0.EUROPE ET ASIE CENTRALE — Résumé de la situation des droits humains

«  Je suis très heureux d’être libre. Je suis extrêmement reconnaissant à Amnesty International, qui a fait campagne en ma faveur depuis le début. Je suis convaincu que vous m’avez sauvé. Merci à tous ceux qui ont envoyé des tweets.  ». Eynulla Fatullayev, journaliste et prisonnier d’opinion de Baku, en Azerbaïdjan

La cavale de l’un des hommes les plus recherchés d’Europe s’est terminée par un matin de printemps dans un petit village de Serbie. Accusé, entre autres, du meurtre de 8 000 hommes et jeunes garçons de Srebrenica, Ratko Mladi ? allait enfin devoir affronter la justice. Deux mois plus tard, le Serbe de Croatie Goran Hadži ?, dernier inculpé du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie encore en liberté, était à son tour arrêté en Serbie et transféré à La Haye.
Pour les victimes des crimes atroces perpétrés sur le territoire de l’ancienne Yougoslavie dans les années 1990, il s’agit là d’événements majeurs. Ces arrestations tardives leur permettent enfin d’espérer que la vérité sera faite et que les survivants obtiendront justice et réparation. Une justice que beaucoup d’autres en Europe et en Asie centrale attendent toujours, mais qui est sans cesse repoussée.

Liberté d’expression

En un contraste frappant avec la vague d’espoir et de changement qui a déferlé sur le monde arabe, les régimes autoritaires en place dans un certain nombre d’États issus de l’éclatement de l’Union soviétique ont renforcé leur mainmise sur le pouvoir, écrasant toute contestation, arrêtant les dirigeants de l’opposition et réduisant au silence les voix dissidentes. L’espoir qu’avait fait naître l’effondrement de l’URSS il y a 20 ans devait paraître bien lointain pour de nombreux habitants de la région.
Au Bélarus, les manifestations organisées à la suite des élections de décembre 2010, qui auraient été marquées par de nombreuses irrégularités, ont été interdites ou dispersées. Des centaines de manifestants ont été arrêtés et contraints de payer une amende. La liberté de réunion a été restreinte encore davantage. Les ONG de défense des droits humains qui exprimaient des critiques ont elles aussi été prises pour cible. En Azerbaïdjan, les manifestations contre le gouvernement ont de fait été interdites et les velléités de contestation de quelques opposants au gouvernement ont déclenché une nouvelle vague de répression et d’intimidation. Les manifestations prévues en mars et avril pour protester contre la corruption et appeler à davantage de libertés civiles et politiques ont été interdites sans raison valable, puis violemment dispersées, malgré leur caractère pacifique. Comme au Bélarus, les ONG et les journalistes qui formulaient des critiques ont subi la répression. Cinq organisations de défense des droits humains ont été fermées et plusieurs journalistes ont signalé avoir fait l’objet de menaces et d’actes de harcèlement tout de suite après les manifestations.

En Azerbaïdjan, les manifestations contre le gouvernement ont de fait été interdites et les velléités de contestation de quelques opposants au gouvernement ont déclenché une nouvelle vague de répression et d’intimidation.

En Asie centrale, le Turkménistan et l’Ouzbékistan restreignaient toujours de façon draconienne le droit à la liberté d’expression et d’association. Les véritables partis politiques d’opposition ne pouvaient toujours pas se faire enregistrer et les militants des droits sociaux avaient rarement la possibilité d’agir ouvertement. Les journalistes critiques à l’égard du pouvoir et les défenseurs des droits humains étaient couramment surveillés et exposés au risque d’être battus, incarcérés et soumis à un procès inéquitable. Au Tadjikistan, au Kazakhstan et au Kirghizistan aussi, des personnes ayant critiqué les autorités ou dénoncé des exactions commises par des représentants de l’État ont fait l’objet de procès inéquitables et de manœuvres de harcèlement.
En Russie, le tableau était contrasté. Comme ailleurs dans la région, des défenseurs des droits humains et des journalistes ont été la cible de manœuvres d’intimidation et de harcèlement et ont été frappés pour avoir révélé des exactions. Les manifestations contre le gouvernement ont souvent été interdites, et leurs organisateurs et participants ont été brièvement détenus ou ont dû payer des amendes. Autre caractéristique fréquente dans la région : la plupart des grands organes de presse et des chaînes télévisées restaient très contrôlés par les pouvoirs publics nationaux comme locaux. On a assisté malgré tout à une mobilisation toujours croissante de la société civile, autour de toute une série de causes qui ont suscité un large soutien populaire, comme l’environnement ou la lutte contre les comportements abusifs de représentants de l’État. Internet est resté relativement libre des ingérences du pouvoir, ce qui lui a permis de gagner en importance en tant que source différente d’informations et lieu d’échange de points de vue.
C’est dans ce contexte que se sont déroulées en décembre les plus grandes manifestations organisées en Russie depuis la chute de l’URSS. Ce vaste mouvement de protestation a été déclenché par les multiples accusations et cas constatés de fraude électorale commise lors des élections législatives qui ont permis au parti de Vladimir Poutine, Russie unie, de se maintenir au pouvoir, avec une majorité toutefois sensiblement réduite. Les premières manifestations spontanées qui se sont produites dans toute la Russie dans les jours qui ont immédiatement suivi le scrutin ont été systématiquement dispersées et des centaines de personnes ont été condamnées à de courtes peines d’incarcération ou contraintes de payer une amende. Les rassemblements prévus les semaines suivantes à Moscou étaient cependant trop importants pour être aisément interdits. Ils se sont déroulés de manière pacifique.
En Turquie, les journalistes, les militants politiques kurdes et les autres personnes qui s’exprimaient sur la situation des Kurdes dans le pays ou qui critiquaient les forces armées s’exposaient à des procédures judiciaires inéquitables. Un certain nombre de personnes connues pour leurs prises de position ont cette année encore fait l’objet de menaces. Une réglementation entrée en vigueur en novembre suscitait de nouvelles craintes quant à des restrictions arbitraires concernant les sites Internet.

Populations en mouvement

Sur fond de bouleversements politiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, des milliers de réfugiés et de migrants en quête de sécurité et d’un avenir sûr se sont lancés dans une dangereuse traversée maritime vers l’Europe à bord d’embarcations souvent bondées et impropres à la navigation. D’après des estimations prudentes, au moins 1 500 hommes, femmes (dont certaines enceintes) et enfants ont péri noyés au cours d’une telle tentative. Plutôt que de prendre des mesures pour sauver des vies, par exemple en augmentant le nombre d’opérations de recherche et de secours, l’Union européenne (UE) a préféré renforcer les capacités de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex) afin de dissuader ceux qui voudraient gagner l’Europe en traversant la Méditerranée. Selon certaines informations, les forces de l’OTAN n’ont pas secouru des personnes en perdition en mer, alors même que leur intervention en Libye était présentée comme une opération visant avant tout à éviter des victimes civiles.
Ceux qui sont malgré tout parvenus sur l’autre rive de la Méditerranée y ont trouvé une Europe souvent peu désireuse de les accueillir. Au lieu d’apporter une réponse humanitaire à une crise humanitaire, les pays européens ont continué de se focaliser sur la police des frontières et le contrôle des flux migratoires.

Les pouvoirs publics ont eu largement recours au placement en détention à des fins de dissuasion et de contrôle, au lieu de n’utiliser cette mesure qu’en dernier ressort et de manière légitime.

Les milliers de personnes qui sont parvenues à atteindre l’île italienne de Lampedusa ont été reçues dans des conditions déplorables, les autorités italiennes n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour faire face au nombre croissant d’arrivants.
Les nouveaux arrivants sur l’île étaient souvent abandonnés à eux-mêmes ; un grand nombre étaient contraints de dormir dans des conditions rudimentaires et n’avaient qu’un accès limité, ou pas d’accès du tout, à des installations sanitaires et à des salles d’eau. Le fait d’atteindre les côtes européennes n’était pas non plus une garantie de protection. Ainsi, en avril, aux termes d’un accord conclu entre l’Italie et la Tunisie, les autorités italiennes ont commencé à renvoyer des Tunisiens sommairement et collectivement dans leur pays.
De nombreux États européens, dont la France et le Royaume-Uni, ont par ailleurs refusé de réinstaller des réfugiés qui avaient fui la Libye en raison du conflit armé, alors même qu’ils étaient partie à ce conflit sous la bannière de l’OTAN.
Dans toute la région, des États ont continué de commettre des violations des droits humains en interpellant, en plaçant en détention et en expulsant des étrangers, même lorsque ces derniers avaient vocation à recevoir une protection internationale. Les pouvoirs publics ont eu largement recours au placement en détention à des fins de dissuasion et de contrôle, au lieu de n’utiliser cette mesure qu’en dernier ressort et de manière légitime.
Souvent, les dispositifs d’asile ne remplissaient pas leur rôle auprès des personnes en quête d’une protection. Ainsi, dans des pays comme l’Allemagne, la Finlande, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède ou la Suisse, la procédure de détermination du droit à l’asile était expéditive et ne garantissait pas que des personnes ne seraient pas renvoyées dans des endroits où elles risquaient d’être victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux. Des personnes ont été renvoyées de Turquie et d’Ukraine sans même avoir eu accès à la procédure d’asile dans ces pays.

À la suite de l’arrêt historique rendu en janvier 2011 par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, les États européens ont suspendu les renvois de demandeurs d’asile vers la Grèce aux termes du Règlement Dublin II, ce pays ne disposant pas d’un système d’asile efficace. Certains États continuaient néanmoins de renvoyer des personnes vers des pays comme l’Irak ou l’Érythrée, contre l’avis du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ou de renvoyer de force des Roms au Kosovo alors qu’ils risquaient réellement d’y être victimes de persécutions et de discriminations.
À l’échelle régionale, plusieurs centaines de milliers de personnes étaient toujours déplacées en raison des conflits ayant accompagné l’effondrement de la Yougoslavie ou de l’Union soviétique. Souvent, elles ne pouvaient pas rentrer chez elles à cause de leur statut – ou absence de statut – au regard de la loi et en raison de discriminations les empêchant de faire valoir leurs droits, notamment en matière immobilière.
Soucieux avant tout de négocier une nouvelle législation communautaire en matière d’asile, les États membres de l’UE n’ont pas remédié aux carences de leurs systèmes respectifs d’asile ni à celles des accords de renvoi des demandeurs d’asile vers le pays d’entrée dans l’UE.

Discrimination

Des millions de gens vivant en Europe et en Asie centrale étaient toujours victimes de discriminations mais les gouvernements ne faisaient pas de la lutte contre celles-ci une priorité, expliquant qu’ils avaient d’autres urgences à traiter. Ils ont notamment invoqué des impératifs économiques, alors même que de nombreux indicateurs montraient que les personnes marginalisées risquaient de voir s’aggraver davantage encore les inégalités dont elles souffraient déjà. Certains ont tout simplement cherché à se dérober à leurs obligations, comme le gouvernement néerlandais qui a publiquement annoncé en juillet qu’il appartenait principalement aux citoyens eux-mêmes de s’affranchir des discriminations qui les touchaient.
Au lieu de lutter contre les stéréotypes et les préjugés qui alimentent l’intolérance et la haine, des gouvernements et des représentants de l’État les ont en fait renforcés. L’instance chargée en Roumanie de veiller à l’égalité des chances a mis deux fois en garde le président du pays pour des commentaires hostiles à l’égard des Roms qu’il avait faits à la télévision.

Au lieu de lutter contre les stéréotypes et les préjugés qui alimentent l’intolérance et la haine, des gouvernements et des représentants de l’État les ont en fait renforcés.

La législation anti-discrimination comportait toujours des lacunes, au niveau aussi bien des États que de l’Europe. Dans certains cas, les autorités n’ont pas voulu saisir l’occasion qui leur était donnée de combler ces lacunes, de peur qu’une amélioration de la protection des plus faibles ne renforce l’opposition politique. En Moldavie, un projet de loi contre la discrimination était largement critiqué et dans l’impasse car le texte prévoyait d’interdire toute discrimination fondée notamment sur l’orientation sexuelle. En Espagne, un projet de loi contre la discrimination n’a pas pu être adopté avant les élections législatives de novembre. Au niveau européen, les discussions se sont poursuivies au sein du Conseil de l’UE sur un projet de nouvelle législation anti-discrimination applicable à l’ensemble de l’Union. Ce projet avait été déposé en 2008 et les participants aux débats semblaient plus enclins à affaiblir ses dispositions ou à le mettre au placard qu’à l’adopter. Qui plus est, les textes existants, tels que la directive de l’UE sur l’origine ethnique ou la Charte des droits fondamentaux, n’étaient pas appliqués par la Commission européenne, malgré le non-respect persistant de leurs dispositions par les États membres.
Les normes nationales ou régionales de lutte contre les discriminations étaient parfois publiquement critiquées et leur légitimité contestée. La Cour européenne des droits de l’homme a joué un rôle essentiel concernant l’application de l’interdiction des discriminations inscrite dans la Convention européenne des droits de l’homme, et le renforcement de l’interdiction de toute discrimination fondée sur des critères particuliers comme le genre ou l’orientation sexuelle. Or un certain nombre d’arrêts rendus par la Cour, par exemple ceux qui ont jugé discriminatoire la ségrégation des enfants roms dans le système scolaire, n’ont pas été suivis d’effet dans plusieurs pays comme la République tchèque ou la Croatie.
Il n’y a en outre pas eu de ratification unanime des principaux instruments régionaux de protection des droits humains, alors que cela aurait permis de renforcer cette protection. Ainsi, pas un seul nouveau pays n’a signé ou ratifié le Protocole n° 12 à la Convention européenne, qui interdit la discrimination. En revanche, le Conseil de l’Europe a adopté en mai une nouvelle convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, qui a ensuite été signée par 18 pays.
Certains gouvernements ne se sont pas seulement abstenus de renforcer les mécanismes nationaux ou européens de lutte contre la discrimination, ils se sont également attachés à maintenir les dispositifs discriminatoires existants voire à en créer de nouveaux. La législation et la réglementation de nombreux pays appuyaient toujours des politiques et des pratiques discriminatoires à l’égard des Roms en matière de droit au logement ; dans plusieurs pays de la région, comme la France, l’Italie ou la Serbie, les expulsions forcées de Roms se sont par ailleurs poursuivies. Des projets de loi établissant une discrimination fondée sur le genre ou l’orientation sexuelle ont été déposés en Russie et en Lituanie.
L’absence d’une protection juridique exhaustive et d’une volonté politique, chez ceux qui étaient au pouvoir, de protéger énergiquement les droits de tous ont cette année encore eu des conséquences néfastes sur la vie quotidienne de nombreuses personnes. Toute la région restait marquée par une certaine hostilité et des attitudes discriminatoires à l’égard de minorités ethniques ou religieuses et de certaines personnes pour des questions de genre ou d’orientation sexuelle. Ces tendances étaient souvent attisées par des partis politiques de la droite radicale et populiste. Les lesbiennes, les gays, les personnes transgenres ou bisexuelles, les Roms, les migrants ou encore les musulmans, entre autres, étaient la cible d’agressions motivées par la haine. Les mesures de lutte contre les crimes de haine restaient insuffisantes, en raison de lacunes dans les législations, de systèmes de signalement médiocres, d’enquêtes inadéquates ou de failles dans le système pénal, ou encore du fait de la méfiance à l’égard de la police. Les préjugés et les stéréotypes profondément ancrés dans la société étaient également à l’origine d’agissements racistes de la part de responsables de l’application des lois.

De nombreux pays de la région ont continué de débattre de projets d’interdiction générale du port du voile intégral.

De nombreux pays de la région ont continué de débattre de projets d’interdiction générale du port du voile intégral. La Belgique et la France ont adopté une loi en ce sens. Les débats sur cette question, qui étaient souvent fondés davantage sur des présupposés que sur des données fiables, avaient pour effet de stigmatiser plus encore les musulmans. Des responsables des pouvoirs publics véhiculaient, plutôt que de la combattre, une vision stéréotypée de l’islam, par exemple avec la question du foulard. Le port de certains signes ou éléments d’habillement religieux et culturels continuait d’entraîner une discrimination à l’égard des musulmans, en particulier des femmes, en matière d’emploi et d’éducation.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Des gouvernements européens faisaient toujours la sourde oreille face à des initiatives concertées visant à leur demander des comptes concernant leur participation présumée aux programmes de « restitution » et de détention secrète menés par l’Agence centrale du renseignement des États-Unis (CIA). Plusieurs ont rendu publiques de nouvelles informations sur le rôle qu’ils avaient joué dans ces opérations, ou ont de nouveau été accusés de complicité après que des ONG ou des médias eurent mis au jour de nouveaux éléments compromettants. D’autres ont mis fin aux enquêtes ouvertes, ou mené sans conviction des investigations de pure forme, ou proposé des enquêtes non conformes aux normes minima relatives aux droits humains, ou encore purement et simplement nié toute implication malgré les preuves de plus en plus nombreuses du contraire. Le Parlement européen a approuvé en mars un document de suivi concernant son rapport de 2007 sur les complicités européennes dans ces opérations menées par la CIA, afin d’assurer le respect de résolutions antérieures concernant l’obligation d’enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits fondamentaux.

Invoquant des raisons techniques et le secret d’État, la Lituanie a brusquement clos en janvier l’enquête ouverte sur deux centres de détention secrète installés sur le territoire lituanien par la CIA. Le gouvernement a refusé en octobre de rouvrir cette enquête, malgré l’émergence de nouveaux éléments crédibles, soumis en septembre aux autorités par plusieurs ONG et donnant à penser qu’un vol de « restitution » avait eu lieu entre le Maroc et la Lituanie. Le protocole de l’enquête relative aux personnes détenues à l’étranger dans le cadre des opérations antiterroristes (« Detainee Inquiry ») rendu public en juin par le gouvernement britannique a été très critiqué par des spécialistes internationalement reconnus des droits humains, des ONG, d’anciens détenus et des représentants de ces derniers, qui étaient préoccupés par le contrôle exercé par le gouvernement sur la divulgation des informations, par les auditions secrètes et par l’absence de dispositions garantissant une véritable participation des victimes à la procédure. De nombreuses personnes et organisations ont déclaré qu’elles ne coopéreraient pas avec les enquêteurs tant que des changements n’auraient pas été introduits. Ce protocole n’avait toutefois pas été modifié à la fin de l’année.
Les autorités polonaises ont prolongé en août leurs investigations sur la présence d’un centre secret de la CIA sur le territoire national, mais elles ont dans le même temps continué de refuser l’accès au dossier aux avocats des deux victimes nommément désignées et n’ont rien révélé concernant les progrès de l’enquête. Les révélations publiées en décembre par des médias concernant l’existence d’un centre secret de la CIA à Bucarest ont suscité un ferme démenti de la part des autorités roumaines. Celles-ci ont continué de rejeter toute accusation d’implication, quelle qu’elle soit, dans les opérations de la CIA, malgré l’existence de preuves accablantes montrant que la Roumanie y avait largement et délibérément participé.
Les autorités finlandaises ont pour leur part divulgué en octobre et novembre des informations indiquant qu’un aéronef participant au programme de « restitution » avait atterri en Finlande, et ont pris acte des demandes d’ouverture d’une enquête indépendante sur une éventuelle complicité. Elles n’avaient cependant pas pris de décision en ce sens à la fin de l’année. Annoncée en novembre, l’enquête sur la complicité présumée du Danemark était limitée au Groenland et devait se résumer à un « examen documentaire » des informations déjà recueillies dans le cadre d’une enquête parlementaire.
Face aux résistances rencontrées au niveau des États, certaines victimes du programme de « restitution » ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’espoir que celle-ci fasse la lumière, en partie au moins, sur les responsabilités dans cette affaire. Des requêtes contre la Lituanie, la Macédoine et la Pologne ont ainsi été déposées devant la Cour.

Invoquant des raisons techniques et le secret d’État, la Lituanie a brusquement clos en janvier l’enquête ouverte sur deux centres de détention secrète installés sur le territoire lituanien par la CIA.

Dans l’ensemble de la région, les politiques et les pratiques antiterroristes continuaient d’affaiblir les protections en matière de droits humains. Des « assurances diplomatiques » peu fiables ont de plus en plus été utilisées pour expulser des personnes considérées comme dangereuses pour la sécurité nationale, notamment en Allemagne, en Belgique, en Italie ou encore au Royaume-Uni. L’ONU a reproché en novembre à l’Allemagne sa collaboration avec des organismes de renseignement qui recouraient régulièrement à certaines formes de coercition pendant les interrogatoires. Plusieurs pays, au premier rang desquels le Royaume-Uni, utilisaient des « ordonnances de contrôle » ou des mesures similaires relevant de la privation de liberté, pour éviter de juger en bonne et due forme certaines personnes et de leur accorder les garanties normalement prévues par la loi.
En Turquie, de très nombreuses poursuites ont été intentées au titre de lois antiterroristes abusives, donnant lieu à des procès qui très souvent bafouaient les normes internationales. Les personnes visées par ces poursuites étaient dans bien des cas des militants politiques, dont des étudiants, des journalistes, des écrivains, des juristes et des universitaires. Ils étaient couramment interrogés au sujet d’activités pourtant protégées par le droit à la liberté d’expression.
La situation sécuritaire dans le Caucase du Nord restait instable et contrastée. Des groupes armés ont continué de s’en prendre aux représentants de l’État, notamment aux forces de sécurité, tuant parfois des civils lors des affrontements, lorsqu’ils ne les prenaient pas délibérément pour cible. Les opérations de sécurisation menées dans la région s’accompagnaient fréquemment de graves atteintes aux droits humains.
Selon certaines informations, des témoins auraient été intimidés, et des journalistes, des militants des droits humains et des juristes auraient été harcelés et tués.
Le groupe séparatiste armé basque Euskadi Ta Askatasuna (ETA) a annoncé qu’il abandonnait la lutte armée. En Turquie, en revanche, des civils ont été tués à la fois dans des bombardements de l’armée et dans des attentats à l’explosif de groupes armés.

Impunité dans les situations d’après-conflit

Malgré l’arrestation des deux derniers suspects inculpés par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, la lutte contre l’impunité pour les crimes commis pendant les conflits des années 1990 ne progressait que lentement. Elle souffrait d’un manque de moyens et de volonté politique, et certaines initiatives ont même constitué un retour en arrière. En Croatie, par exemple, si le président de la République et le pouvoir judiciaire ont pris des mesures pour faire la lumière sur ce qui s’était passé pendant le conflit, le gouvernement n’a guère fait avancer les choses. Plusieurs personnalités politiques de premier rang s’en sont ainsi prises à la justice internationale, tandis que le Parlement adoptait une loi contraire aux obligations de la Croatie de coopérer avec la Serbie en matière pénale. De plus, la collaboration régionale a été affectée par le fait que les obstacles juridiques à l’extradition des personnes soupçonnées de crimes de guerre n’ont pas été levés entre la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie et le Monténégro.

Des « assurances diplomatiques » peu fiables ont de plus en plus été utilisées pour expulser des personnes considérées comme dangereuses pour la sécurité nationale.

Dix ans après le conflit armé en Macédoine, les affaires de crimes de guerre renvoyées par le Tribunal aux juridictions nationales ont été closes, à la faveur d’une nouvelle interprétation par le Parlement de la Loi d’amnistie accordant de fait aux suspects l’immunité judiciaire devant la justice macédonienne.
Au Kirghizistan, bien qu’ayant donné leur aval à deux commissions d’enquête indépendantes, les autorités n’ont pas enquêté équitablement et efficacement sur les violences de 2010 et sur leurs suites.

Torture et autres mauvais traitements

Les victimes d’actes de torture et d’autres mauvais traitements étaient elles aussi trop souvent les laissées pour compte de systèmes judiciaires qui n’amenaient pas les responsables de ces sévices à répondre de leurs actes. De multiples facteurs faisaient obstacle à la mise en œuvre de l’obligation de rendre des comptes : impossibilité de contacter rapidement un avocat, manque de détermination du ministère public à engager des procédures, peur des représailles, légèreté des sanctions infligées aux agents de la force publique en cas de condamnation, et absence de systèmes véritablement indépendants pour contrôler le traitement des plaintes et les enquêtes sur les fautes graves de la police.

De nombreux cas de torture ont encore été signalés en Ukraine et en Russie, malgré les réformes superficielles des services de police entreprises par cette dernière.

Des poches d’impunité particulièrement tenaces persistaient. En Ouzbékistan, malgré l’adoption d’une loi destinée à améliorer la manière dont étaient traités les détenus et en dépit des affirmations des autorités selon lesquelles la pratique de la torture était en nette régression, des dizaines de cas de torture et d’autres mauvais traitements infligés à des personnes privées de liberté ont encore été signalés cette année. En Turquie, le jugement de 2010 par lequel, pour la première fois dans l’histoire du pays, des agents de l’État avaient été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour actes de torture ayant entraîné la mort, a été annulé en appel. De nombreux cas de torture ont encore été signalés en Ukraine et en Russie, malgré les réformes superficielles des services de police entreprises par cette dernière.
Ailleurs – en Grèce et en Espagne, par exemple –, la police a été accusée de recours excessif à la force et de mauvais traitements lors de la dispersion de manifestations contre les mesures d’austérité.

Peine de mort

Le Bélarus restait le dernier pays de la région à appliquer la peine de mort. Deux hommes ont ainsi été exécutés cette année, au terme d’une procédure judiciaire qui présentait de graves défaillances et fonctionnait toujours de manière opaque. Ces exécutions ont eu lieu alors que le Comité des droits de l’homme [ONU] avait officiellement demandé au gouvernement d’y surseoir en attendant qu’il ait examiné les requêtes introduites par les deux condamnés.

Conclusion

Les arrestations de Ratko Mladi ? et de Goran Hadži ? ont constitué un signal fort à l’adresse non seulement des personnes concernées, mais également des populations de l’ensemble de la région. Elles représentaient un message d’espoir, après de longues années d’attente, et aussi un message d’avertissement à tous ceux qui pensaient être hors de portée de la justice grâce à des amis influents, des voisins puissants ou de troubles jeux d’intérêts. Ces arrestations témoignent également de ce que peuvent accomplir les individus, la société civile, les gouvernements et la communauté internationale lorsque tous sont déterminés à faire respecter les droits universels de la personne humaine.

Les arrestations de Ratko Mladi ? et de Goran Hadži ? ont constitué un signal fort à l’adresse non seulement des personnes concernées, mais également des populations de l’ensemble de la région.

Malheureusement, trop d’hommes et de femmes sont encore victimes, en Europe et en Asie centrale, du décalage qui existe entre le discours sur les droits humains et la réalité de leur mise en œuvre. Trop souvent, le soutien indéfectible à ces droits était considéré comme faisant obstacle aux politiques nationales en matière de sécurité et d’énergie. L’indépendance et l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme ont été contestées. L’UE s’est révélée trop souvent impuissante face aux violations commises par ses propres membres. Les États quant à eux ne s’acquittaient toujours pas de l’obligation élémentaire qui était la leur de faire respecter l’ensemble des droits humains pour tous.

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