains [Conseil de l’Europe] est entrée en vigueur, le 1er février 2008. Dix-sept États, à ce jour, sont parties à la Convention.

Attaques contre les personnes
En Espagne, le 7 mars, lors d’un attentat terroriste fermement condamné par Amnesty International, le groupe armé basque Euskadi Ta Askatasuna (ETA, Pays basque et liberté) a tué l’ancien conseiller municipal socialiste Isaías Carrasco. Ce groupe a également organisé une campagne de menaces à l’égard de représentants des partis politiques et de la presse. En avril, il a revendiqué quatre autres attentats à l’explosif.

Peine de mort
La dynamique favorable à l’abolition s’est poursuivie dans la région, où l’Ouzbékistan a aboli la peine de mort à compter du 1er janvier 2008. Cependant ce pays n’a pas encore publié de statistiques complètes, précisant notamment le nombre de condamnés dont les peines ont été commuées au moment de l’abolition. La Biélorussie semblait vouloir s’enfermer dans son rôle de dernier État d’Europe exécutant encore des condamnés : en février, on a appris que trois exécutions avaient eu lieu.


Liberté d’expression

Dans toute la région, la liberté d’expression restait menacée. Les autorités arméniennes ont peut-être eu recours à une force excessive le 1er mars pour disperser des manifestants qui protestaient contre les résultats controversés de l’élection présidentielle tenue le mois précédent. Huit personnes, dont un policier, sont mortes, et plus de 100 militants d’opposition ont été appréhendés. En Biélorussie, selon des témoins, des policiers ont frappé à coups de poing et de pied des manifestants rassemblés à Minsk le 25 mars 2008 pour célébrer le 90e anniversaire de l’indépendance éphémère de ce pays. Une centaine de personnes ont été appréhendées. Le gouvernement turc n’avait pas encore abrogé les textes de loi utilisés pour poursuivre les militants des droits humains et les journalistes. En Azerbaïdjan, les journaux d’opposition continuaient à subir des persécutions constantes, marquées par des agressions, des actes de harcèlement et des actions judiciaires. Le 7 mars, par exemple, Qenimet Zahid (autre orthographe : Q ?nim ?t Zahid), rédacteur en chef d’Azadl ?q, a été condamné à quatre années d’emprisonnement pour « houliganisme avec circonstances aggravantes » et « coups et blessures ». Selon Amnesty International, cette peine relèverait, de la part des autorités azerbaïdjanaises, d’une tentative délibérée de réduire au silence une importante personnalité de l’opposition. En Russie, enfin, les possibilités d’agir et d’exprimer des points de vue critiques concédées aux militants des droits humains, aux organisations indépendantes et aux médias ont continué à subir des restrictions.

Défenseurs des droits humains
Ailleurs dans la région, les défenseurs des droits humains restaient menacés. En Serbie, ils constituaient une cible à l’instar des minorités dont ils défendaient les droits, à la suite de la déclaration d’indépendance unilatérale du Kosovo, le 17 février 2008. Lors des rassemblements du 19 février qui ont réuni des centaines de personnes dans toutes les grandes villes de Serbie, des manifestants auraient lancé des appels au meurtre contre les membres de la communauté albanaise. Un membre du Parlement serbe s’est prononcé en faveur de l’interdiction de tous les partis politiques et ONG qui reconnaissaient l’indépendance du Kosovo. Il visait spécifiquement Nataša Kandi ?, militante des droits humains, directrice du Centre de droit humanitaire de Belgrade. Nataša Kandi ? et le Centre de droit humanitaire ont lutté contre l’impunité des crimes de guerre commis dans les Balkans et ont aidé les victimes de violations des droits humains à obtenir justice, quelle que soit leur origine ou leur appartenance.

Impunité
Les préoccupations en matière d’impunité n’ont pas été uniquement liées à des conflits anciens. La Cour suprême espagnole a rendu une décision extrêmement inquiétante en rejetant le recours formé contre une grâce partielle dont avaient bénéficié quatre policiers condamnés pour l’interpellation illégale d’un résident sénégalais en Espagne et les mauvais traitements infligés à cet homme, en mars 1997. Les policiers avaient déjà été rétablis dans leurs fonctions et n’ont jamais purgé leurs peines d’emprisonnement. En revanche, on se félicite de ce que la Garde civile et la Police nationale espagnoles aient annoncé en février l’installation de caméras de vidéosurveillance dans les lieux de détention au secret, conformément aux recommandations du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et du Comité européen pour la prévention de la torture.

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