Tadjikistan

La torture et les autres formes de mauvais traitements constituaient toujours une pratique courante et les auteurs de tels actes continuaient de jouir d’une impunité quasi totale. Les organismes indépendants de surveillance ne pouvaient pas se rendre dans les centres de détention. La liberté d’expression restait précaire, malgré un certain assouplissement de la législation.

RÉPUBLIQUE DU TADJIKISTAN
Chef de l’État : Emomali Rakhmon
Chef du gouvernement : Akil Akilov

Contexte

Des affrontements entre forces gouvernementales et groupes armés ont eu lieu en juillet à Khorog, dans la région autonome du Haut-Badakhchan. Une opération lancée par l’armée régulière contre des forces fidèles au commandant adjoint de l’unité frontalière d’Ishkashim, Tolib Ayombekov, dirigeant de l’opposition à l’époque de la guerre civile de 1992-1997, aurait fait selon des sources non officielles environ 150 victimes, aussi bien civiles que militaires. Cette opération a donné lieu à des combats parmi les plus intenses depuis la fin de la guerre civile.

Torture et autres mauvais traitements

Le gouvernement a annoncé en mars qu’il avait l’intention d’appliquer les recommandations formulées lors de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme [ONU], et de veiller par exemple à ce que les détenus puissent bénéficier d’une assistance juridique et médicale. Le Code pénal a été modifié en avril et la torture constituait désormais une infraction en tant que telle. La Cour suprême a édicté en juin des directives destinées aux magistrats amenés à juger des affaires de présomption de torture ou d’autres mauvais traitements. Les services du procureur général ont préparé des recommandations aux procureurs concernant les enquêtes à mener en cas d’allégations de torture.
Malgré ces initiatives allant dans le bon sens, de nouveaux cas de mauvais traitement et de torture ont été signalés cette année. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et le Comité contre la torture [ONU] ont publié leurs observations. À l’issue de sa visite en mai, le rapporteur spécial a notamment déclaré que la torture et les autres mauvais traitements étaient fréquents et qu’ils se produisaient dans des circonstances très diverses.
Le Comité contre la torture a relevé en novembre des allégations nombreuses et concordantes faisant état de l’usage régulier de la torture et des mauvais traitements sur des suspects, essentiellement dans le but de leur extorquer des « aveux ». Ces actes seraient surtout commis pendant les premières heures de l’interrogatoire, lors de la garde à vue, ainsi que dans les centres de détention provisoire gérés par le Comité de sûreté de l’État et la Brigade de lutte contre la criminalité organisée, où les personnes étaient placées dans l’attente de leur procès.
Des enfants, des personnes âgées et des témoins dans des procès de droit commun ont affirmé avoir été torturés ou, plus généralement, maltraités. Plusieurs méthodes étaient citées : torture à l’électricité, brûlure à l’eau bouillante ou à la cigarette, asphyxie partielle, passages à tabac, etc. Certaines informations faisaient état de viols ou de menaces de viol sur la personne de détenus des deux sexes, ainsi que de torture psychologique. La plupart des actes de torture et autres mauvais traitements étaient commis avant même que le suspect ne soit officiellement enregistré au poste de police. Les suspects n’étaient informés de leurs droits (de voir un avocat, d’avertir leur famille ou de garder le silence) qu’au moment de l’enregistrement de leur arrestation, une formalité censée être effectuée dans les trois heures suivant l’arrivée dans les locaux de la police, mais qui, dans la pratique, était souvent différée. On a relevé des cas où le suspect a été détenu au secret pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant d’être enfin enregistré.
 Cherik Karamhoudoïev, le chef de la section de Khorog du Parti de la renaissance islamique (PRI, opposition), a disparu le 24 juillet, pendant les affrontements dans la ville. Sa famille n’a eu de ses nouvelles que le 8 août et il a dû attendre près de deux mois avant de rencontrer ses avocats. Il aurait été torturé dans le centre de détention du Comité de sûreté de l’État de Douchanbé. Il a été inculpé d’organisation d’un groupe criminel et de détention illégale d’armes à feu.
Les détenus étaient régulièrement interrogés sans qu’un avocat soit présent. Certains n’ont pas pu voir leur conseil pendant plusieurs jours, alors que la loi garantissait le droit de tout détenu de bénéficier des services d’un avocat dès l’enregistrement de son placement en détention.
Les personnes accusées d’être proches de mouvements islamiques ou de groupes islamistes interdits étaient généralement détenues dans les locaux du ministère de l’Intérieur ou du Comité de sûreté de l’État. Elles étaient particulièrement exposées au risque d’être torturées ou maltraitées, et leurs chances de pouvoir consulter un avocat étaient, dans le meilleur des cas, limitées. Leurs défenseurs ne parvenaient pas, en outre, à se faire communiquer l’ensemble des éléments figurant au dossier de leurs clients.
Un certain nombre d’informations ont fait état d’enlèvements perpétrés à l’étranger par les forces de sécurité du Tadjikistan, qui auraient ramené de force plusieurs personnes. Dans plusieurs cas, les demandes d’extradition visant des personnes accusées d’appartenance à des groupes islamiques ou à des partis islamistes interdits citaient des informations peu fiables ou incomplètes. Les personnes visées affirmaient avoir été torturées à leur retour au Tadjikistan.
 Savriddine Djouraïev, 27 ans, a été condamné en avril à 26 années d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable de conspiration en vue de renverser l’ordre constitutionnel « autour de 1992 » (il avait à l’époque sept ans). Il s’était réfugié en Russie en 2006. Le Tadjikistan avait demandé son extradition en 2009. La Russie lui avait accordé l’asile temporaire en août 2011. La Cour européenne des droits de l’homme avait demandé à la Russie de ne pas l’extrader tant qu’elle n’aurait pas examiné son cas mais, en octobre 2011, il avait été enlevé à Moscou par des inconnus parlant tadjik, qui l’avaient ramené de force au Tadjikistan. Il a déclaré à ses défenseurs qu’il avait été maltraité pendant sa détention à Khoudjand et qu’aucun avocat n’était présent lors de son interrogatoire.
En novembre, le Comité contre la torture a instamment prié le Tadjikistan de mettre fin à la pratique consistant à enlever à l’étranger des personnes et à les ramener de force au Tadjikistan, pour ensuite les placer en détention au secret. Il a également demandé aux autorités de veiller à ce que ces personnes ne soient pas torturées ou maltraitées.

Obligation de rendre des comptes

Un climat général d’impunité régnait toujours dans le pays. Un inspecteur de police a certes été reconnu coupable en septembre d’actes de torture commis sur un adolescent de 17 ans, dans la région de Khatlon, et condamné à sept années d’emprisonnement – une première au Tadjikistan. Un autre policier a été condamné à un an d’emprisonnement pour torture en décembre. Parallèlement, toutefois, plusieurs responsables de l’application des lois reconnus coupables d’abus de pouvoir ont été remis en liberté anticipée, aux termes de la Loi d’amnistie de 2011. Le parquet de Douchanbé a par exemple décidé en juillet d’abandonner l’information judiciaire ouverte contre deux policiers accusés d’être responsables de la mort en détention de Safarali Sangov, en mars 2011. Les deux hommes ont été amnistiés.
Bien que le Code de procédure pénale précise que les tribunaux devaient déclarer irrecevable tout élément obtenu sous la torture, il n’y a pas eu d’exemple cette année de juge invoquant cette disposition.
Les victimes de torture et leurs proches disaient souvent ne pas vouloir porter plainte auprès des services du procureur, par crainte de représailles.
Les autorités ont refusé d’autoriser des observateurs indépendants (du CICR ou d’ONG locales, notamment) à se rendre dans les centres de détention.
Lors des audiences de demande de remise en liberté, les juges ignoraient régulièrement les allégations de torture et d’autres mauvais traitements formulées par les détenus, les invitant à porter plainte auprès du procureur.
Lorsqu’une enquête était ouverte sur des allégations de mauvais traitements ou de torture, les victimes et leurs familles n’étaient pas régulièrement tenues au courant de l’état d’avancement de l’affaire ni autorisées à prendre connaissance des éléments de leur dossier. La Cour constitutionnelle a confirmé en mai la légalité de la décision du procureur général de limiter l’accès des victimes de violations des droits humains aux éléments à charge réunis contre les auteurs présumés de ces violations.
Le parquet refusait généralement de préciser la façon dont les plaintes avaient été instruites ou les motifs de ses décisions, lorsqu’il avait estimé que rien ne permettait de conclure à une faute de la part d’agents de l’État. Les procureurs tardaient bien souvent à ordonner l’examen médical de victimes présumées de mauvais traitements ou de torture, ce qui permettait aux traces des sévices infligés de disparaître.

Morts en détention

Les autorités n’assuraient pas l’intégrité physique des personnes placées en détention. Les morts en détention ne faisaient pas l’objet d’enquêtes dignes de ce nom et les responsables présumés étaient rarement sanctionnés.
*Hamza Ikromzoda, 27 ans, est mort en prison au mois de septembre, apparemment des suites de torture. Un examen médicolégal a conclu en octobre que le jeune homme s’était suicidé. Plusieurs anciens codétenus de la victime qui auraient assisté à sa mort auraient été maltraités, voire torturés dans les prisons de Douchanbé et de Khoudjand.

Liberté d’expression
Le Code pénal a été modifié en juillet, afin de dépénaliser la diffamation. L’offense au chef de l’État restait cependant passible de sanctions. De nombreuses informations ont toutefois circulé, cette année encore, faisant état de tentatives du gouvernement de restreindre la liberté d’expression des défenseurs des droits humains, des avocats, des experts médicaux et des journalistes.
Le tribunal de la ville de Khoudjand a ordonné en octobre la fermeture de l’association Amparo, une organisation de défense des droits humains mobilisée contre les abus au sein de l’armée. L’association était accusée d’infractions administratives. Selon des militants des droits humains, cette décision obéissait à des mobiles politiques et les charges contre Amparo étaient infondées.

Violences faites aux femmes et aux filles

La Loi sur la prévention de la violence domestique a finalement été adoptée en décembre, huit ans après son passage en première lecture devant le Parlement.

Visites et documents d’Amnesty internatinoal
 Des déléguées d’Amnesty International se sont rendues au Tadjikistan en juin.
 Tajikistan : Shattered Lives : Torture and other ill-treatment in Tajikistan (EUR 60/004/2012).
 Tadjikistan. Il ne faut pas réduire les groupes militants dissidents au silence (PRE01/579/2012).

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