Kirghizistan

La torture et les autres mauvais traitements restaient monnaie courante dans tout le pays et les autorités policières et judiciaires ne donnaient généralement pas suite aux allégations faisant état de tels actes. Les autorités n’avaient toujours pas mené d’enquête sérieuse et impartiale sur les violences de juin 2010 et leurs conséquences. Les milliers de victimes de crimes graves et d’atteintes aux droits humains, y compris de crimes contre l’humanité, continuaient donc de se heurter à un déni de justice. Cette année encore, les membres de la communauté ouzbèke ont été plus particulièrement visés par les arrestations et les poursuites engagées en raison des événements de juin 2010.

RÉPUBLIQUE KIRGHIZE
Chef de l’État : Almaz Atambaïev
Chef du gouvernement : Omourbek Babanov, remplacé par Jantoro Satibaldiev le 5 septembre

Torture et autres mauvais traitements

Malgré l’élaboration d’un programme national global de lutte contre la torture tenant compte des recommandations du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, et l’adoption d’une loi sur la création d’un Centre national pour la prévention de la torture et des autres mauvais traitements, les agents de l’État n’ont pas renoncé à ces pratiques.
Le rapporteur spécial a estimé en février que « la torture et les mauvais traitements étaient des méthodes encore largement utilisées pour obtenir des aveux ». Il déplorait en outre l’absence, dans la pratique, d’une procédure claire définissant les mesures que les tribunaux devaient prendre lorsque des éléments semblaient manifestement avoir été obtenus sous la torture, ou plus généralement par des mauvais traitements. Il constatait également qu’aucune consigne n’avait apparemment été donnée aux tribunaux concernant l’application d’une telle procédure ou la nécessité d’ordonner une enquête effective, immédiate et impartiale dans de tels cas.
Toujours selon le rapporteur spécial, alors que l’actuel président de la République, ainsi que son prédécesseur, et la procureure générale s’étaient prononcés et avaient agi en ce sens, il n’y avait apparemment pas eu de consignes émanant du ministère de l’Intérieur et condamnant la torture et les autres mauvais traitements ou indiquant clairement que de tels actes ne sauraient être tolérés de la part de policiers.
 Anna Agueïeva, une jeune femme de 18 ans, enceinte, a été arrêtée par la police à Bichkek le 11 septembre. Soupçonnée d’homicide volontaire, elle a été détenue au secret pendant trois jours dans les locaux du poste de police du district de Sverdlovsk. Selon son témoignage, pendant ces trois jours, des policiers l’auraient tirée par les cheveux, l’auraient enchaînée à un radiateur avec des menottes et lui auraient donné des coups de pied et des coups de poing dans le ventre et dans les reins, pour l’obliger à « avouer » le meurtre d’une autre jeune femme. Un avocat de l’ONG Kylym Shamy a porté plainte pour torture auprès des services du procureur du district de Sverdlovsk. Trois autres suspectes, dont une jeune fille de 17 ans, Aïdiana Toktassounova, détenue dans le cadre de la même enquête, se sont plaintes auprès des services du procureur, affirmant que des policiers les avaient torturées pour les contraindre à faire des « aveux ». Le ministère de l’Intérieur a rejeté les allégations de torture, qu’il a qualifiées d’« absurdes », affirmant avoir enquêté sur l’affaire et n’avoir trouvé aucun élément permettant de penser qu’il y avait eu faute de la part des policiers. Le parquet du district a ouvert en octobre une information sur ces allégations.
*En novembre, l’organisation de défense des droits humains Spravedlivost (Justice) a écrit à la procureure générale pour lui demander de veiller personnellement au déroulement de l’enquête sur certaines allégations, selon lesquelles huit détenus du centre de détention provisoire de Djalal-Abad auraient été soumis à des mauvais traitements par une quinzaine de policiers. Alertée par les proches de certains des détenus, Spravedlivost avait effectué une visite dans ce centre de détention.
Les détenus ont déclaré que des policiers les avaient frappés au visage, sur la tête et sur le corps, puis les avaient complètement déshabillés et les avaient obligés à courir. La médiatrice régionale s’est rendue dans ce centre de détention deux jours après Spravedlivost. Elle a rencontré les 42 personnes qui y étaient retenues ; 37 d’entre elles ont confirmé avoir été maltraitées. Elle a elle aussi demandé au parquet régional d’enquêter sur cette affaire. Le ministère de l’Intérieur a mené sa propre enquête interne et a conclu que rien ne permettait de dire que des mauvais traitements avaient eu lieu.
Bien que les arrestations visant essentiellement les Ouzbeks semblent être devenues moins fréquentes en 2012, un certain nombre d’informations indiquaient toujours que de graves violations des droits humains ont cette année encore été commises à l’encontre de membres de cette communauté, dans le cadre des enquêtes en cours sur les violences de juin 2010 et leurs conséquences. Il était notamment question de torture et de mauvais traitements en détention, d’aveux sous la contrainte et de procès inéquitables. Dans son rapport de février, le rapporteur spécial sur la torture s’est dit préoccupé de constater que de graves atteintes aux droits humains commises dans le cadre de ces enquêtes s’étaient poursuivies sans relâche au cours des derniers mois.

Procès inéquitables

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a expliqué avoir reçu des témoignages selon lesquels, lors de procès de personnes accusées d’implication dans les violences de juin 2010, les juges et les procureurs avaient à plusieurs reprises omis de donner suite aux allégations de torture ou de mauvais traitements formulées par des prévenus ou leurs avocats. Il a cité notamment la décision de la Cour suprême en date du 20 décembre 2011 de rejeter le recours d’Azimjan Askarov et de confirmer sa condamnation à l’emprisonnement à vie comme un exemple de passivité de la plus haute instance judiciaire du pays face à des allégations de torture et de mauvais traitements. Le gouvernement kirghize a accusé le rapporteur spécial d’avoir un jugement partial, affirmant que les services du procureur général avaient mené une enquête approfondie sur toutes les allégations de torture et d’aveux forcés dans l’affaire concernant Azimjan Askarov et ses co-accusés, et qu’ils n’avaient trouvé aucun élément permettant d’étayer ces affirmations.
 Azimjan Askarov, un défenseur des droits humains en vue, était toujours détenu à l’isolement à la fin de l’année. Il était considéré comme prisonnier d’opinion. Selon un rapport publié en octobre par l’organisation Physicians for Human Rights, son état de santé s’était sensiblement dégradé (et notamment sa vue, son système nerveux et son système respiratoire), sans qu’il reçoive pour autant les soins médicaux nécessaires, ce qui constituait une forme de mauvais traitement. Des experts de Physicians for Human Rights qui ont examiné Azimjan Askarov en janvier ont estimé qu’il présentait des signes cliniques caractéristiques d’une lésion cérébrale, séquelle d’actes de torture. Son avocat a déposé en novembre une plainte auprès du Comité des droits de l’homme [ONU].

Impunité

En dépit d’un certain nombre d’initiatives prises au cours des deux dernières années par les autorités (qui avaient d’ailleurs rencontré une forte opposition interne), les violences qui ont éclaté en juin 2010 et par la suite à Och et à Djalal-Abad n’avaient toujours pas fait l’objet d’enquêtes équitables et sérieuses, et des milliers de victimes de crimes et de graves violations des droits humains, dont des crimes contre l’humanité, n’avaient toujours pas obtenu justice à la fin de 2012.
Le procureur de la ville d’Och a déclaré en avril que, sur 105 affaires jugées dans le cadre de ces événements, seules deux s’étaient soldées par des acquittements. Une seule de ces affaires concernait un membre de la communauté ouzbèke, Farroukh Gapirov, le fils du défenseur des droits humains Ravshan Gapirov. Il a été remis en liberté après que la cour d’appel eut conclu que sa condamnation en première instance était fondée sur des « aveux » obtenus sous la torture. Aucune enquête judiciaire n’a cependant été ouverte contre les policiers accusés de l’avoir torturé.
Par opposition, les premiers (et manifestement, à la fin de l’année, les seuls) Kirghizes condamnés pour le meurtre de membres de la communauté ouzbèke en juin 2010 ont vu leur sentence annulée.
 Le tribunal régional de Djalal-Abad a annulé en mai les condamnations de quatre membres de la communauté kirghize accusés du meurtre de deux Ouzbeks, lors des troubles de juin 2010. Deux d’entre eux avaient été condamnés en novembre 2010 à 20 et 25 années d’emprisonnement, respectivement. Ils avaient tous les deux affirmé avoir été torturés pendant leur détention. Les deux autres avaient été condamnés à des peines de trois ans d’emprisonnement avec sursis. La première cour d’appel a annulé les condamnations des quatre hommes, a renvoyé l’affaire pour un complément d’information et a fait libérer les accusés sous caution. Trois ont finalement été acquittés. Le quatrième, celui qui avait été condamné à 25 ans d’emprisonnement en première instance, a bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle.
En dépit des directives officielles données par le parquet général, qui insistaient sur la nécessité d’enquêter sur toutes les allégations de torture sans exception, les procureurs se penchaient rarement de manière sérieuse et impartiale sur les informations faisant état de tels actes et ils s’abstenaient le plus souvent d’en traduire les responsables présumés en justice. Le rapporteur spécial sur la torture a estimé que les efforts déployés par le gouvernement par intérim pour enquêter sur les abus commis à la suite des événements de juin 2010, et pour en punir les auteurs, s’étaient bien souvent révélés vains.
 En mars, le procès de quatre policiers accusés d’avoir torturé Ousmonjon Kholmirzaïev, mort en août 2011 des suites des sévices subis, a été renvoyé devant les tribunaux de Djalal-Abad. Le président du tribunal régional de Djalal-Abad a demandé un complément d’enquête et a libéré sous caution deux des policiers inculpés. Avant même que le procès commence, en septembre 2011, des parents et des sympathisants des policiers inculpés ont organisé des manifestations, parfois violentes. Devant le tribunal et dans la salle d’audience, ils ont tenté d’intimider les témoins à charge, ainsi que la famille d’Ousmonjon Kholmirzaïev et son avocat. Ils ont aussi cherché à faire pression sur le juge pour que celui-ci prononce la non-culpabilité des accusés. Le procès a finalement été délocalisé dans la région de Tchouï, à 500 kilomètres de là, pour des raisons de sécurité. Plusieurs témoins clés ont néanmoins été menacés de violences. Certains ont modifié leur témoignage dans un sens favorable aux accusés. Plusieurs ont préféré partir à l’étranger, pour mettre leur famille à l’abri. À la fin de l’année, le procureur régional de Djalal-Abad n’avait toujours pas ouvert d’enquête sur les agissements des proches et des sympathisants des accusés, malgré les plaintes en ce sens formulées par la veuve d’Ousmonjon Kholmirzaïev et par ses avocats. Le 26 décembre, le tribunal régional a décidé d’ajourner le procès jusqu’à une date non précisée, trois des avocats de la défense ne s’étant pas présentés à l’audience prévue ce jour-là.

Visites et documents d’Amnesty International

 Des déléguées d’Amnesty International se sont rendues au Kirghizistan en avril, mai, septembre et décembre.
 Kyrgyzstan : Dereliction of duty (EUR 58/001/2012)

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