ZIMBABWE

Des militants et des journalistes qui menaient une action pourtant légitime en faveur des droits humains ont cette année encore été arbitrairement arrêtés et maintenus en détention par la police. Les restrictions applicables aux médias ont été quelque peu assouplies et le Parlement a examiné un projet de texte visant à réformer la très répressive Loi relative à l’ordre public et à la sécurité. Les lesbiennes, les gays, les personnes bisexuelles et les transgenres (LGBT) étaient exposés à des persécutions. Les victimes des vagues d’expulsions forcées de 2005 vivaient toujours dans des conditions déplorables ; certaines étaient de nouveau menacées d’expulsion ou se trouvaient déjà sous le coup d’une nouvelle mesure d’éviction.

République du Zimbabwe
CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Robert Gabriel Mugabe
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 12,6 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 47 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 100 / 88 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 91,4 %

Contexte

Les tensions au sein du gouvernement d’unité nationale continuaient de gêner la mise en œuvre de certaines composantes de l’Accord politique global (APG), conclu sous l’égide de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en septembre 2008. En août 2010, une réunion a été convoquée en marge du sommet de la SADC en Namibie pour aider le gouvernement d’unité nationale à sortir de l’impasse. Bien que les médiateurs sud-africains nommés par la SADC se soient rendus à plusieurs reprises au Zimbabwe, la situation n’a guère évolué.

Le président Mugabe a pris plusieurs décisions de manière unilatérale, en violation des dispositions de l’APG et de la Constitution qui lui imposaient de consulter le Premier ministre. En mars, il a endossé certaines fonctions ministérielles, privant ainsi de portefeuille des ministres membres de l’une ou l’autre faction du Mouvement pour le changement démocratique (MDC). En octobre, malgré l’existence d’un accord relatif au partage des gouvernorats, il a reconduit dans leurs fonctions 10 gouverneurs de province membres de son parti, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF). D’autres décisions similaires ont été prises concernant notamment la réaffectation de certains ambassadeurs et la nomination de magistrats. En outre, le président a de nouveau refusé que Roy Bennett, membre du MDC-T, faction du MDC dirigée par le Premier ministre Morgan Tsvangirai, prête serment en tant que vice-ministre de l’Agriculture.

La ZANU-PF a décidé de ne plus faire aucune concession au sein du gouvernement d’unité nationale tant que les sanctions imposées par l’Union européenne et les États-Unis ne seraient pas levées. Lors de son sommet, qui s’est tenu au mois d’août, la SADC a pris l’initiative d’évoquer la question des sanctions avec la communauté internationale.
Les membres de la Commission des droits humains, de la Commission des médias du Zimbabwe et de la Commission électorale du Zimbabwe ont été nommés en mars, mais les travaux de la Commission des droits humains n’avaient pas encore débuté à la fin de l’année.

Des consultations publiques se sont ouvertes en vue de la rédaction de la nouvelle constitution, mais certaines réunions ont dû être annulées en raison de violences et de perturbations principalement imputables à des partisans de la ZANU-PF. En septembre, au moins une personne est morte à Harare après avoir été agressée par des sympathisants présumés de ce parti lors des incidents violents qui ont suivi l’interruption d’une réunion de ces réunions de consultation. La réforme du secteur de la sécurité est restée au point mort.

L’amélioration de la situation économique s’est confirmée mais le taux officiel de chômage demeurait supérieur à 80 % et l’on estimait que 1,5 million de personnes avaient besoin d’une aide alimentaire.

Les déclarations du président Robert Mugabe, du Premier ministre Morgan Tsvangirai et du président sud-africain Jacob Zuma – médiateur officiel de la SADC – concernant la tenue possible d’élections en 2011 ont avivé les tensions dans le pays. Dans les zones rurales, on a signalé un nombre croissant de manœuvres de harcèlement et d’intimidation contre des personnes considérées comme hostiles à la ZANU-PF. D’après les informations portées à la connaissance d’Amnesty International, des agents de la Sûreté de l’État ayant participé aux violences politiques de 2008 aidaient ce parti à reconstruire ses structures.

Défenseurs des droits humains

La police a continué d’arrêter et de placer en détention de manière arbitraire des militants et des journalistes qui menaient une action pourtant légitime en faveur des droits humains. Les défenseurs de ces droits qui participaient au processus de rédaction de la constitution ou au débat sur les responsabilités relatives aux violations passées des droits humains étaient plus particulièrement visés. Au cours de l’année 2010, au moins 186 membres des associations Femmes du Zimbabwe, debout ! (WOZA) et Hommes du Zimbabwe, debout ! (MOZA) ont été arrêtés.

  • Le 25 janvier, 11 militants de MOZA et WOZA ont été interpellés à Bulawayo après une marche pacifique organisée pour remettre aux autorités un rapport sur l’éducation. Conduits de force jusqu’à un bâtiment appelé Drill Hall, ils ont été frappés à coups de matraque par la police, avant d’être remis en liberté sans inculpation.
  • Le 24 février, Gertrude Hambira, secrétaire générale du Syndicat général des travailleurs agricoles et des plantations du Zimbabwe (GAPWUZ), a été contrainte d’entrer dans la clandestinité, puis de fuir le pays, après que six agents de la brigade criminelle de la police nationale, qui étaient à sa recherche, eurent effectué une descente dans les locaux du syndicat. Avant cette opération, le 19 février, Gertrude Hambira avait été convoquée à une réunion au siège de la police à Harare avec 17 hauts responsables des services de sécurité de la police, de l’armée de terre, de l’aviation militaire et des services du renseignement. Elle y avait été interrogée, de même que deux autres syndicalistes, au sujet d’une vidéo et d’un rapport du GAPWUZ qui attiraient l’attention sur la situation désespérée des ouvriers agricoles et les violences qui continuaient d’être perpétrées dans les fermes du pays. Elle avait été menacée d’emprisonnement. À la fin de l’année, Gertrude Hambira n’était toujours pas revenue au Zimbabwe.
  • Okay Machisa, directeur national de l’Association zimbabwéenne pour les droits humains (ZimRights), a fui le pays temporairement après avoir été détenu par la police le 23 mars pour sa participation à une exposition de photographies consacrée aux violences politiques de 2008. La police a confisqué au moins 65 clichés et elle ne les a restitués à ZimRights que sur injonction de la Haute Cour. Malgré cette décision judiciaire, la police a empêché la tenue d’expositions similaires à Masvingo, Gweru et Chinhoyi. À Masvingo, le directeur régional de ZimRights, Joel Hita, a été arrêté, placé en détention puis libéré sous caution le lendemain.
  • Le 26 mars, l’artiste Owen Maseko, résidant à Bulawayo, a été interpellé après le montage d’une exposition qui décrivait les atrocités commises dans les années 1980 au Matabeleland, dans l’ouest du pays. En vertu de la Loi relative à l’ordre public et à la sécurité, il a été inculpé d’« atteinte à l’autorité du président », d’« incitation à la violence publique » et d’« infraction contre des personnes appartenant à une tribu, une race ou une religion particulières », avant d’être libéré sous caution le 29 mars.
  • Le 15 avril, Jenni Williams, Magodonga Mahlangu, Clara Manjengwa et Celina Madukani, toutes membres de WOZA, ont été interpellées avec 61 autres personnes pendant une manifestation pacifique organisée à Harare pour protester contre la hausse des prix de l’électricité. Elles ont été libérées après le refus du procureur général d’engager des poursuites à leur encontre.
  • Le 3 juin, Farai Maguwu, directeur du Centre de recherche et de développement de Mutare, a été arrêté pour avoir fait état de violations des droits humains commises par des membres des forces de sécurité dans les mines de diamants de Marange. Inculpé de « publication ou communication de fausses informations portant préjudice à l’État », il est resté en détention jusqu’au 12 juillet. Les charges qui pesaient contre lui ont été abandonnées le 21 octobre. L’arrestation de Farai Maguwu avait eu lieu après sa rencontre avec Abbey Chikane, l’inspecteur du Processus de Kimberley pour le Zimbabwe, lors d’un entretien auquel auraient assisté des agents des services du renseignement.
  • Le 24 juin, Godfrey Nyarota et Tapiwa Mavherevhedze, membres du Projet indépendant de suivi de la constitution (ZZZICOMP), et leur chauffeur Cornelius Chengu ont été arrêtés à Mutare. Inculpés de pratique du journalisme sans accréditation officielle, ils ont été remis en liberté contre le versement d’une caution. Enddy Ziyera, un autre militant de Mutare, a été arrêté le 25 juin après qu’il eut apporté à manger aux trois militants incarcérés ; il a été placé en détention pendant plusieurs heures, sans inculpation.
  • Le 27 juin, les observateurs du ZZZICOMP Paul Nechishanu, Artwel Katandika et Shingairayi Garira ont été emmenés dans une ferme du district de Makonde (province du Mashonaland-Ouest) par des sympathisants de la ZANU-PF qui les ont frappés à coups de rondin de bois. Shingairayi Garira a subi des lésions au tympan et Paul Nechishanu et Artwel Katandika ont été blessés à la tête.
  • Le 20 septembre, 83 militants de WOZA et MOZA ont été interpellés à Harare par la police qui dispersait une manifestation pacifique. Ils faisaient partie des quelque 600 membres de ces deux associations qui avaient défilé jusqu’au Parlement pour protester contre les violences policières et l’insécurité dont ils étaient victimes. Quand certains des manifestants ont été arrêtés, d’autres se sont rendus à la police en signe de solidarité. Tous ont été placés en détention au poste de police central de Harare, où ils ont passé deux nuits dans des conditions d’hygiène déplorables, avant d’être inculpés de trouble à l’ordre public de nature pénale et libérés sous caution. Jenni Williams, la coordinatrice nationale de WOZA, a été arrêtée le même jour et détenue pendant plusieurs heures au tribunal de première instance de Harare pour avoir tenté d’identifier ceux des militants libérés qui avaient besoin d’une aide médicale. Accusée de s’être adressée à un groupe de personnes à l’intérieur de l’enceinte du tribunal, elle n’a été remise en liberté qu’après avoir signé, sous réserves, une déclaration de la police sur les faits.
  • En octobre, la police a voulu rouvrir un dossier visant 14 militants de WOZA qui avaient été arrêtés en mai 2008 après avoir tenté de remettre une pétition à l’ambassade de Zambie, à Harare. Sur les 14 militants concernés, seule Clara Manjengwa a reçu la convocation. Lorsqu’elle s’est présentée au tribunal le 21 octobre, aucun numéro de greffe ne correspondait à cette affaire, qui n’était enregistrée nulle part. En l’absence de registre, de témoins et même de policiers, le magistrat a classé l’affaire.

Liberté d’expression, d’association et de réunion

Le 26 novembre, la Cour suprême a jugé que l’arrestation et la détention en 2008, après une manifestation pacifique, des dirigeantes de WOZA Jenni Williams et Magodonga Mahlangu, avaient été illégales et que les droits et libertés fondamentales de ces deux femmes avaient donc été bafoués. La Cour a également considéré que l’État zimbabwéen ne les avait pas protégées. Le secteur des médias a été partiellement réformé, avec la fin du monopole de l’État sur la presse quotidienne. En mai, quatre quotidiens indépendants – dont le Daily News qui avait été interdit en 2002 – ont obtenu leur accréditation auprès de la Commission des médias du Zimbabwe. En revanche, aucun progrès n’a été noté concernant les accréditations des organes privés de diffusion audiovisuelle.

En février et en octobre, une proposition de modification de la Loi relative à l’ordre public et à la sécurité a été débattue au Parlement. Présenté en novembre 2009 par le député du MDC-T Innnocent Gonese, ce texte visait à modifier les articles de la loi utilisés pour restreindre la liberté d’association et de réunion pacifique. Si cette proposition était adoptée, elle limiterait le pouvoir de la police d’interdire arbitrairement des manifestations et l’obligerait à rendre des comptes au ministère de l’Intérieur et aux organisateurs de réunions pour tout recours à la force.

Droits des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et des transgenres

Le 21 mai, la police a effectué une descente dans les bureaux de l’association Gays et lesbiennes du Zimbabwe (GALZ) à Harare. Deux salariés, Ellen Chademana et Ignatius Mhambi, ont été arrêtés. Maintenus en détention jusqu’au 27 mai, ils ont finalement été libérés sous caution et inculpés de possession de documents interdits. Ignatius Mhambi et Ellen Chademana ont ensuite été acquittés, respectivement en juillet et en décembre.

Expulsions forcées

Le mois de mai a marqué le cinquième anniversaire des expulsions massives qui avaient eu lieu en 2005, lors de l’opération Murambatsvina (Rétablir l’ordre). À la fin de l’année 2010, les pouvoirs publics n’avaient toujours pas proposé de voies de recours effectives aux victimes, qui vivaient dans des conditions épouvantables sur des terrains que leur avait alloué l’État dans le cadre de l’opération Garikai/Hlalani Kuhle (Une vie meilleure) destinée à reloger certains des expulsés.

Dans la plupart des campements, ces personnes continuaient de s’abriter dans des baraques tenant à peine debout, qui avaient été fournies dans l’urgence par des organisations humanitaires. Le plus souvent, elles ne disposaient ni d’eau potable ni d’installations sanitaires, elles ne pouvaient pas accéder aux soins et à l’éducation et elles n’avaient aucune source de revenu. Outre leur logement, la majorité des victimes de l’opération Murambatsvina avaient perdu leurs moyens de subsistance au cours de cette vague d’expulsions, qui a touché directement 700 000 personnes.

  • Dans le campement Hopley, l’un de ceux mis en place à Harare à l’issue de l’opération Garikai, les risques sanitaires auxquels étaient exposés les femmes enceintes et les nouveau-nés étaient aggravés par des conditions de vie déplorables et l’absence d’accès aux services de base, notamment à des soins de santé appropriés. Les personnes se trouvant dans ce campement faisaient état d’une mortalité néonatale élevée, qu’elles imputaient notamment à l’absence de services de soins pour les mères et les nouveau-nés, au prix prohibitif de ces services et à l’absence de moyens de transport pour les femmes sur le point d’accoucher.

De surcroît, les victimes de l’opération Murambatsvina risquaient d’être à nouveau expulsées par les pouvoirs publics.

  • En juin, environ 3 000 habitants du quartier d’Hatcliffe Extension et leurs familles, soit selon les estimations 15 000 à 20 000 personnes, ont été menacés d’expulsion par le ministère de l’Administration locale et du Développement urbain et rural s’ils ne s’acquittaient pas de la somme correspondant au renouvellement de leur bail le 30 septembre au plus tard. La plupart des foyers étaient dans l’incapacité de régler cette somme. Après la vague d’appels lancés par Amnesty International et des associations zimbabwéennes de défense des droits humains qui aidaient certaines des victimes à entamer des actions en justice, le gouvernement a retiré sa menace d’expulsion.
  • Le 25 août, quelque 250 personnes qui vivaient dans un camp de fortune à Gunhill, une banlieue aisée de Harare, ont été jetées à la rue par la police, sans aucun préavis. Des agents armés et accompagnés de chiens ont fait irruption dans le camp vers minuit et ordonné aux habitants de quitter les lieux. Des victimes ont raconté que la police ne leur avait accordé qu’une dizaine de minutes pour prendre leurs affaires avant que l’on n’y mette le feu. Leurs propriétaires n’ayant pas pu les rassembler à temps, certains effets personnels ont été brûlés. La police a arrêté 55 personnes, dont cinq enfants, qui ont été placées en détention au poste de police central de Harare. Elles y sont restées plusieurs heures avant d’être libérées, sans inculpation, après que des avocats soient intervenus. Aucune raison n’a été fournie pour justifier cette opération de police. Ces habitants ont été expulsés de chez eux malgré les assurances écrites que leur avait fournies, en décembre 2009, le maire de Harare, qui a nié toute implication dans les expulsions d’août 2010.

Visites d’Amnesty International

  • Des représentants d’Amnesty International se sont rendus au Zimbabwe en mars, en mai-juin et en novembre-décembre. En mai, une délégation a rencontré le Premier ministre Morgan Tsvangirai, le ministre du Logement et des Équipements sociaux Fidelus Mhashu et le ministre de l’Éducation, des Sports, des Arts et de la Culture, le sénateur David Coltart. Entre novembre et décembre, des délégués d’Amnesty International ont rencontré Thokozani Khupe, vice-Première ministre, Henry Madzorera, ministre de la Santé et de la Protection de l’enfance et Muchadeyi Masunda, maire de Harare.
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