INDE

Les auteurs de violations des droits humains continuaient, dans bien des cas, de bénéficier de l’impunité. Le gouvernement de l’État du Gujarat n’a pas traduit en justice les responsables présumés des violences de grande ampleur perpétrées en 2002. L’application de la législation relative à la sécurité favorisait les arrestations arbitraires et le recours à la torture, entre autres violations graves des droits humains ; la plupart des victimes étaient des opposants politiques et des membres des catégories défavorisées. Dans l’État du Manipur, dans le nord-est du pays, des associations locales ont dénoncé les violations des droits humains liées à l’application de la Loi relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées, dont elles ont réclamé l’abrogation. Les défenseurs des droits humains ont été harcelés dans de nombreux États. Le nouveau gouvernement de la United Progressive Alliance (UPA, Alliance progressiste unie) a fait un certain nombre de promesses dont la mise en œuvre pourrait améliorer la situation des droits humains. Comme les années précédentes, les personnes appartenant à des catégories socioéconomiques défavorisées, comme les dalits (opprimés), les adivasis (aborigènes), les femmes et les membres des minorités religieuses ont été victimes de la discrimination exercée par la police et par la justice pénale.

République de l’Inde
CAPITALE : New Delhi
SUPERFICIE : 3 065 027 km²
POPULATION : 1,081 milliard
CHEF DE L’ÉTAT : Abdul Kalam
CHEF DU GOUVERNEMENT : Atal Behari Vajpayee, remplacé par Manmohan Singh le 19 mai
PEINE DE MORT : maintenue
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé

Contexte
Les relations entre l’Inde et le Pakistan se sont améliorées ; des négociations ont été entamées et des mesures visant à instaurer un climat de confiance ont été mises en œuvre. Au mois de juillet, le gouvernement de l’Andhra Pradesh a levé l’interdiction qui frappait depuis huit ans le People’s War Group (PWG, Groupe de la guerre populaire), un mouvement naxalite (révolutionnaire maoïste), et six autres organisations qui lui sont liées. Des pourparlers de paix ont été engagés pour la première fois en octobre entre des agents de l’État et des représentants du PWG. Les tensions se sont accrues dans d’autres régions en proie à un conflit de faible intensité, notamment l’Assam et le Manipur.
Conduite par le Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), la National Democratic Alliance (NDA, Alliance nationale démocratique, au pouvoir) a perdu, de manière inattendue, les élections générales du mois de mai. L’UPA, dirigée par le Congress Party (Parti du Congrès), a formé un gouvernement de coalition. Manmohan Singh a été nommé Premier ministre après que Sonia Gandhi, dirigeante du Parti du Congrès, eut refusé d’exercer cette fonction.
Le BJP, qui est resté au pouvoir dans plusieurs États, est revenu à un programme plus ouvertement nationaliste hindou.
Au moins 15 000 personnes ont trouvé la mort ou étaient portées disparues, et plus de 112 000 autres ont été déplacées par le tsunami du 26 décembre, qui a causé des dommages considérables dans les districts côtiers de l’Andhra Pradesh, du Kerala et du Tamil Nadu, ainsi que dans les territoires de l’Union indienne de Pondichéry et des îles Andaman et Nicobar. Des opérations de secours ont été lancées immédiatement au niveau local et national.

Violences contre les femmes

Malgré les efforts réalisés par les défenseurs des droits des femmes pour combattre les violences domestiques, l’Inde n’avait toujours pas adopté une législation d’ensemble pour faire face à ce problème endémique.
Le gouvernement n’a pas déposé dans les délais impartis ses rapports périodiques au Comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
La plupart des auteurs des viols et des massacres perpétrés au Gujarat en 2002 continuaient de bénéficier de l’impunité. Les musulmanes avaient été prises tout particulièrement pour cible lors des violences intercommunautaires. Plusieurs centaines de femmes, de jeunes filles et de fillettes avaient été menacées, violées et tuées ; certaines avaient été brûlées vives (voir ci-après).

Impunité

Les membres des forces de sécurité impliqués dans des violations des droits fondamentaux continuaient de bénéficier d’une quasi-impunité.
Au mois d’avril, des femmes de l’Association of Parents of Disappeared Persons in Jammu and Kashmir (Association des parents de « disparus » dans l’État de Jammu-et-Cachemire) ont été battues par des policiers alors qu’elles manifestaient à Srinagar contre l’impunité persistante dont bénéficiaient les responsables des « disparitions » dans cet État. Les autorités avaient reconnu en 2003 que 3 744 personnes avaient « disparu » depuis le déclenchement de l’insurrection en 1989 mais, selon des défenseurs des droits humains, le nombre réel était supérieur à 8 000. Aucune condamnation n’avait été prononcée à la fin de l’année.
Au Pendjab, la plupart des policiers responsables de violations graves des droits humains commises à l’époque de l’opposition radicale, au milieu des années 90, continuaient d’échapper à la justice, malgré les recommandations émises par plusieurs commissions d’enquête ainsi qu’à l’issue d’informations judiciaires.
Pour donner suite aux 2 097 cas de violations des droits humains recensés, la Commission nationale des droits humains avait ordonné au gouvernement de l’État du Pendjab de verser une compensation aux familles de 109 personnes mortes après une période de garde à vue. La culture de l’impunité qui s’est développée dans les années 90 restait très vive et des actes de torture et des mauvais traitements étaient toujours signalés.

Gujarat

En août, la Cour suprême a rendu un arrêt fondamental à propos des violences intercommunautaires perpétrées en 2002 dans l’État du Gujarat. Ces événements avaient été déclenchés à la suite de l’incendie d’un train, en février 2002, que des groupes nationalistes hindous avaient imputé aux musulmans et qui avait provoqué la mort de 59 hindous. Plus de 2 000 personnes, des musulmans pour la plupart, avaient été tuées dans les violences qui ont suivi. La Cour a ordonné le réexamen de plus de 2 000 plaintes classées sans suite par la police ainsi que de 200 procédures judiciaires qui s’étaient conclues par des acquittements.
En mars 2002, Bilqis Yakoob Rasool était enceinte de cinq mois quand elle a été victime d’un viol en réunion et a vu sa fille de trois ans tuée par des émeutiers. Elle a porté plainte, pour le viol et pour le massacre de 14 membres de sa famille. En janvier 2003, le dossier a été classé. Bien que la police ait affirmé n’avoir pas réussi à trouver les coupables, une enquête menée ultérieurement par le Bureau central d’enquêtes a révélé qu’elle avait en fait étouffé l’affaire. En avril 2004, 12 personnes ont été arrêtées pour viol et meurtre. Par ailleurs, six policiers ont été inculpés pour avoir tenté de dissimuler les faits et deux médecins ont été accusés d’avoir falsifié des rapports d’autopsie. La Cour suprême a ordonné, en août, le renvoi de l’affaire devant un tribunal d’un autre État. Le procès n’était pas terminé fin 2004.
Plusieurs membres de la famille de Zahira Sheikh ont été brûlés vifs dans l’incendie de la boulangerie Best Bakery de Baroda, en mars 2002. La procédure entamée contre 21 personnes accusées d’avoir mis le feu au magasin avait échoué en juin 2003, quand Zahira Sheikh et plusieurs témoins étaient revenus sur leurs déclarations après avoir reçu des menaces de mort. Au mois d’avril 2004, la Cour suprême a ordonné la tenue d’un nouveau procès dans l’État du Maharashtra. Elle a relevé des dysfonctionnements graves du système judiciaire, mais a également critiqué les autorités du Gujarat, leur reprochant d’avoir fermé les yeux sur les violences et protégé les responsables. La décision de la Cour suprême a été saluée par les défenseurs des droits humains comme un arrêt qui fera date. En novembre, Zahira Sheikh s’est de nouveau rétractée. Une requête a été introduite pour solliciter une enquête du Bureau central d’enquêtes sur ce fait nouveau.
Des requêtes demandant le renvoi de plusieurs procédures en cours devant des juridictions d’autres États étaient en instance à la fin de l’année.
Le nouveau gouvernement s’est engagé à promulguer une loi type de portée générale en vue de lutter contre les violences intercommunautaires.

Exactions commises par les groupes armés d’opposition

Des exactions imputables à des groupes armés - actes de torture, attaques et meurtres de civils, entres autres - ont été signalées dans des États du nord-est du pays ainsi qu’en Andhra Pradesh, au Bihar, dans le Jarkhand et au Bengale occidental.
Au Cachemire, des membres de groupes d’opposition ont pris des civils pour cible, tuant des proches d’agents de l’État ainsi que des personnes soupçonnées de travailler pour le gouvernement. Des civils sont également morts en raison de l’utilisation d’explosifs, qui frappent sans discrimination.
En avril, la militante des droits humains Asiya Jeelani a été tuée après que sa voiture, qui transportait des observateurs électoraux, eut heurté un engin explosif, de toute évidence posé par des membres de groupes d’opposition opposés aux élections. Le chauffeur a été tué et un membre de l’équipe, Khurram Pervez, a perdu une jambe.

Législation relative à la sécurité

En septembre, le gouvernement a tenu la promesse faite durant la campagne électorale d’abroger la Loi relative à la prévention du terrorisme, affirmant que son « utilisation manifestement abusive » avait entraîné des violations massives des droits humains. Le cas de toutes les personnes détenues en vertu de cette loi devait être réexaminé dans le délai d’un an. Toutefois, des modifications à la Loi relative à la prévention des activités illégales, dont certaines dispositions étaient identiques à celles de la loi sur le terrorisme, étaient source de préoccupation. La définition des « actes terroristes » restait vague et pouvait être interprétée de manière très large. Plusieurs États ont annoncé qu’ils allaient adopter des lois contenant des dispositions similaires à celles de la Loi relative à la prévention du terrorisme.
La Loi de 1958 relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées est restée en vigueur dans des « régions en proie à des troubles », notamment dans de larges secteurs du nord-est du pays. Un certain nombre de dispositions de cette loi étaient contraires aux normes internationales. Le texte autorisait par exemple les membres des forces de sécurité à procéder à des arrestations sans mandat et à tirer pour tuer dans des cas où leur vie n’était pas en danger. En outre, les membres des forces armées bénéficiaient de l’exemption des poursuites pour les actes commis dans le cadre de cette loi.
Le 11 juillet, Thangjam Manorama (également connue sous le nom de Henthoi) est morte après avoir été arrêtée en vertu de la Loi relative aux pouvoirs spéciaux des forces armées par des membres des Assam Rifles (Tirailleurs de l’Assam) dans la banlieue d’Imphal, dans l’État du Manipur. Le corps de cette femme a été retrouvé le jour même à quelques kilomètres de son domicile ; il présentait, semble-t-il, des traces de torture et de nombreux impacts de balles. Selon certaines sources, Thangjam Manorama avait été violée. Les forces de sécurité ont tenté de réprimer les manifestations organisées par des groupes de citoyens et de défense des droits des femmes en interpellant les manifestants et en tirant sur eux, blessant de très nombreuses personnes. Une information judiciaire était en cours fin 2004.
Les autorités de certains États continuaient d’utiliser la Loi de 1987 relative à la prévention des activités terroristes et déstabilisatrices, devenue caduque, pour emprisonner et harceler des opposants politiques et des défenseurs des droits humains.

Peine de mort

Au moins 23 personnes ont été condamnées à mort et une exécution a été signalée. Le gouvernement indien ne publiait pas de statistiques sur les prisonniers sous le coup d’une sentence capitale, mais Amnesty International restait préoccupée par le maintien prolongé de détenus dans le couloir de la mort, qui constituait une peine cruelle, inhumaine et dégradante.
Dhananjoy Chatterjee a été pendu en août. Détenu depuis treize ans, il avait été reconnu coupable, en 1990, de viol et de meurtre. Il s’agissait de la première exécution signalée en Inde depuis 1997.

Défenseurs des droits humains

Des défenseurs des droits humains ont été harcelés et agressés dans de nombreuses régions de l’Inde.
Le 21 août, au moins 13 membres de l’Association pour la protection des droits démocratiques ont été agressés dans le Grand Calcutta, au Bengale occidental, apparemment par des partisans du parti au pouvoir. Une soixantaine de personnes ont attaqué un rassemblement pacifique et ont battu et frappé les participants à coups de pied. Le poste de police était distant de moins de 50 mètres, mais les agents n’auraient rien fait pour aider les membres de l’association ni les protéger jusqu’au départ des agresseurs, quelques heures plus tard. Plusieurs blessés graves ont dû recevoir des soins à l’hôpital.

Droits économiques, sociaux et culturels

Malgré une amélioration de la situation économique ces dernières années, on dénombrait encore quelque 300 millions de personnes vivant dans la pauvreté.
En octobre, un porte-parole du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme a déclaré que le taux d’infection par le virus du sida était en hausse et que l’Inde était peut-être le pays qui avait le plus grand nombre de personnes séropositives au VIH.

Bhopal, vingt ans après

Vingt ans après une fuite de gaz toxique dans une usine de pesticides d’Union Carbide Corporation (UCC) à Bhopal, le site n’avait toujours pas été nettoyé et les déchets toxiques continuaient de polluer l’environnement et la nappe phréatique. Plus de 7 000 personnes sont mortes dans les jours qui ont suivi la catastrophe, en 1984, et 15 000 autres les années suivantes en raison de leur exposition aux produits toxiques. Des dizaines de milliers d’autres souffrent de pathologies chroniques et débilitantes. Les victimes n’ont pas été indemnisées et n’ont pas bénéficié de mesures de réadaptation ni de soins médicaux. Aucune responsabilité n’a été établie. UCC et Dow Chemical - qui a racheté UCC en 2001 - ont déclaré publiquement qu’ils n’étaient pas responsables de la fuite de gaz toxique ni de ses conséquences. UCC a refusé de comparaître devant un tribunal de Bhopal et le gouvernement indien a fini par conclure, en 1989, un accord définitif. Celui n’était pas satisfaisant et, par ailleurs, les indemnités prévues n’ont pas été intégralement versées. Vers le milieu de l’année 2004, la Cour suprême a ordonné le versement des dommages et intérêts restant dus aux victimes de la fuite de gaz. Aux côtés de victimes et d’autres militants, Amnesty International a réclamé une décontamination immédiate du site et de l’environnement, l’octroi d’une réparation aux victimes et la comparution en justice des responsables de la catastrophe.

Visites d’Amnesty International

Des délégués d’Amnesty International ont participé, en janvier, au Forum social mondial de Mumbai ; ils ont évoqué, entre autres, le contrôle des armes, l’obligation pour les entreprises de rendre compte de leurs actes et les violences contre les femmes.

Autres documents d’Amnesty International
. Open letter on human rights defenders attacked in West Bengal (ASA 20/095/2004).
. Inde. Pendjab : vingt ans plus tard, l’impunité continue de régner (ASA 20/099/2004).
. Inde. Les nuages de l’injustice. La catastrophe de Bhopal, vingt ans après (ASA 20/104/2004).

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