Pakistan


Un régime civil a été rétabli après les élections de février. Le nouveau gouvernement a libéré des personnes qui avaient été arrêtées sous l’état d’urgence, en novembre 2007, mais un grand nombre de ses promesses en matière de droits humains n’ont pas été tenues. Le recours à la torture, les morts en détention, les attaques contre les minorités, les disparitions forcées, les crimes « d’honneur » et les violences domes-tiques n’ont pas cessé. Au moins 16 personnes ont été exécutées après que le nouveau gouvernement eut annoncé la commutation des sentences capitales en peines de détention à perpétuité. Trente-six exécutions au moins ont eu lieu au cours de l’année. La violence dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan s’est étendue à d’autres régions du pays. Des talibans pakistanais ont kidnappé des personnes pour les retenir en otages, pris pour cible et tué des civils et perpétré des actes de violence contre des femmes et des jeunes filles.

CHEF DE L’ÉTAT : Pervez Musharraf, remplacé par Asif Ali Zardari le 6 septembre
CHEF DU GOUVERNEMENT : Mohammedmian Soomro, Premier ministre par intérim, remplacé par Youssouf Raza Gilani le 24 mars
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 167 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 64,6 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 89 / 99 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 49,9 %

Contexte

Après les élections générales du 18 février, un gouvernement civil a prêté serment le 31 mars. Toutefois, la coalition au pouvoir a commencé à se fragmenter quand les partis n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la manière de réintégrer les juges révoqués illégalement durant l’état d’urgence en novembre 2007. Menacé de mise en accusation pour violation de la Constitution et mauvaise administration, le président Musharraf a démissionné en août. Asif Ali Zardari, veuf de Benazir Bhutto et dirigeant du Parti du peuple pakistanais (PPP), a été élu président le 6 septembre.
La majorité des juges qui avaient été révoqués ont réintégré leur fonction après une nouvelle prestation de serment. Le mouvement des avocats s’est élevé contre cette mesure en arguant que la réintégration des juges après un nouveau serment équivalait à une approbation de la proclamation illégale de l’état d’urgence et de la révocation des juges en novembre 2007.
Confronté à l’escalade des attaques armées, et notamment des attentats-suicides, le nouveau gouvernement hésitait entre des opérations militaires et un compromis avec les groupes armés tribaux et les talibans pakistanais. Les deux chambres du Parlement ont adopté à l’unanimité, le 22 octobre, une résolution appelant le gouvernement à remplacer les opérations militaires par une administration civile dans les zones frontalières de l’Afghanistan et à engager un dialogue avec les talibans qui étaient prêts à renoncer à la violence. Le 9 décembre, le président Zardari a annoncé que 1 ?400 civils, 600 membres des forces de sécurité et 600 activistes avaient été tués à la suite des opérations militaires menées dans les régions frontalières au cours des cinq années précédentes.
Les gouvernements américain et afghan ont appelé à maintes reprises le Pakistan à détruire les bases à partir desquelles les talibans lancent des attaques en Afghanistan. Les forces américaines présentes en Afghanistan ont multiplié les tirs de missile sur le territoire pakistanais, malgré des protestations vigoureuses du Pakistan.
Les relations entre l’Inde et le Pakistan se sont dégradées après que les autorités indiennes eurent affirmé que les attentats perpétrés en novembre à Mumbai (Bombay) avaient été commis par des personnes ou des groupes basés au Pakistan.

Évolutions sur le plan législatif et constitutionnel

En dépit de quelques initiatives positives, le nouveau gouvernement civil n’a pas tenu nombre de ses promesses relatives à la protection des droits humains. En mars, le gouvernement a élargi de très nombreux militants politiques arrêtés durant l’état d’urgence et a libéré les juges placés illégalement en résidence surveillée. Le Pakistan a ratifié, en avril, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention contre la torture [ONU]. Le gouvernement a également annoncé, en mai, qu’il allait adhérer à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais aucune initiative en ce sens n’avait cependant été prise à la fin de l’année.
Un ministère des Droits humains a été créé en novembre. Le 15 octobre, le gouvernement a approuvé un projet de loi visant à instituer une commission nationale des droits humains. Ce texte n’avait pas été adopté par le Parlement à la fin de l’année.
Arrestations et détentions arbitraires
Cette année encore, la police a maintenu des personnes en détention prolongée sans les présenter à un magistrat, comme la loi le prévoit.
À la suite des attaques perpétrées en novembre à Mumbai (Inde) contre des cibles civiles, le Conseil de sécurité des Nations unies a imposé des sanctions contre l’organisation Jamaat-ud Dawa et ses dirigeants. Des centaines de membres de ce groupe ont été incarcérés en décembre en vertu des dispositions législatives sur la détention préventive.

Torture et autres mauvais traitements

Les responsables de l’application des lois et les agents des services de sécurité recourraient régulièrement à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements : passages à tabac, station debout prolongée, suspension par les chevilles et viol, entre autres. Plusieurs cas de mort en détention ont été signalés.

Disparitions forcées

En avril, le ministre de la Justice, Farooq Naik, a déclaré que le gouvernement allait faire la lumière sur le sort de toutes les victimes de disparition forcée. Selon les chiffres fournis par les autorités, 1 ?102 personnes ont disparu dans la seule province du Baloutchistan. Après avoir mis en place, en mai, deux commissions chargées de localiser les disparus, le gouvernement a annoncé en juin que 43 disparus avaient été retrouvés au Baloutchistan et qu’ils avaient été remis en liberté ou transférés dans un centre de détention officiel. Des requêtes en faveur de centaines de victimes de disparition forcée étaient en instance devant la Cour suprême à la fin de l’année.
Le 21 novembre, le ministre des Droits humains, Mumtaz Alam Gilani, a annoncé qu’une nouvelle loi visant à faciliter la localisation des disparus était en cours de préparation, ajoutant que son ministère avait recensé 567 cas de disparition forcée. Le 25 novembre, le Comité permanent du Sénat pour les affaires intérieures aurait reconnu que les services de renseignement utilisaient « d’innombrables cellules secrètes de torture » dans tout le pays. En dépit de ces initiatives, de nouveaux cas de disparition forcée ont été signalés.

  • Aafia Siddiqui, neurologue, et ses trois jeunes enfants auraient été arrêtés à Karachi en mars 2003 par des agents des services de renseignement pakistanais. Selon des sources américaines, toutefois, cette femme n’a été appréhendée que le 17 juillet 2008 par la police afghane à Ghazni (Afghanistan), avec son fils de onze ans, Mohammed Ahmed. Les autorités des États-Unis affirment que des agents américains, agissant en état de légitime défense, ont dû tirer sur elle au moment où elle leur a été remise par des fonctionnaires afghans, le 18 juillet. Aafia Siddiqui a été transférée dans un centre de détention de New York et inculpée, en septembre, de tentative de meurtre contre des représentants et des fonctionnaires de l’État américain, chefs d’inculpation sans rapport avec de précédentes déclarations laissant entendre qu’elle aurait collaboré avec Al Qaïda. Son fils a été renvoyé dans sa famille au Pakistan. Les autorités américaines ont indiqué à plusieurs reprises qu’elles ne détenaient pas ses autres enfants. On ignorait ce qu’il était advenu de cette femme et de ses deux plus jeunes enfants entre 2003 et juillet 2008. En décembre, une juridiction fédérale américaine a ordonné un nouvel examen psychiatrique en vue de déterminer si Aafia Siddiqui était mentalement apte à être jugée. L’affaire a été renvoyée au 23 février 2009.
     ?-*Abdur Razaq, un médecin, a été arrêté le 22 septembre à Rawalpindi alors qu’il rentrait de l’hôpital. Son épouse a introduit une requête en habeas corpus devant la haute cour d’Islamabad, Mais le 7 novembre, des représentants de l’État ont affirmé qu’ils ignoraient tout de son sort. « Tout le monde sait où se trouvent les personnes portées disparues », aurait déclaré le 17 décembre le président du tribunal, Sardar Mohammad Aslam, qui a ordonné qu’Abdur Razaq soit présenté sans délai au tribunal. On restait sans nouvelles de cet homme à la fin de l’année. Son avocat a déclaré qu’il avait probablement « disparu » parce qu’il avait soigné des personnes accusées de terrorisme.

Violations des droits humains dans le cadre des opérations anti-insurrectionnelles

Les forces de sécurité pakistanaises déployées dans les zones tribales frontalières ainsi que dans les régions voisines de la province de la Frontière du Nord-Ouest, notamment à Swat, ont tué et blessé des civils dans le cadre des opérations menées contre des groupes armés tribaux et les talibans pakistanais.

  • Le 19 octobre, des avions de chasse ont bombardé un village de la vallée de Swat au cours d’une opération contre des combattants pakistanais et étrangers. Selon les habitants, 47 personnes, dont de nombreux civils, ont été tuées.
    Les opérations menées par le gouvernement ont contraint plusieurs centaines de milliers de personnes à quitter leur foyer. Beaucoup de personnes déplacées à l’intérieur du pays n’avaient pas accès à l’aide humanitaire et n’étaient pas suffisamment protégées par les autorités. Quelque 20 ?000 Pakistanais ont trouvé refuge en Afghanistan.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Des groupes armés, dont bon nombre étaient ouvertement favorables aux talibans, ont commis des atteintes graves aux droits humains. Ils se sont notamment rendus coupables d’attaques aveugles ou visant directement des civils, d’enlèvements, d’actes de torture et de mauvais traitements ? ; ils ont également pris des otages et tué des personnes qu’ils avaient capturées.

  • Dans l’agence tribale d’Orakzai, un membre des talibans a perpétré en octobre un attentat-suicide contre un conseil de paix qui s’efforçait de mettre au point une stratégie pour réduire la violence dans la région. Plus de 80 civils non armés ont été tués et près d’une centaine d’autres ont été blessés.
    Les talibans pakistanais ont pris des dizaines de personnes en otages, notamment deux diplomates (l’un afghan, l’autre iranien), deux journalistes (l’un pakistanais, l’autre canadien) et un ingénieur polonais. Le diplomate afghan a été relâché par la suite, mais les autres personnes n’avaient pas été retrouvées à la fin de l’année.
    En septembre, la branche de Swat du Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) – les talibans pakistanais – a pris plusieurs étrangers en otage pour obtenir la libération de 136 de ses membres qui étaient détenus.
    Les talibans locaux exerçaient des fonctions judiciaires en toute illégalité ? ; ils « jugeaient » et « condamnaient » des personnes accusées d’avoir transgressé les règles du droit musulman ou d’être des espions pour le compte du gouvernement. Plusieurs dizaines de personnes ont été sommairement exécutées à l’issue de tels « procès ».
  • Deux Afghans déclarés coupables par un conseil islamique d’« espionnage » pour le compte des forces américaines ont été sommairement exécutés dans l’agence tribale de Bajaur le 27 juin, en présence de plusieurs milliers de personnes.

Violences contre les femmes et les filles

Les femmes et les jeunes filles étaient victimes de violations de leurs droits fondamentaux imputables à l’État et subissaient aussi, en l’absence d’action appropriée des autorités, des atteintes commises par le milieu social (crimes d’« honneur », mariages forcés, viols et violences domestiques, entre autres). Le projet de loi relative à la protection contre le harcèlement sur le lieu de travail, approuvé par le gouvernement en novembre, et le projet de loi relative à la violence au sein de la famille (prévention et protection), soumis en août au ministère de la Condition féminine, n’avaient pas été adoptés à la fin de l’année.

  • Le 13 juillet, une adolescente de seize ans et deux jeunes femmes de dix-huit et vingt ans auraient été enlevées et emmenées à bord d’une voiture portant des plaques officielles à Babakot, dans le district de Jaffarabad (Baloutchistan), où elles auraient été tuées. Il semble que ces meurtres soient liés au fait qu’elles aient voulu épouser l’homme de leur choix. L’autopsie pratiquée a révélé que deux des victimes avaient succombé à des blessures à la tête infligées par un objet contondant. Le troisième corps n’a pas été retrouvé. Un sénateur baloutche a justifié ces homicides au nom d’une « coutume tribale ». Des personnalités locales auraient entravé les investigations de la police.
    Des jeunes filles étaient par ailleurs données en mariage pour régler des conflits.
  • En octobre, trois adolescentes âgées de douze à quatorze ans ont été mariées de force à Drighpur, dans le district de Shikarpur (province du Sind), sur décision prise par une jirga (conseil d’anciens) qui entendait régler un conflit à propos d’un crime d’« honneur » commis deux mois auparavant. Personne n’a été arrêté.
    Les menaces proférées par des talibans pakistanais ont empêché des milliers de femmes de voter aux élections de février.

Discrimination envers les minorités religieuses

Les autorités ne protégeaient pas suffisamment les membres des minorités religieuses contre la discrimination généralisée, le harcèlement et les violences dont ils étaient la cible.

  • Deux ahmadis – Abdul Manan Siddiqui, un médecin de Mirpurkhas (Sind), et Sheikh Mohammad Yousaf, un commerçant de soixante-quinze ans originaire de Nawabshah (Sind) – ont été abattus en septembre par des inconnus après qu’une chaîne de télévision privée eut diffusé une déclaration d’un télé-spectateur qui appelait à tuer les apostats et les blasphémateurs, affirmant qu’il s’agissait d’une obligation religieuse. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été effectuée.
    Soixante-seize personnes ont été poursuivies pour blasphème dans le cadre de 25 procédures. Dix-sept d’entre elles ont été inculpées aux termes de l’article 295-C du Code pénal, qui prévoit la peine de mort pour insulte envers le prophète de l’islam.
  • Seize ahmadis à qui l’on reprochait d’avoir décroché une affiche présentant négativement leur chef religieux ont été inculpés de blasphème en juin, à Nankana Sadar (Pendjab).

Droits des enfants

Le recrutement de jeunes par des groupes armés, le trafic d’enfants, les violences domestiques contre les mineurs, en particulier les filles, restaient répandus. Selon l’ONG Sahil, 992 enfants – 304 garçons et 688 filles – ont été victimes de violences sexuelles entre janvier et juin.
En juillet, les autorités de Swat ont découvert que les talibans avaient recruté 26 adolescents de treize à dix-huit ans pour les entraîner.

Peine de mort

Au moins 236 personnes ont été condamnées à mort, dans la plupart des cas pour meurtre. On recensait au moins 7000 prisonniers sous le coup d’une sentence capitale.
Le Premier ministre, Yousuf Raza Gilani, a annoncé le 21 juin que les condamnations à mort seraient commuées en une peine de détention à perpétuité. Le président Zardari a toutefois promulgué, en novembre, une ordonnance qui étendait le champ d’application de la peine de mort à la cybercriminalité entraînant mort d’homme.
Au moins 36 prisonniers ont été exécutés, dont 16 après l’annonce de la commutation des sentences capitales.
En décembre, le Pakistan a voté contre une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies en faveur d’un moratoire mondial sur les exécutions.

Documents d’Amnesty International

  • Pakistan : Repairing the damage - ensuring robust human rights safeguards (ASA 33/001/2008).
    — *Pakistan. Nier l’indéniable. Les disparitions forcées au Pakistan (ASA 33/018/2008).
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