Moyen-Orient et Afrique du Nord — Introduction

Soixante ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme

Il y a soixante ans, des représentants de plusieurs pays du Moyen-Orient ont participé aux négociations qui ont débouché sur l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’Égypte, l’Irak, l’Iran, le Liban et la Syrie étaient au nombre des 48 États qui ont eu la clairvoyance d’adopter ce texte. L’Arabie saoudite était l’un des huit pays qui se sont abstenus, parmi lesquels figuraient aussi l’Union soviétique et le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud.
On aurait pu s’attendre à ce que, ayant bénéficié d’un tel soutien au départ, la Déclaration universelle des droits de l’homme ait, six décennies plus tard, un impact plus fort sur la vie des habitants du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Pourtant, la région accuse un retard par rapport à l’Afrique, aux Amériques et à l’Europe dans le domaine de l’élaboration de cadres juridiques et de systèmes de mise en œuvre efficaces de la promotion et de la protection des droits fondamentaux des personnes. Certains États, tels l’Arabie saoudite et plusieurs des petits États du Golfe, n’ont même pas encore adhéré aux deux traités internationaux fondamentaux qui découlent directement de la Déclaration universelle des droits de l’homme – le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) –, que la plupart des autres pays ont ratifiés depuis de nombreuses années. De même, l’Iran est l’un des très rares États qui n’est pas encore partie à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Il aura même fallu attendre le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme pour que la Charte arabe des droits de l’homme entre en vigueur. Cet instrument contient des éléments positifs qui vont au-delà des droits énoncés dans les traités internationaux relatifs aux droits humains, mais aussi des aspects très négatifs – par exemple, il ne prohibe pas l’exécution de mineurs –, que des États pourraient être tentés d’utiliser pour réduire leurs obligations au regard de normes universelles contraignantes.
La lenteur avec laquelle le système international de protection des droits humains s’est mis en place au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est due à un ensemble de raisons complexes. Dans une certaine mesure, la Déclaration universelle des droits de l’homme a été présentée par de nombreux dirigeants comme une tentative d’imposer des valeurs « occidentales » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi que les références à la non-discrimination se heurtaient aux systèmes juridiques et coutumiers en vigueur dans les pays musulmans et aux idées à propos de la liberté de religion ainsi qu’au rôle et au statut différents des hommes et des femmes.
De tels problèmes auraient toutefois pu être surmontés en l’absence d’autres événements décisifs qui ont eu lieu en 1948, à savoir la création de l’État d’Israël et la dépossession de la population palestinienne qui en a résulté. La création d’un État juif au cœur du monde arabo-musulman a eu l’effet d’un cataclysme, provoquant dans les faits un état de guerre permanent entre Israël et ses voisins arabes. La dépossession des Palestiniens et la création d’une population de réfugiés en exil ont engendré une situation difficile qui n’a toujours pas été réglée et qui est ponctuée de flambées récurrentes de violence entre Israël et ses voisins, la plus récente étant la guerre de trente-quatre jours qui a opposé en 2006 Israël et le Hezbollah.
Les sentiments des populations sont souvent exploités pour des raisons d’opportunité politique. C’est ainsi que le gouvernement syrien et, dans une certaine mesure, le gouvernement égyptien utilisent la « menace » représentée par Israël pour justifier le maintien de l’état d’urgence depuis des décennies, tandis qu’Israël invoque la « menace » que constituent ses voisins arabes pour justifier sa politique militariste et obtenir un soutien occidental permanent. L’incapacité de la communauté internationale à mettre un terme à l’occupation militaire israélienne des territoires palestiniens et à parvenir à une solution durable qui reconnaisse et garantisse les droits fondamentaux des Israéliens et des Palestiniens a des répercussions négatives pour toute la région et reste une source potentielle de confrontation à l’échelle de la région ou de la planète.
Les gouvernements de la région continuent de privilégier la « sûreté de l’État » et la « sécurité publique » au détriment des droits humains et de la vie de leurs citoyens. Cette attitude s’est renforcée depuis le déclenchement de la « guerre contre le terrorisme ». Dans de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, les atteintes graves aux droits humains conservaient un caractère à la fois généralisé et endémique. En dépit du discours sur la démocratie, la bonne gestion des affaires publiques et l’obligation de rendre des comptes, le pouvoir reste largement concentré entre les mains de petites élites – l’oligarchie cléricale en Iran, des civils qui entretiennent des liens étroits avec l’armée en Algérie, en Égypte et en Tunisie, des groupes religieux minoritaires dans les pays du Golfe, et les baasistes – des laïcs – en Syrie. Ces groupes n’ont pratiquement pas de comptes à rendre à ceux qu’ils gouvernent.
Dans toute la région, de tout-puissants services de sécurité et de renseignement assurent le maintien du pouvoir de l’État et répriment la dissidence ainsi que le débat. Les personnes qui expriment leur opinion risquent d’être arrêtées de manière arbitraire et détenues sans jugement, d’être torturées et maltraitées par des membres de services de sécurité que leurs supérieurs laissent agir en toute impunité. Les victimes de ces violations de droits humains n’ont le plus souvent pas accès à des voies de recours ni à une réparation. Les tribunaux, guère indépendants, sont inféodés au pouvoir exécutif.
Auparavant, les gouvernements occidentaux au moins dénonçaient ces agissements et appelaient au changement, même s’ils n’étaient pas disposés à mettre en danger leurs intérêts économiques et avaient eux-mêmes mené des politiques des plus répressives durant la période coloniale. Depuis le 11 septembre 2001, toutefois, les critiques se sont tues. Dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont trouvé des alliés parmi les services de sécurité et de renseignement de quelques-uns des régimes les plus répressifs de la région. Ils ont « restitué » en secret des suspects à des pays tels que l’Égypte, la Jordanie et la Syrie, afin qu’ils soient détenus, interrogés et torturés, et en ont renvoyé d’autres en Algérie et en Tunisie en dépit des risques encourus. En agissant de la sorte, ils ont non seulement violé le droit international, mais aussi contribué à établir fermement les méthodes illégales des services de sécurité de la région.
Aujourd’hui, l’espoir de réforme est essentiellement incarné par la jeunesse de la région, qui est chaque jour plus nombreuse à se demander pourquoi elle ne peut pas jouir de ses droits fondamentaux inaliénables. L’audience croissante des chaînes diffusées par satellite et l’usage de plus en plus répandu d’Internet ne permettent plus de fermer aussi facilement l’espace de débat.
Les présupposés des élites au pouvoir dans la région sont remis en question. Celles-ci sont soumises à des pressions pour s’adapter et rendre des comptes aux populations qu’elles représentent. La transformation a démarré peu à peu et les signes sont visibles partout : les campagnes Un million de signatures et Stop Stoning Forever lancées par des défenseurs des droits humains en Iran, les protestations des juges égyptiens qui réclament une plus grande indépendance du pouvoir judiciaire, l’émancipation des femmes au Koweït, les initiatives du Maroc pour aborder la question des atteintes aux droits humains commises dans le passé et abolir la peine de mort, la détermination dont font preuve les signataires de la Déclaration de Damas emprisonnés en Syrie, et les efforts de rapprochement entre les communautés menés par des organisations israéliennes et palestiniennes qui œuvrent en faveur des droits humains.

En Irak, Mostafa Ahmad, un réfugié palestinien, a été enlevé au mois d’août, par des hommes armés qui appartenaient semble-t-il à l’Armée du Mahdi. Deux jours plus tard, les ravisseurs de ce chauffeur de taxi ont utilisé son téléphone mobile pour dire à sa famille de venir récupérer le corps à la morgue. Il avait été torturé au moyen d’une perceuse, ses dents avaient été arrachées, et il présentait six blessures par balles.

Regard sur 2007


Conflit

En 2007, près de cinq ans après l’invasion menée par les États-Unis et qui a entraîné le renversement de Saddam Hussein, le conflit en Irak n’a guère perdu en intensité. Au début de l’année, le président américain George W.
Bush a envoyé 26 000 soldats supplémentaires dans le cadre d’une « montée en puissance » ayant pour but d’améliorer la sécurité. Pourtant les atteintes aux droits humains, commises par toute une série d’acteurs – groupes armés et milices sunnites et chiites, forces du gouvernement irakien et troupes de la Force multinationale (FMN) dirigée par les États-Unis – sont restées très nombreuses. Plusieurs milliers de personnes ont été tuées, et d’autres ont été atrocement mutilées et torturées lors de violences interconfessionnelles. De nombreux Irakiens ont été contraints de quitter leur foyer : quelque deux millions étaient réfugiés dans les pays voisins et 2,2 millions d’autres étaient déplacés à l’intérieur de l’Irak. À la fin de l’année, des sources gouvernementales américaines et irakiennes ont avancé que la « montée en puissance » avait été efficace et qu’elle avait entraîné une baisse du nombre de victimes civiles ainsi que le retour de réfugiés. Les attaques restaient néanmoins fréquentes et les conditions de vie de la plupart des Irakiens étaient très dures. Plus de 60 000 personnes étaient détenues sans procès par les autorités irakiennes et par la FMN dirigée par les États-Unis.
Les forces de sécurité irakiennes avaient régulièrement, et en toute impunité, recours à la torture ; les personnes accusées d’attaques et d’homicides étaient jugées lors de procès inéquitables et, de plus en plus souvent, condamnées à mort.
Vers la fin de l’année, des troupes turques ont été déployées le long de la frontière irakienne en vue de lancer des attaques contre des séparatistes kurdes de Turquie basés en Irak. Les déclarations de plus en plus véhémentes qu’échangeaient les gouvernements américain et iranien mettaient en danger toute la région du Golfe.
La situation n’était pas meilleure dans les territoires palestiniens occupés par Israël. Des groupes armés palestiniens continuaient de tirer sans discrimination des roquettes artisanales Qassam en direction du sud d’Israël, causant la mort de civils, tandis qu’Israël usait de sa puissance militaire pour riposter, tuant et blessant des civils palestiniens. Dans le même temps, les autorités israéliennes poursuivaient l’expansion des colonies illégales en Cisjordanie occupée, maintenaient un contrôle strict sur les déplacements des Palestiniens et construisaient un mur/barrière « de protection » pour lequel elles expropriaient des étendues de plus en plus vastes de terres palestiniennes. En Cisjordanie et à Gaza, l’impact de ces mesures était aggravé par les divisions de plus en plus profondes au sein de la population palestinienne. Les affrontements qui ont opposé durant le premier semestre de l’année des branches rivales des forces de sécurité palestiniennes et des groupes armés fidèles au Fatah et au Hamas ont atteint leur paroxysme en juin, lorsque le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza, ne laissant que la Cisjordanie à l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah. La communauté internationale a immédiatement suspendu l’aide à la bande de Gaza et les autorités israéliennes ont imposé un blocus, soumettant les 1,5 million d’habitants de la bande de Gaza à une sanction collective. Ces mesures ont tout particulièrement affecté les catégories les plus vulnérables, à savoir les enfants, les personnes âgées et les malades. Des personnes atteintes de maladies graves et dont la vie était en danger ont été empêchées de quitter le territoire pour recevoir des soins médicaux.

En août, l’armée israélienne a détruit plusieurs habitations et des cabanes servant à abriter le bétail à Humsa, un petit village de Cisjordanie situé dans la vallée du Jourdain. Les familles d’Abdallah Hsein Bisharat et d’Ahmad Abdallah Bani Odeh, soit une quarantaine de personnes dont une majorité d’enfants, ont été privées de toit. Les soldats ont également saisi les réservoirs à eau et le tracteur des habitants. Ces villageois avaient été contraints de quitter Hadidiya pour s’installer à Humsa, l’armée israélienne ayant menacé de détruire leurs habitations. L’armée considère cet endroit comme une « zone militaire fermée », où les soldats s’entraînent au tir.

« Guerre contre le terrorisme »
Les répercussions de la « guerre contre le terrorisme », intenses dans toute la région, ont été exacerbées par des attaques comme celles menées en Algérie par un groupe armé, qui ont entraîné la mort d’environ 130 personnes, dont de nombreux civils. Condamnés sans réserve par Amnesty International, ces actes déplorables ne justifiaient toutefois pas les violations systématiques des droits humains qui continuaient d’être perpétrées au nom de la « guerre contre le terrorisme », dont bon nombre de victimes n’étaient pas impliquées dans le terrorisme ou dans de quelconques actions violentes.
À la fin de l’année, les Yéménites représentaient le groupe le plus important parmi les prisonniers détenus par les États-Unis à Guantánamo Bay (Cuba).
Des ressortissants d’autres pays – l’Arabie saoudite, Bahreïn, le Koweït, la Libye et la Tunisie, entre autres – ont été renvoyés dans leur pays d’origine où ils ont été, le plus souvent, placés en détention dès leur arrivée.
Un certain nombre ont rapidement recouvré la liberté, mais d’autres ont été jugés et condamnés à des peines d’emprisonnement. Les prisonniers renvoyés en Arabie saoudite étaient soumis à un programme de « réforme » sur lequel on ne disposait guère d’informations ; on ignorait notamment si les détenus y participaient volontairement ou bien sous la contrainte. Le sort de certains détenus était peu clair à la fin de l’année ; c’était notamment le cas de deux hommes renvoyés en Libye et apparemment incarcérés sans jugement.
À l’instar d’autres pays, les autorités saoudiennes ont invoqué la « guerre contre le terrorisme » pour justifier des mesures répressives qui existaient bien avant l’apparition d’Al Qaïda. Les pouvoirs étendus d’arrestation arbitraire, de placement en détention secrète et sans contact avec le monde extérieur, de perquisition et de saisie étaient utilisés non seulement contre des terroristes présumés, mais aussi plus largement pour réprimer la dissidence. En Égypte, des membres éminents des Frères musulmans ont été inculpés et, bien que civils, traduits devant un tribunal militaire sur ordre du président alors qu’une juridiction civile avait acquitté certains de toutes les charges qui pesaient contre eux. Au Maroc, plus d’une centaine de militants islamistes présumés ont été incarcérés.

En Arabie saoudite, des images vidéo sur lesquelles on pouvait voir des détenus soumis à des actes de torture dans la prison d’Al Hair, à Riyadh, ont été diffusées en avril. Le gouvernement a annoncé l’ouverture d’une enquête et les autorités pénitentiaires ont affirmé par la suite qu’un soldat avait fait l’objet de sanctions disciplinaires pour actes de torture et d’une mesure de suspension d’un mois. Pour n’être pas intervenu afin de mettre un terme aux sévices infligés aux détenus, un autre soldat a été suspendu de ses fonctions pour une durée de vingt jours. On ignorait si une enquête indépendante avait été menée et si les responsables présumés avaient été traduits en justice.

Détention sans jugement, torture et autres mauvais traitements
Dans toute la région, des milliers de personnes ont été emprisonnées sans jugement pour des motifs politiques. Selon certaines sources, on recensait en Égypte quelque 18 000 détenus administratifs, dont certains arrêtés au cours des années précédentes, alors que le ministère de l’Intérieur affirmait que leur nombre ne dépassait pas 1 500. Le gouvernement saoudien a révélé que 9 000 personnes avaient été emprisonnées depuis 2003, dont plus de 3 000 étaient toujours détenues en juillet 2007. Plus de 800 Palestiniens étaient maintenus en détention administrative par les autorités israéliennes. À l’instar des 8 000 autres Palestiniens au moins, dont des enfants, placés en détention provisoire par les autorités israéliennes ou purgeant une peine d’emprisonnement, les détenus administratifs étaient pour la plupart incarcérés en Israël, en violation du droit international. Cette mesure, dans la pratique, empêchait leur famille de leur rendre visite.
Les détenus, tant les prisonniers politiques que les suspects de droit commun, étaient régulièrement torturés et maltraités par des policiers, dont le mode opératoire consistait à obtenir des « aveux » des suspects en les frappant, et ce en toute impunité. Dans les affaires politiques, la police était secondée dans certains pays par des tribunaux dont les juges ne tenaient pas compte des sévices infligés dans la période précédant le procès, rejetaient les demandes d’examen médical formulées par les avocats de la défense et déclaraient les accusés coupables sur la seule base de « preuves » obtenues sous la torture. La Cour suprême de sûreté de l’État, en Syrie, n’était à cet égard qu’un exemple parmi d’autres. Les autorités libyennes ont instauré une Cour de sûreté de l’État qui a ravivé le souvenir du Tribunal populaire, juridiction inéquitable et discréditée qui n’avait été abrogée qu’en 2005.
Des châtiments cruels et inhumains, comme la flagellation et l’amputation, étaient appliqués dans plusieurs pays – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar, notamment.

Restrictions de la liberté d’expression et répression de la dissidence
La plupart des gouvernements contrôlaient étroitement la liberté d’expression et prenaient pour cible les journalistes, entre autres personnes, dont les déclarations et les écrits ou les blogs étaient jugés trop critiques ou subversifs. Des journalistes et des blogueurs ont été poursuivis pour diffamation en Algérie, en Égypte, dans les Émirats arabes unis, au Maroc, en Tunisie et au Yémen. En Iran, des journalistes ont été emprisonnés pour avoir exprimé leur opinion tandis qu’en Irak ils étaient tués par d’obscurs groupes armés. Dans de nombreux pays, les personnes qui exprimaient des idées dissidentes ainsi que les militants politiques et les défenseurs des droits humains risquaient d’être arrêtés et emprisonnés ou harcelés et intimidés par les autorités.
Parallèlement, et bien que les gouvernements en bloquent l’accès, l’utilisation croissante d’Internet et des téléphones mobiles permettait aux citoyens d’accéder plus largement à l’information et, dans certains cas, rendait publique et mettait en œuvre une nouvelle pression sur les autorités. En Égypte, quelques instants d’une scène filmée par des policiers sur un téléphone mobile et diffusée dans le quartier de la victime ont suscité un tollé et mis en lumière le recours systématique à la torture par les policiers ainsi que leur sentiment d’invulnérabilité. Au fil des années, les mots, innombrables, n’avaient pas réussi à avoir un tel impact. Les autorités se sont retrouvées sur la défensive et elles ont été contraintes d’engager des poursuites contre les policiers responsables.


Peine de mort

La peine de mort continuait d’être largement appliquée en Arabie saoudite, en Irak, en Iran et au Yémen, pays dont les gouvernements étaient parmi ceux qui procédaient au plus grand nombre d’exécutions au niveau mondial. Les autorités irakiennes affirmaient qu’elles répondaient à la situation désastreuse dans le domaine de la sécurité et qu’elles aimeraient mieux ne pas recourir à des mesures aussi extrêmes. En revanche, les pays du Maghreb ont maintenu le moratoire sur les exécutions qu’ils observaient de longue date, bien que des civils aient trouvé la mort à la suite d’actes de terrorisme.
Les autorités iraniennes, qui procédaient à des pendaisons en public, se servaient des exécutions pour intimider les opposants. Le gouvernement saoudien parlait de réforme juridique, mais il a été responsable d’une augmentation rapide des exécutions à l’issue de procès inéquitables.
Beaucoup d’accusés étaient des étrangers, essentiellement des travailleurs migrants pauvres originaires d’Afrique ou d’Asie. Ils étaient condamnés à l’issue de procès menés dans une langue qu’ils ne comprenaient pas, et certains n’ont appris qu’ils allaient être exécutés que peu avant leur mort. L’Arabie saoudite et l’Iran exécutaient des mineurs délinquants, ce qui constituait une violation flagrante du droit international. En Iran, des prisonniers reconnus coupables de crimes liés à la moralité figuraient au nombre des suppliciés ; une personne au moins a été lapidée. Des exécutions, le plus souvent pour des condamnations prononcées à l’issue de procès inéquitables, ont également été signalées en Syrie et au Yémen. Dans ce dernier pays, Hafez Ibrahim, un délinquant mineur, a été sauvé quelques heures avant d’être fusillé grâce à un appel téléphonique adressé à Amnesty International, ainsi qu’à l’intervention du président Ali Abdullah Saleh à la suite d’appels à la clémence au niveau international.
En décembre, le représentant de l’Algérie a voté en faveur du moratoire au niveau mondial sur les exécutions adopté par l’Assemblée générale des Nations unies. Les représentants marocain et libanais se sont abstenus et le représentant tunisien n’a pas pris part au vote. On craignait que les pays arabes ne votent en bloc contre le moratoire, et le fait qu’ils n’aient pas agi de la sorte était un signe encourageant.

En juin, un tribunal pénal jordanien a condamné un homme à six mois d’emprisonnement pour le meurtre de sa sœur, célibataire, les juges ayant accepté qu’il l’ait tuée dans un « accès de rage » après qu’elle eut raconté qu’elle était enceinte.


Violences contre les femmes

Dans des pays tels l’Algérie, l’Irak, Israël, le Koweït, la Tunisie et le Yémen, des femmes occupaient des postes de ministre ou de parlementaire ou exerçaient des fonctions importantes dans toute une série de professions.
Dans la plus grande partie de la région, toutefois, les lois relatives au statut personnel, entre autres, maintenaient les femmes dans une position inférieure à celle des hommes. Souvent le produit de normes sociales et culturelles dominantes, les violences contre les femmes – toujours répandues et profondément enracinées – étaient facilitées et aggravées par la réticence de l’État à aborder ces questions. En Égypte, près de 250 femmes auraient été tuées au cours du premier semestre de l’année par leur mari violent ou par d’autres membres de leur famille. Deux femmes étaient violées chaque heure en moyenne et de nombreuses fillettes continuaient de subir des mutilations génitales, bien que ces pratiques soient désormais totalement illégales. Comme les années précédentes, des crimes « d’honneur » ont été perpétrés en Jordanie et en Syrie, entre autres. Dans le sud de l’Irak, des femmes qui ne respectaient pas les codes vestimentaire et de moralité très stricts ont été tuées par des militants chiites.
Le cas probablement le plus emblématique a eu lieu en Arabie saoudite, où un tribunal présidé par un homme, bien qu’ayant reconnu qu’une jeune femme avait été victime d’un viol en réunion, l’a condamnée à une peine de flagellation et d’emprisonnement. Quel crime avait-elle commis ? Elle se trouvait en compagnie d’un ami lorsque le couple a été attaqué par les violeurs. Cette affaire ayant eu un grand retentissement, la procédure a été annulée après que le roi eut accordé, en décembre, sa grâce à la jeune femme.
Des avancées encourageantes ont toutefois été signalées. Deux éminents responsables religieux – le grand mufti de Syrie, Ahmed Badreddin Hassoun, et le plus haut dignitaire chiite du Liban, l’ayatollah Mohammed Hussein Fadlallah – ont tous deux dénoncé les crimes « d’honneur » et les autres actes de violence contre les femmes, qu’ils ont qualifiés de pratiques contraires à l’islam.

Réfugiés et migrants
La poursuite du conflit et les atteintes aux droits humains ont contraint des milliers d’Irakiens à quitter leur foyer. Deux millions étaient réfugiés à l’étranger, et plus de deux millions d’autres étaient déplacés à l’intérieur de leur pays. Certains gouvernorats irakiens refusaient, semble-t-il, l’entrée aux personnes déplacées tandis que la crise des réfugiés pesait lourdement sur la Syrie et la Jordanie tout particulièrement. La communauté internationale n’a pas répondu de manière suffisante aux demandes d’aide humanitaire du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), bien que certains pays aient mis en place des programmes de réinstallation pour certaines des catégories de réfugiés les plus vulnérables.
Plusieurs centaines de milliers de réfugiés palestiniens étaient toujours confinés dans des camps misérables au Liban, où leurs familles avaient fui en 1948 à la suite de la création de l’État d’Israël. Bien que vivant – pour bon nombre d’entre eux – depuis toujours au Liban, ils étaient toujours victimes de discrimination et restaient privés d’accès à l’éducation, au travail et aux soins médicaux. Le sort de ces réfugiés a été mis en lumière en mai, lorsque des affrontements ont éclaté à Nahr el Bared, l’un des plus grands camps de réfugiés, situé non loin de Tripoli, entre des membres d’un groupe armé islamiste qui avaient pris position dans le camp et l’armée libanaise. Quelque 30 000 Palestiniens ont été contraints de quitter leur foyer.
Les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires des pays d’Afrique subsaharienne étaient confrontés à des difficultés énormes au Maroc, en Algérie et en Libye, particulièrement lorsqu’ils tentaient de traverser ces pays pour gagner le sud de l’Europe. Au Maroc, des réfugiés reconnus étaient au nombre des personnes qui ont été arrêtées arbitrairement et abandonnées avec des quantités insuffisantes d’eau et de nourriture dans un territoire inhospitalier, à la frontière algérienne. Dans un contexte d’allégations de torture et d’autres formes de mauvais traitements, les autorités libyennes ont procédé à des arrestations et à des expulsions massives, sans chercher à savoir si les personnes concernées étaient des réfugiés qui fuyaient les persécutions et avaient besoin de protection ou des migrants économiques dont les droits humains devaient également être respectés. En Égypte, les forces de sécurité ont tué au moins six réfugiés ou migrants qui tentaient de franchir la frontière pour pénétrer en Israël.
Dans les pays du Golfe, les travailleurs immigrés qui occupaient des emplois essentiels mais mal payés dans les secteurs de la construction ou des services, et tout particulièrement les employées de maison, étaient maltraités par leurs employeurs, entre autres ; des cas de viols et de sévices sexuels ont notamment été signalés. Ces immigrés n’étaient pas suffisamment protégés par la loi et les autorités ne se préoccupaient guère du respect leurs droits fondamentaux.


Défenseurs des droits humains

Les défenseurs des droits humains, en première ligne du combat en faveur de ces droits, étaient confrontés à de nombreux défis et dangers dans toute la région. Ils étaient souvent la cible de la répression. Dans des pays comme l’Arabie saoudite et la Libye, ils pouvaient à peine se manifester publiquement en raison des menaces émanant des autorités. Dans d’autres pays, comme l’Égypte et la Tunisie, leurs activités étaient entravées par l’obligation d’enregistrer leurs ONG pour fonctionner légalement, mais ils n’avaient aucun recours quand les autorités refusaient l’enregistrement. En Syrie, les partisans les plus en vue des réformes qui avaient eu le courage de signer la Déclaration de Damas ont été incarcérés et condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès iniques ; ils ont été maltraités en détention. Pourtant, malgré ces vicissitudes, les défenseurs des droits humains ont, dans toute la région, porté le flambeau au nom de tous ceux qui se reconnaissent dans les normes énoncées il y a soixante ans de manière aussi convaincante.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit