MAROC ET SAHARA OCCIDENTAL

L’Instance équité et réconciliation (IER) a été mise en place afin d’examiner les centaines de cas de « disparition » et de détention arbitraire survenus au cours des décennies passées. Les autorités ont poursuivi leur campagne de répression des activités des militants islamistes présumés ; plus de 200 personnes se sont vu infliger des peines d’emprisonnement. Plusieurs de ces condamnés se sont plaints d’avoir été torturés pendant leur interrogatoire par les forces de sécurité. D’autres violations du droit à un procès équitable ont été signalées. Les autorités ont rédigé un projet de loi visant à combattre la torture et elles ont annoncé, en juillet, l’ouverture d’enquêtes sur les allégations de torture datant de 2002 et de 2003. Le cadre législatif des droits des femmes a été nettement amélioré. Trente-trois personnes, parmi lesquelles figuraient des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion, ont bénéficié d’une amnistie royale.

Royaume du Maroc
CAPITALE : Rabat
SUPERFICIE : 710 850 km²
POPULATION : 31,1 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Mohammed VI
CHEF DU GOUVERNEMENT : Driss Jettou
PEINE DE MORT : abolie en pratique
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé

Contexte

Au mois de juin, les États-Unis ont accordé au Maroc le statut d’« allié privilégié non membre de l’OTAN », apparemment pour le remercier de ce qu’un responsable gouvernemental américain a qualifié de « soutien résolu dans la guerre planétaire contre le terrorisme ». Ce statut a entraîné la levée des restrictions qui pesaient sur les ventes d’armes. Les États-Unis ont également signé un accord de libre-échange avec le Maroc.

L’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, James Baker, a démissionné en juin après avoir tenté sans succès durant sept ans de trouver une solution au conflit sur le statut de ce territoire. Les efforts du Maroc pour convaincre la communauté internationale de ses droits souverains sur le Sahara occidental ont connu un revers en septembre, lorsque l’Afrique du Sud a établi des relations diplomatiques avec le Frente Popular para la Liberación de Saguia el Hamra y Río de Oro (Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro, connu sous le nom de Front Polisario). Ce mouvement indépendantiste a mis en place un gouvernement en exil autoproclamé dans les camps de réfugiés situés à proximité de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie. Cette initiative a déclenché une nouvelle guerre de communiqués entre le Maroc et l’Algérie.

Instance équité et réconciliation (IER)

Le roi Mohammed VI a inauguré, le 7 janvier, l’Instance équité et réconciliation, instaurée pour clore le dossier des atteintes aux droits humains commises dans le passé. L’une des tâches de cette commission consiste à mener à son terme l’indemnisation des victimes de « disparition » et de détention arbitraire survenues entre les années 50 et 90. Elle est également chargée d’offrir d’autres formes de réparation aux victimes, afin de permettre leur réadaptation et leur réinsertion dans la société, et de proposer des mesures propres à prévenir la répétition de ces atteintes aux droits humains. À cette fin, les membres de la commission ont consulté des victimes et des associations qui les représentent sur toute une série de possibilités. Au mois de décembre, la commission avait reçu plus de 16 000 demandes de réparation.

D’autre part, la commission a pour mandat d’élucider le sort de centaines de personnes « disparues » au cours des dernières décennies et de déterminer, pour celles qui sont mortes en détention, où se trouve leur corps. Au cours de l’année, elle a recueilli les témoignages de proches de « disparus » et a commencé à rédiger un rapport, qui doit être remis en avril 2005, afin d’exposer les motifs et les responsabilités institutionnelles concernant les atteintes graves aux droits humains commises jusqu’en 1999. En décembre, la commission a commencé à organiser des auditions publiques retransmises par la radio et la télévision nationales, au cours desquelles des dizaines de victimes et de témoins devaient être entendus.

Toutefois, les statuts de la commission excluaient de manière catégorique l’identification des personnes responsables, ainsi que toute poursuite pénale. Aussi le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est-il déclaré, en novembre, préoccupé par le fait qu’aucune mesure ne prévoyait la comparution en justice des responsables de « disparitions ». Plusieurs d’entre eux seraient toujours membres des forces de sécurité, occupant même dans certains cas des postes de commandement.

Atteintes aux droits humains commises lors de la campagne « antiterroriste »

Les autorités ont poursuivi leur campagne de répression des activités de militants islamistes présumés. Lancée en 2002, elle avait été renforcée à la suite des attentats à l’explosif perpétrés à Casablanca le 16 mai 2003, qui avaient fait 45 victimes. Plus de 200 personnes, reconnues coupables d’appartenance à une « association de malfaiteurs » ou d’organisation d’actions violentes, ont été condamnées à des peines allant de quelques mois d’emprisonnement à la détention à perpétuité. Les personnes condamnées à mort en 2003 étaient toujours détenues à la fin de l’année. Aucune exécution n’a eu lieu au Maroc ni au Sahara occidental depuis 1993. Plusieurs personnes condamnées en 2004 auraient été contraintes sous la torture de faire des « aveux » ou d’apposer leur signature ou l’empreinte de leur pouce sur des déclarations qu’elles récusaient. D’autres violations du droit à un procès équitable ont été signalées, notamment le rejet fréquent par les tribunaux des requêtes introduites par les avocats pour solliciter la citation de témoins à décharge.

En février, Amnesty International a adressé aux autorités marocaines une communication dans laquelle elle exposait les conclusions de ses recherches sur le recours à la torture en 2002 et en 2003 contre des dizaines de suspects détenus au secret par la Direction de la surveillance du territoire (DST), le service de sécurité intérieure. Les autorités ont, dans un premier temps, rejeté ces allégations en affirmant qu’elles étaient sans fondement. Elles ont reconnu par la suite l’existence probable d’un nombre limité d’atteintes aux droits humains et, en juillet, le Premier ministre a annoncé que des investigations seraient menées et des « mesures appropriées » prises contre les responsables de tels agissements. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes et un projet de loi visant à combattre la torture a été élaboré.
En novembre, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a exprimé sa préoccupation à propos du nombre important de cas de torture et de mauvais traitements en détention signalés ; il a déploré l’absence d’enquêtes sur ces allégations.

Droits des femmes

Un nouveau Code de la famille, qui améliore nettement le cadre législatif des droits des femmes, a été promulgué le 3 février. Il confère aux époux une responsabilité égale et conjointe au sein de la famille, ainsi que pour l’éducation des enfants ; il abroge en outre le devoir d’obéissance de la femme envers son mari. L’âge minimum du mariage pour les jeunes filles est passé de quinze à dix-huit ans - ce qui correspond à l’âge légal pour les garçons - et l’obligation faite aux femmes d’avoir un tuteur matrimonial (wali) de sexe masculin a été supprimée. Par ailleurs, de sévères restrictions ont été imposées à la polygamie. Le nouveau Code a instauré le droit au divorce par consentement mutuel ainsi qu’un contrôle judiciaire strict sur le divorce unilatéral à l’initiative de l’époux. Toutefois, les dispositions relatives au droit à l’héritage, qui sont discriminatoires à l’égard des femmes, sont restées largement inchangées.

En novembre, confirmant les conclusions des organisations locales de défense des droits des femmes, le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est déclaré préoccupé par l’ampleur des violences domestiques au Maroc.

Amnistie de prisonniers politiques

Le 7 janvier, 33 personnes, dont des prisonniers politiques et des prisonniers d’opinion, ont bénéficié d’une amnistie proclamée par le roi Mohammed VI. Parmi ces détenus figuraient des défenseurs des droits humains, des journalistes et des militants islamistes et notamment Ali Lmrabet, un journaliste condamné à trois ans d’emprisonnement en juin 2003, et Ali Salem Tamek, militant sahraoui des droits humains condamné, en octobre 2002, à une peine de deux ans d’emprisonnement.

Droits des migrants

Des centaines de migrants, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne, ont été arrêtés et expulsés. Certains ont affirmé que les forces de sécurité avaient fait une utilisation excessive de la force au moment de leur interpellation ; d’autres se sont plaints d’avoir été torturés ou maltraités en détention. Deux Nigérians morts au mois d’avril auraient été abattus par les forces de sécurité à proximité de la frontière avec l’enclave espagnole de Melilla. Les autorités ont ouvert une enquête.

La rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants a publié, en janvier, un rapport rédigé à la suite de sa visite au Maroc en octobre 2003. Elle a exprimé sa préoccupation à propos de la situation des migrants originaires des pays de l’Afrique subsaharienne, qui « vivent dans des conditions lamentables ». Elle a fait observer que « beaucoup d’entre eux, qui fuient leur pays en conflit, n’ont pas toujours la garantie de pouvoir matériellement bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié et de voir examiner leurs demandes d’asile avant d’être reconduits à la frontière ». Elle a en outre constaté qu’« il n’y aurait pas d’informations claires sur le statut des réfugiés parmi les autorités chargées du contrôle de l’ordre public, des frontières aériennes, maritimes, terrestres et les autorités judiciaires ». Enfin, elle a recommandé, entre autres, « la formulation d’un plan d’action pour la protection des droits des migrants à travers la formation des autorités judiciaires, l’accessibilité aux mécanismes de recours, la sensibilisation et des campagnes d’information ».

Expulsion de journalistes

Au moins cinq journalistes étrangers qui réalisaient des reportages sur le Sahara occidental ont été expulsés, les autorités tentant, semble-t-il, d’empêcher la diffusion d’informations indépendantes sur ce territoire. Les expulsions n’ont été précédées d’aucune décision de justice et les journalistes n’ont pas été autorisés à contester la mesure prise contre eux ni obtenir le réexamen de leur cas par une autorité judiciaire.
 Catherine Graciet, journaliste française, et Nadia Ferroukhi, photographe franco-algérienne, ont été interpellées le 27 janvier par des hommes en civil à un barrage de police, alors qu’elles se rendaient au Sahara occidental pour réaliser un reportage sur les conditions de vie dans ce territoire. Retenues une nuit dans un hôtel, les deux femmes ont ensuite été emmenées à Agadir, où elles auraient été interrogées par des policiers en civil avant d’être contraintes de prendre un avion pour la France. Elles ont expliqué qu’on leur avait reproché de ne pas avoir prévenu les autorités marocaines de leur intention de faire un reportage sur le Sahara occidental avant de se rendre dans la région. Selon des sources officielles, ces journalistes ont été expulsées car elles étaient soupçonnées de faire de la « propagande » en faveur du Front Polisario et avaient été trouvées en possession de nombreux documents favorables à la position de ce mouvement.

Camps du Front Polisario

Le Front Polisario a libéré 200 prisonniers de guerre marocains capturés entre 1975 et 1991 et détenus dans les camps du mouvement à proximité de Tindouf, dans le sud-ouest de l’Algérie. La moitié d’entre eux ont recouvré la liberté en février et les autres en juin. Ils ont été rapatriés sous les auspices du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Toutefois, 412 autres personnes étaient maintenues en détention à la fin de l’année. Aux termes du droit international, le Front Polisario aurait dû libérer les prisonniers sans délai après la fin des hostilités, en 1991, à la suite d’un cessez-le-feu conclu sous l’égide des Nations unies.

Les auteurs d’atteintes aux droits humains commises dans le passé dans ces camps continuaient de jouir de l’impunité. Ceux qui s’y trouvaient encore n’avaient toujours pas été remis par le Polisario aux autorités algériennes pour être déférés à la justice. Quant au gouvernement marocain, il n’avait pas traduit en justice les personnes présentes sur son territoire et soupçonnées d’atteintes aux droits humains dans les camps du Polisario.

Autres documents d’Amnesty International
 Maroc et Sahara occidental. « Lutte contre le terrorisme » et recours à la torture : le cas du centre de détention de Témara (MDE 29/004/2004).

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