LIBYE

Les observateurs internationaux de la situation des droits humains, et Amnesty International en particulier, ont de nouveau été autorisés à se rendre dans le pays. En cours d’année, les autorités avaient annoncé diverses réformes, notamment l’abolition possible du Tribunal populaire et une réduction du champ d’application de la peine de mort. Toutefois, peu de progrès ont été accomplis pour établir la vérité concernant les morts en détention signalées au cours des années précédentes. Les autorités n’ont fourni aucun éclaircissement sur les violations des droits humains commises dans le passé, notamment sur les « disparitions ». Les prisonniers d’opinion incarcérés les années précédentes sont restés en détention. Les dispositions législatives érigeant en infraction pénale les activités politiques non violentes étaient toujours en vigueur. Les forces de sécurité procédaient toujours à des arrestations arbitraires pour des motifs politiques. Les personnes concernées étaient maintenues en détention au secret, sans inculpation, pendant de longues périodes. Les immigrés et les demandeurs d’asile ne bénéficiaient d’aucune protection. Comme les années précédentes, des procès inéquitables se sont déroulés devant le Tribunal populaire. Des condamnations à mort ont également été prononcées.

Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste
CAPITALE : Tripoli
SUPERFICIE : 1 759 540 km²
POPULATION : 5,7 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Mouammar Kadhafi
CHEF DU GOUVERNEMENT : Choukri Mohamed Ghanem
PEINE DE MORT : maintenue
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifié

Contexte

La Libye a renoué des relations diplomatiques avec l’Union européenne et les États-Unis après avoir annoncé, fin 2003, sa volonté d’arrêter ses programmes en matière d’armes de destruction massive. La normalisation des relations a également été rendue possible par l’aboutissement des négociations avec l’Allemagne et la France à propos de deux attentats à l’explosif - en 1986, trois personnes avaient été tuées et quelque 250 autres blessées par l’explosion d’une bombe dans la discothèque La Belle, à Berlin, et en 1989, l’explosion du vol UTA 772 au-dessus du Niger avait entraîné la mort de 170 personnes. En avril, lors de sa première visite officielle en Europe depuis quinze ans, le colonel Mouammar Kadhafi a été reçu par la Commission européenne, en Belgique. En octobre, l’Union européenne a annoncé la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Libye, dans le cadre d’une coopération renforcée pour lutter contre l’immigration clandestine.

En mars, à la suite d’un remaniement ministériel, le secrétariat du Comité populaire général de la Justice et de la Sécurité publique a été divisé en deux entités distinctes chargées respectivement de la Justice et de la Sécurité publique.

En avril, le colonel Kadhafi a préconisé l’adoption d’une série de réformes législatives et institutionnelles. Ces dernières comprenaient l’abolition du Tribunal populaire, une juridiction d’exception chargée des affaires à caractère politique, et le transfert de ses compétences aux tribunaux ordinaires, ainsi qu’une application plus stricte de la législation libyenne et une restriction de l’application de la peine de mort aux crimes les plus graves.

En juin, la Libye a ratifié le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. En août, les autorités ont informé Amnesty International que la Libye avait entamé le processus de ratification de plusieurs autres traités régionaux et internationaux relatifs aux droits humains.

Visite d’Amnesty International

En février, pour la première fois depuis quinze ans, une délégation d’Amnesty International s’est rendue en Libye afin d’y mener des recherches et des entretiens concernant la situation des droits humains. Fait sans précédent, les délégués ont pu rencontrer des prisonniers d’opinion et des prisonniers politiques. Ils se sont aussi longuement entretenus avec le colonel Mouammar Kadhafi et des responsables gouvernementaux, ainsi qu’avec des membres de l’appareil judiciaire et des avocats. À tous les niveaux, les responsables libyens se sont montrés disposés à aborder les sujets de préoccupation de l’organisation.

Au mois d’août, les autorités ont fourni une réponse détaillée au rapport intitulé Il est temps que les droits humains deviennent une réalité (MDE 19/002/2004, publié en avril). Cette réponse a démontré la volonté du gouvernement libyen de prendre en compte les préoccupations d’Amnesty International. Elle mentionnait, entre autres points positifs, des projets de réformes législatives et institutionnelles dont bon nombre avaient déjà été évoquées en avril par le colonel Kadhafi.

Liberté d’expression et d’association

La législation interdisait toujours la formation d’associations ou de partis indépendants du système politique en place. Hormis la Société des droits humains de la Fondation Kadhafi pour les organisations caritatives, dirigée par Saif al Islam Kadhafi, l’un des fils du chef de l’État, les organisations ou les personnes souhaitant agir dans ce domaine se heurtaient toujours à un grand nombre d’obstacles.
Un projet de code pénal annoncé par les autorités en 2003 a été examiné par un comité de juristes experts réunis à l’époque par le secrétariat du Comité populaire général de la Justice et de la Sécurité publique. Il a ensuite été transmis pour examen et débat aux Congrès populaires de base, des assemblées locales dotées d’un pouvoir décisionnel. Le projet, dont Amnesty International a reçu le texte en février, maintenait un certain nombre de dispositions contraires aux obligations de la Libye au regard du droit international ; il prévoyait notamment la peine de mort pour des activités assimilables au simple exercice pacifique de la liberté d’expression et d’association.

Bien que les autorités aient persisté à nier catégoriquement l’existence de prisonniers d’opinion dans le pays, de très nombreuses personnes étaient maintenues en détention pour de simples activités ou opinions politiques non violentes.
 En décembre, la Cour d’appel populaire a confirmé les condamnations à mort d’Abdullah Ahmed Izzedin et de Salem Abu Hanak ainsi que les peines - allant de dix ans d’emprisonnement à la détention à perpétuité - prononcées contre 83 autres personnes. Ces sentences avaient initialement été rendues en 2002. Amnesty International considérait ces 85 condamnés comme des prisonniers d’opinion car ils n’avaient pas usé de violence ni préconisé son usage. La Cour d’appel a également confirmé l’acquittement de 66 autres accusés. La loi libyenne prévoit que les deux sentences capitales seront examinées par la Cour suprême et, si elles sont confirmées, soumises au Conseil suprême des organes judiciaires, la plus haute instance judiciaire du pays, qui statuera en dernier ressort.

Les condamnations auraient été prononcées par contumace, les accusés ayant, semble-t-il, refusé de comparaître en signe de protestation. Ils avaient déjà observé des grèves de la faim en avril et en octobre pour dénoncer, entre autres, leur maintien en détention prolongée.

Il s’agissait de membres des professions libérales et d’étudiants arrêtés à partir de juin 1998 et soupçonnés d’être des adhérents ou des sympathisants du groupe interdit Al Jamaa al Islamiya al Libiya (Groupe islamique libyen), également connu sous le nom d’Al Ikhwan al Muslimin (Frères musulmans). Inculpés aux termes de la Loi 71 de 1972, qui interdit les partis politiques, ils avaient été condamnés, à l’issue d’un procès ne respectant pas les normes internationales d’équité, pour avoir simplement exprimé de manière pacifique leurs idées et s’être réunis en secret pour en débattre avec d’autres personnes.

La sécurité intérieure aurait cette année encore procédé à des détentions au secret. Selon de nombreuses informations, des actes de torture et des mauvais traitements étaient infligés pendant ces détentions, essentiellement pour obtenir des « aveux », semblait-il.
 Le prisonnier d’opinion Fathi al Jahmi a été libéré en mars après avoir été condamné par la Cour d’appel populaire à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis. Il était détenu depuis 2002 car il avait, selon les informations recueillies, réclamé des réformes lors d’une session du Congrès populaire de base à Al Manshia, dans le quartier de Ben Achour, à Tripoli. Il aurait été de nouveau arrêté quinze jours plus tard à son domicile de Tripoli avec sa femme, Fawzia Abdullah Gogha, et son fils aîné, Muhammad Fathi al Jahmi. Ils auraient été privés de tout contact avec l’extérieur, y compris avec un avocat et leurs proches, pendant toute la durée de leur détention, dont le lieu était tenu secret. Les autorités ont déclaré à Amnesty International que cet homme était détenu pour que sa sécurité soit garantie, étant donné le tollé qu’auraient suscité ses interviews après sa sortie de prison.
Muhammad Fathi al Jahmi et Fawzia Abdullah Gogha ont été libérés respectivement en septembre et en novembre, mais leur père et époux, Fathi al Jahmi, a été maintenu en détention. Son procès se serait ouvert devant le Tribunal populaire en novembre. Il aurait été accusé d’avoir diffamé le Guide de la Révolution et entretenu des contacts avec des groupes étrangers.

Procès inéquitables

Des procès ne respectant pas les normes élémentaires d’équité continuaient de se dérouler devant le Tribunal populaire, bien que le colonel Kadhafi ait réclamé la suppression de cette juridiction ; un projet de loi en ce sens était, semble-t-il, examiné par les organes législatifs nationaux et locaux.
 En décembre, le Tribunal populaire aurait condamné à mort une vingtaine d’hommes et 158 autres à la prison à vie, en raison de leur appartenance présumée au Groupe islamique combattant libyen. Mustapha Muhammad Krer, un Libyen ayant aussi la nationalité canadienne, faisait partie des condamnés à perpétuité. Cet homme aurait rencontré son avocat pour la première fois lors de sa comparution, près de deux ans après son arrestation. On lui aurait également refusé le droit de choisir un avocat. Il avait quitté la Libye en 1989 car il était apparemment recherché par les autorités à la suite de l’arrestation de son frère, Al Mukhtar Muhammad Krer, et était rentré dans son pays en 2002 après que sa famille eut été informée de la mort en détention de ce dernier.

Peine de mort

Bien que le colonel Kadhafi ait déclaré son opposition à la peine capitale - il avait réaffirmé cette position en février devant Amnesty International -, des condamnations à mort continuaient d’être prononcées, notamment à l’issue de procès inéquitables.
 En mai, six professionnels de la santé arrêtés en 1999 - cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien - ont été condamnés à mort et devaient être passés par les armes. Ils étaient accusés d’avoir volontairement inoculé le VIH à 426 enfants, à l’hôpital Al Fateh de Benghazi. Un sixième accusé de nationalité bulgare a été condamné à quatre ans d’emprisonnement. Neuf Libyens ont été acquittés. En février, les accusés avaient déclaré aux représentants d’Amnesty International que leurs « aveux », rétractés par la suite, avaient été obtenus sous la torture ; les méthodes employées comprenaient les décharges électriques, les coups et la suspension par les poignets. Le procès en appel devant la Cour suprême devait s’ouvrir en 2005. Huit membres des forces de sécurité, ainsi qu’un médecin et un traducteur qui travaillaient pour eux, ont été inculpés sur la base des allégations de torture. Ils ont comparu en même temps que les professionnels de la santé libyens et étrangers devant le même tribunal de Benghazi. Celui-ci s’est déclaré incompétent, en mai, pour examiner leur cas. Les tortionnaires présumés n’avaient toujours pas été jugés fin 2004.

Migrants et demandeurs d’asile

La Libye a ratifié, en juin, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Toutefois, elle n’avait toujours pas ratifié la Convention relative au statut des réfugiés ni le Protocole relatif au statut des réfugiés et aucune procédure nationale de demande d’asile n’avait été mise en place fin 2004. En l’absence d’un cadre de protection légal, les garanties des droits des réfugiés étaient gravement compromises.

L’arrestation de nombreuses personnes originaires de pays de l’Afrique subsaharienne a été signalée. Parmi elles se trouvaient peut-être des demandeurs d’asile. Certaines risquaient d’être renvoyées dans leur pays d’origine où elles seraient exposées à de graves atteintes aux droits humains. De nombreuses informations ont fait état de mauvais traitements infligés à ces détenus.
 En octobre, des centaines de migrants, originaires pour la plupart d’Afrique du Nord, ont été expulsés d’Italie vers la Libye en vertu d’un accord bilatéral. Ils auraient été arrêtés à leur arrivée en Libye et privés de tout contact avec le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
 En juillet, plus de 110 personnes détenues en Libye ont été renvoyées de force en Érythrée, où elles risquaient d’être torturées. Arrêtées à leur arrivée, elles ont été placées en détention au secret dans un lieu inconnu.
 En août, les autorités ont tenté de renvoyer dans leur pays 76 Érythréens, dont six enfants. Certains d’entre eux ont détourné l’avion qui les transportait et l’ont contraint à atterrir à Khartoum, la capitale du Soudan, où ils ont tous demandé l’asile. Beaucoup se sont plaints d’avoir été maltraités et privés de soins médicaux pendant leur détention en Libye.

Mise à jour

 Sept Érythréens, qui avaient été maintenus illégalement en détention après l’expiration de leur peine de trois mois d’emprisonnement pour entrée clandestine en Libye en 2002, ont recouvré la liberté. Ils avaient fui leur pays pour se réfugier au Soudan, puis en Libye, où ils avaient été arrêtés en 2002 alors qu’ils tentaient de traverser la Méditerranée dans l’espoir de pouvoir solliciter l’asile en Italie.

Violations des droits humains commises dans le passé
Comme les années précédentes, les autorités n’ont pris aucune mesure concernant les violations des droits humains des années précédentes, notamment les emprisonnements de longue durée pour motif politique, les « disparitions » et les morts en détention.
 En août, une enquête a été ouverte au Liban sur la « disparition » de l’imam Moussa al Sadr - un éminent dignitaire chiite disparu en 1978 en Libye en même temps que deux autres personnes - après que ses proches eurent intenté une action en justice. Les avocats de la famille Al Sadr ont réclamé la mise en accusation de 18 responsables gouvernementaux libyens, que le parquet libanais a convoqués aux fins d’interrogatoire pour mars 2005.
 On ignorait toujours le sort exact de nombreux prisonniers tués ou « disparus » à la prison d’Abou Salim, à Tripoli, en 1996. En février, le colonel Kadhafi a indiqué à Amnesty International que des affrontements armés s’étaient produits entre des gardes et des prisonniers ; à la connaissance de l’organisation, il s’agissait de la première reconnaissance officielle de ces événements par les autorités libyennes. En avril, le colonel Kadhafi a affirmé que les familles avaient le droit de savoir ce qui était arrivé à leurs proches. Toutefois, à la fin de l’année, aucune enquête approfondie, indépendante et impartiale n’avait apparemment été ordonnée sur les morts en détention signalées au cours des années précédentes, notamment celles de la prison d’Abou Salim.

Autres documents d’Amnesty International

 Libye. Il est temps que les droits humains deviennent une réalité (MDE 19/002/2004).

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