PAKISTAN

Des inondations de grande ampleur ont provoqué le déplacement de millions de Pakistanais, qui manquaient de nourriture, de soins médicaux et d’abris. Des groupes insurgés ont tué des personnes en toute illégalité dans le nord-ouest du pays et au Baloutchistan, en proie au conflit. Ils ont infligé des châtiments cruels à la population civile et lancé dans les grandes villes des attentats-suicides qui ont fait des centaines de tués et de blessés parmi les civils. Plus de deux millions de personnes ont été déplacées en raison du conflit dans le nord-ouest du pays. Le recours à la torture, les morts en détention, les crimes d’« honneur » et les violences domestiques n’ont pas cessé, bien que le pays se soit de nouveau engagé au niveau international à respecter les droits humains. Les forces armées continuaient d’arrêter des civils de manière arbitraire ; certains ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. De nouveaux cas de disparition forcée ont été signalés, particulièrement au Baloutchistan, où les corps de nombreuses victimes ont été retrouvés. Des cas anciens de disparition forcée n’avaient toujours pas été élucidés. Les violences contre les minorités religieuses se sont multipliées, le gouvernement ne faisant pas le nécessaire pour empêcher ces attaques et sanctionner les responsables. Un moratoire non officiel sur les exécutions était toujours observé, mais plus de 300 personnes ont été condamnées à mort au cours de l’année.

République islamique du Pakistan
CHEF DE L’ÉTAT : Asif Ali Zardari
CHEF DU GOUVERNEMENT : Yousuf Raza Gilani
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 184,8 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 67,2 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 85 / 94 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 53,7 %

Contexte

Les inondations qui ont débuté en juillet dans le nord-ouest du Pakistan ont coûté la vie à près de 2 000 personnes et affecté directement plus de 20 millions de Pakistanais. Cette crise humanitaire dramatique a aggravé la détresse des personnes déjà déplacées par le conflit. L’armée pakistanaise a chassé les talibans de la vallée de Swat et du Waziristan-Sud en 2009, et des zones tribales de Bajaur et d’Orakzai au cours de l’année 2010. Malgré les succès remportés sur le champ de bataille, les autorités civiles et militaires n’ont rien fait pour remédier aux causes sous-jacentes du conflit. Elles n’ont pris aucune initiative pour lutter contre le sous-développement important de la région, n’ont pas reconstruit les infrastructures de base, notamment les écoles, et ont négligé de relancer l’activité économique. L’aide humanitaire destinée aux personnes déplacées restait insuffisante. Les organisations humanitaires et les observateurs indépendants n’étaient pas autorisés à exercer effectivement leurs activités dans les zones de conflit.
Les attaques de drones américains contre des insurgés talibans et d’Al Qaïda présumés dans les régions frontalières du nord-ouest du pays ont plus que doublé en 2010 par rapport à 2009, avec 118 attaques signalées, ce qui a renforcé l’antiaméricanisme au sein de la population.

Le 24 mars, le Pakistan a ratifié le PIDCP et la Convention contre la torture [ONU] en émettant toutefois de très importantes réserves. Aucune mesure n’a été prise pour intégrer ces engagements internationaux dans la législation nationale.

L’adoption, en avril, du 18e amendement à la Constitution a mis fin au pouvoir dont disposait le président de dissoudre le Parlement, et a instauré le droit des citoyens à la liberté d’information. Cet amendement renforçait également l’autonomie des provinces et il les obligeait à fournir une éducation gratuite à tous les enfants.

En octobre, Asma Jahangir, une avocate de premier plan spécialisée dans la défense des droits humains, a été la première femme élue présidente de l’Association du barreau de la Cour suprême.

Violations commises par les forces de sécurité

Des centaines de civils ont été tués au cours d’opérations militaires contre les insurgés dans le nord-ouest du pays. Plusieurs dizaines d’insurgés présumés ont été tués par des lashkars (milices tribales), qui étaient soutenues par l’armée mais n’étaient pas suffisamment formées et contrôlées.

  • Le 8 mars, une lashkar a incendié 130 habitations appartenant à des talibans présumés dans la zone tribale de Bajaur.

Exécutions extrajudiciaires

Les forces de sécurité auraient tué des membres présumés de groupes armés dans le nord-ouest du pays et au Baloutchistan, dans la plupart des cas en toute impunité. Selon les chiffres de la Commission des droits humains du Pakistan (HRCP), une ONG, 282 corps d’insurgés présumés ont été retrouvés dans la vallée de Swat entre la fin des opérations militaires en juillet 2009 et le mois de mai de l’année 2010. La population locale attribuait ces homicides aux forces de sécurité. Plusieurs militants qui dénonçaient les disparitions forcées au Baloutchistan ont eux-mêmes disparu ou été tués.

  • Habib Jalil Baloch, avocat à la Cour suprême et ancien sénateur, a été abattu le 14 juillet dans le district de Quetta. Le Groupe baloutche de défense armée, qui serait soutenu par les forces de sécurité pakistanaises, a revendiqué cet homicide.
  • Les corps de Mohammad Khan Zohaib et Abdul Majeed, tués par balle, ont été retrouvés fin octobre. Selon certaines sources, ces deux adolescents de 14 ans avaient été arrêtés respectivement en octobre et en juillet par des membres du Frontier Corps dans la ville de Khuzdar, au Baloutchistan.
  • Faqir Mohammad Baloch, membre de l’organisation Voix des Baloutches disparus, a été enlevé le 23 septembre. Son corps, qui présentait une blessure par balle et des traces de torture, a été retrouvé le 21 octobre dans le district de Mastung.
  • Le corps mutilé de Zaman Marri, un avocat de 38 ans, a été retrouvé le 5 septembre à Mastung. Il avait disparu le 19 août à Quetta. Zaman Marri avait assuré la défense de son cousin, Ali Ahmed Marri, qui avait été emmené par des hommes en civil le 7 avril, et dont le corps a été retrouvé le 11 septembre dans le même secteur.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Dans le nord-ouest du pays, des groupes armés ont infligé des châtiments cruels et inhumains, attaqué des civils et détruit des infrastructures civiles, notamment des écoles.

  • Le 19 février, les talibans pakistanais ont tranché en public les mains de cinq hommes qui avaient été accusés de vol à Dabori, dans la zone tribale d’Orakzai.
  • En mai, les talibans ont exécuté un homme en public à Miramshah, au Waziristan-Nord. Il avait été accusé d’avoir tué deux frères, et un tribunal improvisé mis en place par les talibans l’avait illégalement « condamné ».
  • Les talibans ont fouetté en public, fin octobre, 65 trafiquants de drogue présumés à Mamozai, dans la zone tribale d’Orakzai.
    Des groupes armés d’opposition ont tué ou blessé des milliers de civils lors d’attentats-suicides et d’attaques ciblées.
  • Le 17 avril, 41 personnes déplacées qui faisaient la queue pour recevoir de l’aide humanitaire à Kohat, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, ont été tuées dans un attentat-suicide.
  • Le 20 mai, dans le Waziristan-Nord, les talibans ont fixé des explosifs sur le corps de deux hommes soupçonnés de fournir des informations aux États-Unis, et ils les ont fait exploser en public.
  • Le 14 août, 17 Pendjabis ont été tués dans le district de Quetta. L’Armée de libération du Baloutchistan a déclaré que cette attaque avait été menée à titre de représailles pour la disparition et le meurtre de personnes au Baloutchistan.
  • Mohammad Farooq Khan, un médecin qui était également un érudit religieux et un éducateur, a été abattu avec un de ses collaborateurs le 2 octobre dans la ville de Mardan. Les talibans ont revendiqué ces homicides. Mohammad Farooq Khan avait déclaré publiquement que les attentats-suicides étaient contraires à l’islam.

Arrestations et détentions arbitraires

Selon la HRCP, entre 1 000 et 2 600 personnes, parmi lesquelles des enfants de la famille d’insurgés présumés, étaient maintenues en détention par l’armée à la suite d’opérations de ratissage et d’interventions militaires menées dans la vallée de Swat, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa.

  • Dans la région de Swat, une jirga locale (conseil des anciens) a exigé que les familles des talibans se livrent avant le 20 mai sous peine d’être expulsées de la région. À la suite de cela, 130 proches de talibans présumés ont été placés en « détention pour leur protection » dans un camp gardé par l’armée à Palai, dans la vallée de Swat.

Torture et autres mauvais traitements

Les personnes détenues par la police étaient torturées ou maltraitées. La police n’a pas pris de mesures suffisantes pour protéger des personnes contre la violence de foules déchaînées et, dans certains cas, elle a même semblé être complice de telles violences.

  • Le 1er mars, dans un poste de police de Chiniot, dans la province du Pendjab, deux hommes accusés de vol ont été filmés alors que des policiers les maintenaient au sol et les fouettaient. Cinq policiers ont été arrêtés après la diffusion de ce film par la télévision nationale. Ils étaient en instance de jugement à la fin de l’année.
  • Le 15 août, deux frères accusés de vol – Hafiz Mohammad Mughees Sajjad, 17 ans, et Mohammad Muneeb Sajjad, 15 ans – ont été battus à mort par une foule déchaînée à Sialkot, au Pendjab. La scène a été filmée. Une information judiciaire a révélé que les adolescents étaient innocents et que des policiers présents sur les lieux du lynchage n’étaient pas intervenus pour y mettre fin.

Disparitions forcées

En mars, un collège de trois juges de la Cour suprême a commencé à réexaminer des cas de disparition forcée. Il avait pour mandat de recueillir des éléments de preuve auprès de personnes remises en liberté et d’enquêter sur le rôle des services de renseignement. La commission judiciaire a terminé ses travaux le 31 décembre et soumis ses conclusions et recommandations pour examen au gouvernement fédéral. Le rapport de la commission demeurait confidentiel à la fin de l’année.

Plusieurs centaines de personnes ont disparu, apparemment après avoir été arrêtées par les services de renseignement ou l’armée. La majorité des cas ont été signalés au Baloutchistan. Des centaines de requêtes en habeas corpus étaient en instance devant les hautes cours provinciales, mais les services de renseignement refusaient d’obtempérer aux décisions de justice. Les familles des disparus étaient menacées lorsqu’elles évoquaient publiquement le sort de leurs proches.

  • On ignorait où se trouvaient Mahboob Ali Wadela et Mir Bohair Bangulzai, membres du Front national baloutche, et ce qu’il était advenu d’eux. Mahboob Ali Wadela avait été interpellé le 2 avril par la police de Maripur à bord d’un autobus dans le quartier de Yousuf Goth, à Karachi. Mir Bohair Bangulzai avait quant à lui été arrêté le 1er avril par des policiers en uniforme alors qu’il circulait en voiture à Quetta. La police de Maripur et celle de Quetta avaient refusé d’enregistrer les plaintes déposées par leurs familles.

Liberté d’expression

Des journalistes ont été harcelés, maltraités ou tués par des agents de l’État et des membres de groupes armés d’opposition. Les agents de l’État ne protégeaient pas les journalistes contre les attaques des groupes armés. Dix-neuf professionnels des médias ont été tués au cours de l’année, ce qui faisait du Pakistan le pays le plus dangereux pour cette profession selon le Syndicat fédéral des journalistes pakistanais et le Comité pour la protection des journalistes. Les autorités ont bloqué l’accès à certains sites Internet d’actualité.

  • Umar Cheema, journaliste au quotidien The News, a signalé avoir été enlevé et détenu pendant six heures le 4 septembre. Il a été emmené, les yeux bandés, dans les environs de la capitale, Islamabad, déshabillé, suspendu par les pieds et battu par des hommes qui lui ont donné un avertissement à propos de ses écrits critiquant le gouvernement. Le Premier ministre Yousuf Raza Gilani a ordonné l’ouverture d’une information judiciaire et la haute cour de Lahore s’est saisie de l’affaire. Personne n’avait cependant eu à répondre de ces actes à la fin de l’année.
  • Misri Khan Orakzai, 50 ans, journaliste au quotidien Daily Ausaf à Hangu, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, a été abattu le 13 septembre par des inconnus ; il avait été menacé de mort à plusieurs reprises par des insurgés.
  • Le 8 novembre, l’accès au journal en ligne Baloch Hal a été bloqué par l’Autorité pakistanaise des télécommunications, qui reprochait à ce site d’avoir publié des informations « hostiles au Pakistan ». Le site rendait compte de violations des droits humains, notamment de disparitions forcées.
  • Les corps d’Abdul Hameed Hayatan, un journaliste de 24 ans qui travaillait pour Daily Karachi et Tawar, et Hamid Ismail ont été retrouvés le 18 ovembre à Turbat, au Baloutchistan. On était sans nouvelles de ces deux hommes depuis leur arrestation, le 25 octobre, à un poste de contrôle des forces de sécurité non loin de la ville de Gwadar. Leurs corps portaient des traces de torture. Un message trouvé près des victimes disait : « Cadeau de l’Aïd [fête du sacrifice] pour les Baloutches ».

Discrimination – minorités religieuses

L’État n’a pas fait le nécessaire pour empêcher la discrimination, le harcèlement et les violences visant les minorités religieuses et, de plus en plus souvent, les sunnites modérés. Il n’a pas non plus pris de mesures pour que des poursuites soient engagées contre les responsables de tels agissements. Des ahmadis, des chiites et des chrétiens ont été attaqués et tués lors de violences apparemment motivées par l’intolérance religieuse. Des groupes extrémistes religieux qui seraient liés aux talibans ont attaqué des chiites, des ahmadis et des soufis en toute impunité. Les lois sur le blasphème continuaient d’être utilisées de manière abusive contre les ahmadis et les chrétiens, ainsi que contre des musulmans sunnites et chiites.

  • Le 28 mai, 93 ahmadis ont été tués et 150 autres blessés dans des attentats-suicides perpétrés contre deux mosquées ahmadies de Lahore. Le gouvernement provincial n’avait pas tenu compte des demandes de renforcement des mesures de sécurité qui avaient été faites à la suite de menaces lancées par des groupes armés. Le 31 mai, des hommes armés ont fait irruption dans l’hôpital où des victimes recevaient des soins et ils ont tué six autres personnes, parmi lesquelles des membres du personnel médical.
  • Le 1er juillet, 42 personnes ont été tuées et 175 autres blessées dans un attentat-suicide perpétré dans le mausolée soufi de Data Darbar, à Lahore.
  • Le 1er septembre, au moins 54 chiites ont été tués et quelque 280 autres blessés à la suite d’attentats-suicides contre une procession à Lahore.
  • Le 3 septembre, un attentat-suicide contre un rassemblement chiite à Quetta a coûté la vie à 65 personnes au moins, et fait 150 blessés. Cette attaque a été revendiquée par les talibans.

Les lois sur le blasphème ont cette année encore été utilisées de manière abusive. Au moins 67 ahmadis, 17 chrétiens, huit musulmans et six hindous ont été inculpés de blasphème. Selon la Commission nationale justice et paix, plusieurs cas ont été classés sans suite en raison d’accusations douteuses ou d’enquêtes insuffisantes.

  • Le 8 novembre, Aasia Bibi, une chrétienne de 45 ans mère de cinq enfants, a été accusée de blasphème et condamnée à mort à l’issue d’un procès inéquitable. Une altercation avec des femmes de son village qui considéraient comme « impur » un bol d’eau qu’elle leur avait apporté avait violemment dégénéré et la police avait dû intervenir pour la sauver ; elle avait cependant ensuite été arrêtée le 19 juin 2009. L’appel formé contre sa condamnation était toujours en instance à la fin de l’année.
    Les autorités n’ont rien fait pour protéger plusieurs personnes accusées de blasphème contre les attaques dont elles ont été victimes par la suite.
  • Le 19 juillet, deux frères chrétiens – Rashid, un pasteur de 32 ans, et Sajid Emanuel, 27 ans – ont été abattus devant un tribunal de Faisalabad après avoir été accusés de blasphème. La police n’avait pas protégé suffisamment ces deux hommes en dépit des menaces de mort crédibles qu’ils avaient reçues.
  • Imran Latif, 22 ans, qui avait été remis en liberté sous caution le 3 novembre, a été abattu à Lahore le 11 novembre. Le tribunal avait conclu à la quasi-absence d’éléments de nature à étayer une accusation de blasphème formulée contre cet homme cinq ans auparavant.

Violences faites aux femmes et aux filles

Les violences liées au genre, notamment le viol, le mariage forcé, les crimes d’« honneur » et les attaques à l’acide, entre autres formes de violences domestiques, étaient commises en toute impunité, la police étant peu disposée à enregistrer les plaintes et à diligenter des enquêtes. Selon le service d’assistance téléphonique pour les femmes Madadgaar, 1 195 cas de femmes assassinées avaient été recensés fin novembre. Quatre-vingt-dix-huit d’entre elles avaient été violées avant d’être tuées. Les statistiques fournies par Madadgaar indiquaient qu’au total 321 femmes avaient subi un viol, et que 194 avaient été victimes de viols collectifs.

Le 22 décembre, le tribunal fédéral de la charia (droit musulman) a annulé plusieurs dispositions de la Loi relative à la protection des femmes adoptée en 2006. Cette décision visait à rétablir certaines dispositions des ordonnances de hodoud de 1979 qui étaient extrêmement discriminatoires envers les femmes.

  • Le 29 avril, trois sœurs – Fatima, 20 ans, Sakeena, 14 ans, et Saïma, huit ans – ont été défigurées à la suite d’une agression à l’acide à Kalat, au Baloutchistan, apparemment parce qu’elles avaient enfreint une interdiction de quitter leur domicile sans être accompagnées d’un parent de sexe masculin.

Peine de mort

Un moratoire non officiel sur les exécutions était observé depuis la fin de 2008. Toutefois, 356 personnes, dont un mineur, ont été condamnées à mort, dans la plupart des cas pour meurtre. Quelque 8 000 prisonniers étaient toujours sous le coup d’une sentence capitale, selon la HRCP.

Visites d’Amnesty International

Une délégation d’Amnesty International s’est rendue au Pakistan en juin. Des consultants de l’organisation maintenaient une présence constante dans le pays.

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