TURQUIE

Le gouvernement a poursuivi ses réformes - juridiques et autres - afin de placer le droit turc en conformité avec les normes internationales. La mise en œuvre de ces réformes a toutefois été inégale, et d’importantes restrictions à l’exercice des droits fondamentaux restaient en vigueur. Malgré des changements positifs intervenus dans la réglementation sur la détention, les forces de sécurité continuaient d’avoir recours à la torture et aux mauvais traitements. L’usage excessif de la force contre des manifestants restait très préoccupant. Les responsables présumés de ces atteintes aux droits humains ont rarement été traduits en justice. Comme les années précédentes, des personnes qui tentaient d’exercer leur droit de manifester pacifiquement ou d’exprimer leur désaccord sur certains sujets ont fait l’objet de poursuites pénales ou d’autres sanctions. Les représentants de l’État n’ont pas pris les mesures adéquates pour prévenir et sanctionner les violences contre les femmes.

République turque
CAPITALE : Ankara
SUPERFICIE : 779 452 km²
POPULATION : 72,3 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Ahmet Necdet Sezer
CHEF DU GOUVERNEMENT : Recep Tayyip Erdo ?an
PEINE DE MORT : abolie
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifié

Contexte
Afin de satisfaire aux critères d’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne, le gouvernement a continué de faire adopter des réformes constitutionnelles et législatives. Le 17 décembre, le Conseil européen a déclaré que les négociations avec la Turquie commenceraient en octobre 2005.
La Turquie a signé, en janvier, le Protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l’homme puis, en avril, le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Au mois de juin, le Kongra-Gel (Congrès du peuple [du Kurdistan]), successeur du Partiya Karkeren Kurdistan (PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan), a annoncé qu’il mettait fin au cessez-le-feu qu’il avait proclamé unilatéralement. Au second semestre, de nombreuses informations ont fait état d’affrontements opposant, dans le sud-est du pays, les membres du groupe armé aux forces de sécurité et à l’armée turques.
Au cours de l’année, au moins 33 personnes, dont 13 mineurs, ont été tuées par des mines terrestres ou du matériel militaire laissé à l’abandon. Le nombre de blessés était très supérieur.

Réformes législatives
Nombre de changements importants sont survenus en 2004. Les cours de sûreté de l’État ont été abolies et remplacées par des cours pénales spéciales. La primauté du droit international sur les lois nationales a été reconnue. Toutes les références à la peine de mort ont été retirées de la Constitution et du Code pénal. Les militaires ont été écartés du Conseil de l’enseignement supérieur et du Conseil supérieur de l’audiovisuel.
De nouvelles lois sur la presse et sur les associations, un nouveau Code de procédure pénale et un nouveau Code pénal ont également été introduits. Tous ces textes comportaient des avancées et étaient souvent moins restrictifs que les précédents. Ainsi, de nombreux articles incluant une discrimination fondée sur le genre ont été retirés du Code pénal, et une définition de la torture plus proche de celle donnée par le droit international a été adoptée. Cependant, nombre de ces textes reprenaient des dispositions d’anciennes lois utilisées pour restreindre de façon injustifiée les droits fondamentaux. De plus, la mise en œuvre des changements législatifs était souvent inégale et semblait rencontrer, dans certains cas, la résistance de représentants de l’État.
Une Loi sur l’indemnisation des pertes résultant du terrorisme et de la lutte contre le terrorisme a également été adoptée. Elle visait à indemniser les personnes déplacées de force dans les années 90 du fait du conflit opposant les forces gouvernementales au PKK. Des associations de défense des droits humains se sont inquiétées du faible montant des indemnités envisagées et ont laissé entendre que la loi avait pour but d’empêcher les requêtes devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Torture et mauvais traitements
L’adoption d’une nouvelle réglementation en matière de détention, qui améliorait la protection des détenus, semblait avoir fait reculer l’usage de certaines méthodes de torture, dont la falaka (coups assenés sur la plante des pieds) et la suspension par les bras ou les poignets. Il était toutefois fréquent que ces dispositions ne soient pas intégralement appliquées. Les actes de torture et les mauvais traitements en garde à vue - au poste de police comme à la gendarmerie - restaient une source de préoccupation majeure. Des cas de passage à tabac, d’application de décharges électriques et de menaces de mort ont été signalés. Des détenus auraient été également forcés de se déshabiller entièrement.
Selon certaines informations, l’usage de méthodes de torture ne laissant pas de traces durables sur le corps des détenus était très fréquent. Bien qu’une circulaire du ministre de l’Intérieur l’interdise, les privations de nourriture, d’eau et de sommeil continuaient d’être signalées, tout comme le fait de contraindre les détenus à se tenir debout dans des positions inconfortables. Par ailleurs, des personnes ont été battues lors de leur arrestation, à bord du véhicule dans lequel elles avaient été embarquées ou après avoir été conduites dans un lieu désert pour y subir un interrogatoire.
Le 3 mars, Derya Aksakal aurait été embarquée de force dans un minibus alors qu’elle marchait dans une rue d’Istanbul. Trois hommes masqués lui ont ensuite bandé les yeux et l’ont interrogée sur ses activités politiques ; l’un d’eux, selon elle, était un policier. Ces hommes lui auraient écrasé des cigarettes sur le corps et fait subir un simulacre d’exécution. Ils l’auraient également menacée de viol avant de la relâcher, au bout d’environ deux heures.
Ayd ?n Ay, un homme soupçonné de vol, a été placé en détention au poste de police de Cars ?, à Trabzon, le 27 octobre. Il a affirmé qu’on l’avait entièrement dévêtu, qu’on lui avait infligé des décharges électriques et qu’on lui avait comprimé les testicules dans le but de lui faire signer des documents dont il ignorait la teneur.
Une forte proportion des plaintes pour mauvais traitements concernaient l’usage excessif de la force par les services de sécurité au cours de manifestations. Bien qu’une circulaire du ministre de l’Intérieur ait enjoint aux agents de la fonction publique de ne pas employer la force de manière disproportionnée, des informations selon lesquelles des protestataires étaient frappés et aspergés de gaz poivre, même après leur arrestation, ont continué de parvenir à Amnesty International.

Impunité
On constatait une carence de mécanismes efficaces pour surveiller la mise en œuvre des dispositions relatives à la détention et enquêter sur les différentes formes d’atteintes aux droits humains perpétrées par les forces de sécurité. Les conseils départementaux et régionaux des droits humains n’ont pas mené d’enquête significative sur les plaintes concernant des cas de torture ou de mauvais traitements. Par ailleurs, leur impartialité ou leur indépendance restait à démontrer.
Les enquêtes ouvertes par les procureurs à la suite de plaintes pour actes de torture et pour sévices étaient rarement satisfaisantes. Elles aboutissaient généralement à la décision de ne pas engager de poursuites. Le manque d’exhaustivité de ces enquêtes suscitait des interrogations quant à leur impartialité. Les examens médicaux des personnes détenues, sur lesquels reposaient fréquemment les décisions, étaient eux-mêmes insuffisants ; ils étaient souvent menés en présence de responsables de la sécurité, bien que la réglementation interdise cette pratique. Les enquêtes et les procès qui s’ensuivaient n’examinaient généralement pas la chaîne de commandement impliquée, et les agents de l’État mis en accusation étaient rarement suspendus pendant la procédure.
Les procédures judiciaires contre des personnes accusées de torture et de mauvais traitements étaient souvent menées à un rythme très lent ; par conséquent, certaines étaient abandonnées en raison des délais de prescription.
Le 10 novembre, la Cour d’appel a confirmé la condamnation d’un policier pour son implication dans la mort du syndicaliste Süleyman Yeter, décédé en garde à vue après avoir été torturé en mars 1999. Un tribunal avait précédemment ramené sa peine de dix ans d’emprisonnement à quatre ans et deux mois pour « bonne conduite ». Au final, cet homme ne devait passer que vingt mois en prison. Entre-temps, les poursuites judiciaires engagées contre neuf policiers accusés d’avoir torturé Süleyman Yeter et 14 autres détenus lors de faits distincts, en 1997, ont été abandonnées. Elles avaient atteint le délai de prescription le 11 novembre.
Le 2 décembre, le procès de quatre policiers accusés d’avoir infligé des actes de torture, notamment des sévices sexuels, à deux étudiantes en mars 1999, à Iskenderun, a été ajourné pour la 30e fois, malgré l’existence de certificats médicaux confirmant les accusations. Pendant ce temps, l’une des deux jeunes filles, Fatma Deniz Polattas, restait incarcérée pour appartenance au PKK, sur la foi de déclarations qui auraient été arrachées sous la torture.
Les personnes ayant porté plainte contre la police pour usage excessif de la force lors d’arrestations ou de manifestations ont souvent été inculpées de « rébellion envers un agent de l’État par la force, la violence ou les menaces » ou d’infraction à la Loi sur les rassemblements et les manifestations.
Des étudiants appréhendés le 12 avril à Ankara à la suite d’une manifestation auraient été malmenés par la police antiémeutes, qui a fait un usage excessif de la force pour disperser et arrêter les protestataires. Selon les informations reçues, les étudiants ont également subi des sévices dans les locaux de la police et au tribunal. Le juge chargé de l’affaire n’a pas tenu compte des allégations de mauvais traitements et les étudiants ont été inculpés d’infraction à la Loi sur les rassemblements et les manifestations. Ils ont été remis en liberté dans l’attente de leur jugement.

Homicides commis dans des circonstances controversées
Les forces de sécurité auraient abattu jusqu’à 21 civils, dont un grand nombre dans les départements du sud-est et de l’est du pays. Dans la majorité des cas, les membres des forces de l’ordre ont affirmé que les victimes n’avaient pas obtempéré quand ils leur avaient donné l’ordre de s’arrêter.
Le 28 mai, à Adana, un policier en civil a tiré sur Siyar Perinçek, un membre présumé du Kongra-Gel, qui était tombé d’une moto dont il était le passager. Selon des témoins, ?iyar Perinçek n’était pas armé et aucune sommation n’a été faite. Cet homme est mort à l’hôpital deux jours plus tard. Nurettin Ba ?çi, qui conduisait la moto, a été arrêté et aurait été torturé. Le 4 octobre, trois policiers ont comparu pour « mauvais traitements » infligés à Nurettin Ba ?çi. Un des agents a également été inculpé pour « homicide involontaire » sur la personne de ?iyar Perinçek. Selon l’acte d’accusation, ?iyar Perinçek avait tiré sur le policier avant que celui-ci ne fasse feu. Le procès était toujours en cours à la fin de l’année 2004.
Le 21 novembre, à K ?z ?ltepe, des policiers ont abattu devant leur maison Mehmet Kaymaz et son fils U ?ur, âgé de douze ans. Les autorités ont déclaré que Mehmet et U ?ur Kaymaz étaient des membres armés du Kongra-Gel qui avaient tiré sur les fonctionnaires de police et que ces derniers avaient alors répliqué. Des témoins ont toutefois affirmé qu’il s’agissait d’une exécution extrajudiciaire et que des armes avaient été ajoutées sur les lieux après le meurtre.

Liberté d’expression et défenseurs des droits humains
Des personnes ont été poursuivies parce qu’elles exprimaient pacifiquement leurs opinions, bien que la Cour d’appel et certaines juridictions inférieures aient rendu des arrêts décisifs en faveur du droit à la liberté d’expression. Des enquêtes et des poursuites ont été entamées contre des personnes en raison de leurs opinions et activités pacifiques. Ces actions constituaient une forme de harcèlement judiciaire ; elles ont rarement débouché sur des peines privatives de liberté, mais ont souvent entraîné de lourdes amendes pour les personnes visées. Les procès étaient intentés au titre de divers articles du Code pénal, tels ceux qui criminalisent les « insultes » envers divers institutions de l’État ou l’« incitation à l’hostilité et à la haine ». D’autres procès se fondaient sur différents textes législatifs, notamment la Loi antiterroriste, la Loi sur les rassemblements et les manifestations, ainsi que les lois relatives à l’ordre public, aux associations et aux fondations. Des personnalités politiques ont été poursuivies pour avoir fait de la propagande électorale dans d’autres langues que le turc. De fortes peines d’amende ont été prononcées contre des publications et des journalistes en vertu de l’ancienne et de la nouvelle loi sur la presse.
Au mois de novembre, le journaliste Hakan Albayrak, qui s’était vu infliger quinze mois d’emprisonnement, a été libéré après avoir purgé six mois de sa peine dans le département d’Ankara ; il avait été condamné pour un article portant sur les funérailles de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque.
Le 30 décembre, le procès de Fikret Baskaya se poursuivait à Ankara ; l’écrivain était accusé de s’être livré intentionnellement à des « moqueries et insultes envers l’État turc » dans un ouvrage intitulé Des Écrits à contre-courant. Il encourait une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
La législation a également été utilisée contre des militants des droits humains - notamment des juristes, des médecins, des défenseurs de l’environnement et des syndicalistes. Ces personnes continuaient d’être prises pour cibles, malgré une plus grande volonté du gouvernement de consulter les représentants de la société civile. Ces actes de harcèlement différaient d’un département à l’autre. Dans certains cas, des personnes se sont vu interdire de lancer des pétitions, de lire des communiqués de presse ou d’organiser des manifestations. La représentante spéciale des Nations unies pour les défenseurs des droits de l’homme s’est rendue en Turquie en octobre ; elle a exprimé son inquiétude devant le grand nombre de procès intentés contre des militants des droits humains et recommandé le réexamen de toutes les affaires de ce type en instance. Des personnes qui participaient à des activités de défense des droits humains ont souvent subi des sanctions professionnelles telles que le renvoi, la mise à pied ou la mutation loin de leur domicile.
En juin, un procès s’est ouvert en vue de dissoudre le syndicat des enseignants E ?itim Sen, la plus grande organisation professionnelle de Turquie. L’affaire reposait sur une clause des statuts de l’organisation, par laquelle elle s’engageait à « œuvrer pour le droit des personnes à être instruites dans leur langue maternelle », ce qui, selon le procureur, était contraire à la Constitution. L’acquittement de l’E ?itim Sen, en septembre, a été infirmée en novembre par la Cour d’appel.
Au mois de juin, les professeurs ?ebnem Korur Fincanc ? et Sermet Koç ont été démis de leurs postes de directeurs des deux facultés de médecine légale, dans des hôpitaux rattachés à l’université d’Istanbul. Ils avaient fait part à la presse de leur inquiétude quant au manque d’indépendance de l’Institut médicolégal. ?ebnem Korur Fincanc ? avait déjà été relevée de ses fonctions à l’Institut pour avoir rédigé un rapport concluant qu’une personne était morte en détention après avoir été torturée.

Libération de prisonniers d’opinion
Le 21 avril, la cour de sûreté de l’État n°1 d’Ankara a confirmé les peines de quinze ans d’emprisonnement prononcées contre quatre anciens députés du Demokrasi Partisi (DEP, Parti de la démocratie) : Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Do ?an et Selim Sadak. Le nouveau procès avait été ouvert à la suite de l’adoption de la loi permettant de rejuger des personnes condamnées si la Cour européenne des droits de l’homme avait estimé que le jugement de première instance était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Toutefois, au début du mois de juin, le procureur général de la Cour d’appel a demandé l’infirmation de la condamnation ; il a souligné que le nouveau procès avait également violé les normes internationales d’équité des procès et que les parlementaires devaient être à nouveau jugés, mais remis en liberté pendant la procédure. Le 9 juin, les quatre anciens députés ont été libérés de la prison d’Ulucanlar, à Ankara. Un nouveau procès s’est ouvert le 21 octobre devant la cour pénale spéciale n°11 d’Ankara.

Violences contre les femmes
En Turquie, les violences au sein de la famille continuaient de porter atteinte aux droits fondamentaux de centaines de milliers de femmes. Des affaires de coups et blessures, de viol, de meurtre ou de suicide forcé ont été signalées. Les agents de l’État n’ont pas pris les mesures qui s’imposaient pour protéger efficacement les femmes. Les enquêtes sur les allégations de violences conjugales étaient souvent insuffisantes, et les auteurs présumés de ces actes étaient rarement traduits en justice. Les centres d’accueil pour les femmes menacées de violences étaient très peu nombreux.
À la suite de pressions concertées exercées par des groupes de femmes, nombre de dispositions sexistes ont été retirées du nouveau Code pénal. Parmi les autres mesures positives, on pouvait citer la suppression de la possibilité, pour une personne reconnue coupable de viol, de voir sa peine réduite, reportée ou annulée si elle acceptait d’épouser la victime, la reconnaissance explicite du viol conjugal comme un crime et celle de la violence prolongée et systématique au sein de la famille comme une torture.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Turquie en février, en juin et en décembre. Au mois de février, la secrétaire générale de l’organisation a rencontré des représentants de haut niveau du gouvernement, dont le Premier ministre, Recep Tayyip Erdo ?an.

Autres documents d’Amnesty International

  Turkey : From paper to practice — making change real, Memorandum to the Turkish Prime Minister on the occasion of the visit to Turkey of a delegation led by Irene Khan, Amnesty International’s Secretary General (EUR 44/001/2004).

  Turquie. Législation répressive, application arbitraire : les défenseurs des droits humains face aux pressions (EUR 44/002/2004).

  Turquie. Les femmes et la violence au sein de la famille (EUR 44/013/2004).

  Europe and Central Asia : Summary of Amnesty International’s concerns in the region, January-June 2004 : Turkey (EUR 01/005/2004).

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