Amériques — Résumé

« Les gens me demandent : “Pourquoi ne pardonnes-tu pas ?” Parce que personne ne me dit ce qui est arrivé à mon père. Est-il mort ou vivant ? On me dit “Ne rouvre pas cette blessure”. Rouvrir ? La plaie est à vif, elle n’a jamais cicatrisé. »

Cela fait plus de 30 ans que Tita Radilla Martínez n’a pas vu son père, Rosendo Radilla. Il avait 60 ans lors de sa disparition forcée, en 1974. La dernière fois que quelqu’un a aperçu ce militant des droits sociaux et ancien maire, c’était dans une caserne de l’État de Guerrero, au Mexique.
La décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme qui, en novembre, a condamné le Mexique pour n’avoir pas dûment enquêté sur la disparition forcée de Rosendo Radilla a fait renaître chez ses proches l’espoir de connaître enfin la vérité et d’obtenir justice.
Des années 1960 au milieu des années 1980, quand de nombreux pays d’Amérique latine étaient dirigés par des régimes militaires, plusieurs centaines de milliers de personnes ont été torturées, victimes de disparition forcée et assassinées. Encore davantage ont été contraintes à l’exil. Le retour de gouvernements civils, démocratiquement élus, n’a toutefois pas permis de venir à bout de l’impunité dont jouissaient la plupart des auteurs de ces crimes. De fait, l’absence d’obligation de rendre des comptes sur les violences commises durant cette période sombre a contribué à perpétuer des politiques et des pratiques qui ont elles-mêmes entretenu le cycle infernal des violations des droits humains. Le message est clair : le fait que les responsables présumés, toutes positions hiérarchiques confondues, ne soient pas traduits en justice laisse entendre que les détenteurs du pouvoir se placent au-dessus des lois.
Ces dernières années, cependant, un nombre croissant de pays d’Amérique latine ont réalisé des avancées notables en matière de lutte contre l’impunité, en reconnaissant que la réconciliation est un concept vide de sens s’il ne repose pas sur les droits à la vérité, à la justice et à des réparations. Jusqu’à très récemment, dans la plupart des affaires, seuls les membres subalternes des forces de sécurité directement responsables du crime faisaient l’objet de poursuites et de condamnations. Les autorités ne prenaient guère de mesures pour déférer à la justice les véritables instigateurs des opérations, destinées à éliminer impitoyablement la dissidence et l’opposition.
Mais en avril de cette année, pour la toute première fois, un chef d’État démocratiquement élu a été reconnu coupable de violations des droits fondamentaux. L’ancien président du Pérou, Alberto Fujimori, a été condamné à 25 ans de réclusion pour de graves violations commises en 1991, dont des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires. Cette condamnation a enfin montré aux pays du continent américain que nul n’échappe à la justice. Les juges ont conclu que l’ancien président portait une responsabilité pénale individuelle dans ces affaires, puisqu’il assumait le commandement militaire de ceux qui ont perpétré les crimes.
Alberto Fujimori n’a pas été le seul ancien chef d’État à comparaître au cours de l’année. Le procès du lieutenant-colonel Désiré Bouterse, au pouvoir au Suriname de 1981 à 1987, a repris en 2009. L’ancien président était jugé avec 24 autres personnes pour la mort de 13 civils et de deux militaires tués dans une base de l’armée à Paramaribo en décembre 1982. En Uruguay, l’ancien général Gregorio Álvarez, président de facto de 1980 à 1985, a quant à lui été condamné à 25 ans d’emprisonnement pour l’enlèvement et l’assassinat de 37 militants en Argentine, en 1978.
En Colombie, le Conseil d’État a confirmé la révocation d’un général pour violations des libertés fondamentales. Álvaro Velandia Hurtado et trois autres officiers ont été relevés de leurs fonctions militaires pour les actes de torture, la disparition forcée et l’exécution extrajudiciaire dont Nydia Erika Bautista a été victime en 1987. Par ailleurs, le général à la retraite Jaime Uscátegui a été condamné, en novembre, à 40 ans de réclusion pour sa participation au massacre de 49 civils, perpétré en 1997 à Mapiripán par des paramilitaires d’extrême droite.
De 1976 à 1983, alors que l’Argentine était aux mains des militaires, l’École supérieure de mécanique de la Marine (ESMA) a fait office de centre de détention clandestin : plusieurs milliers de personnes ont été victimes de disparition forcée ou torturées – ou les deux – après avoir été conduites dans ces lieux. Dix-sept anciens officiers de l’ESMA, dont Alfredo Astiz, sont enfin passés en jugement pour violations des droits humains, notamment pour torture et homicide. Ils comparaissaient, entre autres chefs, pour le meurtre de deux religieuses françaises, d’un journaliste et de trois fondatrices de l’association de défense des droits humains Mères de la place de Mai. Alfredo Astiz avait déjà été poursuivi pour ces crimes en 1985, mais des lois d’amnistie, abrogées depuis, avaient interrompu la procédure.
Au Paraguay, Sabino Augusto Montanaro, ministre de l’Intérieur sous la présidence du général Alfredo Stroessner, a été arrêté en mai après avoir regagné le pays de son propre gré à la suite d’une période d’exil. Il pourrait être jugé pour violations des droits humains, notamment pour des crimes qui auraient été commis dans le cadre de l’opération Condor, un programme mené conjointement par plusieurs pays de la région contre les opposants politiques présumés. Au Chili, plus de 165 agents à la retraite de la Direction des services nationaux du renseignement (DINA) ont été inculpés, en septembre, pour leur rôle dans cette opération, ainsi que dans d’autres affaires de torture et de disparition forcée survenues au cours des premières années du régime militaire chilien.
Malgré ces avancées notables dans un nombre croissant de dossiers emblématiques, la justice semblait toujours hors de portée pour la plupart des centaines de milliers de victimes. Des lois d’amnistie ont continué à entraver les efforts entrepris au Salvador, au Brésil et en Uruguay pour obliger les auteurs de violations à rendre des comptes ; un référendum national organisé en Uruguay sur l’annulation de la Loi de prescription de 1986 n’a pas obtenu la majorité nécessaire pour que ce texte soit abrogé. Peu avant le référendum, la Cour suprême uruguayenne avait toutefois conclu au caractère anticonstitutionnel de cette loi dans l’affaire concernant Nibia Sabalsagaray, jeune militante de l’opposition torturée puis assassinée en 1974. Cet arrêt, ainsi que les interprétations faites par l’exécutif pour limiter le champ d’application du texte, ont permis à la justice de gagner du terrain.
Au Mexique, l’enquête menée à la demande de la Cour suprême sur les violations commises en 2006, lors de la crise politique dans l’État d’Oaxaca, s’est achevée dans des délais un peu plus rapides, laissant aux victimes l’espoir que le moment d’obtenir justice approchait. La Cour a conclu que le gouverneur de l’État et d’autres hauts responsables devaient être appelés à rendre des comptes, mais aucune mesure n’a été prise pour les inculper.
Cependant, de nombreuses autres enquêtes ont été entravées ou abandonnées en 2009 et des familles en quête de vérité, de justice et de réparations ont de nouveau vu leurs espoirs et leurs attentes déçus. Un tribunal fédéral mexicain a ainsi classé sans suites les poursuites pour génocide engagées contre l’ancien président Luis Echeverría. Au Brésil, les forces armées ont continué de faire obstruction lorsqu’il s’agissait d’avancer sur la question des atteintes commises par le passé. Dans le cadre du troisième plan national en matière de droits humains, le président Luiz Inácio Lula da Silva a annoncé, en décembre, la création d’une commission vérité et réconciliation chargée d’enquêter sur les actes de torture, les homicides et les disparitions forcées survenus sous le régime militaire qui a gouverné le pays de 1964 à 1985. On craignait cependant que cette proposition ne soit vidée d’une bonne partie de sa substance en raison de pressions concertées exercées par l’armée.
Enfin, concernant le comportement des agents des États-Unis dans la « guerre contre le terrorisme », peu de mesures ont été prises pour faire comparaître devant les tribunaux les responsables présumés de violations des droits humains.

Justice internationale

Les juridictions nationales ont pris des mesures pour lutter contre l’impunité en Amérique latine et la justice internationale a continué à jouer un rôle important. En juin, le Chili a été le dernier État d’Amérique du Sud à ratifier le Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale (CPI). La déclaration au titre de l’article 124 du Statut de Rome, par laquelle la Colombie suspendait durant sept ans la reconnaissance de la compétence de la CPI en matière de crimes de guerre, a expiré en novembre. Des investigations devraient désormais pouvoir être menées sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
En janvier, une juridiction espagnole a inculpé 14 militaires salvadoriens – des soldats et des officiers – de crimes contre l’humanité et de terrorisme d’État pour le meurtre de six prêtres jésuites, de leur aide-ménagère et de la fille de celle-ci âgée de 16 ans, commis en novembre 1989 à l’Université centraméricaine (UCA), au Salvador.
En août, un juge paraguayen a ordonné l’extradition de l’ancien médecin militaire Norberto Bianco vers l’Argentine, où il devait être jugé pour son rôle présumé dans la détention illégale de plus de 30 femmes et dans l’appropriation ultérieure de leurs enfants, en 1977 et 1978, sous le régime militaire.
Le procès de l’ancien procureur général chilien Alfonso Podlech, inculpé pour son implication dans la disparition forcée de quatre personnes (dont l’ancien prêtre Omar Venturelli) dans les années 1970, s’est ouvert en Italie en novembre. Au cours du même mois, un tribunal des États-Unis a conclu qu’il existait des motifs suffisants pour juger l’ancien président bolivien Gonzalo Sánchez de Lozada et l’ex-ministre de la Défense Carlos Sánchez Berzaín devant une juridiction civile américaine, pour crimes contre l’humanité, notamment des exécutions extrajudiciaires.

Préoccupations en matière de sécurité publique

Dans de nombreux pays, la situation en matière de sécurité publique demeurait un motif de vive préoccupation. Le nombre de meurtres a continué d’augmenter, en particulier au Mexique, au Guatemala, au Honduras, au Salvador et à la Jamaïque. Des millions de personnes parmi les populations les plus démunies d’Amérique latine et des Caraïbes subissaient la violence des bandes criminelles mais aussi les agissements de responsables de l’application des lois, dont les méthodes répressives étaient marquées par les discriminations et la corruption. Parallèlement, les membres des forces de sécurité, de la police en particulier, devaient exercer leur métier dans des conditions mettant souvent leur propre vie en danger.
Les réseaux du crime organisé ayant étendu leurs activités du trafic de stupéfiants aux enlèvements et à la traite d’êtres humains (notamment de femmes et d’enfants), les migrants en situation irrégulière et les autres groupes vulnérables couraient des risques accrus. Les États de la région faisaient généralement très peu d’efforts pour rassembler des données sur ces nouvelles difficultés et les analyser, et encore moins pour empêcher ces violences et déférer leurs auteurs à la justice.
De graves violations des droits humains, notamment des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitement, venaient semble-t-il compromettre dans de nombreux cas les initiatives prises par les autorités pour lutter contre la montée de la criminalité. Au Brésil, à la Jamaïque, en Colombie et au Mexique, les forces de sécurité ont été accusées d’avoir commis plusieurs centaines d’homicides illégaux – qui, dans leur vaste majorité, ont été considérés comme de simples homicides survenus alors que la victime tentait d’échapper à une arrestation, ou simplement rejetés en tant que fausses accusations destinées à porter atteinte à l’honneur de ces forces.
Malgré les informations faisant état de graves violations des droits humains commises par des membres de l’armée et des forces de sécurité, la Colombie et le Mexique ont continué de bénéficier d’un substantiel soutien des États-Unis en matière de sécurité. L’aide devrait encore s’accroître dans le cadre de l’Initiative de Mérida – un accord de coopération représentant un important soutien financier conclu entre le Mexique (et certains pays d’Amérique centrale) et les États-Unis pour lutter contre le crime organisé.
Certains pays de la région des Amériques ont encouragé l’adoption d’autres formes de programmes de sécurité publique – une démarche essentielle pour contrecarrer certaines méthodes illégales de maintien de l’ordre. Dans bien des cas, ces projets ne répondaient cependant pas aux attentes et ont été critiqués par les populations concernées (notamment en République dominicaine et à la Jamaïque), qui leur reprochaient de retarder encore davantage la réforme urgente et plus que nécessaire du maintien de l’ordre et, de manière générale, de ne pas répondre à leurs besoins.

Conflits et crises

La tendance générale à l’accumulation des armements constatée en 2009 dans cette région du monde laissait craindre des répercussions sur les droits d’hommes et de femmes déjà confrontés à un climat de relative – ou totale – insécurité.
En Colombie, la population civile continuait de payer un lourd tribut au conflit armé interne qui sévissait dans le pays depuis 40 ans. Toutes les parties en présence – forces de sécurité, paramilitaires et mouvements de guérilla – ont cette année encore commis des atteintes aux droits humains systématiques et généralisées, et transgressé le droit international humanitaire. Les peuples indigènes, les dirigeants de la société civile et les défenseurs des droits humains figuraient parmi les personnes les plus vulnérables. Au moins trois millions de personnes (mais ce chiffre pourrait atteindre cinq millions) ont été déplacées de force par le conflit, dont quelque 286 000 au cours de la seule année 2009. Des civils ont, cette année encore, été assassinés ; les femmes et les jeunes filles continuaient d’être victimes de violences sexuelles. Certaines communautés ont de nouveau subi des prises d’otage, des disparitions forcées, des enrôlements forcés d’enfants et des attaques aveugles. Des personnes perçues comme menaçant les intérêts de l’un ou l’autre camp ont reçu des menaces de mort visant à les intimider.
La Colombie n’était toutefois pas le seul pays de la région où régnaient à la fois l’insécurité et l’instabilité. Rappelant de façon inquiétante le passé tourmenté de la région, un coup d’État soutenu par l’armée a eu lieu au Honduras en juin 2009. À la suite de ce putsch, le premier en Amérique latine depuis celui du Venezuela en 2002, le pays a traversé plusieurs mois d’agitation politique et d’instabilité, que les élections de novembre n’ont pas permis de résoudre. En réaction aux manifestations organisées contre le coup d’État, les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force et s’en sont pris physiquement aux opposants, ou ont tenté de les intimider. La liberté d’expression a fait l’objet de restrictions et plusieurs médias ont été fermés. Des informations ont par ailleurs fait état de violences contre les femmes et du meurtre de plus de 10 femmes transgenres. L’accord de Tegucigalpa-San José, négocié par la communauté internationale et prévoyant la création d’une commission vérité devant établir les responsabilités, n’a pas été mis en œuvre et le pays demeurait dirigé par un gouvernement de facto à la fin de l’année.

Relations entre les pays de la région

Les promesses de partenariat formulées par les États-Unis ont fait naître l’espoir de voir se redessiner le réseau des relations entre les pays de la région. Lors de son allocution au cinquième Sommet des Amériques organisé en avril à Trinité-et-Tobago, le président Barack Obama a promis l’avènement d’une ère de respect mutuel et l’adoption d’une approche multilatérale. À la fin de l’année, ces relations ont néanmoins été mises à rude épreuve par la crise au Honduras, par la politique américaine vis-à-vis de Cuba ainsi que par la décision de la Colombie d’autoriser les États-Unis à utiliser certaines de ses bases militaires. Les tensions croissantes entre plusieurs pays d’Amérique latine – entre la Colombie et ses voisins l’Équateur et le Venezuela, ou entre le Pérou et ses voisins le Chili et la Bolivie – ont elles aussi nui aux différentes actions tendant vers une meilleure intégration régionale.

Préoccupations d’ordre économique – pauvreté

Les Amériques présentent toujours des inégalités profondes et tenaces, en particulier en matière de revenus, de santé et d’état nutritionnel, d’exposition à la violence et à la criminalité, et d’accès à l’éducation et aux services élémentaires.
Bien que certains pays d’Amérique latine et des Caraïbes n’aient pas été touchés par la crise financière internationale aussi durement qu’on l’avait craint dans un premier temps, on estimait que 9 millions d’habitants de cette région du monde avaient basculé dans la pauvreté au cours de la seule année 2009, un mouvement qui renversait la tendance récente vers une diminution de la pauvreté monétaire, favorisée par la croissance économique. Avec des niveaux d’engagement variables, les États ont pris des mesures pour protéger des conséquences de la crise les franges les plus fragiles de la population et ont évité des régressions en matière de droits sociaux. En Amérique latine et aux Caraïbes, les prestations sociales demeurent toutefois extrêmement faibles et les politiques de long terme destinées à la lutte contre les violations subies par les personnes vivant dans le dénuement ne sont pas suffisantes. Les habitants les plus touchés étaient encore une fois ceux qui subissaient déjà des discriminations, notamment les femmes, les enfants et les communautés indigènes.
En 2009, accoucher en toute sécurité demeurait un privilège réservé aux femmes les plus riches du continent. Dans tous les pays – y compris ceux à l’économie prospère comme les États-Unis et le Canada –, les femmes déjà marginalisées, comme les Afro-Américaines ou les Amérindiennes, étaient celles qui couraient le plus grand risque de mourir de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement. Aux États-Unis, ces écarts étaient les mêmes depuis 25 ans.

Violences contre les femmes et les filles

Les violences contre les femmes et les jeunes filles demeuraient endémiques. Le nombre de violences domestiques, de viols et d’abus sexuels signalés, ainsi que les cas de mutilation et de meurtre après un viol, ont augmenté au Mexique, au Guatemala, au Salvador, au Honduras, au Nicaragua et à Haïti. Dans plusieurs pays, notamment au Nicaragua, à Haïti et en République dominicaine, les éléments d’information recueillis laissaient penser que plus de la moitié de ces victimes étaient des jeunes filles.
Plusieurs organes internationaux ont pointé du doigt les discriminations subies par les femmes ainsi que l’absence d’enquêtes rigoureuses sur les plaintes pour violences. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a ainsi condamné le Mexique pour ne pas avoir pris de mesures efficaces afin d’empêcher que trois femmes soient enlevées et tuées à Chihuahua en 2001. Elle a ordonné l’ouverture d’une enquête digne de ce nom et l’octroi de réparations aux proches des victimes. Dans plusieurs pays, dont l’Uruguay, le Venezuela et la République dominicaine, les autorités ont reconnu ne pas être en mesure de traiter le nombre élevé de plaintes relatives à des violences contre des femmes, bien que des services spécialisés dans les violences liées au genre aient été créés au sein de plusieurs systèmes judiciaires. Les soins médicaux accordés aux victimes étaient souvent insuffisants, voire complètement inexistants.
La mise en œuvre des lois destinées à garantir le respect des droits des femmes et à empêcher les violences était lente, en particulier en Argentine, au Mexique, à la Jamaïque et au Venezuela. Un certain nombre de pays – essentiellement dans les Caraïbes – ont certes adopté des réformes, mais ils ne respectaient pas les normes internationales en matière de droits humains dans la mesure où ils n’érigeaient pas le viol en infraction quelles que soient les circonstances.
L’avortement en cas de viol ou lorsque la santé de la mère est en jeu était accessible et disponible dans un certain nombre de pays, notamment en Colombie, à Cuba et aux États-Unis, ainsi que dans le district fédéral de Mexico. Dans de nombreux autres États où la loi l’autorisait, les femmes rencontraient néanmoins des obstacles dans la pratique. Au Pérou, des mesures ont été prises en vue de dépénaliser l’avortement dans certaines situations. En République dominicaine et dans 17 États mexicains, toutefois, les réformes constitutionnelles mises en place pour protéger le droit à la vie dès la conception laissaient craindre qu’une totale interdiction de l’avortement ne soit en passe d’être adoptée. L’interdiction totale de l’interruption de grossesse dans toutes les circonstances demeurait en vigueur au Chili, au Salvador et au Nicaragua.
Alors que le droit des femmes à la vie et à la santé était bien reconnu dans les législations, la question de l’avortement continuait de susciter des clivages et des sentiments contrastés ; des militants et des professionnels de la santé associés à la défense ou à la pratique de l’avortement ont reçu des menaces et, aux États-Unis, un médecin a été assassiné.
Sur un plan plus positif, des mesures ont été prises pour faire respecter les droits des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et des transgenres. La ville de Mexico a adopté un projet de loi sans précédent légalisant le mariage entre personnes du même sexe. Toutefois, le Honduras, le Pérou et le Chili, de même que le Guyana, la Jamaïque et des pays des Caraïbes, ne protégeaient pas les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles et les transgenres contre le harcèlement et les manœuvres d’intimidation.

Peuples indigènes

Les pratiques discriminatoires à l’égard des populations indigènes demeuraient à la fois généralisées et systématiques dans l’ensemble de la région. Les mesures prises concrètement pour protéger les droits de ces peuples étaient en décalage par rapport aux discours. De manière générale, les droits des autochtones n’étaient pas pris en considération lors de l’attribution de concessions pétrolières ou d’autorisations d’exploitation de forêts ou d’autres ressources naturelles. Le droit à un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, sur les questions susceptibles d’avoir un retentissement sur la vie de ces communautés est prévu par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, formulée en 2007. Au Canada, au Pérou, en Argentine, au Chili et au Paraguay, Amnesty International a recueilli des informations sur des cas où les autorités n’avaient pas mis en place de procédure solide pour que ce droit soit respecté dans les projets d’aménagement.
Ainsi, l’exploitation massive du pétrole et du gaz s’est poursuivie dans le nord de l’Alberta, au Canada, sans le consentement des Cris du Lubicon, mettant à mal l’utilisation par ceux-ci de leurs terres traditionnelles et contribuant à un taux élevé de problèmes de santé et de pauvreté.
Dans l’ensemble de la région, des autochtones ont été évincés de leurs terres traditionnelles. Il arrivait fréquemment que les dirigeants indigènes et les membres de leur communauté subissent des menaces, des manœuvres d’intimidation et des violences.
En Bolivie, la nouvelle Constitution entrée en vigueur en février faisait valoir le rôle central et la pluralité des identités indigènes dans le pays et définissait un cadre de réforme, notamment en attribuant au système judiciaire indigène la même hiérarchie qu’à l’appareil judiciaire ordinaire.
Tout au long de l’année, les populations indigènes de la région ont mené campagne pour le respect de leurs droits sociaux, civils, économiques, culturels et politiques. Elles ont souvent été confrontées à des manœuvres d’intimidation et de harcèlement, à un usage excessif de la force, à de fausses accusations ainsi qu’à la détention. Au Mexique, dans l’État de Querétaro, une femme indigène a recouvré la liberté mais deux autres, inculpées des mêmes chefs, attendaient l’issue de nouveaux procès s’appuyant sur des accusations forgées de toutes pièces. Elles se trouvaient toujours en détention à la fin de l’année. Au Pérou, des dirigeants indigènes ont été accusés d’insurrection, de sédition et de complot contre l’État, trois chefs ne semblant se fonder sur aucun élément solide. Ces inculpations faisaient suite à la levée par la police d’un barrage routier mis en place par plusieurs centaines d’autochtones. Au cours de cet épisode, des dizaines de manifestants ont été blessés et 33 personnes tuées, dont 23 policiers. En Colombie, les autorités ont souvent accusé à tort les communautés indigènes et leurs responsables d’être proches des mouvements de guérilla.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Le nouveau gouvernement des États-Unis semblait promettre des changements de fond dans certaines des pratiques qui, au cours des sept dernières années, ont porté atteinte aux garanties internationales relatives aux droits humains. La fin du programme de détention secrète de l’Agence centrale du renseignement (CIA), par exemple, ainsi que la publication de certaines informations qui avaient servi à conférer une base juridique au programme, ont été accueillis favorablement. Hélas, tous les engagements ne se sont pas concrétisés. Annoncé au deuxième jour de son mandat par le président Obama, le délai d’une année pour la fermeture du centre de détention de Guantánamo a été rallongé, les acteurs de la politique partisane l’ayant emporté sur la question des droits fondamentaux des détenus. Le nouveau gouvernement a décidé que certains détenus de Guantánamo devaient comparaître devant des tribunaux fédéraux ordinaires, mais cette mesure encourageante a été ternie par la décision de maintenir les commissions militaires pour juger d’autres prisonniers.
Parallèlement, des personnes sont restées incarcérées à la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, comme à l’époque du gouvernement précédent ; par ailleurs, les États-Unis n’ont pas respecté leur obligation légale de veiller à ce que les responsables des violations des droits humains commises depuis septembre 2001 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme rendent compte de leurs actes, et à ce que des réparations soient versées aux victimes.

Peine de mort

Cinquante-deux personnes ont été exécutées aux États-Unis au cours de l’année. Bien qu’il s’agisse du chiffre le plus élevé dans ce pays depuis 2006, le nombre d’exécutions demeurait néanmoins largement inférieur à ceux enregistrés lors du pic de la fin des années 1990. Le nombre de condamnations à mort a continué de reculer – même au Texas et en Virginie, deux États représentant près de la moitié de toutes les exécutions perpétrées sur le territoire américain depuis 1977. Une centaine de personnes ont été condamnées dans l’ensemble du pays, alors que ce chiffre s’élevait à 300 il y a une quinzaine d’années. En mars, le Nouveau-Mexique a été le 15e État à abolir la peine de mort mais, trois mois plus tard, le gouverneur du Connecticut a opposé son veto à une tentative similaire des instances législatives de son État.
Bien que des condamnations à mort aient été prononcées aux Bahamas, au Guyana et à Trinité-et-Tobago, aucune exécution n’a eu lieu dans ces pays.

Conclusion

Malgré les avancées enregistrées dans un nombre important d’affaires emblématiques, les obstacles légaux, politiques et juridictionnels qui avaient contribué à renforcer l’impunité dans cette région du monde demeuraient considérables.
Dans l’ensemble de la région, les victimes de violations, leur famille et les défenseurs des libertés fondamentales les soutenant continuaient de braver les manœuvres d’intimidation, les menaces et le harcèlement, et ils menaient campagne vigoureusement pour que les autorités et les groupes armés respectent leurs obligations au regard des normes nationales et internationales relatives aux droits humains.
Tita Radilla Martínez a instamment demandé au gouvernement du Mexique de se conformer à la décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui a ordonné la fin du recours aux juridictions militaires pour toutes les affaires relatives aux droits humains, afin que la vérité sur la disparition forcée de son père, et de centaines d’autres, soit enfin établie. Ces femmes et ces hommes ont besoin de justice. Le temps des discours prometteurs est terminé.

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