Les campagnes de 2005

En 2005, les objectifs des campagnes d’Amnesty International étaient notamment les suivants : porter un coup d’arrêt à la violence faite aux femmes, imposer des contrôles sur le commerce des armes et mettre fin au recours à la torture dans la « guerre contre le terrorisme ».

Lors du Forum social mondial qui s’est tenu au Brésil en janvier, Amnesty International a joint sa voix à celles d’autres organisations non gouvernementales (ONG) et groupes de militants pour réclamer un monde meilleur. Entre autres thèmes abordés par le Forum, on peut citer les luttes sociales et les alternatives démocratiques, la démilitarisation, l’indépendance économique, les droits humains et la dignité humaine. Les militants d’Amnesty International, d’autres ONG et de groupes intervenant sur le terrain ont conjointement organisé des séminaires sur les femmes défendant les droits humains et sur les violations commises par les entreprises. Ils ont aussi lancé un appel à participer à la campagne Contrôlez les armes.

Le travail de campagne d’Amnesty International a continue de s’appuyer sur les efforts que peuvent déployer des individus qui apportent leur soutien à d’autres individus. Dans 35 pays, les membres des sections d’Amnesty International ont célébré la Journée des droits de l’homme, le 10 décembre, en écrivant 80 000 lettres dans le cadre d’un marathon mondial de rédaction de letters - une manifestation annuelle lancée en 2001 par la section polonaise. Chaque année, les sympathisants d’Amnesty International se réunissent pour rédiger simultanément des lettres, des courriers électroniques ou des fax adressés aux gouvernements ; ils les exhortent à commuer les condemnations à mort, à mettre fin à la torture, à libérer les prisonniers d’opinion et à protéger les personnes dont les droits humains sont menacés. Certains participants ne restent que quelques minutes, mais d’autres sont présents du début à la fin du marathon de vingt-quatre heures. De plus en plus de sections voient dans cette initiative un moyen efficace d’attirer de nouveaux sympathisants.

Toujours en décembre, Amnesty International a lancé sa campagne Make Some Noise, un cocktail de musique, de festivités et d’actions visant à soutenir le travail de l’organisation. Grâce au don extraordinaire de Yoko Ono, qui a cede les droits d’enregistrement d’Imagine et de tout le repertoire solo de John Lennon, Amnesty International tire parti du pouvoir de la musique pour inciter une nouvelle generation à se mobiliser en faveur des droits humains. Les chansons que John Lennon a écrites pour réagir contre l’injustice, la pauvreté et la guerre n’ont rien perdu de leur actualité, et des artistes du monde entier en ont enregistré de nouvelles versions qui pourront être téléchargées, pendant un an, exclusivement à l’adresse http://www.amnesty.org/noise. Dans le courant de l’année 2005, Make Some Noise a mis en avant la campagne en faveur de contrôles plus stricts sur le commerce des armes.

Quel que soit le domaine d’intervention, les activités des membres, des sympathisants et du personnel d’Amnesty International ont toutes le même objectif : aider les victims d’atteintes aux droits humains et les personnes qui se mobilisent pour les défendre, et influer sur les individus qui ont le pouvoir de faire changer les choses.

Un lien humain

Les campagnes d’Amnesty International doivent constamment relever de nouveaux défis et s’adapter à un monde qui change et à des préoccupations qui évoluent. Les membres de l’organisation restent néanmoins fidèles à leurs engagements, à savoir œuvrer avec et pour ceux qui s’exposent à des atteintes à leurs droits fondamentaux et dénoncer les effets de ces agissements. Les récits individuels témoignent avec force des atteintes aux droits humains qui sont commises un peu partout dans le monde. Mieux que les chiffres et les statistiques, les témoignages des hommes, des femmes et des enfants qui ont assisté à des homicides ou vécu les affres de la torture ou d’un conflit armé peuvent inciter et motiver d’autres personnes à offrir leur soutien et à se montrer solidaires. En essayant de réparer les préjudices causés, Amnesty International veille à ce que l’être humain demeure au cœur de son action.

La torture et la « guerre contre le terrorisme »
Au fur et à mesure que l’interdiction internationale de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants était bafouée et remise en cause par le gouvernement des États-Unis, suivi par d’autres pays, Amnesty International s’est élevée contre les arguments de ceux qui tentaient de justifier le recours à des méthodes d’interrogatoire brutales - et depuis longtemps illégales - par les circonstances de la « guerre contre le terrorisme ». Dans son rapport intitulé Cruels. Inhumains. Et toujours dégradants. Non à la torture et aux mauvais traitements dans la « guerre contre le terrorisme » (ACT 40/010/2005), l’organisation s’inscrit en faux contre l’affirmation des États qui prétendent que la menace terroriste les autorise à ne plus respecter la totalité des droits humains figurant dans les normes qu’ils ont préalablement approuvées. Il y a de nombreuses années, les gouvernements du monde entire ont décidé d’un commun accord que la torture et les autres mauvais traitements étaient toujours répréhensibles et ils ont inscrit dans le droit international qu’aucune circonstance ne justifiait le recours à de tels actes.

Cruels. Inhumains. Toujours dégradants

La torture et les autres mauvais traitements sont interdits par le droit international coutumier, qui s’applique à tous les États et n’admet aucune exception, pas même en temps de guerre ou en cas de péril menaçant l’ordre public. Or, ce consensus est aujourd’hui remis en cause : le gouvernement des États-Unis affirme en effet qu’il est légitime de refuser la protection de ces norms internationales aux personnes arrêtées dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » .
Avec la complicité d’autres États, les États-Unis ont enlevé des individus dans différentes régions du monde, les ont détenus en secret, illégalement transférés d’un pays à l’autre (« restitutions ») et soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements. De hauts responsables américains ont autorisé le recours à des methods d’interrogatoire cruelles, inhumaines ou dégradantes, qui peuvent être qualifiées d’actes de torture.
Amnesty International fait campagne pour que le gouvernement des États-Unis et ceux qui lui emboîtent le pas mettent fin à la torture et aux autres mauvais traitements, pour que le camp de Guantánamo soit fermé, pour que tous les autres sites de détention utilisés dans la « guerre contre le terrorisme » puissent être inspectés par des experts internationaux et indépendants, et pour qu’il soit mis un terme aux transferts illégaux de détenus d’un pays à l’autre.
Amnesty International demande aussi une enquête sur les méthodes de détention et d’interrogatoire utilisées par les États-Unis dans le monde entier, et l’ouverture de poursuites judiciaires contre les responsables présumés d’actes de torture et d’autres mauvais traitements, quel que soit le lieu où ces actes ont été commis.

Avec la « guerre contre le terrorisme », la torture a acquis une nouvelle légitimité dans les cercles dirigeants des États-Unis. Le gouvernement Britannique s’est associé à cette offensive contre les droits humains, l’état de droit et l’indépendance de la justice.
Pour en avoir plus et participer aux appels à l’action, rendez-vous sur http://www.efai.amnesty.org/torture.

Pourtant, un an après le scandale de la prison d’Abou Ghraïb, en Irak, où était pratiquée la torture, les conditions étaient toujours réunies pour que cette pratique ait cours dans d’autres lieux de détention américains - en Afghanistan, en Irak, à Guantánamo (Cuba) et ailleurs. Plus d’un an après l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis, qui a statué que les tribunaux de ce pays étaient habilités à examiner tout recours formé par un détenu de Guantanámo, aucune requête n’avait encore été examinee par un tribunal, le gouvernement des États-Unis ayant tout fait pour qu’il en soit ainsi.

« Notre action serait trop difficile sans l’aide d’Amnesty International », déclarait en mars Sumi Khan, journaliste bangladaise et militante des droits humains. Elle a été frappée jusqu’à perdre conscience et a reçu des coups de couteau au visage et aux mains pour avoir dénoncé la corruption et diverses violations des droits humains, notamment un trafic d’enfants.

Conjointement avec l’ONG britannique Reprieve, Amnesty International a réuni à Londres, au mois de novembre, des anciens détenus de la « guerre contre le terrorisme », dans le cadre de sa campagne contre la torture et les autres mauvais traitements, que certains justifient au nom de la sécurité. Les récits des anciens détenus et de leur famille ont confirmé les informations de plus en plus nombreuses faisant état de détentions illégales, de transferts secrets par avion d’un pays à l’autre et du recours à la torture et aux mauvais traitements dans différents lieux de détention américains à travers le monde. Des ex-détenus ont expliqué avoir été maintenus, menottes aux poignets, dans des positions douloureuses et traumatisantes ; ils ont raconté la peur extrême, l’épuisement, le manque de soins médicaux, les coups, les os brisés.

« Un grand merci aux members d’Amnesty International du monde entier dont j’ai pu apprécier le soutien. »
Le professeur Iouri Bandajevski, prisonnier d’opinion biélorusse, a passé quatre ans derrière les barreaux à la suite d’accusations montées de toutes pièces. Il avait énergiquement critique la réaction des autorités après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Condamné à huit ans d’emprisonnement, il a bénéficié d’une libération conditionnelle en août 2005.

La réaction d’Amnesty International à cette érosion des droits humains, de l’état de droit et du rôle de la justice provoquée par le gouvernement britannique a été simple. En novembre, dans son rapport intitulé Royaume-Uni. On ne joue pas avec les droits humains (EUR 45/043/2005), l’organisation a mis en avant l’idée que le respect des droits humains, loin d’être un obstacle, était le seul chemin menant vers un monde plus sûr. Amnesty International s’est opposée aux mesures antiterroristes adoptées dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et du 7 juillet 2005 au Royaume-Uni - elle a notamment, en 2005, critiqué un projet de loi antiterroriste proposant de faire passer le délai de garde à vue (détention sans inculpation) de quatorze à vingt-huit jours. L’organisation a demandé au gouvernement britannique de respecter les obligations qui lui incombent aux termes du droit international en matière de droits humains.

« Tout le temps du vol, je me disais : comment faire pour éviter la torture, comment faire ? »
Le coût humain des transferts illégaux entre pays a été mis en lumière en 2005 par une commission d’enquête sur le rôle joué par le Canada dans le cas de Maher Arar, un Canadien d’origine syrienne libéré après une longue campagne menée par sa famille, par Amnesty International et par d’autres organisations de défense des droits humains. En 2002, après des vacances passées avec sa famille en Tunisie, Maher Arar est rentré au Canada en transitant par les États-Unis. C’est lors de ce transit que les autorités américaines l’ont arrêté et mis en détention, avant de le transférer de force en Jordanie, puis en Syrie, où il affirme avoir été roué de coups et menacé d’autres formes de torture lors d’interrogatoires qui duraient parfois dix-huit heures d’affilée. Il a été détenu pendant près d’un an dans une minuscule cellule sombre située en sous-sol, qu’il a décrit comme une « tombe ».

La violence contre les femmes

En 2005, la campagne d’Amnesty International Halte à la violence contre les femmes a souligné les risques auxquels sont confrontées les femmes qui défendent les droits humains, placées en première ligne, exposées aux préjugés, rejetées en marge de la société.

Amnesty International a organisé une conférence à Bahreïn, au début de 2005, pour combattre la violence et la discrimination contre les femmes en Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis, au Koweït, à Oman et au Qatar. Les employées de maison étrangères, en particulier, n’ont pas la possibilité de faire appel à la justice pour qu’elle assure leur protection contre les actes de violence de leurs employeurs. Les participants à la conference étaient, entre autres, des femmes ayant été victimes de discrimination et de violences, des défenseures des droits humains, des juristes, des universitaires, des journalistes, des théologiens et des représentants des pouvoirs publics.

En 2005, Amnesty International a mis en relief les consequences pour les femmes palestiniennes de la situation dans les territoires occupés, où la pauvreté, le chômage et les problèmes de santé ont atteint un degré sans précédent en raison des décennies d’occupation militaire israélienne. La vie est encore plus difficile du fait des contraintes qui existent au sein de la société patriarcale traditionnelle. Amnesty International a exhorté le gouvernement israélien à mettre fin aux violations des droits humains dans les territoires occupés ; parallèlement, elle a engagé l’Autorité palestinienne à prendre des mesures pour prévenir les actes de violence contre les femmes, enquêter à leur sujet et punir leurs auteurs.

Les femmes en ligne de mire
Chaque année, la violence armée tue 500 000 hommes, femmes et enfants, soit une personne par minute. Selon les estimations, il y a aujourd’hui 639 millions d’armes légères dans le monde. Tous les gouvernements ont le devoir d’exercer des contrôles plus stricts sur le commerce des armes.
À travers le monde, d’innombrables femmes, jeunes filles et fillettes ont été tuées ou blessées par des armes à feu. Elles sont des millions à craindre la violence armée, dans leur foyer, dans la société, en temps de paix comme en temps de guerre. À l’origine de ces violences, on trouve la prolifération des armes légères et leur usage abusif, mais aussi la discrimination dont les femmes font l’objet de longue date. Les membres d’Amnesty International font campagne en faveur des femmes et des organisations qui défendent les droits des femmes dans le monde entier et qui jouent désormais un rôle déterminant pour la paix et les droits humains à l’échelle locale. Leurs actions montrent qu’il est possible de susciter des changements et de rendre la vie des femmes plus sûre.

Des membres d’Amnesty International en Turquie et aux Pays-Bas se sont associés à des municipalités et des paysagistes turcs pour créer des jardins de tulipes destinés à sensibiliser l’opinion publique à la violence contre les femmes. Certains groupes de femmes en Turquie utilisent des tulipes pour représenter les femmes qui ont subi des violences, parfois mortelles, infligées par des membres de leur famille ou de leur entourage. La discrimination contre les femmes, qui était inscrite dans la loi, et notamment la réduction ou l’annulation de la peine prononcée contre un violeur s’il épouse sa victime, a été supprimée dans le nouveau Code pénal.

Amnesty International a exhorté le gouvernement japonais à assumer la responsabilité pleine et entière des crimes commis contre les « femmes de réconfort » - les jeunes filles et les femmes réduites en esclavage sexuel dans les pays occupés par le Japon avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. On estime à 200 000 le nombre de femmes victimes de ces pratiques. Les survivantes, aujourd’hui âgées, aspirent à la justice et aux reparations appropriées que leur refuse depuis plus de soixante ans le Japon, qui n’a reconnu sa responsabilité dans ces crimes que très tardivement.

Amnesty International a demandé au gouvernement russe de placer au premier rang de ses priorités la lutte contre la violence domestique, notamment en publiant des statistiques sur les actes de violence commis au foyer et sur les poursuites contre les auteurs de ces actes ; en dispensant une formation spéciale aux policiers, aux juges et aux autres professionnels ; en s’associant aux groupes de défense des droits des femmes pour s’opposer à l’idée répandue selon laquelle la violence domestique relèverait du domaine privé, et en créant de façon systématique des centres d’accueil et d’aide afin de protéger les victimes.

Dans le cadre des campagnes Contrôlez les armes et Halte à la violence contre les femmes, Amnesty International a publié un rapport intitulé Armes à feu : les femmes en danger (ACT 30/001/2005), dont le lancement a eu lieu aux États-Unis et en Afrique du Sud en mars. Ce rapport souligne la disponibilité croissante des armes légères, en temps de paix comme en temps de guerre, et montre que cette évolution expose les femmes à diverses formes de violence. Il ressort des études et des exemples tirés de différents pays que les femmes courent davantage de risques que les autres membres de la famille d’être tuées lorsqu’une arme se trouve à la maison.

Le contrôle des armes

Dans le cadre de la campagne Contrôlez les armes, Amnesty International demande des contrôles plus stricts sur les armes en général, une meilleure application des lois sur les armes à feu et des mesures destinées à briser le cycle de la violence qui menace les générations les unes après les autres.

La pétition du million de visages, lancée par Amnesty International et ses partenaires de la campagne (Oxfam et le Réseau d’action international sur les armes légères), a atteint plus de la moitié de son objectif en 2005. Cette pétition demande l’adoption d’un traité sur le commerce des armes qui empêcherait les États de transférer des armes à l’étranger si celles-ci risquent d’être utilisées pour commettre de graves atteintes aux droits humains et des crimes de guerre. En 2005, plus d’un demi-million de personnes ont signé la pétition en mettant leur photo en ligne et 50 États soutenaient l’idée de ce traité (le nombre de gouvernements favorables a ainsi été multiplié par cinq durant l’année). Parmi eux figurait le Royaume-Uni, l’un des principaux exportateurs mondiaux d’armement. Le traité, s’il est mis en œuvre, réduira la prolifération des armes et permettra de sauver des vies.

Pendant que les violences politiques entre les groupes armés et les gangs mais aussi l’utilisation illégale de la force par la police provoquaient jour après jour la mort de civils en Haïti, Amnesty International a appelé la communauté internationale à dégager des ressources suffisantes pour protéger les droits humains, et en particulier pour assurer les opérations de désarmement. La très grande quantité d’armes, notamment d’armes légères, détenues par d’anciens rebelles et d’anciens soldats, des bandes criminelles avec ou sans affiliation politique, des gardes de sécurité et des civils, a aggravé la crise politique chronique.

Amnesty International a exhorté le Conseil de sécurité des Nations unies à renforcer l’embargo imposé sur les exportations d’armes à destination de la République démocratique du Congo (RDC) et à surveiller les aéroports dans l’est de ce pays. Amnesty International a également demandé à l’Afrique du Sud, à l’Albanie, à la Bosnie-Herzégovine, à la Croatie, aux États-Unis, à Israël, à la République tchèque, au Royaume-Uni, à la Russie et à la Serbie-et-Monténégro d’enquêter sur les informations selon lesquelles des armes seraient transférées illégalement aux gouvernements de l’Ouganda, de la RDC et du Rwanda afin d’être ensuite distribuées aux groupes armés de l’est de la RDC.

La peine de mort

La campagne contre la peine de mort s’est intensifiée au cours de l’année. En octobre, dans plus de 40 pays, des membres d’Amnesty International ont participé à la troisième Journée mondiale contre la peine de mort, dont l’édition 2005 était consacrée à l’Afrique. Cet événement a donné lieu à divers concerts, manifestations, pétitions et débats télévisés visant à mobiliser la population contre ce châtiment dans le monde entier.

Le grand nombre d’appels lancés par Amnesty International en faveur des centaines de prisonniers qui, aux États-Unis, sont sous le coup d’une condamnation à la peine capitale peut avoir une profonde influence sur les responsables et les dirigeants. Ainsi, le gouverneur de l’État de Virginie a commué en novembre la condamnation à mort prononcée contre Robin Lovitt en une peine de réclusion à vie, après avoir reçu quelque 1 500 appels téléphoniques, lettres et courriels dont presque tous lui demandaient de faire preuve de clémence.

En mars, les militants abolitionnistes ont savouré une victoire qu’ils attendaient depuis longtemps : la Cour suprême des États-Unis a déclaré inconstitutionnelle l’exécution des mineurs délinquants. Cette décision historique, résultant d’un vote de cinq voix contre quatre, a fait suite à des années de lutte pendant lesquelles Amnesty International et d’autres groupes de défense des droits humains ont fait campagne pour mettre un terme à l’exécution des délinquants qui étaient âgés de moins de dix-huit ans au moment du crime. Cet arrêt a été rendu dans l’affaire Christopher Simmons, un homme condamné à mort pour avoir commis un meurtre à dix-sept ans. Afin d’appuyer les recours présentés dans cette affaire, Amnesty International et 16 autres lauréats du prix Nobel de la paix avaient remis un mémoire à la Cour suprême, qui est cité dans l’opinion rédigée au nom de la majorité des juges. À la suite de cette décision, plus de 70 mineurs condamnés à mort ont vu leur peine commuée.

Par son incessant travail de campagne ces dernières années, Amnesty International a fait progresser la tendance abolitionniste dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie centrale. En Moldavie, les dernières dispositions prévoyant le recours à la peine de mort ont été supprimées dans la Constitution. Des modifications similaires ont été proposées au Kirghizistan. En Ouzbékistan, toutefois, des exécutions avaient apparemment toujours lieu, bien que les autorités aient annoncé l’abolition de la peine de mort pour 2008. Par ailleurs, les juges continuaient de prononcer des sentences capitales à l’issue de procès qui ne respectaient pas les normes internationales d’équité.

Les droits économiques, sociaux et culturels

L’année 2005 a également été marquée par un renforcement de l’action mondiale d’Amnesty International en faveur des droits économiques, sociaux et culturels. Cette action portait essentiellement sur la lutte contre les graves atteintes aux droits des personnes marginalisées. Dans l’ouvrage intitulé Dignité et droits humains. Une introduction aux droits économiques, sociaux et culturels (POL 34/009/2005), l’organisation souligne qu’il incombe aux gouvernements de prendre des mesures immédiates pour lutter contre la faim, la privation de logement et les maladies qui peuvent être évitées, et ce à l’intérieur des frontières nationales comme à l’échelle internationale.

Prisonniers de la pauvreté

Dans le monde entier, des millions de femmes, d’hommes et d’enfants sont privés d’éducation, d’un logement et de soins de santé ; ils se trouvent dans un état de dénuement incompatible avec leur droit de vivre dans la dignité. Pourtant, la richesse mondiale n’a jamais été aussi grande.Avoir faim, ne pas avoir de toit ou être atteint d’une maladie que l’on peut prévenir ne sont pas des problèmes sociaux inévitables ou la simple conséquence de catastrophes naturelles. Il s’agit de véritables scandales sur le plan des droits humains.
Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de personnes qui sont prisonnières de la pauvreté que de prisonniers d’opinion ; Amnesty International s’est donc adaptée à l’actualité pour tenter de résoudre les problèmes les plus urgents en matière de droits humains. Partout dans le monde, les membres de l’organisation s’allient aux groupes et militants qui luttent localement pour défendre les droits économiques, sociaux et culturels. Les gouvernements invoquent souvent un manque de resources ; or, même les plus riches d’entre eux ne déploient pas les moyens nécessaires pour éradiquer les discriminations systématiques ou la pollution menaçant la santé des populations, ni pour garantir à chacun un logement convenable, parmi les droits économiques, sociaux et culturels. Les atteintes à ces droits résultent de pratiques délibérées, de négligences, de discriminations ou d’une absence de volonté politique.

Au Nigéria, dans le delta du Niger, les atteintes aux droits civils et politiques entravent la lutte pour les droits économiques et sociaux. Tandis que la pollution de l’environnement et l’exploitation à toutva continuent de progresser, les populations locales qui cherchent à faire valoir leurs droits sont victimes d’une répression armée.

Amnesty International, le Centre pour le droit au logement et contre les expulsions (COHRE) et Zimbabwe Lawyers for Human Rights (Avocats du Zimbabwe pour les droits humains) ont lancé un appel coordonné à la communauté internationale, notamment aux Nations unies et à l’Union africaine, afin qu’elle défende les droits humains et dénonce les expulsions de centaines de milliers de personnes au Zimbabwe. Plus de 200 ONG œuvrant pour les droits humains, africaines pour la plupart se sont associées à cet appel. Au mois de décembre, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté, pour la première fois, une resolution condamnant la situation des droits humains au Zimbabwe, y compris les expulsions massives, et demandant une assistance humanitaire.

En Europe, Amnesty International a fait campagne contre le racisme, les violences et les discriminations affectant les minorités. Avec l’aide de groupes nationaux et internationaux de défense des droits humains, l’organisation a montré que les Roms (Tsiganes) subissaient souvent des expulsions ou des atteintes au droit à un logement convenable en Bulgarie, en Grèce, ainsi qu’en Serbie-et-Monténégro (Kosovo). En juillet, au Kosovo, Amnesty International a lancé une campagne pour la réinstallation de quelque 530 personnes déplacées (des Roms, des Ashkalis et des (« Égyptiens »), dont 138 enfants ; ces personnes vivaient dans des camps contaminés par du plomb provenant d’une fonderie désaffectée, ce qui représentait un grave risqué pour leur santé.

Comme les années précédentes, l’organisation a demandé aux États de veiller à ce que les personnes les plus démunies puissent jouir d’une certaine sécurité physique ainsi que de leurs libertés civiles et politiques, une condition nécessaire à l’exercice de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Dans son rapport Nigéria. Le combat pour les droits humains et les ressources naturelles. Injustice, pétrole et violence au Nigéria (AFR 44/020/2005), Amnesty International a appelé le gouvernement nigérian et les compagnies pétrolières à faire cesser les homicides et les attaques contre certaines communautés, qui se poursuivaient dix ans après les exécutions de Ken Saro-Wiwa et d’autres Ogonis militant pour les droits économiques et sociaux.

Au Brésil, des millions de personnes vivant dans les quartiers les plus pauvres sont victimes des agissements des puissantes bandes criminelles, des forces de police violentes et corrompues et des escadrons de la mort qui pratiquent l’autodéfense. En 2005, Amnesty International a dénoncé les opérations meurtrières de la police, au cours desquelles des habitants de favelas (bidonvilles), etiquettes comme criminels, sont tués en toute impunité. Au mois de mars, par exemple, des policiers ont tiré au hasard sur les habitants d’un quartier de Rio de Janeiro, tuant 29 personnes en quelques heures. Amnesty International a demandé aux autorités d’associer défense des droits humains et maintien de l’ordre, et d’assurer la protection effective de tous les Brésiliens.

Les défenseurs des droits humains

Amnesty International s’efforce de protéger le droit de promouvoir et de défendre les droits humains et agit pour que les défenseurs des droits humains puissent mener à bien leurs activités sans entrave.

Kamal al Labwani, militant des droits humains et prisonnier d’opinion incarcéré en Syrie pendant trois ans, a exhorté Amnesty International à continuer à œuvrer pour la libération de tous ceux qui sont emprisonnés en Syrie uniquement pour avoir « essayé d’aider les gens à faire valoir leurs droits ». En septembre, il a expliqué à des membres d’Amnesty International que cela l’avait beaucoup soutenu de savoir que l’organisation s’efforçait d’obtenir sa remise en liberté.

Dans le cadre de son action visant à défendre ceux qui sont aux avant-postes de la défense des droits humains, l’organisation a exhorté les autorités chinoises à cesser d’incarcérer et de harceler les Mères de Tiananmen. Ces 130 défenseurs des droits humains - principalement des femmes - dont un enfant ou un proche a été tué près de la place Tiananmen, en juin 1989, lors de la répression des manifestations pacifiques, demandent réparation et exigent que les responsables rendent compte de leurs actes. Elles ont distribué une aide humanitaire aux familles des victimes et aidé à créer un fonds pour l’éducation des enfants dont les parents sont morts ou ont été blessés lors des événements de Tiananmen.

Amnesty International a demandé aux autorités serbes de mettre fin à la campagne de harcèlement des défenseurs des droits humains menée par des dirigeants politiques, dont certains appartenaient au gouvernement ou à des partis politiques proches du pouvoir, et par des members des forces de sécurité. Des militants, des journalistes et des avocats ont été agressés, cambriolés, menacés de poursuites ; ces faits se sont multipliés, en particulier au moment du dixième anniversaire, en juillet, du massacre de Srebrenica, commis pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine. Les personnes visées étaient principalement des défenseurs des droits humains - notamment les dirigeantes de certaines organisations - dont l’action révélait les carences des autorités, qui n’ont pas enquêté sur les violations des droits humains et ne se sont pas attaquées à l’impunité des criminels de guerre.

En février, le Viêt-Nam a remis en liberté quatre prisonniers d’opinion bien connus, qui étaient détenus depuis longtemps ; l’un d’eux avait passé vingt-cinq ans derrière les barreaux. Amnesty International a cependant continue à demander la libération des cyberdissidents qui purgeaient de lourdes peines d’emprisonnement après avoir été reconnus coupables d’espionnage pour avoir critique la politique gouvernementale, diffusé des pétitions et pris contact sur Internet avec des groupes d’opposition en exil.

Au Zimbabwe, Amnesty International a déclaré qu’il fallait mettre un terme à la détention des défenseurs des droits humains, aux mauvais traitements et aux actes de harcèlement qui leur étaient infligés ; l’organisation a également demandé l’abrogation des lois préjudiciables à leur action. Les associations travaillent dans un climat de peur et craignent en permanence de se voir interdire toute activité. Amnesty International s’est associée à des groupes de défense des droits humains dans différents pays - notamment en Afrique du Sud, au Botswana, en Namibie, au Nigéria, au Sénégal et en Zambie - pour faire savoir que la Commission africaine des droits de l’homme et des peoples avait condamné les violations des droits humains commises au Zimbabwe. En octobre, diverses sections d’Amnesty International ont accueilli le groupe Women of Zimbabwe Arise (WOZA, Femmes du Zimbabwe, debout !), qui faisait une tournée de sensibilisation en Europe.

Les réfugiés et les migrants

La défense des droits des réfugiés, des demandeurs d’asile, des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays et des migrants occupait une place importante dans les activités des sections et des membres d’Amnesty International à travers le monde. L’organisation s’est opposée au renvoi de personnes dans des pays où elles risquaient d’être persécutées, exécutées, torturées ou maltraitées. Elle a demandé que les États se conforment à leurs obligations internationales et respectent l’intégralité des droits des personnes déplacées et des immigrés.

« Les enfants n’ont rien à faire dans les centres de detention », proclame le T-shirt de ce jeune militant en Australie.
Amnesty International a fait campagne pour que les enfants réfugiés ou migrants soient remis en liberté. En juillet, tous les enfants présents dans les centres de détention australiens pour immigrés ont été transférés avec leur famille dans des foyers où ils étaient tenus de résider.

Des membres d’Amnesty International ont attiré l’attention sur le cas de quatre hommes arrêtés au Kirghizistan et menacés de renvoi vers l’Ouzbékistan voisin. Ils faisaient partie d’un groupe de plus de 500 personnes ayant fui ce pays après que les forces de sécurité eurent ouvert le feu sur des milliers de protestataires qui manifestaient, pour la plupart de manière pacifique, à Andijan en mai.

Militants et sympathisants d’Amnesty International ont demandé qu’une enquête soit menée sur les conditions dans lesquelles des réfugiés et des migrants ont été privés de liberté en Grèce. Des enfants ont été détenus avec des adultes, dans des locaux surpeuplés et insalubres, et plusieurs femmes auraient subi des violences sexuelles.

À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, le 20 juin, Amnesty International a mis l’accent sur la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés, en particulier ceux qui sont arbitrairement détenus en Australie et dans plusieurs pays européens, notamment l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni.

Lors de la Journée internationale des migrants, le 18 décembre, Amnesty International a engagé les États à ratifier ou à mettre en œuvre la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, ratifiée par 34 pays seulement. Quelque 200 millions de personnes vivent et travaillent hors de leur pays d’origine. Ces immigrés sont victimes de toute une série de violations de leurs droits fondamentaux. Certains employeurs suspendent régulièrement le versement des salaires, d’autres confisquent les documents d’identité des travailleurs immigrés, d’autres encore s’en prennent verbalement ou physiquement à leurs employés. Les migrants ont aussi toutes les difficultés à obtenir un logement convenable et des soins de santé.

La justice et l’état de droit

Les actions d’Amnesty International dans un grand nombre de pays ont visé à contrecarrer les menaces pesant sur la justice et l’état de droit.

« J’ai passé deux ans au secret, et on ne m’autorisait à quitter ma cellule que dix minutes tous les quarante-cinq jours. Grâce aux milliers de lettres écrites par les membres d’Amnesty International, mes conditions de détention ont changé, j’ai pu voir mes enfants une fois par mois et recevoir des soins médicaux. »
Rebiya Kadeer, prisonnière d’opinion, a été libérée en mars après cinq ans et demi de détention en Chine. Femme d’affaires au parcours jalonné de succès et défenseure des droits des femmes, elle a juré de continuer à défendre les droits de l’ethnie ouïghoure, à dominante musulmane, en Chine. Rebiya Kadeer avait été jugée et condamnée à huis clos pour avoir envoyé des coupures de journaux régionaux à des proches qui se trouvaient à l’étranger.Après sa libération, les autorités chinoises ont continué de s’en prendre à sa famille, apparemment dans l’intention d’entraver l’action qu’elle mène en faveur des Ouïghours depuis l’étranger.

En Colombie, l’organisation a demandé la mise en place d’un cadre légal et efficace permettant de démobiliser les groupes armés illégaux, afin que les droits des victims - notamment en matière de vérité, de justice et de reparation - soient intégralement respectés. Bien que les paramilitaries soutenus par l’armée participent au processus de démobilisation et aient déclaré un cessez-le-feu unilateral en 2002, il semble qu’ils se soient rendus coupables de plus de 2 300 homicides et « disparitions » depuis cette date.

En France, Amnesty International a dénoncé un ensemble persistant de violations des droits humains imputables à la police - morts par balle, morts en garde à vue, torture et mauvais traitements - mais aussi au système pénal. Les victimes étaient essentiellement des étrangers ou des personnes d’origine étrangère. Malgré une forte augmentation du nombre de plaintes, les policiers français continuaient de jouir d’une impunité de fait.

Amnesty International a renouvelé ses appels visant à faire cesser les meurtres qui sont commis dans le cadre du conflit interne au Népal, où plus de 12 000 personnes ont trouvé la mort. En 2005, l’intensification des affrontements a fait des centaines de morts parmi les civils et donné lieu à de multiples arrestations, viols et autres tortures imputables aux forces du gouvernement comme aux insurgés. Des enfants ont été enlevés et recrutés comme soldats.

Au Darfour (Soudan), où les forces gouvernementales, les milices alliées aux autorités et les groupes politiques armés ont pris des civils pour cible, Amnesty International s’est essentiellement concentrée sur l’obligation de render des comptes pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. L’organisation a demandé à la communauté internationale d’agir pour mettre un terme aux viols et aux enlèvements de femmes, de jeunes filles et de fillettes, ainsi qu’aux attaques contre les défenseurs des droits humains.

Felipe Arreaga Sánchez, prisonnier d’opinion et défenseur de l’environnement, a été libéré en septembre après avoir passé plus de dix mois en prison, au Mexique. Il avait fait l’objet de poursuites à titre de représailles, alors qu’il luttait pacifiquement contre l’exploitation excessive des forêts. À sa libération, il a déclaré qu’il poursuivrait son action écologiste et a remercié les organisations nationals et internationales de défense des droits humains qui l’ont soutenu.

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