Haïti

République d’Haïti
CAPITALE : Port-au-Prince
SUPERFICIE : 27 750 km²
POPULATION : 8,4 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Jean Bertrand Aristide, remplacé provisoirement par Boniface Alexandre le 29 février
CHEF DU GOUVERNEMENT : Yvon Neptune, remplacé par Gérard Latortue le 9 mars
PEINE DE MORT : abolie
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé

De très nombreuses personnes ont été tuées avant, pendant et après la rébellion qui a renversé le président Jean Bertrand Aristide. Les forces de police se seraient livrées à de multiples exécutions illégales, actes de torture et autres formes de mauvais traitements. Des dizaines de personnes, notamment des membres du gouvernement de Jean Bertrand Aristide et des sympathisants de premier plan de son parti, Fanmi Lavalas (FL, Famille Lavalas), étaient maintenues en détention sans inculpation ni jugement. Le système judiciaire, qui n’était toujours pas conforme aux normes internationales, n’offrait pas une protection juridique à la population et ne permettait pas de lutter efficacement contre l’impunité. Les autorités se sont montrées peu empressées à faire arrêter des prisonniers évadés qui avaient été condamnés pour de graves atteintes aux droits humains. Le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé le déploiement d’une force d’intervention internationale en Haïti afin de régler la crise politique survenue après l’insurrection et de soutenir le gouvernement de transition.

Contexte

En janvier, les commémorations pour le bicentenaire de l’indépendance du pays, autrefois sous le joug de la France, ont été marquées par le mécontentement grandissant de la population et par des manifestations hostiles au gouvernement de Jean Bertrand Aristide. Les opposants ont été sévèrement réprimés par les forces de police et par les Chimères, des bandes armées à la solde, semble-t-il, du pouvoir en place. Le 5 février, un conflit a éclaté dans la ville des Gonaïves, puis a rapidement gagné d’autres régions du pays. Dans les rangs des insurgés se trouvaient essentiellement d’anciens dirigeants des Forces armées d’Haïti (FADH), une faction dissoute en 1995, des membres du Front révolutionnaire pour l’avancement et le progrès d’Haïti (FRAPH), une organisation paramilitaire démantelée, ainsi qu’un gang criminel basé aux Gonaïves et qui se faisait appeler l’Armée cannibale. Les rebelles étaient dirigés par Guy Philippe, ex-commissaire de la Police nationale d’Haïti (PNH), et Louis-Jodel Chamblain, ancien commandant en second du FRAPH. Ce dernier avait été reconnu coupable d’atteintes aux droits humains. À mesure qu’ils avançaient, les rebelles aidaient des prisonniers à s’évader.
Le 29 février, alors qu’ils menaçaient de marcher sur Port-au-Prince, le président Aristide a quitté le pays dans des circonstances controversées. Le président de la Cour de cassation, Boniface Alexandre, a immédiatement été appelé à assurer la présidence par intérim. Le même jour, le Conseil de sécurité des Nations unies autorisait le déploiement d’une Force intérimaire multinationale en Haïti (FIMH) pour une durée de trois mois. Le 9 mars, le Conseil des Sages, formé de sept membres et intervenant en l’absence de Parlement, a nommé Gérard Latortue à la fonction de Premier ministre par intérim.
En juin, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) a remplacé la FIMH. Elle a reçu pour mission d’aider le gouvernement de transition à assurer la sécurité et la stabilité, et d’apporter son soutien au processus de réforme de la PNH.
En septembre, le passage de la tempête tropicale Jeanne a provoqué de soudaines inondations, faisant des milliers de morts et de disparus aux Gonaïves et dans les environs. À la suite de cette catastrophe, la distribution de l’aide humanitaire internationale a été entravée par la violence et le chaos général régnant dans le pays. Des bandes armées auraient volé des vivres destinés à la population pour les revendre à prix d’or, aggravant les préoccupations humanitaires et sécuritaires.
Après une marche organisée le 30 septembre par des sympathisants de FL, Haïti a connu une explosion de la violence politique. Des membres de la PNH et de bandes armées apparemment liées à FL se seraient rendus coupables de multiples atteintes aux droits humains, dont la décapitation de trois policiers. En octobre, la police civile des Nations unies et la PNH ont commencé à mener des opérations conjointes dans des quartiers défavorisés, afin de juguler la violence endémique. Aucun programme de désarmement n’avait été mis en œuvre à la fin de l’année et chaque jour des civils étaient tués par balle. Dans plusieurs régions du pays, des soldats démobilisés et d’anciens rebelles ont remplacé de facto les autorités, si bien que les droits humains étaient sérieusement menacés.

Atteintes aux droits humains avant le changement de gouvernement

Les violences politiques ont continué pendant une bonne partie de l’année, avec des atteintes aux droits humains perpétrées lors de manifestations toujours plus fréquentes. Des policiers et des sympathisants armés du gouvernement en place auraient joué un rôle actif dans la répression des mouvements de protestation contre les autorités.
Le 7 janvier, Maxime Desulmant, étudiant, aurait été abattu par des sympathisants du gouvernement lors d’une manifestation. Pendant ses obsèques, le 16 janvier, des affrontements ont opposé, devant le Palais national, des étudiants qui portaient son cercueil à des membres de la PNH et à des manifestants progouvernementaux. La police a dispersé les étudiants au moyen de gaz lacrymogène. Au moins cinq manifestants ont été blessés.

Atteintes aux droits humains commises sous le gouvernement de transition
Selon les informations reçues, la PNH a continué de se livrer à des atteintes aux droits fondamentaux sous le gouvernement de transition. Dans certaines régions, des soldats démobilisés et d’anciens rebelles qui contrôlaient la majeure partie du territoire haïtien avant le départ du président Aristide ont remplacé de facto les autorités, sans se heurter à aucune opposition, même sous le gouvernement intérimaire. Dans certaines localités, les chefs de section, anciens membres de la police rurale rétablis dans leurs fonctions, auraient également commis des violations des droits humains. Avant de voir leurs postes supprimés en 1994, ils avaient été recrutés au sein de familles de cultivateurs. Ils jouaient le rôle de policiers et représentaient les autorités au niveau local. Au cours de l’année 2004, un grand nombre ont repris d’eux-mêmes leurs activités, ou ont été rétablis par des soldats démobilisés.

Homicides illégaux perpétrés par la police

Plusieurs policiers se seraient rendus coupables d’exécutions illégales.
Le 26 octobre, selon des témoins, des hommes portant des uniformes noirs et des cagoules se sont livrés à au moins sept exécutions extrajudiciaires à Fort National, un quartier défavorisé de Port-au- Prince. Ils circulaient à bord de véhicules de police. Les forces de police ont déclaré qu’aucune intervention n’avait été menée dans cette zone, même si de nombreux éléments tendaient à prouver le contraire. La police civile de la MINUSTAH a mis sur pied une commission chargée de mener des enquêtes sur ces événements. À la fin de l’année, Amnesty International ne disposait d’aucune information complémentaire à ce sujet.
Le 27 octobre, des policiers auraient exécuté de manière extrajudiciaire quatre adolescents en plein jour, dans des circonstances comparables, au carrefour Péan (Port-au-Prince). L’une des victimes avait les mains attachées dans le dos.

Torture et mauvais traitements

Un grand nombre de personnes auraient été victimes de mauvais traitements, qui s’apparentaient parfois à des actes de torture, lors de leur arrestation ou en garde à vue. Parmi elles figuraient des mineurs.
Au mois d’octobre, des policiers auraient donné à R. S. (Amnesty International préserve son anonymat), treize ans, des coups de pied dans le ventre et dans la poitrine, alors qu’il était en garde à vue dans un poste de police de Martissant, à Port-au- Prince. Tout en le frappant, les policiers lui demandaient de révéler où se trouvaient des Chimères. Le garçon était assis par terre, les yeux bandés et des menottes aux poignets. Il a ensuite été transféré dans les locaux d’un autre poste de police, toujours à Martissant, où il a été détenu une journée avant d’être libéré.
À la fin du mois d’octobre, au moins dix personnes qui étaient placées en garde à vue à Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays, auraient été soumises à des mauvais traitements et battues par des fonctionnaires de police.

Exécutions illégales commises par des chefs de section et des rebelles armés
Le 30 juin, à Ranquitte, dans le département du Centre, un homme soupçonné de vol aurait été arrêté et battu à mort par le chef de section, que des soldats démobilisés avaient rétabli dans ses fonctions.
Le 1er avril, alors qu’ils exécutaient un mandat d’arrêt délivré contre des personnes impliquées dans un conflit foncier, des membres d’un groupe armé associé à des soldats démobilisés auraient tué Plaisius Joseph, à Savanette (département du Centre).

Arrestations arbitraires et illégales

De multiples arrestations arbitraires et illégales auraient été menées au mépris de certaines dispositions de la Constitution. Un très grand nombre de personnes ont été placées en détention, alors qu’aucun juge n’avait émis de mandat contre elles et qu’elles n’avaient pas été prises en flagrant délit. Certaines interpellations ont eu lieu entre 18 heures et 6 heures du matin, contrairement à ce que prévoit la Constitution. Au mois de novembre, des délégués d’Amnesty International en visite à Petit-Goâve ont découvert que des soldats démobilisés - intervenant en qualité de responsables de l’application des lois, avec la complicité des autorités judiciaires - maintenaient illégalement quatre personnes en détention au commissariat, dont ils avaient fait leurs quartiers après que la police eut quitté la ville.
Yvon Feuillé et Gérard Gilles, anciens sénateurs, ainsi que Rudy Hérivaux, ancien député, ont été arrêtés sans mandat le 2 octobre dans les locaux de Radio Caraïbes après avoir participé à une émission de la station. Gérard Gilles a été libéré la semaine suivante, tandis qu’Yvon Feuillé et Rudy Hérivaux sont restés emprisonnés jusqu’au 23 décembre.

Conditions carcérales

Dans les prisons et autres centres de détention, les conditions étaient éprouvantes et s’apparentaient souvent à un traitement inhumain et dégradant. La surpopulation carcérale était monnaie courante. Plusieurs établissements pénitentiaires du pays n’avaient pas été remis en état après leur destruction partielle ou totale lors d’attaques perpétrées pendant la rébellion.
Fin octobre, 19 hommes ont été placés en détention dans une cellule de cinq mètres sur quatre aménagée dans une maison de Hinche. La police utilisait cette propriété privée depuis que son commissariat avait été brûlé par des rebelles, en février. Tous ces détenus se sont évadés le 1er décembre.

Attaques contre des défenseurs des droits humains et des journalistes

Les défenseurs des droits humains étaient toujours la cible d’actes de harcèlement et, parfois, de menaces.
Renan Hédouville, secrétaire général du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI), a reçu plusieurs appels anonymes de menaces de mort après que son organisation eut dénoncé des violations des droits humains auxquelles étaient mêlés des membres de la PNH et des soldats démobilisés.
Mario Joseph, juriste travaillant au Bureau des avocats internationaux (BAI), a reçu de multiples menaces de mort par téléphone. Il représentait des sympathisants du président Aristide détenus sans inculpation.
Cette année encore, des journalistes ont été intimidés et harcelés pour avoir critiqué le gouvernement de transition ou les soldats démobilisés, et pour avoir signalé des atteintes aux droits humains. Un certain nombre d’entre eux ont été contraints de s’autocensurer sur certains sujets afin d’éviter toute répression à caractère politique. Des stations de radio ayant dénoncé sur leurs ondes des violations des droits de la personne ont été prises pour cibles.
Les autorités de transition ont à maintes reprises changé la fréquence d’émission de Radio Solidarité, cherchant à étouffer ses critiques à l’égard du gouvernement et à museler ses journalistes qui condamnaient les violations des droits humains.
Des policiers s’en sont également pris à des défenseurs des droits des travailleurs, qui ont fait l’objet d’actes d’intimidation, de manœuvres de harcèlement et de menaces de mort.
Le 24 janvier, 11 syndicalistes ont été arrêtés et inculpés de complot contre la sécurité de l’État.
Le 28 octobre, Paul-Loulou Chéry, coordonnateur général de la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH), principale organisation syndicale d’Haïti, a reçu la visite de six policiers qui ont fouillé son domicile sans mandat de perquisition et qui auraient menacé de le tuer s’il refusait de se présenter dans un commissariat. Pendant plusieurs jours, des véhicules de police sont restés stationnés devant les locaux de la Confédération, tandis que l’agent de sécurité du bâtiment a été appréhendé sans inculpation. Par la suite, Paul-Loulou Chéry a déménagé et restreint ses déplacements.

Impunité pour les atteintes aux droits humains commises dans le passé

Des atteintes aux droits humains perpétrées dans le passé demeuraient impunies. Pendant la rébellion, et même avant celle-ci, de nombreux détenus déclarés coupables pour de telles atteintes se sont évadés de prison. Le gouvernement de transition a montré peu d’empressement à les faire arrêter.
Ainsi Jean-Pierre Baptiste, alias Jean Tatoune, ancien dirigeant du FRAPH, avait été condamné aux travaux forcés à perpétuité, en 1994, pour sa participation au massacre commis la même année à Raboteau, un quartier pauvre des Gonaïves. Il s’est évadé de prison en août 2002 et vivrait à Raboteau même.
Au mois de septembre, Louis-Jodel Chamblain et Jackson Joanis, tous deux condamnés par contumace pour leur rôle dans le massacre de Raboteau et pour le meurtre, en 1993, d’Antoine Izméry, homme d’affaires et militant des droits humains, ont été jugés de nouveau pour ce meurtre dans le cadre d’une procédure expéditive. Le procureur n’aurait pas présenté d’éléments de preuve ni convoqué les témoins qui s’étaient révélés cruciaux lors du premier procès en 1995. Les deux hommes ont été acquittés du chef de meurtre mais restaient détenus à la fin de l’année dans l’attente d’un nouveau procès relatif au massacre de Raboteau.

Violences contre les femmes

De nombreuses femmes ont été victimes de viols, parfois collectifs, imputables à des membres de bandes armées, à des soldats démobilisés ou à des policiers. Plusieurs ont déclaré à Amnesty International qu’elles avaient trop peur de la police pour oser signaler ces faits. Certaines femmes violées sous le régime militaire (1991 à 1994) vivaient cachées après le retour à la vie publique de leurs agresseurs, lesquels circulaient librement dans la rue.
Le 13 septembre, D. P. (Amnesty International préserve son anonymat), dix-neuf ans, a été violée chez elle, sous les yeux de ses deux frères, par cinq hommes vêtus de noir et coiffés d’une cagoule. Elle n’a pas bénéficié de soins médicaux à la suite de son agression. Craignant d’être tuée ou à nouveau violée, la jeune femme a quitté son foyer pour vivre dans la rue.

La MINUSTAH

Le déploiement de la MINUSTAH s’est fait lentement. Ses contingents militaires et de police civile n’étaient pas complètement déployés au mois de novembre, à la fin de la première période de son mandat. La mise en œuvre de celui-ci a de fait été entravée, en particulier sur le plan de la protection des civils et de l’action des observateurs des droits humains. À la fin de l’année, aucun observateur n’avait été nommé. Par ailleurs, la mise sur pied d’un programme de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des groupes armés n’avait guère avancé.

Visites d’Amnesty International

Des délégués d’Amnesty International ont effectué des visites en Haïti en mars et avril, puis en octobre et novembre.

Autres documents d’Amnesty International
. Haïti. Les auteurs de violations et d’exactions commises ces dernières années menacent les droits humains et le rétablissement de l’État de droit (AMR 36/013/2004).
. Haïti. Une occasion unique de mettre fin à la violence ? (AMR 36/038/2004).

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