PHILIPPINES

Invoquant un complot visant à renverser le gouvernement, les autorités ont imposé l’état d’urgence pendant une semaine. Le droit à la liberté de réunion pacifique a fait l’objet de restrictions et plusieurs personnes, dont un certain nombre de personnalités politiques de gauche, ont été poursuivies pour rébellion. Des militants de gauche ont cette année encore été victimes d’homicides à caractère politique, dans le cadre de la « guerre totale » lancée par le gouvernement contre les rebelles communistes. Les enquêtes menées sur ces homicides par un groupe spécial de la police et une commission créés à cet effet n’ont débouché que sur un nombre limité d’arrestations et d’inculpations. Des arrestations arbitraires et des disparitions forcées ont été signalées dans le cadre des opérations anti-insurrectionnelles. Les pourparlers de paix entre le gouvernement et les séparatistes musulmans de l’île de Mindanao se sont poursuivis. Toutes les condamnations à mort ont été commuées et le Congrès a adopté une loi abolissant la peine capitale. Des groupes armés se seraient rendus coupables d’exactions, notamment d’homicides illégaux.



Complots présumés contre la sûreté de l’État

En février, la présidente Gloria Arroyo a décrété l’état d’urgence pendant une semaine. Cette mesure faisait suite, selon les autorités, à la découverte d’un complot visant à renverser le gouvernement et impliquant des membres de l’opposition modérée, qui auraient conclu une « alliance tactique » avec l’extrême droite, la rébellion communiste, l’extrême gauche et des éléments de l’armée.
La police a veillé à ce que l’interdiction des rassemblements publics soit appliquée. Elle a également effectué une descente dans les bureaux d’un journal, menaçant de faire fermer les organes de presse qui ne respecteraient pas une ligne éditoriale « responsable ».
De très nombreuses personnes ont été arrêtées ou menacées d’arrestation, notamment des membres de partis politiques légaux de gauche qui ont été accusés par le gouvernement et les autorités militaires d’entretenir des liens avec le Communist Party of the Philippines (CPP, Parti communiste des Philippines) et sa branche armée, la New People’s Army (NPA, Nouvelle Armée du peuple). Des dizaines de personnes, notamment des détracteurs du gouvernement, ont été arrêtées et inculpées de « rébellion » après le complot présumé.
Crispin Beltran, parlementaire du parti Anakpawis (Les Masses laborieuses), a été interpellé en février aux termes d’un mandat d’arrêt émis pour « rébellion ». La validité de ce mandat et de l’inculpation ultérieure pour « incitation à la sédition » ayant été contestée par ses avocats, il a ensuite été également inculpé de « rébellion ». Il n’avait pas été jugé fin 2006.
La police a voulu procéder à l’arrestation de cinq autres élus de gauche, officiellement soupçonnés, eux aussi, de « rébellion ». Bénéficiant de la protection du Parlement, ils sont restés pendant plus de deux mois dans l’enceinte de celui-ci, le temps que le parquet effectue son enquête préliminaire. Les poursuites engagées à leur encontre ont finalement été annulées en mai par un tribunal. Une autre action a cependant été engagée contre ces cinq parlementaires et contre plus de 45 autres militants de gauche, également pour « rébellion ». Tous restaient sous la menace d’une arrestation à la fin de l’année.

Homicides à caractère politique et lutte anti-insurrectionnelle

Le processus de paix engagé de longue date entre le gouvernement et le National Democratic Front (NDF, Front démocratique national), représentant du CPP-NPA, semblait avoir fait long feu. Les autorités ont en effet décidé de lancer une nouvelle offensive contre les rebelles communistes.
Des personnes appartenant à des partis politiques de la gauche légale, notamment à Bayan Muna (Le Peuple d’abord) et à Anakpawis, ont cette année encore été la cible d’attaques armées. Entre 61 et 96 meurtres politiques, selon les sources, ont été signalés en 2006. Ils étaient généralement commis par des hommes armés circulant à moto. Il semble que plusieurs des personnes visées avaient reçu des menaces de mort ou avaient été placées sous surveillance par des individus proches des forces de sécurité.
Dirigeant d’une minorité ethnique et coordonnateur provincial de Bayan Muna, Rafael Markus Bangit a été abattu par deux hommes masqués dans la province d’Isabela, dans le nord de l’île de Luçon. Il a été tué alors qu’il s’apprêtait à remonter dans un autocar, lors d’un déplacement qu’il effectuait en compagnie de son fils. Il avait confié un peu plus tôt à certains de ses collègues qu’il pensait être sous surveillance.
Les auteurs de tels actes étaient d’autant plus rarement traduits en justice que les enquêtes ne donnaient apparemment guère de résultats et que les témoins et les proches des victimes avaient trop peur pour accepter de collaborer avec la police. En mai, les autorités ont mis en place au sein de la police une unité chargée spécifiquement de ces enquêtes. À la fin de l’année, cependant, seules quelques personnes avaient été arrêtées, les actions en justice restaient rares et les affaires remontant à 2001 n’avaient donné lieu à aucune inculpation. La présidente Gloria Arroyo a nommé au mois d’août une commission présidée par un ancien juge de la Cour suprême, José Melo, et chargée d’enquêter sur les homicides perpétrés. Cette commission devait également faire des recommandations concernant les mesures à prendre, notamment sur les plans judiciaire et législatif.
À mesure que les opérations militaires s’intensifiaient, se sont multipliées les informations faisant état de détentions arbitraires, d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et d’actes de torture et de harcèlement, dont auraient été victimes des civils soupçonnés de soutenir le CPP-NPA.
Au mois de février, Audie Lucero, dix-neuf ans, militant du Kilusan para sa Pambansang Demokrasya (KPD, Mouvement pour la démocratie nationale), un parti de gauche, a « disparu » après avoir été interrogé par des soldats et des policiers dans un hôpital de Balanga (province de Bataan, dans l’île de Luçon). Il avait été questionné à propos de l’un de ses amis blessés, qu’il avait accompagné jusqu’à l’établissement pour y être soigné. Son corps a été retrouvé dans un champ le lendemain. L’armée a déclaré que le blessé appartenait aux forces rebelles.
Toujours au mois de février, la police a arrêté 10 jeunes gens âgés de dix-neuf à vingt-quatre ans et une adolescente de quinze ans, qui faisaient de l’autostop dans la province de Benguet pour aller assister à un festival de musique organisé dans la station de Sagada. La plupart d’entre eux se sont plaints d’avoir été à moitié étouffés à l’aide de sacs en plastique et aspergés d’essence par les policiers, qui cherchaient à leur faire « avouer » qu’ils avaient participé à une attaque de la NPA contre un détachement militaire. Inculpés de vol et d’homicide, les 11 jeunes ont été détenus jusqu’à décembre.


Abolition de la peine de mort

La présidente Gloria Arroyo a annoncé en avril que toutes les condamnations à mort étaient commuées. Au moins 1 230 personnes avaient été condamnées à mort depuis 1994. Leurs peines ont été commuées en emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle.
Le Parlement a adopté un projet de loi abrogeant la loi relative à la peine de mort. La nouvelle loi a été promulguée en juin par la présidente de la République. En 1987, les Philippines avaient été le premier pays asiatique à abolir la peine capitale pour tous les crimes. Ce châtiment avait cependant été rétabli en 1994 et sept condamnés avaient été exécutés depuis par injection.


Processus de paix à Mindanao

Les négociations de paix entre le gouvernement et les séparatistes du Moro Islamic Liberation Front (MILF, Front de libération islamique moro) se poursuivaient, mais elles progressaient lentement. Les pourparlers continuaient d’achopper sur la question de la propriété de certaines terres ancestrales et sur les limites d’une éventuelle région autonome musulmane étendue, qui serait mise en place dans le cadre d’un accord de paix.
L’accord de cessez-le-feu était régulièrement violé, du fait des affrontements entre le MILF et les forces gouvernementales. Des attentats à la bombe ont également été perpétrés, de façon sporadique, contre des objectifs civils. Ces actes seraient le fait d’islamistes, dont certains seraient proches du MILF. Les dirigeants du MILF ont affirmé n’avoir aucune relation ni avec la Jemaah Islamiyah (JI, Communauté islamique), un réseau régional accusé d’implication dans des actes violents ou à caractère terroriste, ni avec le groupe Abu Sayyaf, organisation séparatiste musulmane des Philippines responsable d’enlèvements et de meurtres de civils.
En octobre, le Sénat a adopté des amendements à un projet de loi antiterroriste, réduisant notamment la durée pendant laquelle un suspect peut être maintenu en détention sans être présenté à une instance judiciaire, et supprimant du texte original les dispositions qui visaient à donner à l’armée des pouvoirs en matière d’application des lois.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus aux Philippines en février, pendant l’état d’urgence, puis en décembre.


Autres documents d’Amnesty International


 Philippines : Political killings, human rights and the peace process (ASA 35/006/2006).

 Philippines : Towards ensuring justice and ending political killings (ASA 35/010/2006).

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