LYBIE

Faisant un usage excessif de la force, les responsables de l’application des lois ont tué au moins 12 personnes lors de la dispersion d’une manifestation et un détenu au cours d’une mutinerie. Plus de 150 prisonniers politiques, dont des prisonniers d’opinion, ont recouvré la liberté à la faveur d’amnisties. Des restrictions sévères pesaient toujours sur la liberté d’expression et d’association. Plusieurs Libyens soupçonnés d’activités politiques à l’étranger ont été arrêtés ou ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation à leur retour dans le pays. Cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien ont été condamnés pour la seconde fois à être passés par les armes. Le traitement réservé aux migrants, aux réfugiés et aux demandeurs d’asile restait source de préoccupation. Aucun progrès n’a été accompli pour établir le sort des personnes qui ont été victimes de disparition forcée au cours des années précédentes.




Contexte
L’amélioration des relations avec les États-Unis et les pays de l’Union européenne s’est poursuivie. Les États-Unis ont rétabli des relations diplomatiques complètes avec la Libye en mai, puis ont retiré le pays de la liste des États qui soutiennent le terrorisme.
En mars, Al Baghdadi Ali al Mahmudi a remplacé Choukri Mohamed Ghanem au poste de Premier ministre. Ce dernier, qui avait entamé un vaste programme de réformes, s’était heurté à l’opposition d’autres personnalités influentes.
Les autorités ont annoncé la mise en place de nouveaux mécanismes dans le domaine des droits humains, chargés notamment d’enquêter sur les plaintes formulées par des particuliers. Elles n’ont toutefois fourni que peu d’informations sur ces organes et sur leur mode de fonctionnement.

Recours excessif à la force
Mort de manifestants à Benghazi
Au moins 12 personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été blessées, en février, lorsque des policiers ont tiré sur des manifestants à Benghazi. Ceux-ci protestaient contre la publication par des journaux européens de caricatures représentant le prophète Mahomet, et contre la démarche d’un ministre italien qui était apparu à la télévision nationale vêtu d’un tee-shirt sur lequel l’un des dessins était reproduit. Selon les autorités, plusieurs centaines de personnes avaient commencé à protester de manière pacifique, mais la manifestation a dégénéré lorsqu’un groupe d’individus s’est mis à lancer des pierres contre le consulat d’Italie et s’en est pris aux policiers qui protégeaient le bâtiment ; ces derniers ont alors riposté en tirant à balles réelles. D’autres manifestations ont eu lieu les jours suivants à Benghazi et dans plusieurs villes de l’est du pays, notamment à Tobrouk et à Darna. Les forces de sécurité ont également eu recours à une force excessive pour les disperser, causant la mort d’au moins cinq personnes.
Les autorités ont condamné publiquement l’usage excessif de la force et limogé le secrétaire général du Comité populaire général de la sécurité publique (équivalent du ministère de l’Intérieur). Elles ont annoncé, en juillet, que le parquet général avait immédiatement diligenté les investigations nécessaires et qu’il avait inculpé 10 hauts fonctionnaires pour avoir, entre autres, donné l’ordre d’utiliser des armes à feu, en violation de la loi. On ignorait toutefois s’ils avaient été jugés à la fin de l’année.
Mort de détenus à la prison d’Abou Salim
En octobre, Hafed Mansur al Zwai a été tué et plusieurs autres prisonniers ont été blessés à la suite d’affrontements avec les forces de sécurité dans la prison d’Abou Salim, à Tripoli. Le parquet général a annoncé une semaine plus tard l’ouverture d’une enquête, mais les conclusions de celle-ci n’avaient pas été rendues publiques à la fin de l’année. Les autorités ont indiqué dans un premier temps que Hafed Mansur al Zwai avait été tué par balle, mais le rapport officiel d’autopsie a attribué la mort à un coup porté à la tête. Le parquet général a affirmé que trois autres détenus et huit policiers avaient dû être hospitalisés. Selon des sources non confirmées, cependant, neuf prisonniers ont été transférés à l’hôpital après avoir été blessés, notamment par balle. La mutinerie a été déclenchée au retour dans la prison de plusieurs dizaines de détenus, après l’ajournement d’un procès qui devait se tenir devant un tribunal pénal spécialisé dans les affaires de terrorisme. Les prévenus étaient accusés d’actes de terrorisme et d’appartenance à une organisation interdite, qui serait Al Jamaa al Islamiya al Muqatila al Libiya (Groupe islamique combattant libyen).
En juillet, les autorités ont annoncé que l’enquête sur la mutinerie qui avait éclaté en 1996 dans la prison d’Abou Salim, à la suite de laquelle quelque 1 200 prisonniers avaient trouvé la mort, suivait son cours. Aucune information n’a toutefois été fournie sur les investigations menées.

Libération de prisonniers politiques
Six prisonniers politiques – Muftah al Mezeini, Awad al Urfi, Ahmed Zaed, Musa al Shaeri, Salah Khazzam et Ahmed al Khafifi – ont été élargis en janvier en raison de leur état de santé. Ahmed al Khafifi avait été condamné à la détention à perpétuité par le Tribunal populaire après avoir été déclaré coupable de soutien à une organisation interdite. Abolie en 2005, cette juridiction d’exception chargée des affaires politiques ne respectait pas les droits des accusés.
En mars, quelque 130 prisonniers, dont plusieurs dizaines de détenus politiques, ont recouvré la liberté à la faveur d’une amnistie. Parmi les personnes libérées figuraient environ 85 membres d’Al Jamaa al Islamiya al Libiya (Groupe islamique libyen, également connu sous le nom de Frères musulmans), pour beaucoup détenus depuis 1998. La Fondation Kadhafi pour le développement (anciennement Fondation internationale Kadhafi pour les organisations caritatives), dirigée par Saif al Islam Kadhafi, fils du chef de l’État, était parvenue à la conclusion que ces prisonniers n’avaient pas utilisé la violence ni préconisé son usage. Les peines prononcées à leur encontre en 2002 par le Tribunal populaire (deux condamnations à mort et de longues périodes d’emprisonnement) avaient été infirmées par la Cour suprême en septembre 2005, avant d’être à nouveau imposées par une juridiction inférieure, en février. Amnesty International considérait ces détenus comme des prisonniers d’opinion, tandis que les autorités affirmaient qu’ils avaient été condamnés équitablement par un tribunal pénal ordinaire pour avoir fondé une organisation secrète interdite en vue de renverser le système politique.
Abdurrazig al Mansouri, un écrivain et journaliste qui avait été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement en octobre 2005 pour détention d’une arme sans permis, a lui aussi été remis en liberté. Selon toute apparence, il avait en fait été placé en détention en raison des articles politiques et relatifs aux droits humains en Libye qu’il avait diffusés sur un site Internet peu avant son interpellation.
Certains prisonniers ont apparemment été libérés sous condition. Les membres des Frères musulmans, en particulier, auraient été obligés de signer un engagement selon lequel ils ne participeraient pas à des activités politiques.
Une vingtaine de prisonniers politiques de nationalité jordanienne, libanaise, libyenne ou syrienne ont été libérés en novembre. Ils faisaient partie d’un groupe de 52 personnes arrêtées à Benghazi en 1990 et accusées d’avoir tenté de renverser le gouvernement et d’avoir diffusé des idées subversives depuis l’étranger. Certains de ces prisonniers ont déclaré avoir été torturés pendant leur détention au secret. Les personnes élargies faisaient partie d’un groupe de 23 détenus condamnés en 1991 à la détention à perpétuité par le Tribunal populaire.

Restrictions à la liberté d’expression et d’association
Des restrictions sévères pesaient toujours sur la liberté d’expression et d’association. En août, Saif al Islam Kadhafi a critiqué les restrictions persistantes, notamment l’absence de liberté de la presse et la domination exercée sur les médias par quatre journaux gouvernementaux. Il a publiquement réclamé une réforme politique et déclaré que des individus étaient emprisonnés sans raison. Dans le courant du même mois néanmoins, Mouammar Kadhafi a exhorté ses partisans à « tuer les ennemis » qui réclamaient un changement politique.
Fathi el Jahmi était maintenu en détention dans un lieu tenu secret, qui pourrait être un centre spécial de l’Agence de sûreté intérieure. Il n’était, semble-t-il, autorisé à recevoir la visite de ses proches qu’à intervalles de plusieurs mois. Ce prisonnier d’opinion avait été arrêté en mars 2004 pour avoir, lors d’entretiens avec des médias internationaux, critiqué le chef de l’État et appelé à des réformes politiques. Selon les autorités, il avait été autorisé à consulter un avocat et était en instance de jugement pour avoir transmis à un État étranger des informations préjudiciables à l’intérêt national. On ignorait toutefois le lieu où il était jugé.
Plusieurs Libyens soupçonnés d’activités politiques à l’étranger ont été arrêtés ou ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation à leur retour au pays ; certains avaient pourtant, semble-t-il, reçu des autorités l’assurance qu’ils ne seraient pas arrêtés.
Idriss Boufayed, détracteur de longue date du gouvernement, a été interpellé et placé en détention au secret au début du mois de novembre. Les autorités n’ont pas indiqué à sa famille les motifs de son arrestation ni le lieu où il était détenu. Selon des informations non confirmées, il était maintenu sous bonne garde dans un hôpital psychiatrique de Tripoli. Cet homme, qui avait obtenu le statut de réfugié en Suisse, était rentré en Libye en septembre, apparemment après avoir reçu l’assurance de diplomates libyens qu’il ne serait pas inquiété par les autorités. Il a été remis en liberté à la fin décembre.
En juillet, les autorités ont fourni des détails à propos de Mahmoud Boushima et Kamel el Kailani, arrêtés et placés en détention en juillet 2005 à leur retour du Royaume-Uni. Elles ont affirmé que ces deux hommes avaient été inculpés d’appartenance au Groupe islamique combattant libyen, et que Mahmoud Boushima était maintenu en détention en attendant la fin de l’enquête. Kamel el Kailani a été libéré en avril. Selon certaines informations, tous deux avaient reçu l’assurance qu’ils ne seraient pas arrêtés à leur retour en Libye.

Peine de mort
Aucune exécution n’a été signalée, mais des condamnations à mort ont, cette année encore, été prononcées.
En décembre, cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien ont été condamnés pour la seconde fois à être passés par les armes, après avoir été déclarés coupables d’avoir sciemment transmis le VIH à des centaines d’enfants libyens dans un hôpital de Benghazi en 1998. Des « aveux » dont les accusés affirment qu’ils ont été obtenus sous la torture ont été retenus à titre de preuve, et les avocats de la défense n’ont pas été autorisés à faire citer des experts médicaux étrangers. Ces six professionnels de la santé sont détenus depuis 1999. Les condamnations à mort prononcées la première fois à leur encontre avaient été annulées en 2005 par la Cour suprême.

Droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés
Le traitement des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés restait un motif de préoccupation. Selon certaines sources, les étrangers arrêtés parce qu’ils étaient en situation irrégulière étaient souvent frappés ou soumis à d’autres formes de mauvais traitements durant leur détention. Ils étaient expulsés lors d’opérations collectives, sans être autorisés à rencontrer un avocat ni bénéficier d’un examen individuel de leur cas.
Lors d’une conférence euro-africaine sur les migrations et le développement qui s’est tenue à Tripoli en novembre, les autorités libyennes ont annoncé une augmentation sensible des renvois de migrants. Quelque 50 000 étrangers avaient ainsi été expulsés entre le début de l’année et le 6 novembre, contre moins de 5 000 en 2004.

Autres documents d’Amnesty International

 Libye. Amnesty International se félicite de la libération de prisonniers politiques (MDE 19/002/2006).

 Libye. Il faut enquêter sur des morts en détention (MDE 19/006/2006).

 Libye. Les condamnations à mort prononcées contre des membres du personnel soignant étranger doivent être annulées (MDE 19/007/2006).

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