RÉPUBLIQUE DU GUATÉMALA
CAPITALE : Guatémala
SUPERFICIE : 108 890 km_
POPULATION : 12,3 millions
CHEF DE L’ÉTAT ET DU GOUVERNEMENT : Alfonso Portillo Cabrera
PEINE DE MORT : maintenue, mais un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis 2002
CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : ratifié
Les atteintes aux droits humains au Guatémala ont pris une ampleur que le pays n’avait pas connue depuis de nombreuses années. Les personnes les plus visées étaient celles qui remettaient en cause l’impunité accordée aux responsables des nombreux massacres et autres atrocités perpétrés au cours de la guerre civile qui, pendant trente ans, a ravagé le pays. Parmi ces personnes figuraient les défenseurs des droits humains, les membres des professions judiciaires, les journalistes et les militants pour le droit à la terre qui défendaient les communautés indigènes. À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle, qui s’est tenu en novembre 2003, une très forte vague de violence politique s’est de nouveau abattue sur le pays. Peu de progrès ont été accomplis en ce qui concerne la comparution en justice des auteurs présumés d’atteintes aux droits humains et la dissolution des structures responsables des violences passées et présentes.
Contexte
Selon une opinion largement répandue, le pouvoir exercé en coulisse par le général Efraín Ríos Montt a constitué l’un des principaux facteurs de la flambée de violence politique et de répression qui a caractérisé le gouvernement du président Alfonso Portillo (2000-2003). L’un des membres fondateurs du Frente Republicano Guatemalteco (FRG, Front républicain guatémaltèque), le général Ríos Montt, a dirigé le Guatémala en 1982 et 1983, pendant la période la plus répressive de la campagne anti-insurrectionnelle menée par l’armée dans les zones rurales. En 2003, le général Ríos Montt a fait l’objet de poursuites au Guatémala et à l’étranger dans des affaires liées aux massacres commis sous la direction de l’armée durant sa présidence. Selon la Comisión para el Esclarecimiento Histórico (CEH, Commission pour la clarification historique ou Commission de la vérité) mise en place sous l’égide des Nations unies, ces massacres étaient constitutifs de génocide. Malgré des dispositions de la Constitution interdisant à toute personne parvenue au pouvoir à la faveur d’un coup d’État de se présenter à une élection présidentielle, la Cour constitutionnelle a statué en juillet que le général Efraín Ríos Montt pouvait se porter candidat au nom du FRG. Cet arrêt a exacerbé les tensions et déclenché de nouvelles brutalités et atteintes aux droits humains. De nombreuses violences politiques ont préludé au premier tour de l’élection présidentielle en novembre. Le général Ríos Montt n’a pas obtenu le nombre de voix suffisant pour être présent au second tour, qui s’est déroulé dans un calme relatif en décembre et s’est conclu par l’élection d’Óscar Berger, de la Gran Alianza Nacional (GANA, Grande alliance nationale).
Manque de détermination dans la lutte contre l’impunité
Le président Portillo n’a pas tenu ses nombreuses promesses de mise en œuvre des dispositions relatives aux droits humains contenues dans les accords de paix de 1996 qui ont mis un terme à la guerre civile ; il n’a pas davantage respecté les recommandations de la Commission de la vérité créée en vertu de ces accords.
La résolution de certaines affaires en matière de droits humains, très médiatisées, n’a guère progressé. Les rares condamnations pour atteintes aux droits fondamentaux prononcées par les tribunaux guatémaltèques, souvent au terme de luttes soutenues et courageuses menées par des proches de victimes ou des organisations de défense de ces droits, ont systématiquement fait l’objet d’appels ou ont été annulées. Les témoins et autres personnes impliquées dans ces affaires couraient le risque de subir de nouvelles violences.
Au mois d’octobre, l’Estado Mayor Presidencial (EMP, État-major présidentiel) a été dissous. Cette agence de renseignement militaire, qui constituait le haut commandement de la présidence, était impliquée dans des violations des droits humains commises au cours du conflit armé qui a ravagé le Guatémala ; elle était également mêlée à des affaires de droits fondamentaux qui ont eu un grand retentissement. Elle devait être remplacée par un organe civil. Toutefois, les rares mesures prises pour garantir une véritable surveillance civile et le respect par les auteurs de ces actes de l’obligation de rendre des comptes suscitaient cette année encore nombre de préoccupations.
Les patrouilles civiles, responsables de graves atteintes aux libertés fondamentales alors qu’elles assistaient l’armée au cours du conflit, se sont remobilisées et ont organisé de violentes manifestations, exigeant le versement d’indemnités pour leur service en temps de guerre. Les organisations de défense des droits humains et les représentants du gouvernement qui se sont élevés contre leurs exigences ont fait l’objet de menaces. Le gouvernement du président Portillo leur a par la suite versé des indemnités. Cependant, malgré la recommandation de la Commission de la vérité, aucune mesure n’avait été décidée à la fin de l’année 2003 pour octroyer des réparations globales aux victimes de violences imputables à l’armée et aux patrouilles civiles.
D’une manière générale, les accords signés sous l’égide du système interaméricain de protection des droits humains et concernant les réparations à accorder pour certaines violations passées n’ont pas été mis en œuvre, pas plus que des mesures marquantes n’ont été prises pour satisfaire aux conditions relatives aux droits humains définies en mai 2003, lors de la réunion du Groupe consultatif des principaux donateurs, pays et institutions.
Au mois de mars, le gouvernement a signé un accord mettant sur pied une commission chargée d’enquêter sur les structures clandestines responsables d’attaques visant notamment les défenseurs des droits humains, les avocats et les journalistes. Fruit du travail de pression des organisations locales, la Comisión para la Investigación de Cuerpos legales y Aparatos Clandestinos de Seguridad (CICIACS, Commission d’enquête sur les groupes armés illégaux et les organes de sécurité clandestins) devrait être formée en 2005, dès que le Congrès aura approuvé plusieurs réformes judiciaires d’importance en suspens.
La condamnation prononcée au cours de l’année 2002 contre un officier de l’armée qui avait été déclaré coupable d’avoir ordonné l’exécution extrajudiciaire de l’anthropologue Myrna Mack, en 1990, a été annulée au mois de mai. Le tribunal a statué sur la responsabilité institutionnelle de l’EMP, argument qu’aucune partie n’avait invoqué, plutôt que sur les actes commis par l’officier en tant qu’individu, et a prononcé son acquittement. Un appel était en instance à la fin de l’année.
En octobre, la Cour constitutionnelle a rejeté l’annulation (intervenue en 2002) des déclarations de culpabilité prononcées en 2001 contre trois militaires pour l’exécution extrajudiciaire de l’évêque Juan José Gerardi. Mgr Gerardi a été tué en 1998, deux jours après avoir présenté le rapport de l’Église catholique guatémaltèque sur les atteintes aux droits humains commises au cours de la guerre civile. L’un de ces trois militaires a été assassiné en prison en janvier 2003, semble-t-il parce qu’il s’apprêtait à témoigner contre d’autres militaires impliqués dans la mort de Mgr Gerardi. En octobre, un 14e témoin de la mort de l’évêque, Erick Urízar Barillas, a été tué à son tour. À la fin de l’année, un appel était en instance dans l’affaire Gerardi.
_Les poursuites pour génocide et crimes contre l’humanité engagées au Guatémala et à l’étranger contre les gouvernements des généraux Romeo Lucas García (1978-1982) et Efraín Ríos Montt (1982- 1983) s’assortissaient cette année encore de mesures d’intimidation et de représailles visant les organisations de défense des droits humains et les experts judiciaires impliqués dans ces affaires. Au mois de mars, deux employés du Centro para la Acción Legal en Derechos Humanos (CALDH, Centre pour la poursuite en justice des responsables de violations des droits fondamentaux), Mario Minera et Héctor Amílcar Mollinedo Caceros, auraient été suivis par des individus suspects ; en septembre, le directeur juridique de l’organisation, Fernando López, a reçu par courrier une menace de mort. Les employés de la Fundación de Antropología Forense de Guatemala (FAFG, Fondation guatémaltèque d’anthropologie médicolégale) et leurs proches ont été soumis à plusieurs reprises à des actes d’intimidation.
Violences contre les défenseurs des droits humains
Des membres de presque toutes les grandes organisations de défense des droits humains guatémaltèques ont subi des violences. Personne, quelle que soit sa position, n’était à l’abri.
En octobre, Rigoberta Menchú, lauréate du prix Nobel de la paix, a été agressée verbalement et malmenée par des sympathisants du FRG, alors qu’elle se rendait devant la Cour constitutionnelle pour contester la candidature du général Ríos Montt.
Eusebio Macario, cofondateur de l’organisation de défense des droits des indigènes Consejo de Comunidades Étnicas « Runujel Junam » (CERJ, Conseil des communautés ethniques « Nous sommes tous égaux »), a été tué au mois de septembre. Ses agresseurs n’ont pas été identifiés. Une semaine auparavant, il avait rencontré des villageois indigènes pour les conseiller sur leur droit à réparation pour les atteintes aux droits humains liées au conflit.
Atteintes aux droits fondamentaux des avocats et des juges
Plusieurs procureurs spéciaux chargés par le bureau du procureur général d’enquêter sur les violences commises contre les défenseurs des droits humains et les membres de l’appareil judiciaire, ainsi que des membres du personnel régional et national de la Procuraduría de Derechos Humanos (PDH, Services du procureur des droits humains), ont été menacés et attaqués.
En juin, José Israel López López, militant indigène, avocat et membre des PDH du département de Chimaltenango, a été abattu par des assaillants non identifiés à Guatémala, la capitale. Il enquêtait sur les violences et les attaques perpétrées par des militaires contre des personnes (des défenseurs des droits humains et des indigènes déjà victimes de brutalités) qui travaillaient sur des affaires analogues. Plusieurs autres membres de premier plan de la communauté maya ont été tués ces dernières années.
Les avocats, les juges, les procureurs et les témoins qui étaient impliqués dans des affaires d’atteintes aux droits humains très médiatisées et dans des actions de lutte contre l’impunité ont continué à être la cible de violences.
En avril, dans le département de Zacapa, des agresseurs non identifiés ont attaqué le procureur spécial Manuel De Jesús Barquín Durán. Celui-ci s’était vu confier l’enquête sur les atteintes aux droits humains et la corruption dont étaient soupçonnés des représentants de l’État dans le département voisin d’Izabal. Son garde du corps a été grièvement blessé au cours de cette agression.
Agressions contre les journalistes
Parmi les journalistes pris pour cibles en raison de leurs enquêtes sur les droits humains figuraient Marielos Monzón, chroniqueuse du quotidien Prensa Libre. Elle a reçu des menaces anonymes après avoir publié des articles sur l’enlèvement, le meurtre et la décapitation, au cours de l’année 2002, du dirigeant indigène et avocat Antonio Pop Caal. Les menaces se sont multipliées au début de l’année, à la suite de sa couverture des démarches entreprises, tant au Guatémala que par le biais du système interaméricain de protection des droits humains, par Graciela Azmitia. Celle-ci cherchait à établir les responsabilités dans la « disparition », en 1981, de certains membres de sa famille, notamment de sa sœur, qui était enceinte. Après l’attaque de son domicile par des intrus au mois de mars, Marielos Monzón s’est enfuie à l’étranger.
Atteintes aux droits fondamentaux de militants écologistes
Au mois de juillet, des hommes armés se sont introduits de force au domicile de la militante pour l’environnement Norma Maldonado, dans la ville de Guatémala. Menaçant les occupants, ils ont détruit des données et emporté un film et d’autres supports ayant trait au groupe Mesa Global de Guatemala. Ce mouvement travaille en collaboration avec des défenseurs de l’environnement guatémaltèques et mexicains afin d’attirer l’attention du public sur les éventuelles répercussions néfastes du projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) et du plan Puebla Panamá, un projet de développement d’infrastructure en Amérique centrale.
Violences liées à la campagne électorale
Au moins 16 dirigeants politiques ont été tués et beaucoup d’autres attaqués lors de troubles en marge de la campagne électorale. Nombre d’autres ont été victimes de menaces et de mesures d’intimidation. Toutefois, les événements ont pris un tour particulièrement dramatique en juillet, lorsque le FRG aurait fait venir par camion dans la capitale des milliers de gens armés de machettes et de matraques. Menée par des représentants du parti, cette foule a violemment attaqué des personnes et des institutions, notamment la Cour suprême, la Cour constitutionnelle et le Tribunal électoral suprême. Des journalistes ont également été pris pour cibles ; le reporter radio Héctor Ramírez est mort d’une crise cardiaque après avoir été poursuivi par une foule déchaînée.
Violations des droits humains liées aux conflits fonciers
Le gouvernement n’a pas mis en œuvre les dispositions des accords de paix relatives au droit à la terre ; en outre, la situation économique des populations rurales démunies s’est dégradée. Ces facteurs ont contribué aux troubles qui ont gagné toutes les zones rurales et à la persistance des violents conflits concernant l’occupation des terres. De nombreux militants défendant leurs communautés contre les revendications des grands propriétaires terriens ou des sociétés agricoles ont été tués ces dernières années.
_Plusieurs personnes militant pour le droit à la terre de la communauté Lanquín II, à Morales (département d’Izabal), ont été assassinées en 2003. Ces homicides s’inscrivaient dans le contexte du conflit entre la communauté et les éleveurs de bétail, apparemment soutenus par les représentants locaux de l’État, qui cherchaient à acquérir des terres destinées aux plantations de bananes.
Violence contre les femmes
Au Guatémala, nombre d’organisations éminentes de défense des droits humains ont été créées par des femmes recherchant des proches « disparus » ou réclamant justice pour des membres de leur famille victimes d’exécutions extrajudiciaires. Elles ont continué à occuper une place importante dans la lutte contre l’impunité dont bénéficiaient les atteintes aux droits humains, notamment les viols généralisés dont ont été victimes les femmes indigènes non combattantes au cours du conflit, mais aussi dans la campagne en faveur de réparations pour les victimes. Elles étaient constamment en butte aux menaces, aux mesures d’intimidation et aux agressions, notamment aux viols, imputables à ceux qui s’opposaient à leurs activités.
En 2003, les défenseurs des droits des femmes ont attiré l’attention sur le niveau alarmant des violences subies par celles-ci au cours de la période consécutive au conflit, y compris sur la violence domestique et sur les centaines de meurtres précédés de diverses formes de violence sexuelle.
Lynchages
En 2003, de nombreuses personnes ont été lynchées par la foule. Il est couramment admis que ces lynchages résultaient de la frustration des communautés face à l’incapacité de la justice à traiter comme il convient les cas d’atteintes aux droits humains, réels ou perçus comme tels, et les affaires de crimes de droit commun. Toutefois, certains affirment que des villageois ont été manipulés et poussés à attaquer des personnes précises, que les responsables politiques locaux ou les forces de sécurité souhaitaient éliminer. Les instigateurs de nombre de ces lynchages seraient d’anciens membres des patrouilles civiles.
Peine de mort
Des condamnations à mort ont continué d’être prononcées pour toute une série de crimes de droit commun. Plus de 30 personnes se trouvaient encore sous le coup d’une sentence capitale à la fin de l’année, mais aucune exécution n’a eu lieu.
Préoccupations internationales
Au vu du caractère alarmant de la situation en matière de droits humains, les déclarations empreintes d’inquiétude se sont multipliées, tout comme les missions internationales d’enquête envoyées au Guatémala. En septembre, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a fait part de ses préoccupations eu égard à la dégradation de la situation, tandis que les Nations unies prolongeaient d’une année supplémentaire le mandat de leur mission d’observation, la MINUGUA. Au mois de septembre, on apprenait qu’à partir de l’année 2004 un bureau du Haut- Commissariat aux droits de l’homme surveillerait les droits humains au Guatémala et fournirait une aide technique ciblée.
Visites d’Amnesty International
Une délégation d’Amnesty International s’est rendue au Guatémala en mars et en juin pour y recueillir des informations relatives aux droits humains, notamment les droits économiques, sociaux et culturels, et évaluer les risques auxquels sont exposés les défenseurs de ces droits. Les délégués ont fait part de leurs préoccupations aux représentants du gouvernement.
Autres documents d’Amnesty International
Deep cause for concern — Amnesty International’s assessment of the current human rights situation in Guatemala (AMR 34/022/2003).
Guatémala. La suppression de l’état-major présidentiel doit s’accompagner d’une réforme en profondeur des services de renseignements (AMR 34/031/2003).
Guatemala : Legitimacy on the line — human rights and the 2003 Guatemalan elections (AMR 34/051/2003).
Guatémala. Lettre ouverte d’Amnesty International aux candidats à l’élection présidentielle de novembre 2003 au Guatémala - 19 septembre 2003 (AMR 34/052/2003).