Ukraine

La torture et les autres formes de mauvais traitements constituaient toujours une pratique courante et les auteurs de tels actes continuaient de jouir de l’impunité. Les carences de l’appareil judiciaire se traduisaient souvent par des détentions provisoires prolongées et par le non-respect des garanties dues aux détenus. Les réfugiés et les demandeurs d’asile étaient en permanence menacés d’arrestation et de renvoi forcé dans des pays où ils risquaient d’être victimes de violations de leurs droits fondamentaux. Les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI) étaient souvent contestés.

UKRAINE
Chef de l’État : Viktor Ianoukovitch
Chef du gouvernement : Mykola Azarov

Torture et autres mauvais traitements

De nouveaux cas de torture et d’autres mauvais traitements en garde à vue ont été signalés cette année. Dans un rapport publié en novembre à la suite d’une visite effectuée en Ukraine en 2011, le Comité européen pour la prévention de la torture [Conseil de l’Europe] expliquait avoir été « inondé de plaintes émanant de personnes détenues », qui affirmaient avoir été soumises à des mauvais traitements physiques et psychologiques par des policiers. Le poste de police de Chevtchenko, à Kiev, était cité comme particulièrement « problématique ».
Le 18 septembre, le Parlement a adopté une loi autorisant le Commissariat parlementaire aux droits humains à faire office de mécanisme national de prévention, dans le cadre des obligations de l’Ukraine au titre du Protocole facultatif à la Convention contre la torture.
 Mikhaïl Belikov, un mineur retraité, a été torturé le 17 juin par des policiers du poste de Petrov, un quartier de Donetsk. Il avait été interpellé par trois fonctionnaires en service parce qu’il buvait de l’alcool dans un parc de la ville. Il aurait été frappé sur les lieux de son interpellation, puis conduit au poste de police de Petrov, où un quatrième policier l’aurait violé avec une matraque, tandis que les trois autres le maintenaient au sol. Un gradé lui aurait dit d’oublier ce qui s’était passé et lui aurait demandé 1 500 hryvnias (144 euros) pour le libérer. Il a accepté de payer la somme et a été remis en liberté sans inculpation. Son état s’est considérablement aggravé dans la soirée. Il a été conduit à l’hôpital, où les médecins ont constaté qu’il souffrait de graves lésions internes, qui nécessitaient la réalisation d’une colostomie temporaire. À la fin de l’année, trois policiers comparaissaient devant la justice pour cinq affaires distinctes de violences et d’extorsion – la première remontant à 2009 – dont les tortures infligées à Mikhaïl Belikov. Deux d’entre eux ont été inculpés d’actes de torture aux termes de l’article 127 du Code pénal.

Impunité

En octobre, dans le cadre de l’Examen périodique universel, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a recommandé à l’Ukraine de créer un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les affaires de torture et de garantir l’indemnisation des victimes. Les autorités n’avaient pas répondu à la fin de l’année à cette recommandation, pas plus qu’aux 145 autres formulées à l’issue de l’Examen. Les victimes d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements avaient toujours beaucoup de mal à faire aboutir leurs plaintes. Les peines prononcées par les tribunaux étaient rarement en rapport avec la gravité des faits reprochés.
 Le 5 janvier, le policier Serhiy Prikhodko a été condamné à cinq ans d’emprisonnement avec sursis pour abus de pouvoir ayant entraîné la mort en garde à vue de Ihor Indylo, dans les locaux du poste de Chevtchenko, à Kiev, en mai 2010. Un second policier, Serhiy Kovalenko, avait bénéficié d’une mesure d’amnistie en décembre 2011, au motif qu’il avait un enfant en bas âge. Le 14 mai, la cour d’appel de Kiev a annulé les deux décisions du tribunal de première instance (la condamnation à une peine avec sursis et l’amnistie) et a renvoyé l’affaire pour un complément d’information. Elle a de nouveau demandé un complément d’information le 29 octobre.
 Le 23 mars, le célèbre accordéoniste Igor Zavadsky a été arrêté à Kiev et maltraité, voire torturé par des policiers. Selon son propre témoignage, il aurait été jeté à terre devant son domicile par plusieurs policiers en civil, qui l’auraient ensuite frappé, puis fouillé. Les policiers lui auraient pris son téléphone portable, avant de se livrer à une perquisition de son appartement, sans mandat. Il aurait été de nouveau torturé et maltraité dans les locaux du poste de Chevtchenko : trois policiers l’auraient roué de coups, puis l’un d’eux lui aurait écrasé les testicules, lui infligeant ainsi une douleur aiguë. À un moment donné, il aurait été projeté au sol, se serait cogné la tête et aurait perdu connaissance. Les policiers n’ont pas voulu que son interrogatoire se déroule en présence d’un avocat. Il a pu voir un avocat le 27 mars seulement. Igor Zavadsky a finalement été inculpé d’« assouvissement violent et contre nature d’un désir sexuel » et de « détournement de mineurs ». Il a porté plainte le 2 avril auprès du parquet du district, pour torture et autres mauvais traitements. Il n’a été informé que le 3 juillet que les autorités avaient décidé le 6 avril de ne pas donner suite à ses accusations de torture. Le 31 juillet, le tribunal du district de Chevtchenko a annulé la décision du parquet et renvoyé l’affaire pour un complément d’information. On ignorait à la fin de l’année où en était l’enquête. La procédure engagée contre Igor Zavadsky suivait son cours.

Réfugiés et demandeurs d’asile

L’Ukraine ne respectait toujours pas les obligations qui étaient les siennes au titre de la Convention relative au statut des réfugiés, car elle acceptait d’extrader des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou au moins déposé une demande d’asile.
 Le 20 septembre, les autorités ont renvoyé Rouslan Souleïmanov en Ouzbékistan, en violation des obligations de l’Ukraine en sa qualité d’État partie à la Convention relative au statut des réfugiés et à la Convention contre la torture. Celui-ci se trouvait à la fin de l’année en détention à Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan, dans l’attente de son procès. Rouslan Souleïmanov, dont l’entreprise de bâtiment était convoitée par des concurrents, était parti s’installer en Ukraine en novembre 2010 car il craignait de faire l’objet d’un procès inéquitable et d’être victime de torture et d’autres mauvais traitements en Ouzbékistan. Il avait été arrêté le 25 février 2011 en Ukraine. Les services du procureur général avaient confirmé en mai de la même année suivant son extradition vers l’Ouzbékistan, où il faisait l’objet de poursuites pour des infractions économiques présumées. Sa demande d’asile en Ukraine avait certes été rejetée, mais le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) l’avait reconnu réfugié et s’efforçait de lui trouver un pays d’accueil.
 Citoyen russe et assistant du député russe de l’opposition Ilia Ponomarev, Leonid Razvozjaïev aurait été enlevé le 19 octobre par des agents russes devant les bureaux de l’Hebrew Immigrant Aid Society (HIAS), organisation qu’il était venu consulter pour une assistance et un conseil juridiques sur les procédures d’asile en Ukraine. Leonid Razvozjaïev a déclaré le 22 octobre avoir été soumis à des actes de torture et à d’autres mauvais traitements à son retour en Russie. Ses tortionnaires cherchaient selon lui à lui faire dire qu’il avait voulu organiser des troubles de masse et à l’obliger à incriminer d’autres militants d’opposition. Un porte-parole du ministère de l‘Intérieur a confirmé le 25 octobre que Leonid Razvozjaïev avait été enlevé « par des responsables de l’application des lois ou des responsables de l’application des lois d’un autre État ». Il ne s’agissait pas, selon lui, d‘une affaire criminelle, mais « d’une affaire de coopération entre organismes d’application des lois, dont [il] ne sa[vait] rien ».
Le HCR a noté en juin que, en dépit de la nouvelle Loi de 2011 sur les réfugiés, la procédure et la législation n’étaient toujours pas conformes aux normes internationales. Il a relevé en particulier que les demandeurs d’asile, qui bien souvent sont sans papiers, risquaient jusqu’à 12 mois de détention pour séjour irrégulier sur le territoire ukrainien.
 En janvier, 81 personnes détenues dans deux centres pour migrants, en majorité de nationalité somalienne, ont entamé une grève de la faim pour protester contre le sort qui leur était réservé. Ces personnes étaient détenues, dans certains cas depuis 12 mois, « en vue de leur expulsion », à la suite d’une opération de police menée fin décembre 2011 dans le cadre de la lutte contre l’« immigration clandestine ». L’Ukraine n’avait jamais expulsé de ressortissants somaliens – et tout retour forcé vers la Somalie constituerait, sauf circonstance exceptionnelle, un acte illégal. Un au moins de ces détenus était enregistré auprès du HCR en tant que demandeur d’asile. Parmi les autres, nombreux étaient ceux qui n’avaient pas été en mesure de déposer une demande, car les services régionaux de l’immigration n’avaient pas fonctionné dans une grande partie du pays pendant presque toute l’année 2011. Les détenus ont cessé leur grève de la faim le 17 février, le Service national de l’immigration leur ayant donné l’assurance qu’il allait rouvrir ses antennes régionales du secteur de Volyn, dans l’ouest de l’Ukraine, enregistrer les demandes de statut de réfugié et accorder la protection afférente. En novembre 2012, 53 des détenus avaient été remis en liberté.

Justice

Le président de la République a approuvé le 14 mai un nouveau Code de procédure pénale, qui contenait des avancées importantes par rapport au précédent. Il précisait par exemple que la détention commençait au moment de l’interpellation de la personne par la police, et que toute personne arrêtée avait droit immédiatement à un avocat et à un expert médical indépendant. Il indiquait clairement que la détention avant procès ne devait s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe. Il garantissait en outre un examen automatique bimestriel de la légitimité de toute détention provisoire. On pouvait toutefois regretter que la présence d’un avocat ne soit obligatoire que dans les affaires d’infractions particulièrement graves, passibles d’une peine supérieure à 10 ans d’emprisonnement, et que l’aide juridique gratuite ne soit elle aussi accordée que dans ce type d’affaires.
 Iouri Loutsenko, ancien ministre de l’Intérieur et dirigeant du parti d’opposition Autodéfense populaire, a été condamné le 27 février à quatre années d’emprisonnement et à une amende de 643 982 hryvnias (61 621 euros) pour abus de biens publics et abus de pouvoir. Il était en détention provisoire depuis le 26 décembre 2010. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé le 3 juillet que la longueur de sa détention avant procès avait constitué une violation de son droit à la liberté, et que ce maintien en détention avait en outre été ordonné pour des raisons politiques, en contravention avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Le 17 août, Iouri Loutsenko a par ailleurs été reconnu coupable de manquement à ses obligations professionnelles, pour avoir donné l’ordre de surveiller illégalement un chauffeur, dans le cadre de l’enquête sur l’empoisonnement de l’ancien président de la République Viktor Iouchtchenko. Sa peine n’a pas été modifiée.
 L’ex-Première ministre Ioulia Timochenko devait de nouveau être jugée pour fraude fiscale à partir du mois d’avril, mais son procès a été repoussé pour raisons de santé. Les nouvelles charges, portées contre elle en octobre 2011, concernaient ses activités à la tête de la compagnie spécialisée dans le commerce de l’énergie Systèmes énergétiques unis d’Ukraine, de 1995 à 1997. Ioulia Timochenko purgeait une peine de sept ans d’emprisonnement à laquelle elle avait été condamnée pour abus de pouvoir, pour la signature, en janvier 2009, d’un contrat énergétique portant sur plusieurs millions d’euros avec la Russie, lorsqu’elle était Première ministre.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI)

Le Parlement a adopté en octobre en seconde lecture un projet de loi sur « les modifications à apporter à certaines lois (afin de garantir le droit des enfants à un environnement informatif sans danger) ». Ce texte proposait d’interdire la production, l’importation et la distribution de publications, films ou images vidéos faisant la promotion de l’homosexualité. S’il était promulgué, il restreindrait de manière considérable la liberté d’expression des personnes LGBTI.
 Le 20 mai, la marche des fiertés de Kiev a été annulée une demi-heure seulement avant son départ programmé, la police ayant mis en garde les organisateurs en leur indiquant que de nombreux manifestants nationalistes et religieux menaçaient d’interrompre le défilé. L’un des organisateurs a été frappé par une bande de jeunes gens ; un autre a été aspergé de gaz incapacitant.

Justice internationale

Le gouvernement a déclaré le 24 octobre que l’Ukraine restait attachée à l’idée de la mise en place d’une Cour pénale internationale. Il n’a cependant rien fait pour prendre les mesures législatives nécessaires à la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de l’Accord sur les privilèges et immunités, auxquels l’Ukraine est partie depuis le 20 janvier 2000 et le 29 janvier 2007, respectivement.

Visites et documents d’Amnesty International

 Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Ukraine en avril, mai, juin, juillet, août et septembre.
 Ukraine : Euro 2012 jeopardised by criminal police force (EUR 50/005/2012).
 Ukraine : des propositions de loi sont discriminatoires envers les LGBTI et bafouent les droits de l’enfant (EUR 50/008/2012).
 Ukraine. Les autorités ne doivent pas extrader les réfugiés vers l’Ouzbékistan, où ils risquent d’être torturés (EUR 50/010/2012).
 Ukraine. Il faut enquêter sur l’enlèvement de Leonid Razvozjaïev (PRE01/518/2012).

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