ÉRYTHRÉE

Les violations des droits humains étaient monnaie courante. Le gouvernement soumettait à de sévères restrictions la liberté d’expression et de religion. Les partis d’opposition étaient interdits, tout comme le journalisme indépendant, les organisations de la société civile et les groupes religieux non reconnus par les autorités. Les pouvoirs publics recouraient aux arrestations arbitraires, à la détention et à la torture pour museler l’opposition. Plusieurs milliers de prisonniers politiques étaient détenus dans des conditions très difficiles ; nombre d’entre eux se trouvaient en détention secrète. Des personnes qui désertaient l’armée ou qui tentaient de se dérober à la conscription militaire obligatoire, ainsi que leurs familles, ont été harcelées, emprisonnées et maltraitées. Les autorités maintenaient l’ordre de « tirer pour tuer » sur toute personne qui tentait de franchir la frontière pour quitter le pays.

ÉTAT D’ÉRYTHRÉE
CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Issayas Afeworki
PEINE DE MORT : abolie en pratique
POPULATION : 5,2 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 60,4 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 78 / 71 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 65,3 %

Contexte

Le président Afeworki et le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ) – parti au pouvoir et unique formation autorisée –, exerçaient un contrôle exclusif sur l’État, sans jamais évoquer des élections maintes fois différées. Il n’existait aucune indépendance de la magistrature.
La société érythréenne demeurait fortement militarisée. Le service national était obligatoire pour tous les adultes et était souvent prolongé pour une durée indéterminée.
Le coût de cette conscription militaire généralisée était l’un des facteurs de la situation catastrophique dans laquelle se trouvait l’économie nationale. Les pénuries alimentaires se sont aggravées. Les Nations unies estimaient que deux Érythréens sur trois souffraient de malnutrition. Le gouvernement a toutefois restreint l’aide alimentaire ainsi que les possibilités d’accès au pays pour les organisations humanitaires, manifestement dans l’objectif de contrôler et de punir la population, mais aussi de limiter les sources d’influence extérieure.
Un grand nombre d’Érythréens, des jeunes gens pour la plupart, ont fui le pays. Les autorités ont maintenu leur stratégie consistant à « tirer pour tuer » sur toute personne surprise en train d’essayer de franchir la frontière.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a reconduit l’application de sanctions contre l’Érythrée, notamment l’embargo sur les armes, aux motifs que le pays soutenait des groupes armés somaliens et n’avait pas résolu son litige frontalier avec Djibouti.
Malgré une résolution du Conseil de sécurité demandant le retrait des forces érythréennes, l’Érythrée a maintenu, durant le premier semestre de 2010, une présence militaire dans la région de Ras Doumeira et sur l’île de Doumeira, dans la zone frontalière avec Djibouti, qui font l’objet d’un litige entre les deux États. L’Érythrée a accepté en juin de retirer ses troupes et de résoudre le conflit avec Djibouti grâce à la médiation du gouvernement du Qatar.
La décision rendue en 2002 par la Commission du tracé de la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie et exigeant le retrait des troupes éthiopiennes du village frontalier de Badme n’était pas appliquée. De la même manière, aucune des deux parties n’avait versé à l’autre l’indemnisation ordonnée dans la décision prononcée en 2009 par la Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Le gouvernement érythréen a invoqué le litige frontalier et la menace d’un possible conflit pour justifier les sévères restrictions imposées à la population en matière de droits civils et politiques.

Liberté de religion

Seuls les fidèles des confessions autorisées par les autorités, à savoir l’Église orthodoxe érythréenne, l’Église catholique, l’Église luthérienne et l’islam, étaient autorisés à pratiquer leur foi. Des membres de groupes religieux interdits ont été victimes de harcèlement, d’arrestation, de détention au secret et de torture. Nombre d’entre eux ont été arrêtés alors qu’ils célébraient clandestinement des offices dans des résidences privées ou à l’occasion de mariages ou d’obsèques.
Environ 3 000 chrétiens pratiquant un culte non approuvé par l’État ont été détenus durant l’année, parmi lesquels on dénombrait, en mai, 60 témoins de Jéhovah. Paulos Eyassu, Isaac Mogos et Negede Teklemariam, détenus sans jugement depuis 1994, se trouvaient dans ce dernier groupe.
Les informations recueillies ont fait état d’une vague de répression lancée en octobre contre les fidèles d’Églises chrétiennes évangélistes, en particulier de l’Église Mullu Wengel, dans la région du Sud. Une quarantaine d’hommes et de femmes ont été interpellés et placés au secret, semble-t-il sur ordre du gouverneur de la région.

  • Senait Oqbazgi Habta, une femme de 28 ans, serait morte en avril au centre d’entraînement militaire de Sawa. Elle était détenue depuis environ deux ans pour avoir participé à un groupe d’étude de la Bible. Elle avait été enfermée dans un conteneur et s’était vu refuser des soins médicaux alors qu’elle était atteinte du paludisme et souffrait d’anémie.

Prisonniers d’opinion et autres prisonniers politiques

Cette année encore, de très nombreux prisonniers politiques et prisonniers d’opinion demeuraient détenus pour une durée indéterminée, sans avoir été jugés ni même inculpés et sans pouvoir bénéficier d’une assistance juridique. Parmi eux figuraient des détracteurs présumés du gouvernement, des militants politiques, des journalistes, les pratiquants de certaines religions, des jeunes gens qui s’étaient dérobés à l’appel sous les drapeaux, des déserteurs et des demandeurs d’asile déboutés renvoyés de force en Érythrée. Un grand nombre d’entre eux étaient détenus au secret depuis de longues périodes, notamment les prisonniers politiques incarcérés depuis la vague de répression de 2001. Dans la plupart des cas, on ignorait tout du sort qui leur avait été réservé et de leur état de santé. Les familles des détenus s’exposaient à des représailles lorsqu’elles se renseignaient sur le sort de leurs proches.

  • Les membres du groupe dit du « G-15 », des prisonniers d’opinion incarcérés sans inculpation ni jugement depuis 2001, se trouvaient toujours en détention secrète. Cette année encore, le gouvernement n’a pas donné suite aux informations faisant état de la mort en détention de neuf membres du groupe.
  • Le prisonnier d’opinion Dawit Isaak, journaliste arrêté lors de la vague de répression de 2001, se trouvait toujours en détention, semble-t-il dans la prison d’Eiraeiro. D’après les informations disponibles, son état de santé mentale et physique était préoccupant.

Liberté d’expression – journalistes

Le gouvernement contrôlait étroitement tous les médias et ne tolérait aucune critique supposée. Toute forme de journalisme indépendant était interdite depuis 2001. De nombreux journalistes se trouvaient toujours en détention au secret sans avoir été jugés ni même inculpés. Dans de nombreux cas, le gouvernement refusait de confirmer l’endroit où ils étaient détenus ainsi que leur état de santé.

  • Yirgalem Fisseha Mebrahtu, journaliste de Radio Bana appréhendée en février 2009 lorsque les autorités ont fermé la station, aurait été placée à l’isolement dans la prison de Mai Swra en mai.
    Des journalistes érythréens de la diaspora réfugiée aux États-Unis ont fait état d’actions de surveillance de la part des autorités et d’actes de harcèlement perpétrés par des sympathisants du gouvernement érythréen vivant aux États-Unis.

Réfugiés et demandeurs d’asile

De nombreux Érythréens ont fui le pays. Les familles de réfugiés subissaient de sévères mesures de rétorsion, notamment des amendes et des peines d’emprisonnement.
Les directives émises en 2009 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et recommandant aux gouvernements étrangers de s’abstenir de tout renvoi forcé d’Érythréens déboutés de leur demande d’asile demeuraient en vigueur. Selon les chiffres officiels, 223 562 réfugiés et demandeurs d’asile érythréens vivaient à l’étranger en janvier 2010.

  • En juin, des Érythréens incarcérés au centre de détention de Misratah, en Libye, ont été contraints de se laisser photographier et de compléter des formulaires de renseignements personnels transmis par l’ambassade érythréenne.
  • En 2010, Yonas Mehari et Petros Mulugeta ont regagné l’Allemagne et y ont obtenu l’asile. Ces deux demandeurs d’asile érythréens avaient été expulsés par les autorités allemandes en 2008. À leur retour dans leur pays d’origine, ils avaient été placés en détention : Yonas Mehari avait été enfermé dans une cellule souterraine surpeuplée et Petros Mulugeta, dans un conteneur métallique. Tous deux ont fait état de conditions carcérales inhumaines et ont signalé, parmi leurs codétenus, des cas de maladies, de démence et de décès.

Conscription militaire

Une proportion importante de la population adulte était engagée dans le service national, obligatoire pour les hommes et les femmes à partir de l’âge de 18 ans. La période initiale, d’une durée de 18 mois, comprenait six mois de service militaire et 12 mois supplémentaires au sein de l’armée ou de l’administration. Le service obligatoire incluait souvent des travaux forcés s’inscrivant dans le cadre de chantiers publics, notamment pour la construction de routes. Les conscrits travaillaient parfois dans le civil ou encore pour des entreprises appartenant à l’armée ou aux élites du parti au pouvoir. Ils ne percevaient que de faibles soldes qui ne leur permettaient pas de répondre aux besoins élémentaires de leurs familles. Le service national pouvait être prolongé pour une durée indéterminée et était souvent suivi d’une période de réserve.
Les conscrits se dérobant à l’appel ou désertant étaient durement punis et étaient souvent soumis à la torture et à la détention sans jugement.

Torture et autres mauvais traitements

Le recours à la torture était très fréquent dans les centres de détention. Les détenus, notamment les prisonniers d’opinion, étaient souvent torturés et maltraités. Les formes de torture les plus fréquentes consistaient à frapper les détenus à coups de fouet et à coups de poing, ou à les attacher avec des cordes dans des positions douloureuses durant des périodes prolongées.
Les conditions carcérales étaient extrêmement dures ; les lieux de détention étaient souvent surpeuplés, humides et insalubres. Un grand nombre de prisonniers étaient enfermés dans des cellules souterraines ou des conteneurs métalliques, souvent installés en plein désert où régnaient des températures extrêmes. Les détenus ne recevaient pas une alimentation suffisante et l’eau qui leur était donnée à boire contenait des impuretés. Les soins médicaux étaient quasiment inexistants. Plusieurs prisonniers d’opinion et prisonniers politiques seraient morts en détention, mais ces informations n’ont, dans la plupart des cas, pas été confirmées par les autorités.

  • Hana Hagos Asgedom, une chrétienne emprisonnée depuis près de quatre ans en raison de ses convictions religieuses, est morte en janvier. Elle aurait été frappée avec une barre de fer pour avoir refusé les avances sexuelles d’un officier du camp militaire d’Alla et serait morte d’une crise cardiaque peu de temps après.
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