CÔTE D’IVOIRE République de Côte d’Ivoire

Les efforts diplomatiques intenses déployés notamment par les Nations unies et l’Union africaine n’ont pas empêché que les droits humains continuent d’être bafoués aussi bien par les forces de sécurité gouvernementales que par les Forces nouvelles, une coalition de groupes armés contrôlant le nord du pays depuis septembre 2002. Commises en toute impunité par les deux parties en présence, ces attaques visaient particulièrement les femmes, et l’absence de système judiciaire efficace ne faisait qu’aggraver la situation. Les partisans du président Laurent Gbagbo ont continué à prôner la violence à l’encontre des Dioulas, un terme générique désignant toute personne ayant un patronyme musulman et originaire du nord de la Côte d’Ivoire ou d’autres pays de la sous-région. Cette année encore, des discours de haine ont alimenté les heurts interethniques dans l’ouest du pays. Des manifestations violentes visant les forces de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire ont été organisées, mais la présence d’environ 12 000 soldats de la paix a évité toute reprise des hostilités. La liberté d’expression était menacée par les deux parties en présence.




Contexte
Malgré les très vives pressions politiques de la communauté internationale, les conditions requises pour la tenue de l’élection présidentielle d’octobre n’étaient pas réunies. Le scrutin a donc été ajourné une deuxième fois, essentiellement en raison des divergences entre les partisans du président Laurent Gbagbo et les partis d’opposition. Le camp présidentiel exigeait le désarmement immédiat des Forces nouvelles. Quant à l’opposition, elle insistait pour qu’un programme de délivrance de pièces d’identité soit mis en place avant l’élection.
Les sympathisants du président ont critiqué la présence des forces de maintien de la paix envoyées par la France et les Nations unies, réclamant leur départ à plusieurs reprises. Le mois de janvier a été marqué par des manifestations hostiles à l’égard des Nations unies organisées par les Jeunes patriotes, une mouvance se réclamant du président Gbagbo. Les soldats des Nations unies ont riposté à une occasion et ont été accusés de recours excessif à la force.
Au mois d’août, le gouvernement a démissionné à la suite d’un scandale concernant le déversement de déchets toxiques près d’Abidjan, la capitale économique du pays. Toutefois, après la formation du nouveau gouvernement, il s’est avéré que seuls deux portefeuilles avaient changé de main.
En octobre, les Nations unies ont décidé de prolonger le mandat de Laurent Gbagbo de douze mois et d’étendre les pouvoirs du Premier ministre, Charles Konan Banny. Fin 2006, le président Gbagbo et ses partisans demeuraient opposés aux tentatives de mise en œuvre de la décision des Nations unies d’accroître les pouvoirs du Premier ministre.

Violences contre les femmes

Des cas d’atteintes graves aux droits fondamentaux des femmes et des jeunes filles ont continué d’être signalés dans la zone du pays contrôlée par les forces gouvernementales ; ces agissements étaient encouragés par l’atmosphère d’impunité qui régnait.
En mars, à Abidjan, une adolescente de quatorze ans a été violée par un membre du Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS). Une plainte a été déposée en son nom devant des instances judiciaires militaires, mais l’enquête n’a débouché sur aucune poursuite.
Dans la partie du pays contrôlée par les Forces nouvelles, les auteurs de viols jouissaient eux aussi d’une impunité quasi totale.
En mai, dans la ville de Man, une fillette de dix ans a été violée par le directeur d’une station de radio. De hauts responsables proches des Forces nouvelles ont fait pression sur des professionnels de la santé pour qu’ils ne délivrent pas de certificat médical confirmant le viol.

Allégations de recours excessif à la force par des soldats de l’ONU

En janvier, la décision du Groupe de travail international sur la Côte d’Ivoire – le groupe international de médiation – de ne pas prolonger le mandat des députés de l’Assemblée nationale a donné lieu à des manifestations hostiles envers les Nations unies. Les manifestants, qui exigeaient le départ de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), ont pris d’assaut des véhicules et des bâtiments onusiens sous les yeux des forces de sécurité, qui seraient restées totalement passives.
À Guiglo, en marge des manifestations qui s’étaient déroulées devant un bâtiment militaire des Nations unies, des soldats chargés du maintien de la paix ont tiré sur la foule, tuant cinq personnes et en blessant au moins 20. Ils ont déclaré avoir agi en état de légitime défense, tandis que les partisans du président Gbagbo les ont accusés d’avoir ouvert le feu sur des manifestants non armés. Les Nations unies ont ouvert une enquête interne, mais ses résultats n’avaient toujours pas été rendus publics à la fin de 2006.

Sanctions et embargos décidés par les Nations unies

Les Nations unies ont sanctionné des personnes s’étant rendues coupables d’incitation à la haine et de graves atteintes aux droits humains.
En février, le Conseil de sécurité de l’ONU a pris des sanctions à l’encontre de deux dirigeants des Jeunes patriotes, Charles Blé Goudé et Eugene Djué, pour leur rôle durant les manifestations de janvier. Le Conseil a également sanctionné Fofié Kouakou, l’un des commandants des Forces nouvelles, pour les violations manifestes des droits humains commises par des troupes placées sous son autorité, notamment le recrutement d’enfants soldats et l’imposition du travail forcé.
En octobre, un projet de rapport élaboré par un groupe d’experts des Nations unies a conclu au fait que des diamants bruts étaient exportés de Côte d’Ivoire, en violation de l’embargo décrété en décembre 2005.

Enlisement du processus de démobilisation
En raison de désaccords sur le calendrier, les pressions internationales, y compris celles de l’ONUCI, n’ont pas permis de débloquer le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion déjà ajourné à plusieurs reprises. Tandis que les partisans du président Gbagbo voulaient le voir démarrer sans délai, l’opposition refusait de déposer les armes si un programme de délivrance de pièces d’identité n’était pas mis sur pied avant l’élection présidentielle. Le problème semble avoir été réglé à la mi-mai, lorsque les deux parties sont convenues que les deux programmes seraient lancés simultanément. Au mois de juin, les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) et les Forces nouvelles avaient apparemment regroupé environ 12 000 combattants chacune. En août, pourtant, quand les Forces nouvelles ont fait savoir qu’elles suspendaient le désarmement en raison d’obstacles freinant le processus d’identification de la population, l’ONUCI n’avait repris qu’un nombre d’armes limité aux milices progouvernementales stationnées dans l’ouest du pays. À la fin de l’année 2006, la mise en œuvre du programme de désarmement, démobilisation et réinsertion n’avait apparemment pas progressé.

Violations des droits humains imputables aux forces de sécurité
Les forces de sécurité ont procédé à des arrestations arbitraires et commis des actes de torture. Elles ont également tué divers détenus soupçonnés de sympathie pour les Forces nouvelles.
En janvier, à Abidjan, des membres du CECOS ont arrêté des Dioulas et des ressortissants d’États voisins en les accusant de financer la rébellion. D’après certaines informations, plusieurs prisonniers ont été torturés et l’un d’entre eux au moins, Diallo Ouatreni, en est mort.
Plusieurs cas d’arrestations arbitraires, de mauvais traitements et de tortures ont été signalés à des postes de contrôle ou lors de vérifications de pièces d’identité, dans un contexte où l’extorsion était généralisée. Les cibles de ces exactions étaient, semble-t-il, des Dioulas ou des ressortissants de pays voisins.
En février, Moustapha Tounkara et Arthur Vincent, deux jeunes vendeurs de téléphones portables, ont été arrêtés à Abidjan par des membres du CECOS. Leurs corps ont été retrouvés le lendemain, criblés de balles.

Violences commises par les Forces nouvelles
Des membres et des sympathisants des Forces nouvelles se sont rendus coupables d’atteintes aux droits humains, notamment de détentions arbitraires, de torture et de mauvais traitements. Dans le nord du pays, l’absence de système judiciaire efficace favorisait le sentiment d’impunité.
En janvier, Khalil Coulibaly, Fane Zakaria et Yeo Ibrahime – ce dernier étant lui-même un ancien membre des Forces nouvelles – ont été arrêtés à Korhogo par des hommes des Forces nouvelles. Ils ont été aperçus par un témoin durant leur détention mais ont ensuite disparu.
En août, au moins 15 militants de l’Union nationale des Ivoiriens du renouveau (UNIR), un nouveau parti dirigé par Ibrahim Coulibaly, auraient été arrêtés de manière arbitraire par les Forces nouvelles à Séguéla, dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire, et accusés de déstabiliser la région. Les personnes arrêtées portaient apparemment des tee-shirts aux couleurs de leur parti. Elles ont été relâchées une semaine plus tard.
Les Forces nouvelles ont également extorqué de l’argent à de nombreux civils. Elles ont notamment imposé des « taxes » à l’entrée et à la sortie de certains villages, bafouant ainsi le droit de circuler librement.

Heurts interethniques dans l’ouest du pays
Dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, l’antagonisme entre les populations locales et les paysans d’autres régions ou de pays voisins (le Burkina Faso, par exemple) continuait de provoquer des conflits fonciers et des affrontements interethniques, que la rhétorique xénophobe de certaines personnalités politiques et des médias n’a fait qu’attiser.
En mars, différentes communautés de plusieurs villages situés le long de la zone contrôlée par les soldats français et l’ONUCI (Gohouo, Zagna, Baïbly et Doekpe notamment) se sont violemment affrontées. Les violences ont éclaté quand des membres de l’ethnie guéré ont tenté de reprendre les plantations occupées par des planteurs burkinabès. Plusieurs personnes ont été tuées et des milliers d’autres déplacées.

Atteintes à la liberté d’expression
Des journalistes et divers organes d’information ont été harcelés et agressés par les forces de sécurité et les milices progouvernementales, en particulier lors des manifestations du mois de janvier contre les Nations unies.
En janvier, des éléments des Jeunes patriotes ont tenté d’incendier la voiture dans laquelle circulaient des journalistes du quotidien 24 heures se rendant à une réunion du Groupe de travail international.
En novembre, des membres des forces de sécurité se sont introduits de force dans les locaux de la Radio-Télévision ivoirienne (RTI), propriété de l’État, et ont empêché la diffusion d’une déclaration du Premier ministre Charles Konan Banny. Par décret présidentiel, le directeur général de la RTI a été limogé et le conseil d’administration dissous.
La liberté d’expression était également menacée dans la zone contrôlée par les Forces nouvelles. À Bouaké, le fief de cette formation, certains programmes de la radio et de la télévision nationales continuaient d’être interdits.
En février, un journaliste indépendant a été roué de coups dans l’enceinte du Secrétariat général des Forces nouvelles, situé à Bouaké, et forcé de ramper sur une quarantaine de mètres tandis que ses agresseurs l’aspergeaient d’eau.

Visites d’Amnesty International
Au mois d’avril, une délégation d’Amnesty International s’est rendue en Côte d’Ivoire pour enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits humains qui auraient été commises durant les manifestations antionusiennes de janvier 2006, et sur le recours présumé à une force excessive de la part de soldats de la paix de l’ONUCI.

Autres documents d’Amnesty International

 Côte d’Ivoire. Protégez les journalistes ! (AFR 31/002/2006).

 Côte d’Ivoire. Affrontements entre forces de maintien de la paix et civils : leçons à tirer (AFR 31/005/2006).

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