PAKISTAN

De très nombreuses personnes ont été arrêtées de manière arbitraire et ont subi une disparition forcée. Parmi elles figuraient des suspects d’actes de terrorisme, des nationalistes baloutches et sindhis et des journalistes. Des homicides illégaux ont été perpétrés en toute impunité. La législation relative au blasphème a été utilisée abusivement contre des membres de minorités religieuses. Cette année encore, des crimes « d’honneur » ont été signalés. Des conseils tribaux et religieux qui exerçaient illégalement des fonctions judiciaires ont imposé des peines cruelles, inhumaines et dégradantes. Au moins 446 personnes ont été condamnées à mort. Le nombre d’exécutions signalées – 82, dont une concernant un mineur – était beaucoup plus élevé que les années précédentes.







Contexte
Alors que les affrontements opposant l’armée et les militants nationalistes s’intensifiaient dans la province du Baloutchistan, le gouvernement a conclu un accord de paix avec les chefs et les talibans des zones tribales. L’accord signé en septembre laissait, semble-t-il, la possibilité aux combattants tribaux de trouver refuge dans les zones tribales et d’y mettre en place des structures quasi gouvernementales. Il les autorisait également à percevoir des taxes, à imposer leur « code pénal » et à exercer des fonctions quasi judiciaires.
Plusieurs personnes ont été exécutées en public par des milices privées qui voulaient imposer leur propre interprétation des injonctions de l’islam. Plus d’une centaine de personnes à qui il était semble-t-il reproché de collaborer avec le gouvernement ont été tuées dans les zones tribales. De nombreux corps décapités ont été retrouvés porteurs de messages menaçant les partisans du gouvernement du même sort. Le dialogue avec l’Inde a marqué le pas, la police indienne ayant accusé le Pakistan d’implication dans des attentats à l’explosif perpétrés à Mumbai (Bombay) et le Pakistan reprochant à l’Inde de soutenir les nationalistes baloutches. Les négociations ont repris à la fin de l’année.


Arrestations arbitraires et disparitions forcées

De très nombreuses personnes soupçonnées de liens avec des groupes terroristes, ainsi que des journalistes et des militants baloutches et sindhis, ont été arrêtés de manière arbitraire et ont subi une disparition forcée. Lorsqu’ils étaient interrogés par les familles ou lors de procédures en habeas corpus devant les tribunaux, les représentants de l’État refusaient de fournir des informations sur la situation de ces détenus. Les personnes libérées se sont plaintes d’avoir été torturées et maltraitées.
Après plus de trois ans en détention dans la base américaine de Guantánamo Bay, à Cuba, Abdur Rahim Muslim Dost et son frère ont été libérés en avril. Abdur Rahim Muslim Dost, un Afghan installé au Pakistan, a été à nouveau arrêté en septembre à Peshawar, pour avoir, semble-t-il, publié un livre dans lequel était relatée son histoire et celle de son frère. Les audiences en habeas corpus ont été ajournées à plusieurs reprises. En décembre, les services de sécurité ont nié le détenir. On ignorait tout de son sort à la fin de l’année.
Munir Mengal, directeur de la première chaîne de télévision indépendante en baloutchi, qui émet depuis Doubaï, a été arrêté le 4 avril à l’aéroport de Karachi par des agents des services de renseignements. On restait sans nouvelles de lui à la fin de l’année. Des agents de l’immigration ont déclaré à ses proches qu’il avait été emmené par des membres des services de renseignements de l’armée pakistanaise. La police a refusé d’enregistrer une plainte. Lors des audiences en habeas corpus qui se sont déroulées en juillet devant la haute cour du Sind, le représentant du ministère de la Défense a affirmé qu’aucun de ses services ne détenait cet homme. Il a précisé que le ministère exerçait un contrôle administratif et non opérationnel sur ces organes, et qu’il n’était donc pas en mesure de faire exécuter une décision de justice.

Recours excessif à la force et homicides illégaux
L’impunité dont bénéficiaient les responsables d’exécutions illégales de suspects de droit commun et d’opposants politiques a favorisé l’augmentation de cette pratique.
En juin, le corps de Hayatullah Khan, abattu par balle, a été retrouvé au Waziristan-Nord. Cet homme avait été enlevé en décembre 2005 après avoir diffusé des photographies prouvant l’implication des forces américaines dans une attaque menée par un drone, ce qui contredisait la version officielle des faits. Les autorités avaient déclaré à plusieurs reprises à ses proches qu’il allait être libéré. Les conclusions de deux enquêtes officielles ont été soumises au gouvernement, mais elles n’ont pas été rendues publiques.
En janvier, entre 13 et 18 personnes auraient été tuées par des missiles tirés de drones américains dans les zones tribales. Au moins 82 personnes sont mortes en octobre à la suite d’une attaque similaire. Dans les deux cas, des enfants étaient, semble-t-il, au nombre des tués. Les autorités ont affirmé que les victimes étaient des « activistes », mais elles n’avaient toutefois pris aucune mesure pour les arrêter ni pour mettre un terme à leurs activités. Des responsables gouvernementaux ont prétendu que l’attaque d’octobre avait été menée uniquement par des hélicoptères pakistanais, bien que des témoins aient affirmé avoir entendu des bombes exploser vingt minutes avant l’arrivée de ces hélicoptères. Aucune enquête n’a été ouverte.

Absence de protection des minorités
Quarante-quatre affaires de blasphème ont été signalées en 2006. De telles procédures se prolongent pendant des années et les accusés, rarement remis en liberté sous caution, sont souvent maltraités en détention.
Accusé de blasphème, Ranjha Masih a été acquitté en novembre par la haute cour de Lahore, faute de preuves. Cet homme avait été condamné en 2003 à la détention à perpétuité après avoir été arrêté lors des funérailles, en 1998, d’un évêque catholique. Ce dernier s’était suicidé pour protester contre les atteintes aux droits fondamentaux des chrétiens.

Violences contre les femmes
Les crimes « d’honneur », les violences domestiques – y compris les mutilations – et les pratiques traditionnelles néfastes restaient très répandus. Les jirgas (conseils d’anciens), pourtant interdits en 2004 par la haute cour du Sind, continuaient de « condamner » des femmes et des jeunes filles à subir des châtiments cruels.
Dans les districts de Mardan et de Swabi (province de la Frontière du Nord-Ouest), sur une période de trois mois, 60 femmes et jeunes filles ont été remises à des ennemis de leur famille pour régler un conflit ou à titre de compensation pour un meurtre.
En novembre, le Parlement a adopté une modification des ordonnances de hodoud. Le texte voté, qui considère toujours les relations hétérosexuelles librement consenties en dehors du mariage comme une infraction pénale, prévoit toutefois que les plaintes dans de telles affaires doivent faire l’objet d’une enquête judiciaire en vue d’établir leur recevabilité avant qu’une inculpation soit prononcée. Jusqu’alors, la police arrêtait fréquemment en vertu de l’Ordonnance relative au zina (relations sexuelles en dehors du mariage) des couples qui n’étaient pas considérés comme légalement mariés par leurs proches. Ces personnes étaient ensuite inculpées de fornication. Les nouvelles dispositions interdisent également d’inculper de fornication une femme qui dépose une plainte pour viol sans être en mesure de prouver l’absence de consentement.
Une ordonnance présidentielle prévoyant le placement en liberté sous caution des femmes en cours de jugement pour des infractions autres que le meurtre, la corruption et les actes de terrorisme a été promulguée. Quelque 1 300 femmes inculpées de fornication ont été remises en liberté sous caution.

Droits des enfants
L’appel interjeté contre la décision par laquelle la haute cour de Lahore avait, en décembre 2004, abrogé pour inconstitutionnalité l’Ordonnance de 2000 relative à la justice pour mineurs, était toujours en instance. Comme les années précédentes, ce texte, rétabli provisoirement, n’était pas correctement appliqué. De nombreuses régions n’avaient pas de contrôleurs judiciaires et le nombre de tribunaux pour mineurs restait insuffisant, certaines parties du pays en étant même totalement dépourvues. Les mineurs continuaient d’être jugés avec des adultes.

Peine de mort
Pas moins de 446 personnes ont été condamnées à mort, dans la plupart des cas pour meurtre. Quatre-vingt-deux exécutions ont été recensées, essentiellement dans la province du Pendjab.
Mutabar Khan, qui avait semble-t-il seize ans en 1996, à l’époque où a été commis le meurtre dont il était accusé, a été exécuté en juin dans la prison centrale de Peshawar. N’étant pas en mesure de prouver son âge, il n’avait pu bénéficier des dispositions de l’Ordonnance présidentielle de 2001 commuant toutes les condamnations à mort prononcées contre des mineurs. La famille de la victime, qui avait dans un premier temps accepté de lui accorder son pardon en échange d’une indemnisation, était revenue sur sa décision.
En novembre, le président Moucharraf a commué la sentence capitale de Mirza Tahir Hussain après que l’exécution de celui-ci eut été reportée à plusieurs reprises. Cet homme avait été condamné à mort en 1998 pour vol à main armée et meurtre. Différents tribunaux avaient rendu des décisions contradictoires dans cette affaire, allant de l’acquittement à la peine capitale.

Secours après le tremblement de terre
Selon des organisations internationales de secours, de nombreux programmes de reconstruction avaient un financement insuffisant et étaient ralentis par des problèmes administratifs et l’absence d’informations sur les besoins des victimes. Le séisme d’octobre 2005 avait fait presque 73 000 morts et laissé plus de 3,5 millions de sans-abri.


Visites d’Amnesty International

Des délégués d’Amnesty International ont participé, en mars, au Forum social mondial tenu à Karachi. En septembre à Islamabad, des représentants de l’organisation ont tenu un atelier sur les disparitions forcées en collaboration avec la Commission des droits humains du Pakistan, une organisation non gouvernementale. Le gouvernement a nié toute responsabilité dans les nombreuses disparitions forcées recensées par Amnesty International. Le président Moucharraf a qualifié le rapport de l’organisation d’« absurdité » à laquelle il ne souhaitait pas réagir.

Autres documents d’Amnesty International

 Pakistan : Unlawful executions in the tribal areas (ASA 33/013/2006).

 Pakistan. Les droits humains bafoués au nom de la « guerre contre le terrorisme » (Synthèse) (ASA 33/035/2006).

 Pakistan : Human rights ignored in the “war on terror” (ASA 33/036/2006).

 Pakistan : Working to stop human rights violations in the “war on terror” (ASA 33/051/2006).

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