INDONÉSIE

Le 26 décembre, un violent tremblement de terre et le raz-de-marée qui a suivi ont ravagé une grande partie de la province de l’Aceh (Nanggroe Aceh Darussalam) et des pays voisins. Plus de 200 000 personnes ont été tuées ou ont été portées disparues et environ 500 000 autres se sont retrouvées sans abri, déplacées dans d’autres parties du pays. Avant la catastrophe et l’arrivée massive d’aide humanitaire qu’elle a déclenchée, la situation en matière de droits humains en Aceh était déjà grave et l’accès à la province était strictement contrôlé. L’état de siège y a été remplacé en mai par un état d’urgence à caractère civil, mais cette mesure n’a guère amélioré la situation des droits humains. Comme les années précédentes, des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires, des actes de torture, des violences sexuelles et des destructions de biens ont été signalés. Plusieurs centaines de membres et de sympathisants présumés du groupe armé indépendantiste Gerakan Aceh Merdeka (GAM, Mouvement pour l’Aceh libre) ont été emprisonnés à l’issue de procès non conformes aux normes internationales en matière d’équité. La répression de militants indépendantistes dans d’autres régions du pays a également entraîné des violations des droits humains. Parfois, la police a fait un usage excessif de la force pour disperser des manifestations et procéder à des interpellations. Des dizaines de personnes ont été arrêtées, placées en détention et jugées en vertu de la législation « antiterroriste ». Bien qu’un certain nombre de membres des forces de sécurité soient passés en jugement, la justice rendue pour les violations des droits humains commises dans le passé est restée floue. Une personne au moins s’est vu infliger une peine d’emprisonnement et quatre autres, peut-être plus, attendaient d’être jugées pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression. Trois condamnés à mort ont été exécutés alors qu’un moratoire de facto sur les exécutions était en vigueur depuis trois ans.

République d’Indonésie
CAPITALE : Djakarta
SUPERFICIE : 1 919 445 km²
POPULATION : 222,6 millions
CHEF DE L’ÉTAT et du GOUVERNEMENT : Megawati Sukarnoputri, remplacée par Susilo Bambang Yudhoyono le 20 octobre
PEINE DE MORT : maintenue
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : signé

Contexte
En octobre, l’ancien général Bambang Susilo Yudhoyono a remplacé Megawati Sukarnoputri à l’issue du premier scrutin présidentiel au suffrage universel organisé dans le pays. Des élections régionales et législatives ont également eu lieu ; pour la première fois, aucun siège au Parlement n’était réservé aux forces de sécurité. Le processus de réforme s’est poursuivi avec plusieurs initiatives législatives importantes, mais la corruption est restée endémique. Des expulsions forcées et des litiges liés à l’accès à la terre et aux ressources ont provoqué des conflits. Les tensions ethniques et religieuses ont également entraîné des violences, notamment aux Moluques et dans le centre de Sulawesi. En septembre, un défenseur des droits humains bien en vue, Munir, est mort après avoir été empoisonné à l’arsenic sur un vol à destination des Pays-Bas. La police enquêtait sur cette affaire à la fin de l’année.

Répression des activités des mouvements indépendantistes
La gravité et la persistance des atteintes aux droits humains commises dans la province de l’Aceh, tant par les forces de sécurité que par le GAM, avaient affecté la vie dans la province, à tous les niveaux ou presque, même avant les ravages provoqués par le séisme et le raz-de-marée.
Il était toujours difficile d’obtenir des chiffres fiables concernant le conflit. D’après des sources officielles, 2 879 membres du GAM et 662 civils ont été tués entre mai 2003 et septembre 2004 et plus de 2 000 membres présumés du GAM ont été arrêtés. Les forces de sécurité ont reconnu qu’il était difficile de faire la distinction entre les personnes appartenant à ce mouvement et les autres.
Plusieurs centaines de membres ou sympathisants présumés du GAM ont été jugés dans des procès ne respectant pas les normes internationales d’équité. De nombreux suspects n’ont pas pu consulter librement un avocat et ont été condamnés sur la base d’« aveux » qui auraient été obtenus sous la torture. Amnesty International craignait que certaines de ces personnes n’aient été emprisonnées uniquement pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions politiques.
La liberté d’expression et de mouvement a fait l’objet d’un contrôle excessif. Les sévères restrictions imposées aux observateurs internationaux chargés de surveiller la situation en matière de droits humains, au personnel des organisations humanitaires et aux journalistes souhaitant se rendre en Aceh, ainsi que les manœuvres d’intimidation et de harcèlement infligées aux défenseurs locaux des droits humains, empêchaient toute surveillance indépendante de la situation. Au mois de mars, la Commission nationale des droits humains a révélé que, selon certaines informations, des atteintes graves aux droits fondamentaux avaient été commises en Aceh entre mars et novembre 2003, tant par les forces de sécurité que par le GAM.
Ce mouvement s’est lui aussi rendu coupable d’exactions, notamment de prises d’otages et de recours à des enfants soldats. Les autorités ont par ailleurs accusé le GAM d’avoir procédé à des exécutions illégales.
Des centaines d’Acehnais ont fui vers la Malaisie, entre autres pays (voir Malaisie).
En Papouasie, les opérations menées par les forces de sécurité contre le groupe armé d’opposition Organisasi Papua Merdeka (OPM, Organisation de la Papouasie libre) auraient donné lieu à des exécutions extrajudiciaires. En avril, trois hommes et deux femmes, peut-être plus, auraient été abattus par la police à Teluk Bintuni. Selon des organisations locales de défense des droits humains, les victimes étaient des civils. Les policiers ont affirmé qu’ils avaient riposté à une attaque. Onze policiers ont fait l’objet de sanctions disciplinaires, mais aucune information judiciaire n’a été ouverte, à la connaissance d’Amnesty International.
Selon les informations recueillies, six civils au moins sont morts et plusieurs milliers ont été contraints de quitter leur foyer dans la région de Puncak Jaya, lors des violences qui ont éclaté à la suite des opérations lancées par les forces de sécurité contre l’OPM.

Usage excessif de la force par la police
La police a fait preuve d’un manque de modération et a continué à faire un usage excessif de la force pour disperser des manifestations ou procéder à des interpellations. À plusieurs reprises, elle a ouvert le feu sur des manifestants.
En mars, des policiers ont tiré sur des personnes qui protestaient devant le poste de police de Ruteng (Flores), faisant six morts et 19 blessés. Les manifestants, qui, selon la police, avaient attaqué les locaux, réclamaient la libération de sept personnes arrêtées dans le cadre d’un conflit portant sur le droit des populations autochtones de cultiver du café dans des forêts protégées. Vingt et un policiers ont fait l’objet de sanctions disciplinaires et un autre a été révoqué. Aucune inculpation n’a été prononcée. Une enquête a été confiée à la Commission nationale des droits humains mais n’était pas terminée fin 2004.

Prisonniers d’opinion et prisonniers politiques
Au moins une personne détenue pour ses opinions a été condamnée à une peine d’emprisonnement et quatre autres, peut-être plus, attendaient de passer en jugement ; huit personnes condamnées les années précédentes ont été maintenues en détention. Parmi elles figuraient des militants politiques ainsi que des partisans pacifiques de l’indépendance d’Aceh, de la Papouasie et des Moluques. Les accusations formulées contre des journalistes et des organisations de défense des droits humains représentaient une menace pour la liberté d’expression. Venant s’ajouter aux prisonniers d’opinion connus d’Amnesty International, des centaines de militants indépendantistes présumés, originaires pour la plupart d’Aceh, ont été condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès qui ne respectaient pas les normes internationales d’équité. Certains d’entre eux ont, semble-t-il, été condamnés alors que leurs activités étaient pacifiques. Des poursuites ont été engagées contre des journalistes et des organisations de défense des droits humains, ce qui a constitué une menace pour la liberté d’expression.
Bambang Harymurti, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Tempo, a été condamné à un an d’emprisonnement pour diffamation car il avait publié un article citant des allégations selon lesquelles un homme d’affaires avait tiré profit d’un incendie qui avait détruit en partie un marché de textiles. L’article contenait également une déclaration de l’homme d’affaires niant ces allégations. Bambang Harymurti a été laissé en liberté en attendant qu’il soit statué sur son appel.
Holly Manuputty et Christine Kakisima, respectivement épouse et fille d’un militant indépendantiste des Moluques, ont été inculpées de « rébellion » et placées en détention. L’inculpation était fondée sur leur participation à des réunions indépendantistes pacifiques qui se tenaient à leur domicile, et leurs procès se poursuivaient encore à la fin de l’année. Ces deux femmes faisaient partie des 66 personnes arrêtées avant et après une manifestation indépendantiste pacifique qui s’est déroulée à Ambon, Moluques. Plusieurs de celles-ci auraient été condamnées à des peines d’emprisonnement, dont certaines allaient jusqu’à neuf ans ; les procès des autres n’étaient pas encore terminés fin 2004. Cette manifestation, bien que pacifique, a déclenché des violences intercommunautaires au cours desquelles 38 personnes, peut-être davantage, ont été tuées.

Impunité
La majorité des violations des droits humains signalées n’ont fait l’objet d’aucune enquête ; quand des investigations ont été effectuées, elles n’ont que rarement débouché sur des poursuites.
À la fin de l’année, il ne restait qu’une seule personne condamnée pour les crimes contre l’humanité commis en 1999 dans ce qui était alors le Timor oriental. Une cour d’appel a confirmé la culpabilité d’Eurico Guterres, ancien chef de milice, tout en ramenant sa peine à cinq ans d’emprisonnement, soit la moitié de la peine prononcée en première instance. Il est resté en liberté en attendant qu’il soit statué sur son recours devant la Cour suprême. Quatre responsables des forces de sécurité ainsi que l’ancien gouverneur provincial, Abilio Soares, ont vu leurs peines annulées en appel. La Cour suprême a confirmé l’acquittement de 12 autres personnes qui avaient été poursuivies dans le cadre des violences perpétrées en 1999.
L’Indonésie persistait dans son refus de transférer au Timor-Leste quelque 303 personnes mises en accusation par le procureur général de ce pays. Parmi elles figurait l’ancien général Wiranto, qui commandait les forces armées indonésiennes en 1999 et n’avait pas été poursuivi en Indonésie pour son rôle dans les violences commises cette année-là. Bien que la Commission nationale des droits humains l’ait désigné comme suspect, le procureur général ne l’a jamais inculpé. Le général Wiranto s’est présenté à l’élection présidentielle du mois de mai, arrivant en troisième position.
À Djakarta, un tribunal spécial chargé de juger les violations des droits humains a déclaré 12 officiers de l’armée coupables d’avoir tué, détenu et torturé des manifestants musulmans à Tanjung Priok (district nord de Djakarta), en 1984. Le général de division en retraite Rudolf Adolf Butar-Butar a été condamné à dix ans d’emprisonnement et les 11 autres officiers à des peines très inférieures au minimum de dix ans prévu par la loi. Tous ont été laissés en liberté en attendant l’issue de l’appel interjeté. Deux officiers supérieurs, dont le général de division Sriyanto, le responsable actuel du Commandement des forces spéciales, ont été acquittés. Plusieurs de leurs collègues désignés comme suspects potentiels à l’issue d’une première enquête n’ont pas été poursuivis.
Le procès de deux policiers de haut rang s’est ouvert en mai, avec un retard considérable, devant le tribunal chargé des droits humains de Makassar. Ils étaient accusés d’être responsables, de par leurs fonctions hiérarchiques, de la mort par balle d’un homme et des actes de torture infligés à des dizaines d’autres personnes à Abepura (Papouasie), en 2000. Ce procès n’était pas terminé à la fin de l’année. L’enquête initiale, ouverte en 2001, avait été entachée d’allégations d’intimidation de témoins.
Les enquêtes sur d’autres cas de violations des droits humains ont peu progressé. En septembre, la Commission nationale des droits humains a annoncé qu’elle avait recueilli des éléments laissant à penser que les forces de sécurité avaient commis des crimes contre l’humanité en Papouasie dans deux cas : à Wasior, en juin 2001, et à Wamena, en avril 2003. La Commission a remis son rapport aux services du procureur général.
Des tribunaux de district et des tribunaux militaires ont examiné d’autres affaires d’atteintes aux droits humains imputables à des membres des forces de sécurité. Dans de nombreux cas, les policiers et les militaires mis en cause sont restés à leur poste durant l’enquête et le procès. Lorsque des peines ont été prononcées, elles ne correspondaient pas à la gravité des faits.
Une Commission vérité et réconciliation, mise en place en vertu d’une loi adoptée en septembre, a été chargée de régler, en dehors du système judiciaire, les affaires de violations graves des droits fondamentaux commises avant la promulgation de la Loi n°26/2000 sur les tribunaux des droits humains. La Commission a été habilitée à mener des enquêtes, à se prononcer sur les réparations à accorder aux victimes et à recommander des mesures d’amnistie présidentielle.

Législation en matière de sécurité
Des dizaines de personnes ont été arrêtées, interrogées et placées en détention aux termes de la Loi relative à la lutte contre les actes de terrorisme, à la suite de nouveaux attentats à l’explosif, dont deux ont été perpétrés à Sulawesi et un autre devant l’ambassade d’Australie à Djakarta. Au moins 28 personnes ont été jugées et condamnées, plusieurs d’entre elles en vertu de cette loi, pour leur rôle dans des attentats commis les années précédentes. La plupart étaient des membres présumés de groupes islamistes.
Cette loi, qui définit les actes de « terrorisme » dans des termes vagues et prévoit le placement en détention jusqu’à six mois sans réexamen par une autorité judiciaire, demeurait un sujet de préoccupation.
Aux termes d’un arrêt de la Cour constitutionnelle, récemment créée, l’application rétroactive de la Loi relative à la lutte contre les actes de terrorisme était contraire à la Constitution. Cette décision a remis en cause les condamnations de plusieurs personnes qui avaient été jugées, en vertu de cette loi, pour leur rôle dans l’attentat perpétré à Bali en 2002.

Peine de mort
Ayodhya Prasad Chaubey, Namsong Sirilak et Saelow Prasert ont été passés par les armes. Il s’agissait des premières exécutions depuis 2001. Ces trois personnes avaient été reconnues coupables en 1994 de trafic de stupéfiants. Amnesty International craint que leurs procès n’aient pas respecté les normes internationales d’équité.
Au moins huit personnes ont été condamnées à la peine capitale au cours de l’année, ce qui portait à 54 le nombre de condamnés à mort en Indonésie. Trente d’entre eux avaient été reconnus coupables d’infractions liées à la drogue.

Violences contre les femmes
Selon des données recueillies par la Commission nationale sur la violence contre les femmes, le nombre de cas de sévices infligés à des femmes était en augmentation. La Loi 23/2004 sur l’élimination de la violence domestique, adoptée en septembre, a mis en place un cadre permettant au gouvernement, à la police et à la société de réagir aux violences contre les femmes. Aux termes de ce texte de loi, la violence domestique englobe les violences physiques, sexuelles et psychologiques ainsi que le manque de soins et, pour la première fois dans la législation indonésienne, le viol conjugal est considéré comme une infraction pénale. Quant à la famille, elle inclut les employés de maison hébergés par leur employeur.

Autres documents d’Amnesty International
. Indonesia and Timor-Leste : Amnesty International & Judicial System Monitoring Programme — Justice for Timor-Leste : The Way Forward (ASA 21/006/2004).
. Indonesia : New military operations, old patterns of human rights abuses in Aceh (Nanggroe Aceh Darussalam, NAD) (ASA 21/033/2004).
. Indonesia : A briefing on the death penalty (ASA 21/040/2004).
. Indonésie. Le succès de l’élection présidentielle occulte la crise en Aceh (ASA 21/042/2004).

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