ÉRYTHRÉE
CAPITALE : Asmara
SUPERFICIE : 117 400 km_
POPULATION : 4,1 millions
CHEF DE L’ÉTAT et du GOUVERNEMENT : Issayas Afeworki
PEINE DE MORT : maintenue
CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : non signé
Des centaines de personnes ont été arrêtées pour avoir pacifiquement exprimé leurs opinions ou leurs convictions. D’autres prisonniers d’opinion en très grand nombre, notamment d’anciens membres du gouvernement et des journalistes, n’ont toujours pas été libérés depuis la grande vague de répression menée contre l’opposition en 2001. Des centaines de membres de minorités religieuses, dont certains étaient détenus depuis neuf ans, figuraient aussi au nombre des prisonniers d’opinion. Placés en détention pour une durée indéterminée, sans inculpation ni jugement, ils étaient maintenus au secret dans des lieux inconnus. Des actes de torture sur des prisonniers politiques ont été signalés. Les victimes étaient notamment des déserteurs, à qui était refusé tout droit à l’objection de conscience au service militaire. Des appelées auraient été victimes de violences sexuelles. Des informations ont révélé que des Éthiopiens faits prisonniers pendant le conflit frontalier de 1998-2000 auraient été maltraités, voire victimes d’exécutions extrajudiciaires.
Contexte
Le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ, au pouvoir) demeurait, fin 2003, le seul parti politique autorisé. Le gouvernement n’a annoncé aucune mesure préparant les élections multipartites pourtant exigées par la Constitution de 1997. Aucune activité d’opposition ni aucune critique du régime n’ont été tolérées, et aucune organisation non gouvernementale indépendante n’a été autorisée. Les garanties constitutionnelles contre la détention arbitraire et pour la liberté d’opinion, d’expression, de mouvement, de réunion et d’organisation n’ont pas été respectées. Les médias privés sont restés interdits. Les réformes législatives ont été repoussées, et le Tribunal spécial (tribunal militaire anti-corruption devant lequel les accusés comparaissent sans avocat et dont les décisions ne sont pas susceptibles d’appel) a continué à juger et condamner en secret.
La sécheresse a mis en péril la vie d’un tiers de la population du pays.
Suites de la guerre de 1998-2000 contre l’Éthiopie
Les craintes d’une nouvelle guerre contre l’Éthiopie avec, encore une fois, son probable cortège d’énormes pertes militaires et d’atteintes massives aux droits fondamentaux des populations civiles - ont augmenté fin 2003. Même si, des deux côtés, on affirmait ne pas vouloir repartir en guerre, l’accord de paix a été remis en question lorsque l’Éthiopie a rejeté les décisions rendues en avril 2002 par la Commission du tracé de la frontière réunie à La Haye (Pays-Bas), ainsi que l’appel du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de son application. La Commission avait conclu que la petite ville frontalière de Badme, où avait éclaté le conflit de 1998-2000, était territoire érythréen. Le processus de délimitation de la frontière s’est ainsi trouvé différé pour une durée indéterminée. Le Conseil de sécurité a prolongé le mandat de la Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée (MINUEE), qui administrait une zone tampon entre les deux pays.
En mai 2003, la Commission des réclamations entre l’Érythrée et l’Éthiopie a statué sur des réclamations soumises par les deux belligérants à propos du traitement des prisonniers de guerre pendant le conflit. Elle a estimé que chacune des deux parties était responsable de violations des Conventions de Genève. Elle a indiqué que des prisonniers de guerre éthiopiens avaient été torturés : ils avaient été obligés de marcher pieds nus pour couvrir de longues distances, soumis à des travaux forcés et privés de soins médicaux. Certains prisonniers auraient été victimes d’exécutions extrajudiciaires. L’Érythrée a admis que le colonel de l’armée de l’air éthiopienne Bezabih Petros était mort en détention, mais a refusé de préciser la date et les circonstances de ce décès. La Commission a ensuite commencé à instruire des plaintes sur le sort réservé aux civils et des réclamations concernant les biens.
L’implication de chacun des deux belligérants dans d’autres conflits a exacerbé les tensions. L’Érythrée a continué d’accueillir sur son territoire des groupes armés d’opposition éthiopiens - en particulier le Front de libération oromo (FLO) et le Front de libération nationale de l’Ogaden (FLNO) - ainsi que l’opposition armée soudanaise. De leur côté, le Soudan et l’Éthiopie ont apporté leur appui à l’Alliance nationale érythréenne (ANE), qui regroupe le Front de libération de l’Érythrée (FLE) et des groupes islamistes. Au mois d’août, des actions militaires imputables à des groupes de l’ANE ont été signalées, notamment la pose de mines terrestres et l’homicide, de deux employés érythréens d’organisations humanitaires.
Prisonniers d’opinion
De très nombreux opposants présumés étaient en détention fin 2003. Certains étaient soupçonnés d’avoir appuyé les appels d’opposants en faveur de réformes démocratiques, d’autres d’avoir soutenu des groupes armés d’opposition. Après leur arrestation, ils étaient placés en détention sans inculpation ni jugement dans des lieux tenus secrets. Les autorités ne fournissaient aucune explication et ne reconnaissaient pas ces détentions.
Onze anciens responsables du gouvernement et dirigeants du parti au pouvoir arrêtés en septembre 2001 demeuraient détenus. Ils étaient considérés comme des prisonniers d’opinion. Aucune information n’a été diffusée ni n’a pu être recueillie sur leur sort ou leur lieu de détention. Parmi eux se trouvaient un ancien vice-président, Mahmoud Ahmed Sheriffo, un ancien ministre des Affaires étrangères, Haile Woldetensae, et l’ancien chef du service des renseignements du Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE), Petros Solomon. Des dizaines d’autres personnes restaient détenues au secret.
Journalistes
Quinze journalistes travaillant dans des médias privés ou publics étaient toujours en détention fin 2003. La plupart venaient de médias indépendants et avaient été arrêtés lors de la vague de répression du mois de septembre 2001. Pour s’être fait l’écho des appels à la réforme, tous les médias privés avaient alors été interdits.
Aklilu Solomon, reporter à Voice of America, une station de radio sous contrôle américain, a été arrêté et incorporé dans l’armée au mois de juillet. Il avait fait état de réactions hostiles à la publication par le régime des noms de soldats tués pendant la guerre contre l’Éthiopie. Aklilu Solomon avait pourtant déjà accompli ses obligations militaires et détenait un certificat médical l’exemptant de rappel sous les drapeaux comme réserviste.
Détention prolongée de prisonniers politiques
Des centaines, voire des milliers d’opposants ou de détracteurs du gouvernement étaient semble-t-il maintenus en détention dans des lieux tenus secrets, administrés par les forces sécurité ou l’armée et répartis sur l’ensemble du territoire. Il restait difficile de recueillir des informations sur ces personnes, arrêtées dans les dix années qui ont suivi la proclamation de l’indépendance, en 1991. Cependant, certaines ont « disparu » et il est à craindre qu’elles n’aient été victimes d’exécutions extrajudiciaires.
Le général Bitweded Abraha, l’un des fondateurs du FPLE, qui avait été emprisonné de 1992 à 1997 et arrêté à nouveau après quelques semaines de liberté, était incarcéré à Asmara, dans une prison non officielle administrée par les forces de sécurité. Il souffrirait de troubles mentaux et se serait vu refuser tout traitement psychiatrique.
Conscrits
La conscription, instaurée en 1994, était toujours en vigueur et était marquée par un taux très faible de démobilisation. Le service national est obligatoire pour l’ensemble des hommes et des femmes âgés de dix-huit à quarante ans, à raison de six mois de préparation militaire et de dix-huit mois de service civil (souvent sur des chantiers de construction). Les anciens conscrits sont astreints à des périodes de réserve. Depuis le début de la guerre avec l’Éthiopie, le service militaire est prolongé indéfiniment et de nombreux réservistes ont été rappelés sous les drapeaux. Le régime ne reconnaît pas le droit à l’objection de conscience.
Des conscrits accusés de délits militaires ont été victimes d’actes de torture (voir ci-après) et placés en détention arbitraire pour une durée indéterminée.
_Depuis l’année 1994, Paulos Iyassu, Isaac Moges et Negede Teklemariam, trois témoins de Jéhovah qui, en raison de leurs convictions religieuses, ont refusé de faire la guerre et de porter les armes, étaient détenus sans inculpation ni jugement dans le camp militaire de Sawa.
Persécutions religieuses
Entre février et mai, la police a mené une offensive contre des Églises chrétiennes minoritaires. Les forces de police ont fait irruption dans des édifices religieux et lors d’offices et ont arrêté des fidèles, les ont roués de coups et les ont torturés dans des centres militaires de détention. Ceux qui étaient susceptibles de faire leur service militaire ont été incorporés, d’autres ont été mis en liberté sous condition après plusieurs semaines de détention, non sans s’être vu menacer de sévères représailles s’ils poursuivaient leurs activités religieuses. Depuis le mois de mai 2002, seuls l’islam, l’Église orthodoxe érythréenne, l’Église catholique et l’Église luthérienne sont autorisés. Les autres religions étaient tenues de se faire enregistrer auprès du nouveau Département des affaires religieuses, mais avaient en fait pu continuer à fonctionner sans autorisation officielle.
En août, plus de 200 adolescents ont été arrêtés dans le camp militaire de Sawa car ils se trouvaient en possession de bibles. Ces écoliers étaient venus accomplir la période de formation obligatoire préalable au service national. Vingt-sept jeunes filles et 30 garçons sont restés enfermés dans des conteneurs de métal, dans des conditions effroyables. Ils ont subi des pressions visant à leur faire abjurer leur foi. Au moins 330 fidèles de diverses Églises, dont plus de 80 conscrits, étaient, semble-t-il, toujours détenus dans des lieux inconnus à la fin de l’année 2003.
Des musulmans soupçonnés de liens avec des groupes islamistes armés basés au Soudan ont eux aussi été la cible d’actions de répression. Des dizaines d’enseignants coraniques et d’instituteurs arrêtés à Keren et dans d’autres villes en 1994 se trouvaient toujours en détention dans des lieux tenus secrets. Il étaient considérés comme des prisonniers d’opinion.
Mauvais traitements et torture
La torture a continué d’être utilisée contre certains prisonniers politiques et, de façon courante, comme méthode punitive dans l’armée. Des déserteurs et des personnes fuyant la conscription ont été torturés lors de leur détention par des militaires. Ils ont été frappés et laissés des heures au soleil, pieds et poings liés dans des positions douloureuses (méthode dite de l’hélicoptère), ou pendus au plafond par des cordes. Des prisonniers arrêtés pour motifs religieux et détenus à Sawa ou dans d’autres camps militaires ont été battus et contraints de ramper sur des pierres coupantes. Ils ont été entassés dans des conteneurs où il faisait une chaleur suffocante, sans ventilation ni sanitaires. Ils n’avaient presque rien à manger et n’ont pas été autorisés à recevoir des soins médicaux.
Violence contre les femmes
Malgré les programmes d’éducation mis en place par le gouvernement et les Nations unies, les mutilations génitales féminines sont restées une pratique courante. Selon les informations recueillies, les violences conjugales contre les femmes étaient répandues. Des appelées auraient été victimes de viol ou d’autres violences sexuelles de la part d’officiers de l’armée.
Réfugiés
La plupart des Érythréens réfugiés au Soudan (au moins 100 000 personnes, dont certaines ont fui il y a plus de trente ans) ont fait appel de la décision prise en 2002 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de retirer le statut de réfugié aux Érythréens ayant fui leur pays pendant la lutte pour l’indépendance, avant 1991, ou pendant la guerre de 1998-2000 avec l’Éthiopie. Au cours de l’année 2003, plusieurs centaines d’Érythréens ont gagné le Soudan ou fui vers d’autres pays, il s’agissait en majorité de déserteurs et de personnes fuyant la conscription.
Aux mois de septembre et d’octobre 2002, quelque 232 Érythréens avaient été renvoyés de Malte et arrêtés dès leur arrivée en Érythrée. Les femmes, les enfants et les personnes âgées auraient été remis en liberté, mais les autres ont été torturés et placés en détention sans inculpation ni jugement dans le camp militaire d’Adi Abeto près d’Asmara. Par la suite, ils ont été transférés sur la plus grande île de l’archipel des Dahlak, dans la mer Rouge, puis dans d’autres centres de détention non officiels administrés par des militaires.
Autres documents d’Amnesty International
Érythrée. Appel en faveur des droits humains à l’occasion du 10e anniversaire de l’indépendance (AFR 64/002/2003).
Érythrée. Détention prolongée de prisonniers d’opinion et nouvelles arrestations de membres de groupes religieux (AFR 64/004/2003).