Irak

Des milliers de personnes étaient détenues ; plusieurs centaines ont été condamnées à mort ou à des peines d’emprisonnement, dans bien des cas à l’issue de procès inéquitables et pour des infractions liées au terrorisme. Des actes de torture et d’autres mauvais traitements étaient régulièrement infligés aux détenus, en toute impunité. Plusieurs centaines de prisonniers étaient sous le coup d’une sentence capitale. Cent vingt-neuf personnes, peut-être plus, ont été exécutées au cours de l’année. Trois femmes au moins figuraient parmi les suppliciés. Des groupes armés opposés au gouvernement continuaient de commettre des atteintes flagrantes aux droits humains ; ils ont tué des centaines de civils dans des attentats-suicides et d’autres attaques. Des cas de harcèlement, d’intimidation et de violences contre des journalistes et des professionnels des médias ont été signalés cette année encore. Plus de 67 000 Syriens se sont réfugiés en Irak.

RÉPUBLIQUE D’IRAK
Chef de l’État : Jalal Talabani
Chef du gouvernement : Nouri al Maliki

Contexte

L’impasse politique au Parlement continuait de bloquer le processus législatif, empêchant, entre autres, l’adoption d’une loi d’amnistie. Les tensions politiques ont été exacerbées par l’arrestation de très nombreuses personnes liées au vice-président Tareq al Hachemi, qui a fui Bagdad après avoir été accusé de diriger des escadrons de la mort. En décembre, la télévision irakienne a diffusé les « aveux » de prisonniers présentés comme les gardes du corps de Tareq al Hachemi et qui disaient avoir commis des homicides en échange d’argent qu’il leur versait. Le vice-président, qui a échappé à l’arrestation, a été inculpé, jugé et condamné à mort par contumace en septembre, de même que son gendre, Ahmad Qahtan, pour le meurtre d’une avocate et d’un représentant de l’État. Les deux hommes ont également été condamnés à mort par contumace à l’issue d’autres procès, en novembre et décembre.
Les relations restaient tendues entre les autorités de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan, en raison de différends portant sur la répartition des revenus pétroliers et du conflit persistant sur le tracé des frontières intérieures.
Des jeunes, tout particulièrement ceux considérés comme non conformistes, ont été la cible d’une campagne d’intimidation après l’apparition en février, dans plusieurs quartiers de la capitale (Sadr City, al Habibiya et Hay al Amal), de tracts et d’inscriptions les dénonçant. Les personnes visées étaient des jeunes soupçonnés d’être homosexuels et d’autres considérés comme ayant un mode de vie non traditionnel à cause de leur coiffure, de leurs vêtements ou de leurs goûts musicaux distinctifs.
La Ligue arabe a tenu son sommet à Bagdad en mars pour la première fois depuis le renversement de Saddam Hussein, en 2003. Les forces de sécurité ont procédé à des arrestations massives dans la capitale avant la réunion, manifestement à titre « préventif ».
Le Parlement a approuvé en avril la création d’une Haute Commission indépendante des droits humains.
En décembre, des manifestations antigouvernementales pacifiques ont rassemblé chaque jour des dizaines de milliers de personnes – pour la plupart des sunnites – protestant contre les violences infligées aux détenus. Le mouvement a démarré après l’arrestation de plusieurs gardes du corps du ministre des Finances, le sunnite Rafe al Issawi, et à la suite d’accusations faisant état de violences, notamment sexuelles, infligées à des détenues. Des commissions parlementaires auxquelles avait été confiée une mission d’enquête sur ces allégations sont parvenues à des conclusions antagonistes.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Cette année encore, des groupes armés opposés au gouvernement ont commis des atteintes flagrantes aux droits humains, notamment des homicides aveugles de civils.
 Le 5 janvier, au moins 55 civils, dont des pèlerins chiites qui se dirigeaient vers Kerbala, ont été tués et plusieurs dizaines d’autres ont été blessés dans des attentats-suicides et d’autres attaques. Les attentats ont eu lieu dans des quartiers à majorité chiite de Bagdad, notamment Sadr City et al Kadhimiya, ainsi qu’à hauteur d’un poste de contrôle de la police non loin d’al Nassiriya, où des pèlerins attendaient pour se rendre dans le sud.
 Cent personnes au moins – des civils et des membres des forces de sécurité – ont trouvé la mort le 23 juillet dans une série d’attentats à l’explosif et de fusillades à Bagdad et dans d’autres villes, dont Kirkouk et Taji.
 Au moins 81 personnes, dont de nombreux civils, ont été tuées le 9 septembre dans des attentats à l’explosif perpétrés de manière coordonnée dans plusieurs villes, dont Bagdad, Baquba, Samarra et Bassora.

Torture et autres mauvais traitements

Dans les prisons et centres de détention, notamment ceux contrôlés par les ministères de l’Intérieur et de la Défense, le recours à la torture et aux mauvais traitements était courant et généralisé ; il se poursuivait en toute impunité. Les méthodes le plus souvent décrites étaient la suspension prolongée par les bras et les jambes, les coups de câble ou de tuyau d’arrosage, les décharges électriques, les fractures de membres, l’asphyxie partielle au moyen d’un sac en plastique, ainsi que les violences sexuelles, y compris les menaces de viol. La torture était utilisée pour arracher des informations ou obtenir des « aveux » que les tribunaux pouvaient retenir à titre de preuve à charge.
 Nabhan Adel Hamid, Muad Muhammad Abed, Amer Ahmad Kassar et Shakir Mahmoud Anad ont été arrêtés vers la fin mars ou début avril à Ramadi et à Fallouja. Selon certaines informations, ils ont été torturés pendant leur détention au secret (qui a duré plusieurs semaines) aux mains de la Direction de la lutte contre la criminalité à Ramadi. Leurs « aveux » ont ensuite été diffusés sur une chaîne de télévision locale. Lors de leur procès, ils ont déclaré au tribunal pénal d’Anbar qu’on les avait contraints par la torture à « avouer » une complicité de meurtre. Des témoignages de leurs codétenus ont confirmé leurs allégations de torture. L’examen médical de l’un des accusés a révélé des traces de brûlures et des lésions pouvant résulter d’actes de torture. Ces quatre hommes ont néanmoins été condamnés à mort le 3 décembre. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête indépendante n’a été menée sur leurs allégations de torture.

Morts en détention

Plusieurs personnes sont mortes en détention dans des circonstances donnant à penser qu’elles avaient succombé des suites, directes ou indirectes, d’actes de torture ou d’autres formes de mauvais traitements.
 Amer Sarbut Zaidan al Battawi, ancien garde du corps du vice-président Tareq al Hachemi, est mort en détention en mars. Sa famille a affirmé que son corps présentait des traces de torture. Les autorités ont démenti et annoncé des investigations complémentaires.
 Samir Naji Awda al Bilawi et son fils de 13 ans, Mundhir, ont été interpellés en septembre par les forces de sécurité à un poste de contrôle de véhicules à Ramadi. Trois jours plus tard, la famille de ce pharmacien a appris qu’il était mort en détention. Des photos qu’elle a communiquées aux médias irakiens montraient des blessures à la tête et aux deux mains. Après sa remise en liberté, Mundhir a expliqué que son père et lui avaient été agressés dans un poste de police, puis conduits à la Direction de la lutte contre la criminalité à Ramadi, où ils avaient été torturés, notamment au moyen de décharges électriques. L’enfant a ajouté qu’on lui avait ordonné de dire à un juge d’instruction que son père avait des liens avec une organisation terroriste. Les avocats représentant la famille de Samir Naji Awda al Bilawi ont pu lire un rapport d’autopsie officiel – qu’ils n’ont pas été autorisés à copier – qui concluait, ont-ils affirmé, que la mort de cet homme avait été causée par des actes de torture, et notamment des décharges électriques. À la connaissance d’Amnesty International, aucune mesure n’avait été prise à la fin de l’année contre les responsables présumés.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Des centaines de personnes accusées d’infractions liées au terrorisme ont été arrêtées et placées en détention pour leur participation présumée à des attentats à l’explosif et autres attaques contre des membres des forces de sécurité et des civils. Beaucoup de ces prisonniers se sont plaints d’avoir été torturés ou maltraités pendant leur détention provisoire et ont été condamnés à l’issue de procès inéquitables. Dans certains cas, les autorités ont permis à des chaînes de télévision locales de montrer des détenus faisant des déclarations où ils s’accusaient eux-mêmes avant de comparaître en justice, ce qui compromettait gravement leur droit à un procès équitable. Certains ont été condamnés à mort par la suite. Le ministère de l’Intérieur a exhibé des détenus lors de conférences de presse au cours desquelles ils ont fait des « aveux ». Il diffusait aussi régulièrement les « aveux » de détenus sur sa chaîne YouTube.
 À la fin de mai, le ministère de l’Intérieur a exhibé lors d’une conférence de presse au moins 16 détenus accusés d’appartenance à un groupe armé lié à Al Qaïda. Il a remis à des chaînes de télévision des enregistrements dans lesquels certains s’accusaient eux-mêmes. Au cours de la conférence de presse, l’un des détenus, Laith Mustafa al Dulaimi, membre du Conseil provincial de Bagdad, a protesté en criant que lui-même et d’autres prisonniers avaient été maltraités.
 Ramzi Shihab Ahmad, un homme de 70 ans détenant la double nationalité irakienne et britannique, a été condamné à 15 ans d’emprisonnement le 20 juin par le tribunal pénal de Resafa pour avoir contribué au financement de groupes terroristes et avoir promulgué des fatwas (avis juridique religieux). Le tribunal a retenu comme preuves à charge les « aveux » qu’il avait faits en détention, alors qu’il y avait tout lieu de penser qu’ils avaient été obtenus sous la torture.

Peine de mort

Comme les années précédentes, un très grand nombre de personnes – sans doute plusieurs centaines – ont été condamnées à mort, ce qui a fortement accru le nombre de prisonniers sous le coup d’une sentence capitale. La plupart de ces condamnés avaient été déclarés coupables d’infractions liées au terrorisme. Trente-trois prisonniers condamnés à mort au cours des six premiers mois de l’année (27 d’entre eux pour des faits de « terrorisme ») étaient détenus dans la prison de Tasfirat, à Ramadi. D’une manière générale, les procès ne respectaient pas les normes internationales d’équité. De nombreux accusés se plaignaient d’avoir été torturés pendant les interrogatoires lors de leur détention provisoire, et d’avoir été contraints de faire des « aveux ».
 Muhammad Hussain et Sohail Akram, deux proches du vice-président Tareq al Hachemi, ont été condamnés à mort en octobre par la Cour pénale centrale pour le meurtre de membres des services de sécurité.
Au moins 129 prisonniers ont été exécutés, soit plus qu’aucune autre année depuis la reprise des exécutions, en 2005. Les autorités ont parfois procédé à des exécutions collectives ; c’est ainsi que 34 prisonniers ont été exécutés le même jour en janvier et 21 autres, dont trois femmes, en une seule journée en août. On a appris en septembre qu’au moins 18 femmes étaient sous le coup d’une sentence capitale dans une prison du quartier de Kadhimiya, à Bagdad.
 Abid Hamid Mahmoud, ancien secrétaire et garde du corps de Saddam Hussein, a été exécuté en juin. Il avait été condamné à la peine capitale en octobre 2010 par le Haut Tribunal pénal irakien.

Réfugiés et demandeurs d’asile

Entamé en février, le transfert progressif de quelque 3 200 exilés politiques iraniens du camp Nouvel Irak (anciennement camp d’Ashraf) au centre de transit Hurriya (camp Liberté), au nord-est de Bagdad, était pratiquement terminé à la fin de l’année. Ces Iraniens qui résidaient depuis longtemps en Irak étaient, pour la plupart, membres ou sympathisants de l’Organisation des moudjahidin du peuple d’Iran (OMPI).Ils ont accusé les forces de sécurité irakiennes d’avoir attaqué certains d’entre eux pendant leur transfert et se sont plaints des conditions de vie au camp Liberté. En juillet, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a appelé la communauté internationale à proposer aux résidents du camp Liberté des solutions de réinstallation ou d’autres formes d’admission pour des motifs humanitaires.
L’aggravation du conflit en Syrie a eu des répercussions importantes en Irak. Plus de 67 000 réfugiés syriens ont franchi la frontière, pour la plupart après le 18 juillet et le plus souvent vers la région du Kurdistan. Des milliers d’Irakiens réfugiés en Syrie sont rentrés dans leur pays. En violation du droit international, les autorités irakiennes ont fermé en octobre le point de passage d’Al Qaem, empêchant le passage des réfugiés syriens, sauf en cas d’urgence. Un accès restreint avait été autorisé à la suite d’une précédente mesure de fermeture, en août.

Région du Kurdistan

La tension restait vive entre le gouvernement régional du Kurdistan et le pouvoir central de Bagdad. En juin, le Parlement kurde a adopté une loi d’amnistie générale applicable à la région. Les prisonniers condamnés pour crime d’« honneur », viol, actes de terrorisme ou trafic de drogue étaient exclus du champ d’application de cette loi.
Les autorités kurdes continuaient de persécuter certaines personnes qui dénonçaient la corruption du pouvoir politique ou exprimaient des opinions dissidentes. De nouveaux cas de torture ou d’autres mauvais traitements ont été signalés.
 Hussein Hama Ali Tawfik, un commerçant, a été arrêté le 27 mars. Il a été conduit dans les locaux des services de sécurité (Asayish) à Sulaymaniyah, où on lui aurait bandé les yeux. D’après les informations reçues, on l’a menotté les mains dans le dos, puis on lui a donné des coups de poing et on l’a frappé à l’aide d’un objet. On lui a alors ordonné de déposer contre d’autres personnes poursuivies dans une affaire de corruption, ce qu’il a refusé de faire. Inculpé de corruption, il a été maintenu en détention jusqu’à son acquittement, en novembre. À la connaissance d’Amnesty International, aucune enquête n’a été menée sur les allégations de torture formulées par cet homme.

Visites et documents d’Amnesty International

 Irak. Des femmes détenues sans inculpation (MDE 14/003/2012).
 Irak. Des hommes détenus au secret (MDE 14/005/2012).
 Irak. Amnesty International condamne les homicides de civils et réclame une enquête (MDE 14/009/2012).
 Irak. Les exécutions doivent cesser en Irak (MDE 14/011/2012).

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