Kenya

Les autorités n’ont guère cherché à faire en sorte que les responsables d’atteintes aux droits humains commises lors des violences postélectorales de 2007-2008 soient traduits en justice et que les victimes reçoivent des réparations appropriées. Aucune mesure n’a été prise pour mettre un terme à l’impunité dont jouissent les agents des forces de sécurité qui se sont rendus cou-pables d’homicides illégaux et d’actes de torture. Les défenseurs des droits humains s’exposaient à des risques considérables et à de sérieuses menaces. Les violences contre les femmes, les jeunes filles et les fillettes demeuraient très répandues. Plusieurs milliers de personnes ont été expulsées de force de chez elles. Le chef de l’État a commué en peines d’emprisonnement à vie les sentences capitales pesant sur plus de 4 000 détenus condamnés depuis de longues périodes. Cette année encore, les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort. Aucune exécution n’a eu lieu.

RÉPUBLIQUE DU KENYA
CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Mwai Kibaki
PEINE DE MORT : abolie en pratique
POPULATION : 39,8 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 53,6 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 112 / 95 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 73,6 %

Contexte

Le gouvernement a adopté plusieurs mesures recommandées par les accords conclus dans le cadre de la médiation politique (appelée Dialogue national et réconciliation au Kenya) qui a suivi les violences postélectorales de 2007-2008. En février, une commission d’experts a été nommée afin d’engager la rédaction d’un nouveau projet de modification de la Constitution. Elle a rendu ce projet public en novembre dans le but de recueillir les observations de la population. La Commission électorale indépendante provisoire a été formée en avril. Elle a pour mission de surveiller le déroulement des élections au cours des deux années à venir, dans l’attente de la mise en place d’un organe électoral permanent. En septembre, le gouvernement a nommé les membres de la Commission de la cohésion et de l’intégration nationales, chargée aux termes d’une loi de 2008 de promouvoir l’intégration nationale. Dans l’ensemble toutefois, la mise en place des réformes fondamentales proposées au titre des accords n’a pas enregistré de véritables avancées.
Des différends ont régulièrement éclaté au sein du gouvernement et entre les deux principaux partis politiques constituant la coalition – le Parti de l’unité nationale et le Mouvement démocratique orange. De ce fait, les réformes tant attendues dans les domaines juridique, constitutionnel, agraire et électoral, entre autres, ont été retardées.
Plusieurs dizaines de personnes ont été tuées, notamment dans le centre du pays, au cours d’épisodes de violence impliquant des groupes locaux d’autodéfense et des membres de la milice Mungiki. La police ne parvenait pas à assurer le maintien de l’ordre et le respect de la loi.

Impunité – violations des droits humains commises après les élections

Aucune mesure n’a été mise en œuvre pour que les auteurs des violations des droits humains – notamment de possibles crimes contre l’humanité – perpétrées lors des violences postélectorales de 2007-2008 soient amenés à répondre de leurs actes. Plus de 1 000 personnes ont été tuées lors de ces événements.
En février, le Parlement a rejeté un projet de loi visant à la création d’un tribunal spécial chargé d’enquêter sur les violences postélectorales et de juger leurs auteurs présumés. En juillet, le Conseil des ministres a refusé d’approuver une nouvelle mouture du projet de loi. En août, un parlementaire a déposé une proposition de loi en ce sens, qui n’avait pas été examinée à la fin de l’année.
En juillet, le gouvernement a indiqué que les atteintes aux droits humains commises lors des violences postélectorales seraient examinées dans le cadre du processus de vérité, justice et réconciliation, et qu’il allait à cet effet entreprendre des « réformes accélérées de l’appareil judiciaire, de la police et des organes publics chargés des enquêtes ». Aucun calendrier n’a toutefois été fixé.
Également en juillet, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a une nouvelle fois fait savoir aux autorités kenyanes qu’il leur incombait au premier chef d’enquêter sur les crimes susceptibles de relever de la compétence de la CPI, et d’engager éventuellement des poursuites. En novembre, le procureur a sollicité auprès de la Chambre préliminaire l’autorisation d’enquêter sur les crimes contre l’humanité qui pourraient avoir été commis lors des violences survenues à la suite des élections. La Chambre n’avait pas rendu sa décision à la fin de l’année.
Police et autres forces de sécurité
Aucun membre des forces de sécurité n’a été traduit en justice à titre individuel pour les homicides illégaux et autres violations des droits humains commises dans le passé récent.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a mené une mission d’enquête au Kenya en février. Son rapport, rendu public en mai, a confirmé que des violations des droits humains avaient été perpétrées de manière systématique et généralisée par des policiers et par d’autres membres des forces de sécurité. Le document faisait état d’exécutions illégales, d’actes de torture et d’autres violations des droits humains commises par des policiers lors des violences postélectorales de 2007-2008, au cours d’opérations menées contre des membres présumés de la milice interdite Mungiki, ainsi que lors d’une opération de sécurité engagée en 2007 dans le district du mont Elgon, dans l’ouest du pays.
Un groupe de travail constitué par le gouvernement a recommandé en novembre une série de mesures de grande portée visant à réformer la police. Il préconisait notamment la mise en place d’un organe indépendant de surveillance ayant pour double mission d’enquêter sur les plaintes déposées contre les forces de sécurité et de statuer sur ces plaintes. On ignorait au juste dans quel délai et de quelle manière ces recommandations seraient appliquées.

Défenseurs des droits humains

Début mars, Oscar Kingara et Paul Oulu ont été tués à Nairobi par des individus armés qui n’ont pas été identifiés. Les deux hommes, qui travaillaient pour la Fondation Oscar, une organisation d’aide juridique et de défense des droits humains, avaient fourni au rapporteur des Nations unies lors de sa visite des renseignements sur des homicides apparemment commis par des policiers. Les enquêtes diligentées pour éclaircir ces deux assassinats semblaient au point mort.
Plusieurs défenseurs des droits humains, dont des responsables d’ONG travaillant à Nairobi et des militants locaux de la région du mont Elgon, dans l’ouest du Kenya, ont fui le pays après avoir fait l’objet de menaces et de manœuvres de harcèlement imputables à des fonctionnaires de police et d’autres membres des forces de sécurité.

Personnes déplacées

Les camps qui accueillaient la majeure partie des milliers de familles déplacées lors des violences postélectorales ont pour la plupart fermé. D’après les estimations, quelque 200 000 personnes déplacées sont rentrées chez elles au cours de l’année. En septembre, le gouvernement a ordonné la réinstallation dans un délai de deux semaines de toutes les personnes encore présentes dans les camps ; il a annoncé l’octroi d’une allocation à cet effet. En octobre toutefois, des milliers de personnes restaient déplacées dans des camps de transit ou d’autres lieux. Selon les Nations unies, 7 249 familles étaient accueillies dans 43 camps de transit de la province de la Vallée du Rift. De nombreuses personnes déplacées déploraient de ne pas avoir reçu d’aide des pouvoirs publics lorsqu’elles ont essayé de rentrer chez elles ou de se réinstaller. D’autres ont indiqué que cette aide était souvent inadaptée. Plusieurs centaines de familles se sont plaintes d’être contraintes de quitter les camps pour retourner dans leurs villages alors qu’elles craignaient pour leur sécurité.

Violences contre les femmes et les filles

Les femmes, les jeunes filles et les fillettes demeuraient largement victimes de violences liées au genre et n’ont bénéficié, cette année encore, que d’un accès limité à la justice. En mars, une étude menée par la section kenyane de la Fédération internationale des femmes juristes a révélé que les femmes et les jeunes filles souffrant d’un handicap couraient trois fois plus de risque que les autres d’être victimes de violences liées au genre. D’après l’enquête, ces sévices étaient rarement signalés.
Commission vérité, justice et réconciliation
Le gouvernement a nommé en juillet les membres de la Commission vérité, justice et réconciliation créée après les violences postélectorales. Ce même mois, le président kenyan a avalisé les modifications de la Loi de 2008 relative à la Commission introduites par la Loi de 2009 sur les lois et règlements écrits (modifications diverses). Aux termes de l’article 34 modifié, aucune amnistie ne pourra être recommandée par la Commission dans les cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains. On déplorait toutefois que la Loi relative à la Commission ne prévoie pas de véritable protection pour les victimes et les témoins, ni de réparations appropriées pour les victimes.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Les autorités ont renvoyé de force en Somalie un nombre croissant de demandeurs d’asile. Officielle-ment, le gouvernement n’est pas revenu sur sa décision, prise en janvier 2007, de fermer sa frontière avec la Somalie. Plus de 50 000 réfugiés et demandeurs d’asile somaliens sont toutefois parvenus à pénétrer sur le territoire kenyan au cours de l’année 2009.
Les conditions humanitaires du camp de Dadaab, qui accueille la plupart des réfugiés somaliens, se sont encore dégradées. La population du camp était trois fois supérieure à sa capacité d’accueil.

Liberté d’expression

La loi portant modification de la loi relative à l’information et à la communication au Kenya a été promulguée en janvier. On redoutait que ce texte n’entraîne des restrictions injustifiées de la liberté d’expression. En juillet, une nouvelle loi relative aux médias a abrogé les dispositions de la loi de janvier qui accordaient au gouvernement un pouvoir de contrôle sur les informations diffusées par les médias. La loi prévoyait également la création d’un organe public indépendant habilité à réglementer les médias.
Plusieurs journalistes ont été la cible d’intimidations et de menaces lancées par des représentants de l’État au sujet d’articles critiques à l’égard de l’action gouvernementale.
 ?En janvier, Francis Kainda Nyaruri, journaliste indépendant basé dans le sud-ouest du Kenya, a été assassiné par des inconnus. D’après la presse locale, cet homicide pourrait être lié à des articles dans lesquels il dénonçait des pratiques entachées de corruption et d’autres irrégularités commises, affirmait-il, par la police du secteur. Selon les informations recueillies, deux suspects ont été arrêtés mais aucune poursuite n’a été engagée. Des témoins du meurtre ont reçu des menaces, proférées par des policiers selon les témoignages.

Droit à un logement convenable

En septembre, le Parlement a adopté le rapport du groupe de travail sur le complexe forestier de Mau, mis en place en 2008 par le gouvernement. Le document recommandait notamment l’expulsion de plusieurs milliers de familles. Les autorités ont alors établi une unité chargée de coordonner la réhabilitation de la forêt, mais n’ont pas mis en place un plan d’action global concernant les évictions recommandées, qui permettrait de ne pas procéder à des expulsions forcées du type de celles ayant frappé, en 2004 et 2006, plusieurs milliers de personnes. La première phase du programme d’expulsion mis en place par les pouvoirs publics pour les années à venir s’est déroulée en novembre, concernant, selon les autorités, 2 850 foyers, soit 20 345 hommes, femmes et enfants. La plupart des personnes expulsées ont indiqué qu’elles n’avaient pas été averties en bonne et due forme et ne disposaient pas d’une solution de relogement. Beaucoup se retrouvaient dans des installations de fortune à l’intérieur de camps provisoires, et ne bénéficiaient d’aucun service, pas même d’un abri d’urgence.
En juillet, près de 3 000 personnes ont été expulsées de leur logement à Githogoro, une localité de la périphérie de Nairobi. Les policiers ont indiqué aux habitants qu’ils disposaient d’un délai de 72 heures pour vider leurs logements avant l’arrivée des bulldozers des pouvoirs publics. Officiellement, ces expulsions sont intervenues dans le cadre du projet

gouvernemental de construction d’une nouvelle route, la rocade nord.

À la fin de l’année, plusieurs centaines de familles vivant dans des campements précaires à proximité du fleuve Nairobi risquaient toujours d’être expulsées d’un moment à l’autre, les autorités leur ayant demandé en 2008 de quitter les lieux. Aucune disposition n’a été prise pour assurer lors de ces opérations le respect des garanties prévues par la loi et d’autres mesures protectrices.
Le gouvernement n’a pas tenu son engagement, pris en 2006, de mettre en place au niveau national des directives en matière d’expulsion. Les autorités n’ont pas non plus instauré de moratoire sur les expulsions forcées dans l’attente de l’application de ces dispositions.
Quelque deux millions de personnes – la moitié de la population de Nairobi – vivaient toujours dans des bidonvilles et des constructions de fortune, entassées sur seulement 5 % des zones d’habitation de la capitale. Les habitants non seulement subissaient des conditions de vie sordides et l’absence de services de base, mais se trouvaient également en butte à la discrimination, à l’insécurité et à l’exclusion. Malgré l’adoption en 2005 de directives nationales relatives à l’hébergement, qui promettaient la mise en œuvre progressive du droit au logement, le gouvernement n’a, cette année encore, pas fourni d’habitations accessibles et abordables. Le processus d’amélioration des bidonvilles piétinait et ne bénéficiait toujours pas de financements suffisants. Les habitants se plaignaient de n’être pas suffisamment consultés sur la mise en œuvre du programme.

Peine de mort

En août, le chef de l’État a commué en peines d’emprisonnement à vie les sentences capitales prononcées contre plus de 4 000 personnes. Il a déclaré qu’« un séjour prolongé dans le quartier des condamnés à mort cause une souffrance psychique, une angoisse, un traumatisme psychologique et une anxiété indus, et peut également constituer un traitement inhumain ». Il a ordonné la réalisation d’une étude gouvernementale afin de déterminer si la peine de mort avait un quelconque effet sur la lutte contre la criminalité. On ignorait si cette recherche avait été entreprise ; aucune conclusion n’a en tout cas été rendue publique.
De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées ; aucune exécution n’a été signalée.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit