TCHAD

Malgré la normalisation des relations avec le Soudan et la signature d’accords de paix avec les dirigeants de certains groupes armés, la situation politique demeurait tendue, en particulier dans l’est du pays. Des affrontements interethniques ont éclaté et des violations des droits humains ont été commises dans une impunité quasi totale. Des membres de la population civile et des employés d’organisations humanitaires ont été enlevés ou tués ; des femmes et des jeunes filles ont été victimes de viol ou d’autres formes de violence et des enfants ont été enrôlés comme soldats ou enlevés contre rançon. Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont été exposés à des mesures d’intimidation et de harcèlement. Les expulsions forcées se sont poursuivies. La Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad (MINURCAT) s’est retirée du pays le 31 décembre.

République du Tchad
CHEF DE L’ÉTAT : Idriss Déby Itno
CHEF DU GOUVERNEMENT : Youssouf Saleh Abbas, remplacé par Emmanuel Djelassem Nadingar le 5 mars
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 11,5 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 49,2 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 220 / 201 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 32,7 %

Contexte

En janvier, le gouvernement a demandé au Conseil de sécurité des Nations unies de retirer la MINURCAT. Les points de référence devant servir à évaluer les résultats de cette mission de l’ONU n’avaient alors pas encore été établis. Le 25 mai, sous la pression du Tchad, le Conseil de sécurité a décidé de mettre un terme à la MINURCAT à la date du 31 décembre 2010. Le gouvernement tchadien a déclaré qu’il assumerait l’entière responsabilité de la protection des civils sur son territoire. En octobre, le Tchad a présenté un plan de protection – qui s’articulait autour du Détachement intégré de sécurité (DIS) – et sollicité une aide financière.

Le 15 janvier, le Tchad et le Soudan ont signé un accord visant à normaliser leurs relations et à refuser aux groupes armés la possibilité d’utiliser leurs territoires respectifs. Fermée depuis 2003, la frontière avec le Soudan a été rouverte en avril. En mars, afin de lutter contre les activités criminelles et les groupes armés, le Tchad et le Soudan ont déployé une force conjointe de surveillance des frontières. En mai, Khalil Ibrahim, chef du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), un groupe armé soudanais, n’a pas été autorisé à pénétrer sur le territoire tchadien, bien que ses forces soient installées dans ce pays depuis des années. En juillet, le président soudanais Omar el Béchir s’est rendu au Tchad pour assister à un sommet alors que la Cour pénale internationale avait décerné un mandat d’arrêt à son encontre. Omar el Béchir a par ailleurs demandé à Timane Erdimi, Mahamat Nouri et Adouma Hassaballah, trois chefs de groupes armés tchadiens, de quitter le Soudan.

Le recensement électoral a commencé en mai. En octobre, le président Idriss Déby a annoncé que les élections locales et législatives, prévues pour novembre, étaient reportées et auraient finalement lieu en même temps que l’élection présidentielle, en 2011.

La plupart des recommandations formulées par la commission d’enquête qui s’était penchée sur les événements survenus en février 2008 dans la capitale, N’Djamena, n’avaient toujours pas été mises en œuvre à la fin de 2010. De graves violations des droits humains avaient été commises au cours de ces affrontements ; on était notamment sans aucune nouvelle du dirigeant de l’opposition Ibni Oumar Mahamat Saleh.

Dans plusieurs régions du pays, quelque 150 000 personnes au moins ont dû quitter leur foyer à la suite de fortes pluies et d’inondations. Près de 68 000 Centrafricains étaient toujours réfugiés dans des camps situés dans le sud du Tchad.

Avec le soutien de la MINURCAT, les autorités tchadiennes ont tenu, en mars, une conférence nationale sur les droits humains mais la plupart des organisations locales de défense de ces droits ont refusé d’y participer. En juin, le gouvernement a organisé une conférence régionale sur les moyens de mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats.

Est du Tchad

La situation en matière de sécurité demeurait précaire. Plus de 262 000 réfugiés soudanais du Darfour vivaient dans 12 camps de réfugiés et environ 180 000 Tchadiens étaient répartis sur 38 sites des-tinés aux personnes déplacées. À la suite d’affrontements au Darfour, au moins 5 000 nouveaux réfugiés sont arrivés en mai. D’après les Nations unies, 48 000 Tchadiens déplacés ont regagné leur village d’origine, principalement dans les régions de l’Ouaddaï et du Dar Sila. La plupart étaient réticents à rentrer en raison de l’insécurité régnant dans leurs villages, de la prolifération d’armes légères et du manque de services essentiels tels que l’eau, la santé et l’éducation.

Les atteintes aux droits humains se sont poursuivies : des femmes et des jeunes filles ont été violées, des enfants enrôlés comme soldats, des civils tués et des membres du personnel humanitaire enlevés. Des affrontements ont de nouveau eu lieu entre l’Armée nationale tchadienne (ANT) et des groupes armés. En avril, des combats ont opposé l’ANT et le Front populaire pour la renaissance nationale (FPRN, opposition) aux abords de Tissi et de For Djahaname, à la frontière du Darfour.

Les tensions étaient vives entre les groupes ethniques tchadiens.

  • En mars, un homme a été tué à la suite d’affrontements entre des membres des communautés arabe et dajo, à Goz Beïda. Une personne a été arrêtée.
  • L’intensification des violences interethniques entre les Tamas et les Zaghawas (le groupe ethnique du président Déby) était très inquiétante. Le 21 octobre, le colonel Dongui, de l’ethnie zaghawa, responsable du renseignement militaire de la région du Dar Tama, a abattu le colonel Ismaël Mahamat Sossal, un Tama, commandant de la région militaire. En représailles, les gardes du corps du colonel Sossal ont tué le colonel Dongui. D’autres personnes ont été blessées au cours de cet épisode. Deux officiers tamas, notamment, ont été arrêtés par la suite.

Il était à craindre que le retrait intégral de la MINURCAT n’entraîne une dégradation supplémentaire de la situation humanitaire et du bilan en matière de droits humains. Les autorités tchadiennes ont retardé la mise en application des plans d’action présentés en octobre au Conseil de sécurité des Nations unies.

Exactions perpétrées par des groupes armés et des bandits

De graves actes de banditisme et des attaques armées contre des employés d’organisations humanitaires sont survenus dans l’est du Tchad, en particulier entre mai et juillet. De nombreux enlèvements, braquages de véhicules et vols ont été signalés.

  • Un agronome travaillant pour le CICR, Laurent Maurice, a été libéré en février. À la suite de son enlèvement, il avait été détenu pendant 89 jours par des hommes armés.
  • Trois employés d’Oxfam ont été enlevés à Abéché le 6 juin. Deux d’entre eux ont été libérés le jour même, mais le troisième a été retenu en captivité jusqu’au 15 juin. D’après les autorités, il a été libéré par la force militaire conjointe tchadienne et soudanaise à Sarné, dans l’est du Tchad. Elles ont affirmé que les responsables avaient été arrêtés, mais aucun procès n’avait encore débuté à la fin de 2010.
  • Le 10 juillet, un véhicule de la Croix-Rouge française a été volé par six hommes armés près du village de Boulala. Le conducteur et son collègue ont été retenus avant d’être relâchés, non loin de Moussoro.

Violences faites aux femmes et aux filles

Cette année encore, des femmes et des jeunes filles ont été victimes de viols et d’autres formes de violence perpétrés par des personnes de leur propre communauté ainsi que par des membres de groupes armés et des forces de sécurité. Dans la plupart des cas sur lesquels des renseignements ont été obtenus, les victimes étaient mineures et les auteurs présumés n’ont pas été punis.

  • Deux réfugiées âgées de 13 ans ont été violées par un groupe d’hommes, le 16 juillet, à proximité du camp de réfugiés de Farchana. Les fillettes étaient parties ramasser du bois. D’après les informations recueillies, la gendarmerie tchadienne et le DIS ont ouvert une enquête sur cette affaire.
  • Le 6 septembre, une réfugiée de 14 ans qui vivait dans le camp d’Am Nabak a été violée dans le village de Shandi par un berger local. Ce dernier a versé une somme d’argent (en monnaie soudanaise) au chef du village à titre d’indemnisation, avant de quitter la région. Une personne a été tuée dans les heurts qui ont éclaté au sujet des chameaux laissés sur place par l’auteur du viol.
  • D’après les Nations unies, les soldats de l’armée régulière se seraient rendus coupables d’au moins 11 affaires de violence contre des femmes entre février et avril. Bien que des officiers supérieurs aient, semble-t-il, déclaré qu’ils prendraient les mesures qui s’imposaient, l’année s’est achevée sans que l’on sache si une action avait véritablement été engagée contre les suspects.

Enfants soldats

Le recrutement d’enfants et leur enrôlement comme soldats par les forces et les groupes armés se sont poursuivis en toute impunité. Selon les chiffres présentés par les Nations unies en 2007, entre 7 000 et 10 000 enfants pourraient avoir été utilisés comme combattants ou associés à l’armée tchadienne ou à des groupes armés tchadiens ou soudanais. À la fin de 2010, moins de 10 % de ces enfants avaient officiellement été libérés par ces forces armées et ces groupes.

Des enfants qui vivaient dans des villages de l’est du Tchad, dans des camps de réfugiés et dans des sites pour personnes déplacées ont, de nouveau, été enrôlés par les forces de sécurité tchadiennes. Certains hauts gradés de l’ANT ont participé au recrutement de mineurs au cours de l’année.

  • À la suite d’un accord de paix signé en avril avec le gouvernement tchadien, le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) a libéré, en août, 58 enfants, dont 10 fillettes.
  • En septembre, des agents du DIS ont arrêté 11 personnes après qu’un groupe armé soudanais eut organisé des sessions de recrutement d’enfants dans le camp de réfugiés de Goz Amir. Il a été établi, par la suite, que ces individus organisaient régulièrement ce type de réunions.

Homicides illégaux

Des éléments des forces de sécurité tchadiennes et des groupes armés soudanais et tchadiens ont été responsables d’homicides illégaux perpétrés en toute impunité dans un contexte d’insécurité permanent.

  • Le 19 octobre, Defa Adoum, un paysan tama soupçonné de détenir des armes à feu, a été arrêté par le colonel Dongui, responsable du renseignement militaire du Dar Tama. Le colonel, basé à Guéréda, appartenait à l’ethnie zaghawa. Le cultivateur serait mort des suites de torture.

Arrestations et détentions arbitraires

Les autorités ont, cette année encore, procédé à des arrestations et maintenu des gens arbitrairement en détention sans inculpation. Des personnes ont été détenues au secret, sans être autorisées à recevoir des visites, dans divers centres de détention, notamment celui de Korotoro.

Liberté d’expression – journalistes

Les journalistes ont, de nouveau, été la cible d’actes d’intimidation et de harcèlement imputables à des représentants de l’État.

Le décret n° 5, émis par le président tchadien pendant l’état d’urgence (février-mars 2008) et restreignant la liberté d’expression, a été levé. Le gouvernement a adopté, en août, une loi relative aux médias. Ce nouveau texte prévoyait des peines de prison d’un à deux ans, des peines d’amende et une interdiction de publication pendant une période pouvant atteindre trois mois en cas d’incitation à la « haine tribale, ethnique ou religieuse » et d’encouragement de la violence.

  • Le 18 octobre, le Premier ministre Emmanuel Nadingar a menacé d’interdire le N’Djamena Bi-Hebdo, en raison de la publication d’un article comparant le Tchad au Soudan. À la suite d’une conférence de presse du Premier ministre sur cette affaire, les journalistes du N’Djamena Bi-Hebdo ont craint pour leur sécurité.

Expulsions forcées

Dans plusieurs quartiers de N’Djamena, des centaines de personnes ont été expulsées de force et leurs habitations détruites. Ces expulsions se faisaient en dehors de toute procédure régulière et sans que les intéressés aient été consultés ni avertis selon des modalités satisfaisantes. La plupart des familles ayant perdu leur foyer depuis le début de la campagne d’éviction, en février 2008, n’avaient bénéficié d’aucune solution de relogement ou autre forme d’indemnisation à la fin de 2010. Certaines personnes ont remporté les procès engagés contre les autorités mais, dans la plupart des cas, les décisions de justice n’étaient pas respectées.

  • En mai, les autorités ont averti les habitants du quartier d’Ambatta, à N’Djamena, qu’ils devaient partir de chez eux avant la fin de la saison des pluies (aux alentours de la mi-octobre), afin de permettre la construction de logements modernes. Environ 10 000 personnes risquaient d’être expulsées ; elles n’ont pas été consultées et ne se sont vu proposer aucune autre option d’hébergement. L’année s’est achevée sans que les expulsions aient eu lieu.
  • Au moins trois personnes ont été tuées le 19 juillet, lors d’une opération lancée par la police pour expulser par la force des agents de sécurité de logements appartenant à l’État et situés dans le centre de N’Djamena.

Droits des enfants – enlèvements

Plusieurs dizaines d’enfants, dont certains n’avaient pas plus de 10 ans, ont été enlevés contre rançon. Certains ont été libérés après le versement de sommes importantes par leur famille. Pour d’autres, on ignorait tout de leur sort à la fin de l’année.

  • Le 23 septembre, au moins cinq jeunes garçons ont été enlevés à leur domicile, dans la région du lac Léré, par des hommes armés qui ont exigé de l’argent en échange de leur libération.
  • Fin octobre, 11 hommes armés ont enlevé trois jeunes garçons chez eux à Bodoro, à trois kilomètres de la frontière camerounaise. Le frère aîné de l’un des enfants a été tué lorsqu’il a prévenu d’autres villageois de l’attaque. Les garçons ont été libérés après trois jours de captivité.

Peine de mort

Le 27 juillet, une cour criminelle de N’Djamena a condamné Guidaoussou Tordinan à la peine capitale pour avoir abattu sa femme et blessé sa belle-mère, en novembre 2009. Aucune autre information n’était disponible sur l’application de la peine de mort ni sur le nombre de personnes sous le coup d’une sentence capitale.

Visites et documents d’Amnesty International

  • Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Tchad en mars, mai, juin et septembre.
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