Ethiopie

Les autorités ont réprimé la liberté d’expression et imposé des restrictions sévères aux activités des médias indépendants, des partis d’opposition et des organisations de défense des droits humains. La dissidence n’était tolérée dans aucun domaine. Des opposants avérés ou présumés ont été emprisonnés. Des manifestations pacifiques ont été réprimées. Les arrestations et détentions arbitraires étaient monnaie courante et le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements contre les détenus était très répandu. De très nombreux cas d’expulsion forcée ont été signalés dans tout le pays.

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DÉMOCRATIQUE D’ÉTHIOPIE
Chef de l’État : Girma Wolde-Giorgis
Chef du gouvernement : Meles Zenawi, remplacé par Hailemariam Desalegn le 20 août

Contexte

En août, les autorités ont annoncé le décès du Premier ministre Meles Zenawi, qui avait dirigé l’Éthiopie pendant 21 ans. Hailemariam Desalegn a été désigné pour lui succéder et trois vice-Premiers ministres ont été nommés afin d’assurer la représentation de tous les partis à base ethnique de la coalition au pouvoir.
Cette année encore, de vastes étendues de terre ont été louées par le gouvernement à des investisseurs étrangers. Cela coïncidait souvent avec l’application du programme de « villagisation », qui consistait à déplacer des centaines de milliers de personnes. Locations de terres et « villagisation » se seraient à maintes reprises accompagnées d’expulsions forcées de grande ampleur.
Les échauffourées se sont poursuivies entre les forces gouvernementales et des groupes armés d’opposition dans plusieurs endroits du pays, notamment dans les régions somalie, d’Oromia et afar.
Cette année encore, l’armée éthiopienne a mené des opérations militaires en Somalie. Des informations ont fait état d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, de tortures et d’autres mauvais traitements imputables à des soldats éthiopiens ainsi qu’à des membres de milices alliées au gouvernement somalien.
L’armée éthiopienne a fait deux incursions en mars en Érythrée et elle a affirmé par la suite qu’elle avait attaqué des camps d’entraînement de groupes rebelles éthiopiens (voir Érythrée). L’Éthiopie a reproché à l’Érythrée de soutenir un groupe rebelle qui avait attaqué des touristes européens en janvier dans la région afar.

Liberté d’expression

Un certain nombre de journalistes et de membres de partis d’opposition ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour des infractions en relation avec le terrorisme. Ils avaient été arrêtés après avoir critiqué le gouvernement ou lancé des appels en faveur de réformes, ou encore du fait de leurs liens avec des mouvements de protestation pacifiques. Une grande partie des éléments de preuve utilisés contre eux ne constituaient que des exemples d’exercice du droit à la liberté d’expression et d’association.
Les procès ont été entachés de graves irrégularities, dont l’absence d’enquête sur les allégations de torture, la limitation ou la suppression du droit de consulter un avocat, et l’utilisation à titre de preuves d’« aveux » obtenus sous la contrainte.
 En janvier, les journalistes Reyot Alemu, Woubshet Taye et Elias Kifle ainsi que Zerihun Gebre-Egziabher, dirigeant d’un parti d’opposition, et Hirut Kifle, ancienne sympathisante de l’opposition, ont été déclarés coupables d’infractions en relation avec le terrorisme.
 En juin, le journaliste Eskinder Nega et Andualem Arage, chef de file de l’opposition, ainsi que d’autres dissidents ont été condamnés à des peines comprises entre huit ans d’emprisonnement et la réclusion à perpétuité pour des infractions liées au terrorisme.
 En décembre, Bekele Gerba et Olbana Lelisa, dirigeants de l’opposition, ont été condamnés respectivement à huit ans et 13 ans d’emprisonnement pour « provocation à commettre des crimes contre l’État ».
Plusieurs centaines de musulmans ont été interpellés entre juillet et novembre dans le cadre d’une série de manifestations dans tout le pays contre des restrictions que les autorités auraient imposées à la liberté de religion. Bon nombre des personnes arrêtées ont été remises en liberté par la suite, mais beaucoup, dont des figures de proue du mouvement de protestation, étaient toujours détenues à la fin de l’année. Le gouvernement s’est efforcé d’écraser ce mouvement et d’empêcher les médias de rendre compte des manifestations.
 En octobre, au moins un journaliste et 29 chefs de file du mouvement de protestation, parmi lesquels figuraient des membres d’un comité désigné par la communauté musulmane pour présenter ses doléances au gouvernement, ont été inculpés au titre de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme.
 En mai et en octobre, des correspondants de Voice of America ont été placés en détention pour une courte période et interrogés au sujet d’interviews qu’ils avaient réalisées auprès de protestataires.
Les quelques médias indépendants encore en activité ont été soumis à des restrictions encore renforcées.
 En avril, Temesgen Desalegn, rédacteur en chef de Feteh, l’une des dernières publications indépendantes qui continuait de paraître, a été condamné à une peine d’amende pour outrage à magistrat. On lui reprochait une « couverture partiale » du procès d’Eskinder Nega et de ses coaccusés. Feteh avait publié les déclarations de certains accusés. En août, Temesgen Desalegn a été inculpé d’infractions pénales à cause d’articles qu’il avait rédigés ou publiés et qui étaient jugés critiques à l’égard du gouvernement ou qui appelaient à manifester pacifiquement contre la répression menée par les autorités. Il a été remis en liberté après quelques jours de détention et les accusations portées contre lui ont été abandonnées.
En mai, le gouvernement a émis une directive obligeant les imprimeurs à supprimer des publications qui leur étaient confiées tout contenu que les autorités pouvaient juger « illégal ». Compte tenu du caractère extrêmement large des dispositions de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme, une grande partie du contenu légitime des publications était susceptible d’être considérée comme illégale.
 En juillet, un numéro de Feteh a été saisi après que les autorités eurent protesté contre deux articles parus à la une, dont un sur les manifestations des musulmans et un autre qui spéculait sur l’état de santé du Premier ministre. Par la suite, l’imprimerie Berhanena Selam, dirigée par l’État, a refusé d’imprimer Feteh ainsi que Finote Netsanet, publication du plus grand parti d’opposition, l’Unité pour la démocratie et la justice. Ce parti a annoncé, en novembre, que le gouvernement avait totalement interdit Finote Netsanet.
Un grand nombre de sites d’information en ligne ainsi que de sites politiques et d’organisations de défense des droits humains ont été bloqués.
Le Parlement a adopté en juillet la Loi sur les infractions de fraude dans le secteur des télécommunications, qui entrave la mise à disposition de différentes technologies d’Internet et des télécommunications ainsi que leur utilisation.

Défenseurs des droits humains

Les activités des défenseurs des droits humains continuaient d’être soumises à des restrictions sévères imposées par la Loi sur les associations et les organismes caritatifs et les directives connexes, qui les empêchaient notamment d’avoir accès à des financements essentiels.
 En octobre, la Cour suprême a confirmé la décision de geler une somme d’environ un million de dollars des États-Unis qui représentaient les actifs des deux principales organisations de défense des droits humains du pays : le Conseil des droits humains et l’Association des avocates éthiopiennes. Leurs comptes avaient été gelés en 2009 après l’adoption de cette loi.
 En août, le Conseil des droits humains, la plus ancienne ONG éthiopienne de défense de ces droits, s’est vu refuser par l’Agence des associations et organismes caritatifs l’autorisation de lancer des collectes de fonds au niveau national.
Selon certaines sources, cette agence a mis en application une disposition de la loi qui prévoyait de soumettre les activités des ONG au contrôle d’un organisme gouvernemental, ce qui compromettait fortement leur indépendance.

Torture et autres mauvais traitements

Les détenus étaient fréquemment torturés et maltraités, tout particulièrement lors des interrogatoires par la police en garde à vue. Ils étaient couramment giflés, frappés à coups de poing et de bâton, entre autres, menottés et suspendus par les poignets au mur ou au plafond, privés de sommeil et maintenus à l’isolement pendant de longues périodes. Certains auraient reçu des décharges électriques ou été soumis à des simulacres de noyade ; d’autres ont affirmé qu’on avait accroché des poids à leurs organes génitaux. Beaucoup ont été contraints de signer des « aveux ». Des prisonniers ont été forcés d’administrer des châtiments physiques à leurs codétenus.
Les allégations de torture formulées par des détenus, y compris lors de leur comparution devant un tribunal, n’ont fait l’objet d’aucune enquête.
Les conditions de détention étaient éprouvantes. La nourriture et l’eau manquaient et les équipements sanitaires étaient très médiocres. Les détenus ne bénéficiaient pas de soins médicaux appropriés, voire en étaient totalement privés. Des cas de mort en détention ont été signalés.
 En février, Andualem Arage, figure de l’opposition, a été roué de coups par un codétenu qui avait été transféré dans sa cellule quelques jours plus tôt. Un autre dirigeant de l’opposition, Olbana Lelisa, aurait subi le même traitement plus tard dans l’année.
 Deux journalistes suédois condamnés en 2011 à 11 ans d’emprisonnement pour des infractions liées au terrorisme ont été graciés en septembre. Après leur libération, les deux hommes ont déclaré qu’ils avaient été contraints de témoigner contre eux-mêmes et soumis à un simulacre d’exécution avant d’être autorisés à contacter leur ambassade ou un avocat.

Arrestations et détentions arbitraires

Des membres de partis d’opposition et des opposants politiques avérés ou présumés ont été arrêtés. La détention arbitraire était répandue.
Des personnes ont, d’après leur famille, disparu après leur arrestation. Les autorités prenaient pour cible des proches des suspects, qui étaient interpellés et interrogés. L’utilisation de lieux de détention non officiels a été signalée.
 En janvier, le Parti pour l’unité de tous les Éthiopiens a réclamé la remise en liberté de 112 de ses membres qui avaient semble-t-il été arrêtés en l’espace d’une semaine au cours du même mois dans la région des Nations, nationalités et peuples du Sud.
Plusieurs centaines d’Oromos accusés de soutenir le Front de libération oromo ont été arrêtés.
 En septembre, plus d’une centaine de personnes auraient été arrêtées lors de la fête oromo d’Irreechaa.
Un très grand nombre de civils soupçonnés de soutenir le Front de libération nationale de l’Ogaden (FLNO) auraient été arrêtés et placés arbitrairement en détention dans la région somalie.
 Yusuf Mohammed, un employé éthiopien de l’ONU arrêté en 2010, était toujours détenu arbitrairement à Jijiga. Il s’agissait apparemment d’une manœuvre visant à contraindre au retour son frère, accusé de liens avec le FLNO, qui vivait en exil.
De très nombreux Sidamas ont été arrêtés entre juin et août dans la région des Nations, nationalités et peuples du Sud à la suite semble-t-il de nouveaux appels en faveur de la création d’un État séparé pour les Sidamas dans la région. Un certain nombre d’arrestations ont eu lieu en août pendant la célébration de Fichee, le nouvel an sidama. Bon nombre des personnes arrêtées ont été rapidement remises en liberté. Un certain nombre de personnalités de la communauté ont toutefois été maintenues en détention et inculpées de crimes contre l’État.
Des personnes auraient été arrêtées pour avoir participé à des manifestations pacifiques et dénoncé publiquement certains « projets de développement ».

Utilisation excessive de la force

La police a été accusée à plusieurs reprises d’avoir réagi avec une force excessive lors du mouvement de protestation des musulmans. À Addis-Abeba en juillet, deux rassemblements ont dégénéré en violences. Selon certaines sources, les policiers auraient tiré à balles réelles et battu des manifestants dans la rue et pendant leur garde à vue ; beaucoup auraient été blessés. Dans au moins deux autres cas liés à des manifestations ailleurs dans le pays, des policiers ont tiré à balles réelles, tuant ou blessant plusieurs personnes. Aucun de ces événements n’a fait l’objet d’une enquête.
 En avril, quatre personnes au moins auraient été abattues par des policiers à Asasa, dans la région d’Oromia. Des témoins et les autorités ont donné des versions contradictoires des faits.
 En octobre, des policiers ont tiré sur des habitants de Gerba, dans la région d’Amhara ; trois personnes au moins ont été tuées et d’autres ont été blessées. Les autorités ont affirmé que les manifestants avaient déclenché les violences ; ceux-ci ont déclaré que les policiers avaient tiré à balles réelles sur des personnes non armées.
Les forces de sécurité auraient perpétré des exécutions extrajudiciaires dans les régions afar, somalie et de Gambéla.

Conflit dans la région somalie

En septembre, le gouvernement et le FLNO ont entamé brièvement des pourparlers de paix en vue de mettre un terme au conflit les opposant depuis une vingtaine d’années dans la région somalie. Les négociations étaient au point mort en octobre.
L’armée et la police de Liyu, milice locale qui lui était alliée, ont été régulièrement accusées de violations des droits humains, dont des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires et des viols. De nombreuses informations ont fait état d’actes de torture et d’autres mauvais traitements infligés aux détenus. Aucune des allégations formulées n’a fait l’objet d’une enquête et l’accès à la région était toujours soumis à des restrictions sévères.
 En juin, Abdirahman Sheikh Hassan, un employé de l’ONU accusé d’être lié au FLNO, a été déclaré coupable d’infractions liées au terrorisme et condamné à une peine de sept ans et huit mois d’emprisonnement. Il avait été arrêté en juillet 2011 après avoir négocié avec le FLNO pour obtenir la libération de deux employés du Programme alimentaire mondial (PAM, une agence de l’ONU) qui avaient été enlevés.

Expulsions forcées

Le programme de « villagisation » qui prévoyait la réinstallation de plusieurs centaines de milliers de personnes a été mis en œuvre dans les régions somalie, afar, de Gambéla, de Benishangul-Gumuz et des Nations, nationalités et peuples du Sud. Les déplacements prévus par ce projet officiellement destiné à améliorer l’accès de la population aux équipements de base devaient être volontaires. Or, selon certaines sources, de nombreuses personnes réinstallées ont en fait subi une expulsion forcée.
Des déplacements de population de grande ampleur, qui s’accompagnaient parfois d’allégations d’expulsion forcée, ont été signalés dans le cadre de la location de vastes superficies de terre à des investisseurs étrangers ainsi que pour la construction de barrages.
Les travaux se sont poursuivis sur un vaste projet de construction de barrages. L’absence de consultation des populations concernées et leur déplacement sans que des garanties appropriées aient été mises en place, ainsi que les effets négatifs de ces projets sur l’environnement étaient source de grave préoccupation.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit