Afghanistan

Plus de sept ans après le renversement du régime des talibans par les États-Unis et leurs alliés, la population afghane continuait d’être victime d’atteintes massives aux droits humains et de violations du droit international humanitaire. L’accès aux soins, à l’éducation et à l’aide humanitaire s’est dégradé, en particulier dans le sud et le sud-est du pays, en raison de l’intensification des affrontements entre les forces afghanes et internationales d’un côté, et les talibans et autres groupes armés de l’autre. Les atteintes aux droits humains liées au conflit ont augmenté dans les régions du nord et de l’ouest de l’Afghanistan, considérées auparavant comme relativement sûres.

RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’AFGHANISTAN
CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Hamid Karzaï
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 28,2 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 43,6 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 233 / 238 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 28 %

Contexte

Les talibans et d’autres groupes opposés au gouvernement ont intensifié leurs attaques contre des civils dans tout le pays, notamment contre des écoles et des dispensaires. Les allégations faisant état de fraudes pendant l’élection présidentielle de 2009 ont mis en évidence des préoccupations plus générales à propos de la mauvaise gestion des affaires publiques et de la corruption endémique au sein du gouvernement. Les Afghans étaient confrontés à une criminalité liée au développement du trafic de drogue, à la faiblesse et à l’incompétence de l’appareil judiciaire et à l’absence systématique de respect de l’état de droit. L’impunité persistait, les autorités s’abstenant de soumettre à des enquêtes et à des poursuites certaines personnalités du gouvernement que beaucoup soupçonnaient d’implication dans des violations des droits humains et des activités illégales.

Selon l’indicateur du développement humain des Nations unies, l’Afghanistan était le deuxième pays le plus pauvre sur 182. Son taux de mortalité maternelle était aussi le deuxième du monde. Seuls 22 % des Afghans avaient accès à de l’eau potable.

Impunité – élections nationales

Le Plan d’action pour la paix, la réconciliation et la justice en Afghanistan, adopté en 2005, n’avait toujours pas été mis en œuvre et les groupes armés illégaux n’étaient pas démantelés, ce qui a permis à des individus soupçonnés d’atteintes graves aux droits humains de faire acte de candidature et d’exercer des fonctions publiques.
Le gouvernement afghan et ses soutiens internationaux ont omis de mettre en place des mécanismes appropriés de protection des droits humains en prévision des élections du mois d’août. Ces dernières ont été marquées par des violences et des allégations de fraude massive – bourrage d’urnes, fermetures anticipées de bureaux de vote, ouvertures de bureaux non autorisés, votes multiples notamment.
Malgré les vives protestations de l’opinion publique, le gouvernement formé par le président Karzaï après sa réélection comprenait plusieurs personnes qui faisaient l’objet d’allégations crédibles et publiques de crimes de guerre et d’atteintes graves aux droits humains, commis aussi bien durant la guerre civile qu’après la chute des talibans.

Conflit armé

Exactions perpétrées par des groupes armés
Les pertes civiles imputables aux talibans et à d’autres groupes armés ont augmenté. Selon le Bureau de sécurité des ONG en Afghanistan (ANSO), les groupes armés ont mené, entre janvier et septembre, plus de 7 400 attaques à travers tout le pays. Les Nations unies ont recensé plus de 2 400 morts parmi les civils, dont environ les deux tiers ont été tués par les talibans.
Les violences ont atteint des sommets en août durant la période des élections ; de nombreuses attaques étaient menées sans discrimination ou visaient des civils. Les écoles et les dispensaires qui servaient de bureaux de vote étaient particulièrement exposés. Selon les Nations unies, au moins 16 écoles et un dispensaire ont été attaqués le jour du scrutin par les talibans et d’autres groupes armés.
• Le 11 février, les talibans ont perpétré un attentat-suicide et tiré des coups de feu contre trois bâtiments gouvernementaux à Kaboul. Au moins 26 personnes, dont 20 civils, ont trouvé la mort et plus de 60 autres, des civils pour la plupart, ont été blessées.
• Le 17 septembre, l’explosion suicide d’une voiture piégée au passage d’un convoi de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) à Kaboul a coûté la vie à 18 personnes au moins, dont 10 civils ; plus de 30 autres civils ont été blessés. L’attaque a été revendiquée par les talibans.
• Au moins 30 civils ont été tués et 31 autres ont été blessés dans des attaques menées par les talibans le jour du scrutin.
• Le 8 octobre, 13 civils et deux policiers ont été tués et 60 autres civils et 13 policiers ont été blessés lors d’un attentat-suicide à la voiture piégée perpétré par des talibans devant l’ambassade de l’Inde à Kaboul.
• Le 28 octobre, des combattants talibans ont pris d’assaut une résidence des Nations unies à Kaboul, tuant cinq employés étrangers des Nations unies ainsi qu’un civil et deux agents de sécurité afghans. Cette attaque, la plus meurtrière depuis des années pour les Nations unies en Afghanistan, a entraîné la réinstallation de plus de 600 employés étrangers hors du pays.
Cette année encore, les talibans et d’autres groupes armés ont attaqué des écoles et pris pour cibles des enseignants et des élèves. Quatre cent cinquante-huit écoles ont été fermées en raison de l’insécurité à travers le pays mais surtout dans le sud, ce qui a affecté 111 180 enfants. Les talibans attaquaient particulièrement les écoles de filles.
• En mai, plus de 84 écolières ont été hospitalisées à la suite d’une attaque au gaz dans une école de filles de la province de Kapisa.
Violations des droits humains imputables aux forces internationales et afghanes
Les forces internationales ont révisé leurs consignes d’ouverture du feu afin de réduire les pertes civiles mais, malgré cela, le nombre de civils tués à la suite d’opérations des forces internationales et afghanes a augmenté au cours des six premiers mois de l’année. Les forces américaines et celles de l’OTAN ne disposaient d’aucun mécanisme cohérent et systématique permettant d’enquêter sur les pertes civiles, d’établir les responsabilités et d’indemniser les victimes.
• Le 4 septembre, une frappe aérienne de l’OTAN à proximité du village d’Amarkhel, dans la province de Kunduz, a fait de très nombreux morts (142, selon certaines sources, dont 83 étaient probablement des civils. Bien qu’elles aient été en mesure de le faire, les forces de l’OTAN n’avaient pas averti les habitants de l’imminence de l’attaque (voir Allemagne).
• Le 27 août, des soldats de l’OTAN qui accompagnaient des unités de l’armée afghane ont attaqué une clinique dans la province de Paktika où un chef taliban était apparemment soigné. Cette attaque constituait une violation du droit international humanitaire, qui protège les combattants ne participant plus aux hostilités pour cause de blessures.
• Le 4 mai, des frappes aériennes américaines dans le district de Bala Baluk (province de Farah), dans l’ouest du pays, ont tué plus d’une centaine de civils. Selon des responsables de l’armée américaine et de l’OTAN, des combattants talibans s’infiltraient dans la population pour monter des attaques contre les civils.

Liberté d’expression – journalistes

Les talibans et d’autres groupes armés ont intensifié leurs attaques contre des journalistes afghans et bloqué pratiquement toute l’information dans les régions qu’ils contrôlaient. Des journalistes ont également fait l’objet de manœuvres d’intimidation et d’attaques de la part des autorités.
Les talibans ont tenté de perturber la couverture de l’élection par les médias. Des employés des médias ont subi des manœuvres d’intimidation et des pressions de la part de partisans du président Karzaï et d’autres candidats, en particulier de son rival Abdullah Abdullah. Deux journalistes et deux personnes qui travaillaient pour les médias ont été tués par les forces gouvernementales et par des groupes armés ; beaucoup d’autres ont été agressés.
Comme les années précédentes, le gouvernement n’a ordonné aucune enquête approfondie sur les homicides et les attaques dont ont été victimes des journalistes.
•  ?En juillet, cinq journalistes qui avaient couvert une manifestation et dénoncé la corruption de la police ont été frappés par des policiers à Hérat.
•  ?Le 11 mars, Jawed Ahmad, un journaliste afghan qui travaillait pour un organisme d’information étranger, a été tué par des insurgés dans la province de Kandahar.
•  ?En septembre, Sayed Parwiz Kambakhsh a été gracié par le président Karzaï et a obtenu l’asile politique dans un pays tiers. Cet homme purgeait une peine de 20 ans d’emprisonnement pour « blasphème » parce qu’il aurait diffusé un article remettant en cause le rôle des femmes dans l’islam.

Violences contre les femmes et les filles

Les femmes, les jeunes filles et les fillettes continuaient d’être victimes d’une discrimination généralisée et de violences domestiques, ainsi que d’enlèvements et de viols commis par des individus armés. Elles étaient vendues, échangées pour mettre un terme à un conflit ou régler des dettes, ou victimes de mariages forcés, y compris avant d’avoir atteint l’âge légal pour se marier. Dans certains cas, des femmes et des filles ont été directement visées par les talibans et d’autres groupes armés.
Cette année encore, des défenseures des droits des femmes ont été victimes de violences, de harcèlement, de discrimination et de manœuvres d’intimidation aussi bien de la part de personnalités gouvernementales que de talibans et d’autres groupes armés.
• En avril, Sitara Achekzai, secrétaire du conseil provincial de Kandahar et défenseure éminente des droits des femmes, a été assassinée par les talibans.
Évolutions législatives
Le gouvernement a fait passer deux lois relatives aux femmes.
• Le mois de mars a vu l’adoption du Code du statut personnel chiite, qui contenait plusieurs dispositions discriminatoires envers les femmes chiites. Cette loi a toutefois été modifiée en juillet à la suite de critiques émanant de groupes afghans de défense des droits des femmes et de la communauté internationale, mais certaines dispositions discriminatoires ont été maintenues.
• En août, le président et le gouvernement ont adopté la Loi relative à l’élimination de la violence contre les femmes. Ce texte érigeait en infraction pénale la violence contre les femmes, y compris celle exercée au sein de la famille ; il était en instance d’approbation par le Parlement à la fin de l’année.

Restrictions de l’aide humanitaire
Les manœuvres des insurgés, en particulier dans les provinces du sud et de l’est, empêchaient de nombreuses organisations humanitaires et de secours d’intervenir dans ces régions. Les attaques contre des employés d’organisations humanitaires imputables aux talibans et à d’autres groupes armés ont considérablement augmenté, y compris dans le nord. Cent soixante-douze attaques contre des ONG et des employés d’organisations humanitaires ont été recensées ; 19 personnes ont été tuées, 18 autres blessées et 59 ont été enlevées. En raison du conflit, les organisations humanitaires ne pouvaient pas accéder à certaines des zones les plus touchées dans le sud et l’est du pays, ce qui a privé plusieurs millions de personnes d’une assistance et de soins médicaux essentiels. Treize convois d’aide humanitaire ont été attaqués et pillés par des groupes armés durant le seul mois de mars.

Droit à la santé

Le conflit continuait d’avoir des conséquences négatives pour les infrastructures sanitaires. Dans le sud, en particulier, des cliniques et des dispensaires ont subi les effets d’opérations menées par les deux parties, ce qui, à son tour, a eu des conséquences extrêmement graves pour les civils en matière d’accès aux soins.
• Deux centres de santé primaire dans les districts de Nawa et de Garamseer (province du Helmand) ont été occupés en août par des troupes afghanes et internationales et utilisés comme bases militaires. Le dispensaire du district de Nawa a rouvert en septembre et celui de Garamseer a été transféré ailleurs.
• Le 6 septembre, dans la province du Wardak, les troupes de la FIAS ont fait une descente dans un hôpital du Comité suédois pour l’Afghanistan, qu’elles ont fouillé.

Personnes déplacées

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estimait à 297 000 le nombre d’Afghans qui se trouvaient déplacés dans le pays, dont plus de 60 000 avaient quitté leur foyer pendant l’année. La plupart avaient fui les affrontements dans le sud, l’est et le sud-est du pays. Des milliers d’Afghans sont également partis de chez eux à cause de la sécheresse, de crues soudaines et de la pénurie de nourriture dans le centre et le nord du pays.
Plusieurs milliers de personnes vivaient dans des camps improvisés à Kaboul et à Hérat où elles ne disposaient que d’abris précaires et où la nourriture, l’eau potable, les possibilités d’éducation et les services de santé étaient nettement insuffisants.
Selon le HCR, 368 786 Afghans réfugiés au Pakistan et en Iran sont rentrés chez eux au cours de l’année. Certains n’ont pas pu se réinstaller dans leur région d’origine en raison du manque de travail et des difficultés d’accès à la terre, au logement, à l’eau potable et d’irrigation, à la santé et à l’éducation. Dans plusieurs cas, des milices locales alliées au gouvernement s’étaient approprié leurs terres et leurs biens.
Plusieurs milliers de Pakistanais qui avaient fui les opérations militaires dans le nord-ouest du Pakistan – les zones tribales sous administration fédérale et la vallée de Swat – ont trouvé refuge dans les provinces de la Kunar, de Khost et du Paktika, dans l’est de l’Afghanistan (voir Pakistan).

Arrestations et détentions arbitraires

Plusieurs centaines d’Afghans étaient toujours maintenus en détention arbitraire, sans aucun fondement juridique et en dehors de toute procédure légale. Quelque 700 Afghans demeuraient incarcérés pour des « raisons de sécurité », sans inculpation ni jugement et pour une durée indéfinie, dans le centre de détention de la base aérienne de Bagram, gérée par les États-Unis. Les États-Unis ont inauguré le 15 novembre un nouveau centre de détention « amélioré » adjacent à celui de Bagram, mais ils continuaient de priver les détenus de toute procédure régulière (voir États-Unis).
Les forces américaines et celles de l’OTAN continuaient de transférer des détenus à la Direction nationale de la sécurité (DNS, l’agence afghane du renseignement), où ils risquaient d’être torturés et maltraités, maintenus en détention arbitraire et jugés dans le cadre de procès inéquitables.
Des responsables de l’application des lois ont détenu illégalement – et même dans certains cas jugé – des personnes pour des faits non prévus par le Code pénal, par exemple le non-respect d’obligations contractuelles, des conflits familiaux et des actes qualifiés de « crimes moraux ». La DNS arrêtait et plaçait en détention des personnes, notamment des journalistes, pour des actes considérés comme constituant un « risque pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État » et définis de manière vague par la législation afghane.

Système judiciaire

Dans le rapport qu’il a présenté en février au Conseil des droits de l’homme [ONU], le gouvernement a reconnu les carences du système judiciaire, notamment la corruption, l’absence de présomption d’innocence et les problèmes auxquels étaient confrontées les femmes pour accéder à la justice.
Les procès n’étaient pas conformes aux normes internationales d’équité : les prisonniers ne disposaient pas du temps nécessaire à la préparation de leur défense et n’étaient pas assistés d’un avocat, les juges s’appuyaient sur des éléments de preuve peu convaincants ou extorqués sous la torture ou au moyen d’autres formes de mauvais traitements et les accusés n’étaient pas autorisés à citer et à interroger des témoins.

Peine de mort

Cent trente-trois personnes ont été condamnées à mort en première instance, et 24 d’entre elles ont vu leur peine confirmée par la Cour suprême. Au moins 375 autres étaient sous le coup d’une sentence capitale.

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