En 2003, la situation des droits humains de la région Afrique a été marquée par de nombreux conflits armés, la répression des activités des opposants politiques, la persécution des défenseurs des droits humains, les violences contre les femmes et les difficultés d’accès à la justice pour les personnes les plus marginalisées de la société. Le commerce illégal des ressources et des armes, l’impunité quasi totale dont jouissaient les auteurs d’atteintes aux droits humains commises dans le présent et dans le passé et le fait que de nombreux États ne se montraient pas à la hauteur de leurs engagements en matière de gestion des affaires publiques étaient autant de facteurs qui contribuaient au déni des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, en particulier des plus vulnérables - femmes et enfants, réfugiés et personnes déplacées, personnes séropositives ou malades du sida, population démunie ou n’ayant pas reçu d’instruction. Les initiatives régionales visant à instaurer un meilleur respect des libertés fondamentales ont néanmoins enregistré des avancées, notamment grâce à des interventions et des médiations dans les situations de conflit ou à la protection des défenseurs des droits humains.
Conflits armés
Les forces gouvernementales et les groupes armés d’opposition se sont fréquemment rendus coupables d’atteintes aux droits humains lors de conflits tels que ceux qui faisaient rage au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Libéria, en Ouganda, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo (RDC) ou au Soudan. Au nombre de ces atteintes aux libertés fondamentales figuraient l’enrôlement d’enfants et l’exploitation de ceux-ci en tant que combattants ou esclaves sexuels.
Dans l’est de la RDC, en particulier en Ituri, les affrontements entre les groupes ethniques armés soutenus par des puissances extérieures (notamment l’Ouganda et le Rwanda) ont causé la mort de dizaines de milliers de personnes. Hommes, femmes et enfants ont été massacrés, violés et mutilés sans discrimination, et traités comme de simples pions dans la lutte de pouvoir menée par les propres bénéficiaires de l’exploitation - souvent illégale - des ressources, qui attise le conflit depuis des années. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays. L’intervention, au mois de juin, de la Force multinationale intérimaire d’urgence (FMIU), placée sous l’égide de l’Union européenne, a stabilisé les conditions de sécurité dans la ville de Bunia (Ituri) et ses environs immédiats, là où avait échoué une force des Nations unies déployée quelque temps auparavant. Toutefois, après le retrait, en septembre, de la FMIU, de graves exactions ont encore eu lieu en dehors des régions à nouveau placées sous contrôle d’un contingent renforcé de la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC).
Composé de représentants de l’ancien gouvernement et de dirigeants des principaux groupes d’opposition armés et non armés, le gouvernement de transition constitué en juillet à Kinshasa devait s’atteler à des tâches essentielles : rétablir les institutions nationales, y compris un pouvoir judiciaire indépendant et opérationnel ainsi qu’un système crédible de maintien de l’ordre, et collaborer avec la justice internationale afin de mettre un terme à l’impunité. En octobre, le Groupe d’experts des Nations unies sur la question de l’exploitation illégale des ressources naturelles et des autres formes de richesse en RDC a remis le quatrième et dernier de ses rapports au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce Groupe d’experts avait subi de vives pressions de la part de plusieurs entreprises et gouvernements afin qu’il ne réitère pas l’une de ses recommandations précédentes demandant que certaines sociétés fassent l’objet d’une enquête de leur gouvernement sur leurs activités en RDC. Malgré ces tentatives d’intimidation, ce quatrième rapport a une nouvelle fois mis en lumière la responsabilité des entreprises dans la crise que traverse la région orientale de la RDC sur le plan humanitaire et des droits humains.
En juin, Charles Taylor, alors président du Libéria, a été mis en accusation par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ; jamais une telle mise en accusation n’avait été prononcée contre un chef d’État africain en exercice. Charles Taylor a été contraint de renoncer au pouvoir en août, à la suite de pressions croissantes de la part de la communauté internationale et après une intensification des hostilités dans son pays. Le conflit au Libéria, en particulier début 2003, a entraîné la mort de milliers de personnes et se caractérisait par de très nombreuses violences sexuelles infligées à des femmes et à des jeunes filles, ainsi que par le déplacement massif de personnes à l’intérieur du pays mais aussi vers la Côte d’Ivoire, la Guinée et la Sierra Leone. Le gouvernement du Nigéria a accueilli Charles Taylor sur son territoire, avec la promesse qu’il ne serait ni poursuivi dans ce pays ni remis au Tribunal spécial. Amnesty International s’est élevée avec force contre le fait que le gouvernement nigérian avait violé ses obligations au regard du droit international. Les appels adressés par l’organisation aux autorités pour qu’elles livrent Charles Taylor au Tribunal spécial ou ouvrent une enquête afin de déterminer s’il fallait engager une procédure pénale ou une procédure d’extradition devant les tribunaux nigérians sont toutefois restés lettre morte.
La démission de Charles Taylor et son départ du Libéria ont contribué à stabiliser le conflit dans la Côte d’Ivoire voisine. L’accord de Linas-Marcoussis, signé en France en janvier et approuvé par le secrétaire général des Nations unies, visait à un partage du pouvoir en Côte d’Ivoire, mais sa mise en place demeurait difficile. Aucune enquête n’a été menée sur les multiples atteintes aux droits humains recensées, imputables à toutes les parties au conflit.
Dans d’autres pays d’Afrique, des avancées ont été enregistrées sur la voie de la résolution des conflits. Au Burundi, un nouveau gouvernement a été formé au mois de novembre. Il était composé de représentants de plusieurs parties au conflit. Au Soudan, de nouveaux accords de sécurité ont été conclus en septembre entre le gouvernement et l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS), un mouvement armé d’opposition. Toutefois, de très nombreux civils ont été assassinés au Burundi par les forces gouvernementales et par les groupes armés et, de la même manière, le conflit qui se déroulait dans la province occidentale soudanaise du Darfour a causé la mort de centaines de personnes et contraint des centaines de milliers d’autres à quitter leur foyer.
En République centrafricaine, un coup d’État perpétré en mars et auquel étaient mêlés des groupes armés venant de la RDC voisine a donné lieu à l’intervention de soldats tchadiens et de troupes françaises de soutien logistique. Un grand nombre d’exécutions extrajudiciaires et de multiples violences sexuelles auraient été perpétrées par plusieurs parties impliquées dans le coup d’État. En Ouganda, une action militaire lancée par le gouvernement contre le groupe armé Lord’s Resistance Army (LRA, Armée de résistance du Seigneur) a entraîné une aggravation des hostilités dans le nord du pays. La LRA a, cette année encore, enlevé des enfants pour leur infliger des mauvais traitements en se servant d’eux comme soldats ou comme esclaves sexuels.
Précarité économique et déni des droits
La pauvreté, l’illettrisme et les inégalités dans la répartition des richesses étaient tels que nombre d’habitants du continent africain avaient les plus grandes difficultés à saisir la justice, à recevoir une éducation et à bénéficier de conditions de vie et de santé d’un niveau suffisant. Les pratiques discriminatoires et les rivalités politiques, notamment les violentes luttes pour s’approprier le pouvoir et les ressources, ont entraîné l’exclusion économique et politique de grandes parties de la population du continent, y compris de sa jeunesse. Malgré les multiples déclarations de bonne volonté et les importantes initiatives régionales en faveur d’un plus grand investissement national et international, comme celles entreprises dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), la plupart des États n’ont pas tenu leurs engagements, de sorte que la possibilité pour les plus pauvres et les plus marginalisés de disposer du niveau de ressources le plus élémentaire n’a cessé de s’éloigner.
L’Afrique présentait toujours le taux le plus élevé au monde de personnes séropositives ou malades du sida. Dans certains pays, près de 40 p. cent de la population était contaminée : un tel chiffre laissait craindre des souffrances considérables et un nombre de morts d’une ampleur catastrophique, mais il hypothéquait également la capacité de la société à se développer de manière durable. Si certains progrès ont été enregistrés en 2003, la majorité des États et la communauté internationale ont manqué à leurs devoirs envers les personnes séropositives ou malades du sida en Afrique en ne mettant pas à la disposition des plus vulnérables les médicaments et traitements antirétroviraux, qui peuvent aussi empêcher la transmission du virus de la mère à l’enfant.
Violence contre les femmes
Dans une large mesure, les violences contre les femmes étaient toujours considérées comme acceptables et les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des femmes étaient souvent niés de façon flagrante. Dans pareil contexte, les femmes ont rencontré de graves difficultés pour exercer leurs droits sexuels et leurs droits en matière de procréation, mais aussi pour obtenir que justice soit rendue en cas d’atteintes à leurs libertés fondamentales. Les femmes étant en position de faiblesse pour demander des rapports sexuels sans danger et se trouvant davantage exposées aux violences sexuelles, les taux de contamination par le sida et par le VIH étaient plus élevés dans la population féminine que dans la population masculine, à classe d’âge identique.
Face à la loi et à l’administration, les femmes ont été victimes de nombreuses pratiques discriminatoires. Dans certains États du Nigéria, il existait ainsi toujours différents niveaux de preuve pour les infractions à caractère sexuel, comme le zina (relations sexuelles hors mariage entre adultes consentants) ; par ailleurs, le chef d’inculpation d’homicide volontaire a été retenu dans des affaires d’avortement ou de fausse couche dans ces régions. Pour certains types d’infractions, les femmes, plus particulièrement celles issues des milieux socioéconomiques défavorisés et sans beaucoup d’instruction, étaient par conséquent davantage susceptibles que les hommes d’être déclarées coupables et condamnées à la peine capitale ou à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Les femmes et les jeunes filles demeuraient le groupe le plus vulnérable de la société lors des conflits armés, mais aussi lorsqu’elles étaient en situation de réfugiées ou de personnes déplacées. Elles ont été victimes de viols et d’autres formes de violences sexuelles commis par les différentes parties au conflit durant les affrontements qui ont sévi au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Libéria, en Ouganda, en République centrafricaine, en RDC, au Soudan, et dans d’autres pays.
Les droits fondamentaux des femmes ont été également bafoués du fait de l’incapacité des États à protéger celles-ci contre les violences sexuelles à caractère criminel ou à apporter leur soutien à celles ayant survécu à ces brutalités. Dans des pays comme l’Afrique du Sud ou le Swaziland, une telle situation était en grande partie due au fait que la loi et le cours de la justice s’inscrivaient dans des cadres et des pratiques inadaptés. Au Sénégal, les femmes rencontraient également de nombreux obstacles lorsqu’elles tentaient de recevoir des soins médicaux appropriés ou d’obtenir réparation pour les violences dont elles ou leurs proches avaient été victimes dans le cadre des hostilités qui avaient secoué la Casamance (sud du pays) au cours des décennies précédentes.
Dans plusieurs pays, un projet de loi sur les violences conjugales était en cours de rédaction, mais les avancées étaient lentes. Les mutilations génitales féminines sont demeurées une pratique répandue sous diverses formes dans nombre de pays. Rares étaient les États à avoir adopté des mesures appropriées au niveau national pour éradiquer ces agissements, malgré les campagnes de plus en plus nombreuses menées par la société civile afin de faire cesser de telles pratiques.
Répression politique
Seuls quelques États du continent africain ont autorisé les opposants politiques à exercer leurs droits à la liberté de conscience, d’expression et d’association. Les autorités de pays comme le Cameroun, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Rwanda, le Tchad, le Togo et le Zimbabwe ont eu recours aux poursuites abusives, aux arrestations arbitraires et à la force excessive contre des manifestants comme à autant de moyens de répression politique. Certains journaux et stations de radio ont été fermés de manière arbitraire. Des journalistes et des défenseurs des droits humains ont, cette année encore, été harcelés par les forces de sécurité ou inculpés et placés en détention pour diffamation. Les autorités voulaient ainsi réduire au silence l’opposition et empêcher toute critique de la politique et des actions gouvernementales. Dans plusieurs pays, les détenus se sont vu refuser le droit à un procès équitable pour des raisons de « sécurité » et dans certains États - au Kenya par exemple - une loi autorisant la dérogation aux obligations fondamentales au nom de la lutte contre le « terrorisme » était en préparation.
Dans de nombreux pays, notamment au Burundi, en Érythrée, en Éthiopie, au Soudan, au Togo et au Zimbabwe, le recours à la torture et aux mauvais traitements contre les suspects était toujours une pratique répandue. Par ailleurs, dans toute la région Afrique, le pouvoir judiciaire était affaibli et subissait l’influence politique des autorités, qui voulaient ainsi réduire l’opposition au silence. Au mois de décembre, le Commonwealth a décidé de maintenir la suspension du Zimbabwe en raison du bilan déplorable du gouvernement en matière de droits humains. Le pays s’est alors retiré du Commonwealth.
Peine de mort
Prédominant actuellement dans le monde, la tendance en faveur de l’abolition de la peine de mort transparaissait également sur le continent africain, plusieurs pays ayant aboli ce châtiment capitale dans les textes ou en pratique. De nouvelles perspectives dans ce sens sont apparues au cours de l’année 2003 à travers l’action d’organisations intergouvernementales régionales comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Toutefois, de nombreux détenus étaient toujours menacés d’exécution sur le continent. Au Nigéria, des tribunaux appliquant la charia (loi islamique) ont continué de prononcer des condamnations à la peine capitale en se fondant sur une législation pénale introduite en 1999 ; en Zambie, plus de 40 personnes ont été condamnées à mort pour avoir participé à une tentative présumée de coup d’État. Aucune exécution n’aurait eu lieu dans ces deux pays. En revanche, neuf hommes ont été exécutés au Tchad, pays qui n’avait pourtant procédé à aucune exécution depuis l’année 1991.
Défenseurs des droits humains
Cette année encore, les défenseurs des droits humains de la région Afrique ont joué un rôle essentiel en veillant au respect des libertés fondamentales et en attirant l’attention de la communauté internationale sur les atteintes perpétrées dans ce domaine. Après plusieurs années d’intervention des organisations non gouvernementales, africaines et internationales, et de soutien de la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour la question des défenseurs des droits de l’homme, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a enfin décidé de nommer un commissaire « point focal » dans le domaine des atteintes aux droits fondamentaux des défenseurs des droits humains. Cette décision reconnaissait l’importance des défenseurs des libertés fondamentales et le fait qu’ils ont particulièrement besoin d’être protégés. La Commission n’a toutefois approuvé aucune déclaration à cet égard ni adopté de mécanisme de protection ayant force obligatoire.