La Tunisie mène une campagne de répression à mettant en danger les droits des migrants, réfugiés et défenseurs des droits humains, Amnesty International rappelle son inquiétude quant aux répercussions négatives que pourrait avoir la coopération migratoire entre la Tunisie et l’Union Européenne
L’année 2018 a été marquée par de nombreuses atteintes aux droits humains en Europe. Les cibles principales ? La liberté d’expression et les réfugiés. Pourtant, le militantisme progresse et la contestation s’amplifie.
L’Europe est plus qu’un simple continent sur une carte géographique. Elle constitue une idée, façonnée au fil des millénaires, nourrie par d’innombrables cultures et traditions, renouvelée par les mouvements de populations, confortée par des valeurs partagées et une histoire commune. Malheureusement, l’Europe font actuellement face à une offensive nourrie, menée de l’intérieur, contre les droits humains.
Politique du bouc émissaire et de la peur
La montée de l’intolérance, de la haine et des discriminations, sur fond de rétrécissement de l’espace dévolu à la société civile, entraîne une déchirure de plus en plus importante au sein même du tissu social de la région.
La politique de la peur, portée par des dirigeants qui véhiculent un discours vénéneux, accusant telle ou telle catégorie d’être responsable des problèmes sociaux ou économiques, sème la discorde parmi les citoyens.
Les défenseurs des droits humains, les militants, les médias et l’opposition politique sont harcelés par les pouvoirs publics. Ces hommes et ces femmes sont visés par des poursuites pénales, voire pris pour cible par des groupes adeptes de la violence et agissant en toute impunité.
Dans une grande partie de l’Europe, la prétendue « crise des réfugiés » – et les réactions indignes qu’elle a suscitées – est particulièrement révélatrice. Elle fait l’effet d’un miroir reflétant de tristes réalités.
Les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants sont rejetés ou confinés dans des conditions sordides tandis que, progressivement, les actes de solidarité sont criminalisés. Des enfants sont abandonnés à eux-mêmes.
L’absence de toute politique cohérente, découlant d’une approche du « chacun pour soi » de la part des pays européens, laisse les États situés en première ligne, comme la Grèce, assumer seuls l’accueil de dizaines de milliers de personnes réfugiées et migrantes.
Des femmes protestent derrière une clôture au camp Hellinikon à Athènes, le 6 février 2017, lors d’une manifestation contre les mauvaises conditions de vie © LOUISA GOULIAMAKI/AFP/Getty Images
Les accords douteux conclus pour externaliser les responsabilités et renforcer la « forteresse Europe » sont contraires au droit international.
La prétendue « crise », ainsi que les politiques d’austérité menées dans la région, servent désormais de tremplin à un nombre croissant de politiciens opportunistes. Sous prétexte de lutter contre « l’establishment », ils pratiquent la diabolisation des plus marginalisés, qu’ils pourchassent, désignent à la vindicte populaire et déshumanisent.
La Hongrie est ainsi devenue la championne de l’intolérance.
Son Premier ministre Viktor Orbán et la formation au pouvoir Fidesz intensifient l’offensive contre les droits humains, revendiquant fièrement les atteintes au droit international qu’ils commettent.
Le gouvernement hongrois s’en prend directement et ouvertement aux migrants et aux réfugiés, restreint le droit de manifester pacifiquement, transforme le fait d’être sans abri en une infraction pénale et adopte des lois draconiennes sanctionnant les activités légitimes en lien avec les migrations, menaçant l’existence même de la société civile.
En Pologne, l’espace de la contestation se rétrécit, face à une législation qui réduit le droit de manifester, aux poursuites entamées contre des centaines de manifestants non violents et à l’extension des pouvoirs de surveillance des services chargés de l’application des lois.
Les autorités s’en prennent systématiquement à l’indépendance de l’appareil judiciaire, qu’elles affaiblissent, et suppriment les mécanismes et les garanties de protection des droits fondamentaux, soumettant le pouvoir judiciaire à une ingérence politique.
Les magistrats qui critiquent les mesures prises par le gouvernement ou demandent à la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer sur leur compatibilité avec le droit communautaire sont victimes de manœuvres de harcèlement et de procédures disciplinaires.
Une manifestante crie devant une unité de police lors d’une manifestation devant le bâtiment du Parlement à Budapest, en Hongrie, le 8 mai 2018 © AFP/Getty Images
Un climat de peur étouffant
Parallèlement, certains pays de la région connaissent aujourd’hui un véritable climat de peur. En Turquie, depuis la tentative de coup d’État manquée de 2016, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes, dont des journalistes, des défenseurs des droits humains et des militants, ont été arrêtés arbitrairement pour avoir critiqué les autorités, sans qu’il existe à leur encontre la moindre preuve qu’ils aient commis des actes susceptibles d’être considérés comme illégaux.
Des ONG et des journaux ont été fermés et plus de 130 000 salariés de la fonction publique ont été arbitrairement licenciés aux termes de décrets pris dans le cadre de l’état d’urgence. Taner Kılıç, le président honoraire d’Amnesty International Turquie, a passé plus de 14 mois en prison.
Libéré en août dernier, il fait toujours l’objet de poursuites pénales sans le moindre fondement, en raison de son action en faveur des droits humains.
La police turque arrête des manifestants alors qu’ils tentaient de défier une interdiction et marchent sur la place Taksim pour célébrer le 1er mai à Istanbul © REUTERS/Murad Sezer
Un peu partout en Europe, des groupes qui n’hésitent plus à prôner la haine et la discrimination se font une place sur la scène politique, aux côtés des partis traditionnels. Ces derniers s’imprègnent quant à eux de leurs idées et reprennent à leur compte leurs discours d’exclusion.
Alimenté par certains responsables politiques et une presse prompte à encourager les divisions, l’apologie de la haine et de l’intolérance tend à se banaliser.
Institutions européennes et droits humains
À l’heure où certains acteurs majeurs se retirent des mécanismes internationaux de protection des droits humains, lorsqu’ils ne cherchent pas à saper leur action, l’Union européenne (UE) et ses États membres sont sommés de renforcer leur engagement en faveur des droits fondamentaux dans le cadre de leur politique étrangère.
Dans l’état actuel des choses, la crédibilité de l’UE est malheureusement menacée par sa propre incapacité à respecter ces droits sur son territoire. Quelques initiatives positives ont certes été prises, telles que le déclenchement de l’article 7 par la Commission européenne et le Parlement européen, permettant d’entamer une procédure contre la Hongrie et la Pologne en réponse à l’adoption par ces deux pays de mesures portant atteinte au respect des droits humains.
L’UE a également fait des progrès en matière de soutien et de protection de défenseurs des droits humains dans certains pays, mais il reste beaucoup à faire à cet égard dans toute la région. Concernant les migrations, les institutions européennes n’ont adopté aucune mesure décisive, voire ont pris des décisions qui n’ont fait qu’aggraver la situation.
Un enfant migrant sur l’Aquarius © REUTERS/Guglielmo Mangiapane
La dureté des politiques d’immigration
À la suite de l’accord passé entre l’UE et la Turquie, par exemple, des milliers de personnes réfugiées et migrantes se sont retrouvées bloquées sur certaines îles grecques, dans des conditions déplorables et même dangereuses.
En Méditerranée centrale, les gouvernements européens, qui ont demandé sans états d’âme à la Libye de se charger des contrôles aux frontières, se rendent complices des souffrances infligées aux candidats à l’immigration.
En encourageant les autorités libyennes à s’opposer aux traversées, à gêner les secours et à ramener les gens dans de sinistres centres de détention en Libye même, l’UE sape les efforts de recherche et de secours et expose des hommes, des femmes et des enfants à un risque réel de torture.
La justice battue en brèche
Dans le même temps, la Cour européenne des droits de l’homme voit son indépendance et son autorité de plus en plus menacées.
Souvent par calcul politique, certains États refusent d’appliquer des décisions, pourtant contraignantes, de la Cour, suscitant au niveau national des problèmes systémiques et structuraux graves, qui permettent aux violations des droits humains de se perpétuer.
Malgré tout, le militantisme progresse
Pourtant, malgré ce climat marqué par les discours xénophobes et les politiques répressives, il reste des raisons d’être optimiste. Le militantisme progresse et la contestation s’amplifie. Une véritable lame de fond, composée de gens ordinaires animés par une passion extraordinaire, se soulève, en faveur de la justice et de l’égalité.
Par leurs actes, toutes ces personnes contribuent à définir le type de continent dans lequel elles aspirent à vivre. Et leur courage est contagieux.
Parmi elles, des journalistes, des universitaires, des artistes, des magistrats, des avocats et de simples citoyens et citoyennes de tous les horizons, mus par un même sentiment de compassion et une même indignation devant l’injustice et les souffrances.
En période de répression, il est plus dangereux, mais aussi plus essentiel que jamais, de se mobiliser pour défendre les droits humains ou dénoncer les injustices.
Celles et ceux qui expriment leurs convictions deviennent autant de symboles d’espoir pour les autres. Si nous ne nous tenons pas à leurs côtés, qui, demain, sera encore là pour revendiquer ce qui est juste ? Les dirigeants européens doivent se positionner en première ligne et au centre du terrain, en leur apportant clairement leur soutien et en dénonçant ceux et celles qui les attaquent.
Nous ne pouvons pas garder le silence. Nous ne nous tairons pas.
Nous sommes responsables non seulement de ce que nous disons, mais aussi de ce que nous taisons.
Aziz Nesin, écrivain turc