Espagne

Il a cette année encore été signalé que la police avait eu recours à une force excessive lors de manifestations. Des organes de surveillance des droits humains ont condamné l’Espagne pour défaut d’enquête sérieuse sur des allégations de torture.

ROYAUME D’ESPAGNE
Chef de l’État : Juan Carlos Ier
Chef du gouvernement : Mariano Rajoy

Contexte

Des manifestations ont encore rassemblé tout au long de l’année des personnes réclamant une réforme du système politique pour permettre une plus large participation de la population à la vie politique, et dénonçant les mesures d’austérité mises en place pour lutter contre la crise financière et économique.
En juin, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] a recommandé à l’Espagne de revoir les réformes adoptées dans le contexte de la crise financière, de façon à garantir que toutes les mesures d’austérité mises en place maintiennent le niveau de protection des droits économiques, sociaux et culturels, et qu’elles soient instaurées à titre provisoire et proportionnées et ne soient pas préjudiciables à ces droits. Le Comité a également demandé à l’Espagne d’adopter les mesures législatives propres à garantir aux droits économiques, sociaux et culturels un niveau de protection analogue à celui qui s’applique aux droits civils et politiques.
Aucune attaque violente du groupe armé Euskadi Ta Askatasuna (ETA) n’a été signalée ; le groupe avait annoncé la fin de la lutte armée en octobre 2011.
Saisie en 2005 par le Parti populaire, qui contestait la constitutionnalité de la loi autorisant le mariage de personnes de même sexe, la Cour constitutionnelle a statué en novembre que de telles unions étaient conformes à la Constitution.

Torture et autres mauvais traitements

Tout au long de l’année, des manifestations ont été organisées dans différentes villes du pays, notamment à Madrid, Barcelone et Valence. Les forces de l’ordre se seraient fréquemment rendues responsables de mauvais traitements et d’un recours excessif à la force quand elles ont dispersé les manifestants. Les enquêtes sur les plaintes visant des policiers n’ont généralement pas été menées de façon efficace et approfondie. Certaines ont en outre dû être abandonnées car les policiers en cause ne portaient aucun élément d’identification sur leurs uniformes.
 En mars, un tribunal de Barcelone a décidé de clore une enquête sur des allégations faisant état d’un recours excessif à la force par des agents de la police autonome de Catalogne (Mossos d’Esquadra) lors d’une intervention pour disperser des manifestants à Barcelone le 27 mai 2011. Le tribunal a estimé que la police avait eu recours à une force proportionnée. Le 29 octobre, toutefois, une instance judiciaire supérieure a ordonné la réouverture de l’enquête.
 Dans une décision rendue en mars, un tribunal de Madrid a jugé non recevable la plainte déposée en 2011 par Angela Jaramillo, au motif qu’il n’était pas possible d’identifier la policière qui avait frappé cette femme. Malgré leur comportement pacifique, Angela Jaramillo et plusieurs autres personnes avaient été frappées à plusieurs reprises à coups de matraque par des policiers lors d’une manifestation à Madrid le 4 août 2011, et avaient dû recevoir des soins médicaux. Angela Jaramillo est morte d’une crise cardiaque en juin 2012.
 Le 11 juillet, la journaliste indépendante Paloma Aznar a été blessée à la jambe par une balle en caoutchouc alors qu’elle couvrait une manifestation de mineurs à Madrid. Elle avait sa carte de presse et son appareil photo autour du cou. Selon elle, les policiers ne portaient aucun élément d’identification visible et ont tiré des balles en caoutchouc directement sur la foule lorsque certains manifestants sont devenus violents. Sur des images vidéo tournées lors de la manifestation, on voit des policiers asséner des coups de matraque à des personnes allongées sur le sol et tirer des projectiles en caoutchouc à faible distance de la foule.
 Lors d’un rassemblement de protestation organisé à Madrid le 25 septembre, des policiers non identifiés ont frappé des manifestants pacifiques à coups de matraque, tiré des balles en caoutchouc sur la foule et menacé des journalistes qui couvraient les événements, et ce jusqu’à l’intérieur de la gare ferroviaire d’Atocha. Selon les informations disponibles, une enquête interne a été ouverte sur cette intervention policière mais aucune conclusion n’avait été rendue publique à la fin de l’année.
Les enquêtes sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements ont souvent été menées de façon inadéquate. Ce manque de diligence a été confirmé par des décisions prises tout au long de l’année par des tribunaux et des organes spécialisés en matière de droits humains.
 En avril, deux policiers accusés d’avoir provoqué la mort d’Osamuyia Akpitaye, décédé lors de son expulsion du territoire espagnol en juin 2007, ont été condamnés par un tribunal pénal pour négligence, une infraction mineure. Aucune peine d’emprisonnement n’a été prononcée à leur encontre.
 En mai, le Comité contre la torture [ONU] a conclu que l’Espagne n’avait pas mené d’enquête satisfaisante sur les allégations de torture portées dans l’affaire Orkatz Gallastegi c. Espagne. Orkatz Gallastegi a été condamné en 2005 sur la base d’aveux qui, affirme-t-il, ont été obtenus sous la contrainte pendant sa détention au secret en 2002.
 En juillet, la Cour constitutionnelle a refusé de se saisir du recours en inconstitutionnalité formé contre la décision d’acquittement prononcée en 2011 par la Cour suprême en faveur de quatre gardes civils. Ces policiers avaient été initialement condamnés en décembre 2010 par le tribunal pénal de la province de Guipúzcoa pour avoir torturé Igor Portu et Mattin Sarasola le 6 janvier 2008, lorsque les deux hommes se trouvaient en garde à vue.

Lutte contre le terrorisme et sécurité
Les enquêtes sur les crimes commis par des membres du groupe armé ETA se sont poursuivies.
Les autorités espagnoles ne tenaient toujours pas compte des demandes formulées par les organes internationaux chargés des droits humains afin qu’elles abandonnent le recours à la détention au secret pour les personnes soupçonnées d’infractions liées au terrorisme. Au titre de ce régime, les suspects peuvent être détenus pendant une période de 13 jours, durant laquelle ils ne peuvent pas choisir leur propre conseil ni s’entretenir en privé avec l’avocat commis d’office qui leur a été attribué. Ils ne peuvent pas non plus consulter le médecin de leur choix ni tenir leur famille informée de leur sort.
 En décembre, la Cour suprême espagnole a rejeté l’appel interjeté par des avocats dans l’affaire des « Six de Bush », qui visait à ouvrir une procédure en Espagne contre six responsables américains accusés de complicité dans la création du cadre légal ayant permis que des personnes soupçonnées de terrorisme soient torturées dans des centres de détention administrés par les États-Unis. En dépit des éléments prouvant le contraire, la Cour suprême a jugé que les États-Unis étaient en train de mener une enquête sur cette affaire. Sa décision devrait faire l’objet d’un appel devant la Cour constitutionnelle.

Racisme et discrimination

Les musulmans et d’autres minorités religieuses se heurtaient toujours à des obstacles quand ils voulaient obtenir des autorisations d’ouverture de lieux de culte dans certaines villes de Catalogne, où des moratoires ont été décrétés pour interdire la construction de nouveaux lieux de culte. Des autorités locales, des partis politiques et des associations de riverains ont continué d’exprimer leur opposition à la création de salles de prière musulmanes.
Les restrictions sur le port de symboles et de vêtements religieux toujours en vigueur dans certains établissements scolaires continuaient de toucher de façon disproportionnée les élèves de confession musulmane.
 Le 25 janvier, un tribunal de Madrid a donné raison à un lycée public de Pozuelo de Alarcón, dans la banlieue de Madrid, qui avait interdit à une élève d’assister aux cours parce qu’elle portait le voile.
 Le 21 mai, le directeur général de la police a publié une circulaire interdisant les quotas d’arrestation et les interpellations massives d’étrangers en situation irrégulière. Toutefois, il n’était pas fait mention des contrôles d’identité réalisés sur la base de caractéristiques ethniques ou liées à la couleur de la peau. D’après des ONG locales, la police continuait de cibler des personnes appartenant à des minorités ethniques lors des contrôles d’identité.
 En juillet, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que les autorités espagnoles n’avaient pas sérieusement enquêté sur les allégations de mauvais traitements, apparemment motivés par des préjugés racistes, dont avait été victime Beauty Solomon. Cette ressortissante nigériane avait porté plainte après avoir été insultée et frappée par des policiers à Palma de Majorque, en juillet 2005.

Violences faites aux femmes

Au cours de l’année 2012, 46 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ancien partenaire, selon les chiffres du ministère de la Santé, des Services sociaux et de l’Égalité. D’après les estimations d’une étude gouvernementale, plus de deux millions de femmes ont été victimes au moins une fois dans leur vie de violences conjugales. Sept ans après l’adoption de la loi contre la violence liée au genre, les victimes continuaient de pâtir d’un manque d’accès à des recours effectifs. Depuis 2005, année où des tribunaux spécialisés ont été mis en place pour traiter les affaires de violences contre les femmes, il n’a été procédé à aucune évaluation des obstacles que peuvent rencontrer les victimes lorsqu’elles cherchent à obtenir une protection effective au cours d’une procédure judiciaire.
 María (son nom est gardé secret) a survécu aux violences sexuelles, psychologiques et physiques infligées par son partenaire. Les coups qu’il lui avait portés l’ont privée de l’usage de ses jambes pendant six mois. María a continué de recevoir de graves menaces pendant les quatre ans qu’a duré l’enquête judiciaire, ainsi qu’après le procès. Bien qu’elle ait signalé sa situation aux autorités, elle n’a reçu aucune protection et a été contrainte de déménager. Son ancien partenaire a été acquitté. Fin 2012, María continuait de recevoir de graves menaces et devait vivre cachée.

Réfugiés et migrants

Le Décret royal n° 16/2012 adopté en avril a modifié la Loi relative aux étrangers, restreignant l’accès des migrants en situation irrégulière aux services de santé publics.
Le 4 septembre, les autorités ont procédé à l’expulsion collective vers le Maroc de 70 migrants présents sur l’Isla de Tierra, un îlot espagnol. Aucun d’entre eux n’a pu bénéficier d’une procédure de demande d’asile individuelle.
 Le Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] a estimé en août que les autorités espagnoles avaient arbitrairement détenu un citoyen marocain dans un centre de rétention pour étrangers à Madrid, où il a été victime d’actes de discrimination et de mauvais traitements s’apparentant à de la torture. Interpellé dans la rue pour un contrôle d’identité, Adnam el Hadj a été conduit dans un centre de rétention où cinq policiers l’auraient frappé à plusieurs reprises en proférant des insultes racistes à son encontre. Après avoir constaté que son corps portait plusieurs marques de blessures, les services médicaux du centre de rétention ont recommandé son transfert à l’hôpital. Cette recommandation n’a pas été suivie d’effet et aucun rapport médical n’a été établi.

Crimes de droit international

Dans le droit pénal espagnol, la définition de la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité ne répondait toujours pas aux obligations du pays au regard du droit international, malgré la ratification par l’Espagne de la Convention internationale contre les disparitions forcées [ONU].
 Le 27 février, la Cour suprême a acquitté l’ancien juge Baltasar Garzón de l’accusation de forfaiture. Le magistrat était notamment poursuivi pour violation de la Loi d’amnistie de 1977, à la suite de l’ouverture d’une enquête, en 2008, sur la disparition forcée de 114 266 personnes entre juillet 1936 et décembre 1951. Bien qu’elle l’ait acquitté, la Cour suprême a conclu que Baltasar Garzón avait mal interprété la loi en qualifiant de crimes contre l’humanité les faits sur lesquels il enquêtait. D’après la Cour, ces faits n’étaient pas considérés comme des crimes contre l’humanité par la législation espagnole au moment où ils ont été commis. Ce jugement pourrait écarter toute possibilité d’enquêter en Espagne au titre du droit international sur les crimes commis dans le passé.

Droits en matière de logement

Le gouvernement a mis en place des réformes législatives dans le contexte de la crise économique sans évaluer leurs conséquences sur les droits des personnes vulnérables.
 À Madrid, les expulsions forcées se sont poursuivies à Cañada Real, bien que la Loi n° 2/2011 du 15 mai 2011 engage les autorités locales à consulter les résidents affectés et à tout mettre en œuvre pour parvenir à un accord et éviter les expulsions. Toujours à Madrid, 300 personnes ont été expulsées du quartier informel habité par des Roms à Puerta de Hierro sans qu’on leur ait proposé de solution de relogement acceptable.
 En juin, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] s’est dit inquiet de la poursuite de ces expulsions, conduites sans que les garanties d’une procédure régulière soient respectées, sans que les personnes concernées soient consultées au préalable, et sans qu’il leur soit offert de solution de relogement ou d’indemnisation. Le Comité a également recommandé à l’Espagne de mettre en place un cadre législatif qui instaure les prescriptions et les procédures qu’il convient de suivre avant de procéder à une expulsion.

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