Ouzbékistan


Malgré la remise en liberté conditionnelle de quelques défenseurs des droits humains, un certain nombre de réformes législatives et judiciaires, et un renforcement du dialogue sur les droits fondamentaux entre le gouvernement et la communauté internationale, il n’y a pas eu en Ouzbékistan de véritable remise à plat du système et des pratiques en matière de droits humains. Les autorités refusaient toujours qu’une commission indépendante internationale vienne enquêter sur les massacres survenus à Andijan en 2005.
La liberté d’expression et de réunion n’a guère été mieux respectée en 2008 que les années précédentes. Les défenseurs des droits humains, les militants en général et les journalistes indépendants ont encore été visés en raison de leurs activités. On signalait toujours de nombreux actes de torture et autres mauvais traitements en détention, dont auraient notamment été victimes des défenseurs des droits humains et des personnes critiques à l’égard du gouvernement. Les pouvoirs publics n’ont pas enquêté sérieusement sur ce genre d’allégations.
Plusieurs milliers de personnes reconnues coupables d’avoir soutenu, d’une manière ou d’une autre, des organisations islamistes interdites purgeaient toujours de lourdes peines d’emprisonnement, dans des conditions qui s’apparentaient à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Cette année encore, les pouvoirs publics se sont efforcés d’obtenir l’extradition de personnes appartenant ou soupçonnées d’appartenir à des formations ou à des mouvements islamistes interdits.
La peine de mort a été abolie.

CHEF DE L’ÉTAT : Islam Karimov
CHEF DU GOUVERNEMENT : Chavkat Mirziyoyev
PEINE DE MORT : abolie pour tous les crimes en janvier
POPULATION : 27,8 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 66,8 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 71 / 60 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 99,4 %

Contexte

L’Asie centrale a dû faire face en 2008 à un hiver extrêmement rigoureux, comme elle n’en avait pas connu depuis des dizaines d’années. Fait exceptionnel, des manifestations ont eu lieu un peu partout en Ouzbékistan, pour dénoncer les coupures de gaz et d’électricité.
Une coalition d’ONG et de militants internationaux et ouzbeks s’est mobilisée avec succès contre le travail des enfants dans les champs de coton, en s’adressant notamment aux grands distributeurs internationaux de prêt-à-porter. Plusieurs d’entre eux ont ainsi interdit la vente de textiles fabriqués à partir de coton d’Ouzbékistan ou l’emploi de celui-ci dans leurs produits. En septembre, le Premier ministre a mis en place un Plan national d’action destiné à lutter contre le travail des enfants. Cette mesure faisait suite à la ratification par le gouvernement, respectivement en avril et en juin, de deux Conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et au travail et sur les pires formes du travail des enfants. L’Ouzbékistan est l’un des plus gros exportateurs mondiaux de coton brut et les revenus de ces exportations représentent environ 60 % des recettes de l’État en devises fortes. Les collégiens et les lycéens sont depuis longtemps réquisitionnés, au moment de la récolte, pour aider les planteurs à remplir leurs quotas de production, que ces derniers sont tenus de respecter. Les enfants manquent alors les cours et travaillent dans des conditions pénibles, pour une faible rémunération.

Surveillance internationale

Trois ans après le massacre d’Andijan, au cours duquel les forces de sécurité avaient ouvert le feu sur une manifestation essentiellement pacifique, tuant des centaines de personnes, les autorités refusaient toujours qu’une commission internationale indépendante enquête sur ces événements. Elles considéraient que les discussions qui avaient eu lieu à deux reprises, en décembre 2006 et en avril 2007, avec des représentants de l’Union européenne, avaient permis de répondre à toutes les questions pertinentes. D’aucuns estimaient cependant que ces discussions ne pouvaient se substituer à une enquête approfondie, indépendante et impartiale, telle prévue par les normes internationales, et que l’Union européenne ne pouvait donc pas s’en contenter.
Le refus du gouvernement ouzbek d’autoriser qu’une enquête internationale indépendante soit menée sur les massacres avait été à l’origine de l’adoption de sanctions européennes, en 2005. L’Union avait notamment interdit toute délivrance de visa à 12 responsables de l’État, décrété un embargo sur les armes et suspendu partiellement l’Accord de partenariat et de coopération avec Tachkent. Prenant acte des délibérations du Conseil « Affaires générales et relations extérieures » de l’Union européenne, qui s’est réuni en avril, les ministres des Affaires étrangères ont décidé de prolonger de six mois la suspension de délivrance des visas décidée en novembre 2007, avec évaluation de la situation relative aux droits humains au bout de trois mois. Les conclusions finales du Conseil, adoptées en avril, comprenaient un certain nombre de points phares, mais ne mentionnaient ni Andijan ni la demande d’ouverture d’une enquête internationale indépendante.
Le Conseil a finalement décidé en octobre de mettre un terme au gel des visas. Il a justifié sa décision en invoquant un certain nombre d’avancées positives, à commencer par la volonté affichée par l’Ouzbékistan d’accueillir à Tachkent un séminaire sur la liberté de la presse, organisé conjointement avec l’Union européenne. Or, les organes de presse indépendants d’Ouzbékistan et les journalistes étrangers ont été exclus de cette rencontre. Les ONG internationales qui y ont participé, à l’invitation de l’Union européenne, ont publié une déclaration conjointe, dans laquelle elles dénonçaient un séminaire qui n’était, selon elles, qu’un « leurre destiné à permettre aux autorités d’obtenir sans frais des concessions » et qui ne devait pas « être considéré comme la preuve d’une quelconque amélioration de la politique de répression de la liberté d’expression menée dans ce pays depuis dix-sept ans ».
Au mois de mars, un porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a confirmé qu’un accord avait été conclu avec le gouvernement, autorisant le CICR à reprendre les visites des prisons relevant de son mandat, pour une période d’essai de six mois.
En décembre, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a examiné la situation en matière de droits humains en Ouzbékistan, dans le cadre de l’examen périodique universel.

Défenseurs des droits humains

La situation a continué de se détériorer pour les défenseurs des droits humains et les journalistes indépendants, malgré les déclarations des autorités, qui affirmaient que la liberté d’expression et d’association était totale en Ouzbékistan et que les ONG indépendantes, comme les militants de la société civile, pouvaient agir sans entraves dans le pays.
Un certain nombre de défenseurs des droits humains qui avaient été incarcérés ont été remis en liberté conditionnelle, aux termes de deux amnisties distinctes. Parmi eux figurait un prisonnier d’opinion, Dilmourod Moukhiddinov. Dix autres au moins continuaient toutefois de purger de lourdes peines d’emprisonnement, dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes. Tous avaient été condamnés à l’issue de procès non équitables. Sans contacts réguliers avec leurs familles et leurs avocats, ces hommes auraient été maltraités, voire torturés et certains seraient gravement malades. Au moins deux défenseurs des droits humains ont été condamnés en octobre à de lourdes peines de prison, après avoir été déclarés coupables de charges qui, selon eux, avaient été forgées de toutes pièces afin de les punir d’avoir milité en faveur des droits fondamentaux. L’un d’eux, Akzam Tourgounov, membre du parti d’opposition laïc Erk (Liberté), interdit, a affirmé avoir été torturé alors qu’il était détenu dans l’attente de son procès.
D’autres défenseurs et journalistes continuaient de faire l’objet d’une surveillance régulière de la part d’agents de l’État – en uniforme ou en civil –, étaient convoqués par la police à des fins d’interrogatoire ou placés en résidence surveillée. Certains se sont plaints d’avoir été frappés ou interpellés par des agents de la force publique, ou agressés par des individus soupçonnés de travailler pour les services de sécurité. Des proches auraient également été menacés et harcelés par les forces de sécurité.
La militante de la cause des droits humains Moutabar Tadjibaïeva a été libérée de prison à la surprise générale en juin, pour raisons de santé.
Cette libération restait cependant conditionnelle, la peine de huit ans d’emprisonnement à laquelle elle avait été condamnée en mars 2006 ayant été commuée en trois ans de prison avec sursis. Moutabar Tadjibaïeva a reçu en mai le prix Martin Ennals pour son action en faveur des droits humains. Elle a été autorisée en septembre à se rendre à l’étranger et a ainsi pu assister à la cérémonie de remise de cette récompense, qui a eu lieu en Suisse au mois de novembre.

  • En février, le prisonnier d’opinion Saïdjakhon Zaïnabitdinov a été libéré, contre toute attente, en application de l’amnistie présidentielle décrétée en décembre 2007. Il aurait déclaré, selon des articles parus dans la presse, que sa libération avait été pour lui une surprise et qu’il avait été bien traité en prison. Il a expliqué un peu plus tard qu’il ne souhaitait pas évoquer sa détention, afin de ne pas compromettre une éventuelle libération, au titre de la mesure d’amnistie, d’autres défenseurs des droits humains encore incarcérés. Saïdjakhon Zaïnabitdinov avait été condamné en janvier 2006 à sept années d’emprisonnement pour sa participation présumée aux événements d’Andijan.
  • Le défenseur des droits humains et journaliste Salidjon Abdourakhmanov, qui écrivait pour le compte d’un site d’informations indépendant basé en Allemagne, uznews.net, a été interpellé en juin pour détention de stupéfiants illicites. Il avait été arrêté, officiellement pour un contrôle de routine de son véhicule, par la police de la route qui, selon la version officielle, avait trouvé de l’opium et du cannabis dans son coffre. Salidjon Abdourakhmanov a nié catégoriquement avoir jamais été en possession de substances illégales ni même en avoir jamais consommé.
    Selon son frère, qui le représentait devant la justice, et ses amis, les charges contre lui auraient été forgées de toutes pièces dans le but le punir pour ses activités de journaliste et de défenseur des droits humains. La police a procédé à des perquisitions à son domicile et à son bureau. Elle a notamment saisi son ordinateur et du matériel technique, ainsi que des livres, des rapports et des divers autres documents écrits. Les examens médicaux demandés par les enquêteurs de la police ont confirmé que Salidjon Abdourakhmanov n’était pas consommateur de stupéfiants. L’examen du contenu de son ordinateur et des documents saisis n’a révélé aucune activité illégale ni aucun lien avec des entreprises criminelles. Cela n’a pas empêché le tribunal de le condamner en septembre à dix ans d’emprisonnement, pour détention de stupéfiants dans l’intention d’en faire du commerce. La condamnation a été confirmée en appel en novembre. Un recours a été introduit devant la Cour suprême d’Ouzbékistan.

Liberté d’expression

La presse et les ONG internationales restaient soumises à des pressions, en dépit des affirmations du contraire de la part des pouvoirs publics. Les autorités ont refusé en mai d’enregistrer le permis de travail du directeur du bureau de l’organisation Human Rights Watch en Ouzbékistan. Une chaîne de télévision a accusé en juin les collaborateurs ouzbeks de la station internationale Radio Liberty/Radio Free Europe d’être des traîtres à leur patrie. L’émission dans laquelle ces accusations ont été proférées donnait des précisions sur l’identité des correspondants locaux de la station, et notamment leurs noms et leurs adresses.

Liberté de religion

Des groupes protestants et les témoins de Jéhovah ont également été pris à partie dans des émissions de télévision du même genre, ainsi que par la presse écrite, qui les qualifiaient de « sectes destructrices ».
Des organisations internationales se sont inquiétées des violations, par le gouvernement, du droit à la liberté de religion, à l’encontre non seulement de certains groupes chrétiens évangélistes, mais également de musulmans fréquentant des mosquées qui échappaient au contrôle de l’État.

Torture et autres mauvais traitements

Selon des allégations persistantes, la torture et, de façon plus générale, les mauvais traitements sur la personne de détenus et de prisonniers demeuraient des pratiques courantes. Ces informations émanaient non seulement d’hommes et de femmes soupçonnés d’appartenir à des groupes islamiques interdits ou d’avoir commis des atteintes à la législation antiterroriste, mais également de défenseurs des droits humains, de journalistes, ou encore d’anciens responsables, souvent haut placés, du gouvernement et des forces de sécurité. Le fait que les autorités compétentes n’enquêtent pas sérieusement sur ces accusations constituait un grave motif de préoccupation. Le principe du contrôle judiciaire des arrestations a été adopté en janvier. Sanctionnées jusque-là par le parquet, les arrestations l’étaient désormais par les tribunaux. Cette procédure n’était cependant pas conforme aux normes d’équité et ne donnait pas, notamment, le droit aux personnes interpellées de contester la mesure dont elles faisaient l’objet ou de se plaindre en cas de torture ou mauvais traitement.

  • La fille de Ioussouf Djouma, un poète qui ne ménageait pas ses critiques à l’égard du régime, a déclaré en août que son père était régulièrement maltraité, et notamment torturé, dans la colonie pénitentiaire de Jaslik où il était incarcéré. Ioussouf Djouma avait déclaré être spécialement pris pour cible par le personnel pénitentiaire qui, le considérant comme un ennemi du président de la République, le frappait et le maltraitait. Il aurait également été enfermé dans des cellules de quarantaine, en compagnie de détenus atteints de tuberculose.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Cette année encore, les autorités ont cherché à obtenir, au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme, l’extradition de personnes réfugiées dans les pays voisins et en Russie et soupçonnées d’appartenir à des mouvements islamiques ou à des partis islamistes interdits, comme Hizb-ut-Tahrir (Parti de la libération) ou Akramia. La plupart des hommes renvoyés de force en Ouzbékistan étaient placés au secret, ce qui augmentait le risque de torture ou d’autres mauvais traitements.

  • Les autorités russes ne tenaient toujours aucun compte des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qui demandait que soient suspendues les expulsions de demandeurs d’asile ouzbeks tant que leurs recours n’auraient pas été examinés par cette même Cour. Ainsi, Abdougani Kamaliev a été renvoyé de force en Ouzbékistan en novembre 2007, quelques jours à peine après avoir été arrêté en Russie. Ses proches ont indiqué en février qu’il avait été placé, dès son retour en Ouzbékistan, dans le centre régional de détention provisoire de Namangan, où il aurait été torturé et, plus généralement, maltraité. On a appris en mars qu’il avait été condamné à onze ans d’emprisonnement.
  • En avril, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’extradition, par la Russie, de 12 réfugiés ouzbeks « donnerait lieu à une violation de l’article 3 [de la Convention européenne des droits de l’homme – interdiction de la torture], car les intéressés seraient confrontés à un risque sérieux d’être soumis à la torture ou à un traitement inhumain ou dégradant ». La Cour a également indiqué qu’elle n’était pas convaincue par l’argument du gouvernement, selon lequel celui-ci aurait l’obligation, au regard du droit international, de coopérer à la lutte contre le terrorisme ainsi que le devoir d’extrader les demandeurs accusés d’activités terroristes, quelle que soit la menace de mauvais traitement qui puisse planer sur eux dans le pays de destination. La Cour a enfin souligné qu’elle n’était pas « convaincue que les assurances diplomatiques données par les autorités ouzbèkes constituent une garantie fiable pour la sécurité des requérants ». Ces 12 réfugiés ouzbeks étaient tous recherchés pour leur participation présumée aux événements d’Andijan.

Peine de mort

Une loi remplaçant la peine de mort par une peine d’emprisonnement à vie est entrée en vigueur le 1er janvier, marquant l’abolition officielle de la peine capitale en Ouzbékistan. L’Ouzbékistan a adhéré le 23 décembre au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. Toutefois, les autorités n’avaient pas publié à la fin de l’année de statistiques sur cette peine telle qu’elle avait été appliquée les années précédentes, avec notamment le nombre de condamnations, d’exécutions et de commutations. Aucune liste de tous les condamnés dont la peine avait été automatiquement commuée en emprisonnement à vie n’a été communiquée. Rien n’a été fait, par ailleurs, pour permettre aux familles des prisonniers exécutés de savoir où avaient été enterrés les corps. Rien ne semblait indiquer, en outre, que des enquêtes allaient être ouvertes sur certaines affaires anciennes dans lesquelles l’accusé ou sa famille avait affirmé que ses « aveux » avaient été extorqués sous la torture. Il n’a pas non plus été question d’éventuelles indemnisations. La Cour suprême a entamé l’examen des dossiers de toutes les personnes qui se trouvaient sous le coup d’une condamnation à mort au moment de l’abolition de la peine capitale. À la mi-avril, elle avait commué au moins 17 sentences en peines d’emprisonnement de longue durée (vingt ou vingt-cinq ans).

Documents d’Amnesty International

  • Central Asia : Summary of Human Rights Concerns, March 2007-March 2008 (EUR 04/001/2008).
  • Uzbekistan : Submission to the UN Universal Periodic Review (EUR 62/004/2008).
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