TURQUIE

République turque
CAPITALE : Ankara
SUPERFICIE : 779 452 km²
POPULATION : 73,2 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Ahmet Necdet Sezer
CHEF DU GOUVERNEMENT : Recep Tayyip Erdo ?an
PEINE DE MORT : abolie
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome non signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifié

Le Conseil des ministres de l’Union européenne (UE) a officiellement engagé les négociations en vue de l’entrée de la Turquie dans l’Union. En 2005, le rythme de mise en œuvre des réformes devant placer le droit turc en conformité avec les normes internationales s’est ralenti. La législation comportait toujours des entraves à l’exercice des droits fondamentaux. Après l’adoption du nouveau Code pénal turc, l’expression pacifique d’une opinion divergente sur certains sujets est devenue un délit passible de poursuites et de sanctions pénales. Des cas de torture et autres mauvais traitements ont encore été signalés, les individus les plus exposés étant les détenus de droit commun. Les responsables du maintien de l’ordre ont continué de faire un usage excessif de la force pour encadrer les manifestations ; quatre manifestants ont été abattus en novembre. Les enquêtes sur ce type d’incidents étaient insuffisantes et les agents de la force publique coupables de ces violations rarement traduits en justice. Dans les départements de l’est et du sud-est, la situation des droits humains s’est détériorée, sur fond d’affrontements armés entre les services de sécurité turcs et le parti d’opposition armée Partiya Karkeren Kurdistan (PKK, Parti des travailleurs du Kurdistan).

Contexte

En juin, le nouveau Code pénal turc (CPT), le nouveau Code de procédure pénale et la nouvelle Loi relative à l’exécution des peines sont entrés en vigueur. Ces textes consacraient des évolutions positives, puisque le Code pénal, par exemple, offrait aux femmes une meilleure protection contre les violences. En revanche, il prévoyait aussi des restrictions à l’exercice du droit à la liberté d’expression. Les défenseurs des droits humains en Turquie ont également émis de très sérieuses réserves au sujet du régime disciplinaire que la Loi relative à l’exécution des peines envisageait pour les prisonniers. Un projet révisé de la loi antiterroriste a été examiné par une sous-commission parlementaire à la fin de l’année, après les critiques que les versions antérieures avaient suscitées de la part des groupes de défense des droits humains.
En septembre, la Turquie a signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [ONU].
En octobre, le Conseil des ministres de l’UE a officiellement ouvert les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union.

Liberté d’expression

Un vaste arsenal de lois restreignant de façon fondamentale la liberté d’expression était toujours en vigueur, ce qui permettait d’engager des poursuites contre les personnes ayant exprimé pacifiquement leur point de vue sur divers aspects de la vie publique. En outre, le déroulement des poursuites et des procès a fréquemment montré que les procureurs comme les juges méconnaissaient le droit international relatif aux droits humains. Dans certains cas, les propos tenus par d’éminents représentants de l’État trahissaient leur rejet de toute opinion dissidente ou de tout débat ouvert et semblaient cautionner l’accusation.
L’article 301 relatif au dénigrement de l’identité turque, de la République, et des fondements et institutions de l’État, a été introduit dans le Code pénal en juin, en remplacement de l’ancien article 159. Les articles 159 et 301 ont souvent été appliqués de façon arbitraire pour sanctionner des critiques de tous ordres. Des journalistes, des écrivains, des éditeurs, des défenseurs des droits humains et des universitaires ont été poursuivis aux termes de cette loi, parmi eux le journaliste Hrant Dink, le romancier Orhan Pamuk, ?ehmüs Ülek, vice-président de l’organisation de défense des droits humains Mazlum-Der, et les universitaires Bask ?n Oran et ?brahim Kabo ?lu.
La conférence universitaire internationale consacrée à différentes conceptions de l’histoire des Arméniens à la fin de l’empire ottoman, qui devait avoir lieu en mai à l’université du Bosphore, à Istanbul, a été ajournée après que Cemil Çiçek, le ministre de la Justice, eut qualifié l’initiative de « perfidie », récusant ainsi fondamentalement le principe de la liberté universitaire. La conférence s’est finalement tenue à l’université de Bilgi, en septembre, mais cinq journalistes qui s’étaient fait l’écho des tentatives d’annulation de la conférence ont été poursuivis en justice en décembre, aux termes des articles 301 et 288 du CPT.
La liberté d’expression continuait aussi d’être entravée par les restrictions importantes à l’utilisation des langues minoritaires en public. En vertu de l’article 81 de la Loi sur les partis politiques, des poursuites ont encore été engagées à maintes reprises contre des personnes s’étant exprimées ou ayant simplement prononcé quelques mots en kurde.
En mai, la Cour d’appel a prononcé l’interdiction du syndicat d’enseignants E ?itim-Sen, au motif que ses statuts comportaient une clause énonçant le droit d’être éduqué dans sa langue maternelle, ce qui est contraire aux articles 3 et 42 de la Constitution (selon ces articles, la seule langue maternelle qu’il soit licite d’enseigner est le turc). Par la suite, E ?itim-Sen a supprimé la clause contestée afin d’éviter de devoir cesser ses activités.
En octobre, le parquet a lancé une procédure pour obtenir l’interdiction définitive de l’association kurde de Diyarbak ?r (Kürd-Der). L’un des nombreux motifs invoqués était la décision prise par l’association d’adopter une graphie « non turque » pour orthographier le terme correspondant à « kurde » dans son nom et dans ses statuts, et le fait que certaines clauses des statuts en question défendaient le droit de recevoir un enseignement en kurde. L’association s’était déjà vu enjoindre de rectifier en conséquence ses statuts et son appellation.
Des dispositions de la Loi sur la presse limitant la couverture journalistique des affaires judiciaires en cours ont été utilisées de façon arbitraire et excessivement restrictive pour empêcher les journalistes de mener des enquêtes indépendantes sur les violations des droits humains et de les commenter publiquement. Les mêmes dispositions ont servi à entraver l’action des défenseurs des droits humains.
Des poursuites judiciaires ont été lancées contre Selahattin Demirta ?, le président de l’antenne de Diyarbak ?r de l’Association pour la défense des droits humains, et Mihdi Perinçek, le représentant régional de cette association. Ces deux hommes figuraient parmi les auteurs d’un rapport consacré aux meurtres d’Ahmet Kaymaz et d’U ?ur Kaymaz (voir plus loin), rapport qui, selon l’acte d’accusation, contrevenait à l’article 19 de la Loi sur la presse parce qu’il sapait l’instruction préparatoire du parquet. Or les auteurs du rapport n’avaient pas eu la possibilité de consulter les documents concernant l’affaire puisqu’ils étaient inaccessibles par décision judiciaire et pour des raisons de sécurité. La première audience des deux accusés s’est ouverte au mois de juillet.

Torture et mauvais traitements

Des cas de torture et de mauvais traitements imputables à des agents de la force publique continuaient d’être signalés : des personnes en détention auraient été frappées, entièrement dévêtues et menacées de mort, privées de nourriture, d’eau et de sommeil ou frappées au moment de leur arrestation ou dans des lieux de détention clandestins. Le nombre des allégations de torture ou autres mauvais traitements concernant des détenus politiques a diminué. En revanche, les personnes suspectées d’infractions de droit commun (vol, trouble à l’ordre public, etc.) couraient tout particulièrement le risque de subir des mauvais traitements. Selon certaines sources, il était encore très fréquent que des agents de la force publique ne tiennent aucun compte des procédures prévues pour les placements en détention et les enquêtes, les procureurs, quant à eux, ne vérifiant pas si les procédures applicables avaient été respectées. En outre, la police faisait régulièrement usage d’une force disproportionnée contre les manifestants, surtout s’il s’agissait de militants de gauche, de partisans du parti pro-kurde DEHAP, d’étudiants ou de syndicalistes (voir plus loin la rubrique Homicides commis dans des circonstances controversées). Ceux qui se plaignaient d’avoir subi des mauvais traitements, surtout au cours de manifestations, étaient souvent inculpés de rébellion et leurs blessures étaient mises sur le compte des manœuvres effectuées par les policiers pour les immobiliser.
En octobre, à Ordu, cinq adolescents âgés de quinze à dix-huit ans ont été placés en détention lors de l’ouverture d’un nouveau centre commercial. Ils auraient été battus, injuriés, menacés et on leur aurait comprimé les testicules pendant leur transfert en garde à vue et pendant la garde à vue elle-même, au poste de police central d’Ordu. Ils ont ensuite été relâchés. Deux d’entre eux ont déclaré avoir été déshabillés et menacés de viol. Aucune trace du séjour de trois de ces jeunes gens dans les locaux de la police n’a été conservée. Plus tard, l’un d’eux a été inculpé de rébellion violente. Outre les mauvais traitements allégués, d’ailleurs attestés par des examens médicaux et des photographies, d’autres irrégularités ont été commises pendant que les adolescents étaient aux mains de la police et le procureur a prouvé que, dès le placement en détention, les procédures légales avaient été complètement ignorées.
Au mois de mars, dans le quartier istanbuliote de Saraçhane, des manifestants rassemblés pour la Journée internationale des femmes ont été violemment dispersés par la police, matraqués et aspergés de gaz poivre pratiquement à bout portant. Selon les informations d’Amnesty International, trois femmes ont dû être hospitalisées. Ces incidents ont été condamnés par la communauté internationale. En décembre, 54 policiers ont été accusés de recours à une force excessive ; les hauts gradés n’ont pas été inculpés, mais trois d’entre eux ont reçu un « blâme ».

Impunité

Les enquêtes sur les actes de torture et les mauvais traitements étaient, cette année encore, entachées de graves vices de procédure, accréditant l’idée que la justice était peu disposée à juger les auteurs de violations des droits humains. Un climat d’impunité continuait de régner.
En avril, quatre agents de police accusés d’avoir torturé et violé au moyen d’une matraque deux adolescentes, Nazime Ceren Salmano ?lu et Fatma Deniz Polatta ?, en 1999, ont été acquittés : plus de six ans après l’ouverture du dossier et après que le procès eut été repoussé une trentaine de fois, un tribunal d’ ?skenderun a prononcé un non-lieu en raison de « preuves insuffisantes ». Les avocats des jeunes victimes ont annoncé qu’il serait fait appel du jugement. De leur côté, les deux jeunes femmes avaient été condamnées à de lourdes peines d’emprisonnement sur la foi d’« aveux » apparemment obtenus sous la torture.
Quinze ans après le décès de l’étudiant Birtan Alt ?nba ?, le procès des quatre policiers accusés de l’avoir tué s’est poursuivi devant le tribunal pénal n° 2 d’Ankara. Birtan Alt ?nba ? était mort le 15 janvier 1991, au terme d’une garde à vue de six jours durant laquelle il avait été interrogé sur son appartenance présumée à une organisation interdite. Cette affaire, condamnée par l’opinion publique internationale et largement relayée dans la presse turque, était l’illustration même des nombreuses irrégularités qui entachent les procédures judiciaires en Turquie.
Le procès de quatre agents de police inculpés pour les meurtres d’Ahmet Kaymaz et de son fils de douze ans, U ?ur, commis le 21 novembre 2004 à K ?z ?ltepe (département de Mardin), s’est ouvert en février. Les quatre accusés n’étaient pas en état d’arrestation et n’avaient pas été mis à pied. Les policiers de haut rang responsables de l’opération de police durant laquelle ces deux personnes avaient été tuées ne figuraient pas dans le dossier d’enquête et n’étaient pas inculpés : ce fait révélateur confortait la thèse selon laquelle, dans ce type d’affaires, le ministère public ne remonte que rarement les échelons hiérarchiques.

Craintes liées aux procès inéquitables

L’inégalité persistante entre l’accusation et la défense, et l’influence du pouvoir exécutif sur la nomination des juges et des procureurs empêchaient le pouvoir judiciaire d’être parfaitement indépendant. Même si, à partir du 1er juin, les détenus ont obtenu le droit de consulter un avocat et si les déclarations faites en l’absence d’un avocat sont devenues irrecevables, peu de procureurs officiant dans les nouveaux tribunaux pénaux (substitués aux cours de sûreté de l’État en 2004) ont entrepris de réexaminer les dossiers contenant des déclarations initialement prononcées en l’absence d’un avocat et dans lesquels l’accusé alléguait que sa déposition avait été extorquée sous la torture. Peu de tentatives ont été faites pour réunir des preuves favorables aux accusés et la plupart des requêtes formulées par la défense pour faire déposer des témoins ont été rejetées.

Emprisonnement des objecteurs de conscience

L’objection de conscience n’était pas reconnue et il n’existait aucune formule de service civil pour remplacer le service militaire.
En août, le tribunal militaire de Sivas a condamné l’objecteur Mehmet Tarhan à quatre ans de réclusion pour « désobéissance aux ordres » et refus d’exécuter son service militaire ; cet homme est un prisonnier d’opinion.

Homicides commis dans des circonstances controversées

Le 9 novembre, un homme a été tué et plusieurs autres ont été blessés à la suite d’un attentat à l’explosif visant une librairie de ?emdinli (département de Hakkâri). Trois hommes ont été inculpés dans le cadre de cette affaire. Il est apparu plus tard que l’auteur présumé était un ancien combattant du PKK devenu informateur et que ses complices présumés étaient deux membres des services de sécurité qui, d’après leurs papiers, étaient des agents en civil des services de renseignements généraux de la gendarmerie. Par la suite, alors que le procureur procédait à des investigations sur les lieux de l’attentat, des coups de feu ont été tirés depuis une voiture en direction de la foule. Un civil a été tué et plusieurs autres ont été blessés. L’enquête du procureur a été ajournée. Un sergent des forces spéciales de la gendarmerie a été poursuivi pour usage disproportionné de la force ayant entraîné la mort. Amnesty International a appelé le gouvernement turc à désigner une commission d’enquête indépendante pour faire toute la lumière sur l’affaire, y compris sur les allégations d’implication directe de certains responsables. Au cours des manifestations organisées ultérieurement pour dénoncer l’affaire de ?emdinli, la police a abattu trois personnes à Yüksekova (département de Hakkâri) et une à Mersin.
Les forces de sécurité ont abattu au cours de l’année une cinquantaine de personnes, plus de la moitié de ces faits étant survenus dans les départements du sud-est et de l’est. Il s’agit sans doute, dans nombre de cas, d’exécutions extrajudiciaires ou de recours à une force excessive. Le « refus d’obtempérer à l’ordre de s’arrêter » était un motif couramment invoqué par les forces de sécurité pour justifier ces morts.
Au moins deux personnes auraient été assassinées par le PKK. Le 17 février, Kemal ?ahin, un dissident du PKK ayant fondé une organisation alliée au Parti des démocrates patriotes du Kurdistan, a été tué près de Suleimaniyeh, dans le nord de l’Irak. Le 6 juillet, Hikmet Fidan, ancien vice-président du DEHAP, a été tué à Diyarbak ?r.
Une organisation dénommée Faucons de la liberté du Kurdistan a revendiqué un attentat à l’explosif commis en juillet contre un autobus dans la ville de Ku ?adas ?, au bord de la mer Égée. Cet attentat a causé la mort de cinq civils.

Violences contre les femmes

Les dispositions positives figurant dans le nouveau CPT offraient aux femmes une meilleure protection contre les violences familiales. En vertu de la nouvelle Loi sur les municipalités, les communes de plus de 50 000 habitants étaient tenues d’ouvrir des centres d’accueil pour femmes en détresse. La mise en œuvre de ce texte nécessitera des financements publics adéquats et une coopération sans réserve avec les organisations de femmes issues de la société civile. Des efforts demeuraient encore nécessaires pour que les représentants de la loi, le ministère public et les professionnels de santé aient complètement assimilé la Loi relative à la protection de la famille, encore très méconnue.

Mécanismes officiels pour la protection des droits humains

Les mécanismes officiels de surveillance des droits humains rattachés au bureau du Premier ministre étaient partiellement inopérants car dotés de pouvoirs insuffisants pour signaler et instruire les affaires de violations des droits humains. L’action de la Commission consultative des droits humains rattachée au cabinet du Premier ministre, qui englobait des organisations de la société civile, a été entravée et la Commission a de fait cessé de fonctionner. Qui plus est, en novembre, son ex-président, ?brahim Kabo ?lu, et l’un de ses membres, Bask ?n Oran, ont été poursuivis en raison de la teneur d’un rapport consacré à la question des minorités en Turquie, commandé par la Commission consultative et rédigé par Bask ?n Oran. Créés par l’Administration du Premier ministre en matière de droits humains et également rattachés au cabinet du Premier ministre, les Conseils départementaux et locaux de défense des droits humains n’enquêtaient pas de manière suffisante sur les violations de ces droits. Le projet de loi visant à créer une instance de médiation était au point mort.

Autres documents d’Amnesty International

 Turkey : Memorandum on AI’s recommendations to the government to address human rights violations (EUR 44/027/2005).

 Concerns in Europe and Central Asia : January-June 2005 : Turkey (EUR 01/012/2005).

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