Introduction

Pour un avenir fondé sur les droits humains

INTRODUCTION



Au long des années 2002 et 2003, Amnesty International s’est consacrée à une analyse minutieuse de la situation des droits fondamentaux de par le monde. Ce travail a servi de base au développement du plan stratégique de l’organisation pour 2004-2006, plan qui a été adopté au mois d’ août 2003 lors de la 26e réunion du Conseil international d’Amnesty International, qui s’est tenu à Morelos, au Mexique.
Prenant pour mot d’ordre Justice pour tous, Amnesty International a réaffirmé sa détermination à défendre les droits humains fondamentaux dans le monde, tout en élaborant de nouveaux modes d’action dans une situation générale qui évolue avec rapidité. L’une des principales orientations stratégiques que l’organisation s’est efforcée de suivre a consisté à définir avec clarté la place d’Amnesty International au sein de l’ensemble du mouvement de défense des droits humains, à établir des alliances avec d’autres organisations et à soutenir et assister tous ceux qui défendent les droits de la personne humaine.
Amnesty International expose ici les axes essentiels de son programme d’action pour les années à venir dans l’espoir de contribuer à la création d’une véritable stratégie internationale des droits humains, apte à relever les défis du monde actuel.

Résister aux dérives de la « guerre contre le terrorisme »

Depuis sa mise en place, il y a un demi-siècle, le système du droit international et de l’action multilatérale n’a jamais subi une remise en cause aussi radicale. Le droit international humanitaire et relatif aux droits humains est actuellement contesté, car il manquerait d’efficacité face aux dangers présents et futurs qui menacent la sécurité. Au nom de la « guerre contre le terrorisme », certains États s’en prennent aux principes, aux valeurs et aux normes des droits humains. La communauté internationale ne semble pas pouvoir ou vouloir enrayer cette tendance. Pendant ce temps, des groupes armés continuent de se dérober aux responsabilités qui leur incombent en application du droit international humanitaire.

« L’humanité a plus que jamais besoin d’Amnesty International, car les violations des droits humains ne sont pas le seul fait des régimes autoritaires. »
Riad al Turk, ancien prisonnier d’opinion syrien maintenu pendant dix-huit ans en isolement, en compagnie de sa femme, Asmah al Feisal, lors d’une visite au siège d’Amnesty International au Royaume-Uni. Riad al Turk a évoqué avec gratitude la solidarité dont ont fait preuve les membres d’Amnesty International envers lui et envers d’autres prisonniers des geôles syriennes : « Le soutien d’Amnesty International était comme une bougie qui éclairait l’obscurité de la cellule et entretenait l’étincelle de vie dans nos esprits. »

Tous les gouvernements ont pour obligation de protéger les personnes qui relèvent de leur compétence. Depuis le 11 septembre 2001, de nombreux États ont adopté des mesures « antiterroristes » drastiques sous prétexte que l’arsenal juridique existant était inadapté à ce type de menace. Pourtant, les actions auxquelles s’applique généralement le terme « terrorisme », qu’elles soient menées par des individus ou par des groupes politiques armés, sont déjà prohibées par le droit international et national. À titre d’exemple, le droit international considère comme des crimes les meurtres de civils commis par des membres d’Al Qaïda, du Parti communiste népalais maoïste ou de l’ETA (Espagne), les prises d’otages organisées par les FARC (Colombie) ou par le groupe Abu Sayyaf (Philippines), ainsi que les attentats à la bombe visant des civils perpétrés par certains groupes palestiniens. Ces agissements constituent également des crimes au regard des lois nationales. Lorsqu’ils sont commis dans le contexte d’un conflit armé, ils deviennent des crimes de guerre. Certains peuvent même être qualifiés de crimes contre l’humanité. Malgré l’existence de ces qualifications juridiques, un grand nombre de gouvernements se sont fixé pour priorité politique l’adoption de nouvelles législations, qui reposent souvent sur une définition vague du « terrorisme ».
Depuis le 11 septembre 2001, dans le monde entier, des États ont ouvertement mis en place des programmes répressifs, jouant souvent sur la peur et parfois sur les préjugés des citoyens. Certains ont instauré des mesures qui vont directement à l’encontre de leurs meilleures traditions juridiques, tandis que d’autres ont simplement rebaptisé « contre-terrorisme » des pratiques répressives existantes. Des régimes qui, naguère, s’étaient montrés disposés à plaider la cause des droits humains dans l’arène internationale ont rechigné à intervenir dans ce domaine. Le « contre-terrorisme » a entraîné des vagues d’homicides illégaux. En Colombie, le conflit s’est aggravé ; les forces gouvernementales, leurs alliés paramilitaires et les groupes d’opposition armés se sont tous rendus coupables de massacres de civils. En Tchétchénie et aux Philippines, les homicides illégaux se sont également poursuivis au nom de la lutte contre le « terrorisme ».
Des gouvernements qui avaient fait état des préoccupations que leur inspiraient les armes de destruction massive ont dans le même temps contribué à la perpétuation de conflits en cours, en opérant des transferts d’armes classiques, notamment d’armes légères. Dans l’ensemble, les États les plus riches du monde ont assoupli leurs restrictions sur les ventes d’armes et augmenté leur aide militaire à d’autres pays en invoquant la « guerre contre le terrorisme », même lorsque les bénéficiaires de cette aide étaient notoirement responsables de graves atteintes aux droits humains.
Un très grand nombre de pays ont durci leur législation à la suite du 11 septembre 2001. Certains ont adopté en quelques semaines de véritables trains d’amendements, tandis que d’autres continuaient en 2003 de débattre sur les lois « antiterroristes ». Ces lois présentent pour la plupart des caractéristiques communes : définition vague des nouvelles infractions visées ; possibilité d’emprisonner les personnes sans inculpation ni jugement, bien souvent en raison d’éléments de preuve « secrets » ; dispositions autorisant la détention au secret, qui favorise notoirement la torture ; mesures interdisant ou restreignant de facto la possibilité de bénéficier de l’asile, tout en facilitant les expulsions.
Depuis l’année 2001, des pays aussi différents que l’Allemagne, Maurice, Cuba ou le Maroc ont tous adopté des lois qui suscitent des préoccupations en matière de droits humains. En Inde, l’Ordonnance relative à la prévention du terrorisme de 2002 accorde l’immunité à tout agent de l’État ayant opéré « de bonne foi » contre les « terroristes ». On retrouve des dispositions similaires dans la Fédération de Russie. Fin 2003, la Corée du Sud préparait une loi de prévention du terrorisme qui élargirait les pouvoirs des services de renseignement nationaux, déjà responsables de graves violations des droits humains. Amnesty International a exprimé son inquiétude quant au projet de législation « antiterroriste » en Tunisie qui, s’il était adopté, accentuerait la dégradation de la situation des droits fondamentaux dans ce pays, notamment en matière de liberté d’expression.
La base navale américaine de Guantánamo, à Cuba, est restée un sujet de préoccupation en 2003. Plus de 600 prisonniers y étaient maintenus en détention illimitée, échappant à la sphère d’action des tribunaux des États-Unis, dans un vide juridique sans précédent. Le gouvernement américain a clairement indiqué que ces personnes étaient principalement détenues à des fins d’interrogatoire ou de « mise à l’écart ». Certains prisonniers risquaient un procès inéquitable devant des commissions militaires dont le fonctionnement était entaché d’irrégularités. D’autres étaient incarcérés par les autorités américaines ou, de toute évidence, pour leur compte dans des centres secrets situés dans différentes parties du monde. Le gouvernement des États-Unis a même utilisé ses pouvoirs souverains pour soustraire des citoyens américains à la justice pénale habituelle et les a maintenus au secret dans des prisons militaires pour une durée indéterminée, en tant que « combattants ennemis ». Cette décision a fait l’objet d’un recours devant les tribunaux américains.
Au Yémen, immédiatement après le 11 septembre 2001, les forces de sécurité ont procédé à des arrestations et à des placements en détention arbitraires et massifs. En 2002, les autorités yéménites ont informé Amnesty International qu’elles n’avaient pas d’autre choix que d’enfreindre leurs propres lois et leurs obligations en matière de droits humains afin de « lutter contre le terrorisme » et de prévenir le risque d’une attaque des États-Unis contre le Yémen. Un grand nombre de personnes étaient toujours détenues en 2003. Au Pakistan, les normes internationales et la législation nationale ont continué à faire l’objet de nombreuses violations ; des citoyens de ce pays et des étrangers ont été arrêtés de façon arbitraire et remis aux autorités d’autres pays.

Une femme ouïghoure devant un chantier de la ville de Kachgar, dans la région autonome du Xinjiang, en Chine. Les autorités chinoises continuent d’invoquer la « guerre contre le terrorisme » pour justifier leurs pratiques répressives dans le Xinjiang et les atteintes aux droits humains qui en résultent. L’ethnie ouïghoure, majoritairement musulmane, est principalement visée. De dures attaques contre sa culture, et notamment la fermeture de plusieurs mosquées, ont manifesté cette volonté répressive. Au nom du développement économique de la Chine, les chantiers de construction se sont multipliés dans les villes et les quartiers ouïghours ; selon certains commentateurs, cette politique vise à affaiblir le mode de vie et le patrimoine culturel de cette ethnie.

En Chine, des milliers d’Ouïghours de la région autonome du Xinjiang, accusés de « séparatisme » et de « terrorisme », ont été arrêtés arbitrairement à l’occasion d’une vaste opération de répression qui a également porté atteinte à leurs droits religieux. Certains auraient été exécutés à l’issue de procès inéquitables. Des membres d’organisations islamistes ont également été arrêtés arbitrairement en Ouzbékistan, où la torture est restée systématique. Au Royaume-Uni, les autorités ont procédé à plus de 500 arrestations « liées au terrorisme » à la suite du 11 septembre 2001, mais n’ont prononcé qu’un faible nombre de condamnations en relation avec Al Qaïda. En 2003, 14 personnes étaient toujours détenues en application de la Loi de 2001 relative à la sécurité et à la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Cette loi autorise la détention illimitée, sans inculpation ni jugement et essentiellement sur la base d’informations secrètes, des étrangers qui ne peuvent pas être expulsés. Le Royaume-Uni a invoqué différentes raisons pour justifier ces mesures, notamment le caractère trop rigoureux de ses règles en matière de preuve, qui paralyserait les procédures judiciaires traditionnelles.
Depuis 2001, un certain nombre de pays ont fait apparaître dans leur législation de nouveaux crimes liés au « terrorisme » et passibles de la peine de mort. Il s’agissait des États-Unis, du Guyana, de l’Inde, de la Jordanie, du Maroc et du Zimbabwe. Des exécutions apparemment liées au « terrorisme » ont également été signalées en Chine. À la fin de l’année 2003, trois hommes condamnés pour l’attentat de Bali, en Indonésie, étaient sous le coup d’une sentence capitale.

Un manifestant brandit une pancarte : « Arrêtons la guerre en Tchétchénie ». Des centaines de personnes ont défilé dans les rues de Moscou en février pour demander la fin du conflit armé.

Les demandeurs d’asile et les autres étrangers ont continué à être la cible de mesures officiellement mises en place pour lutter contre le « terrorisme ». Ainsi, des demandeurs d’asile afghans, qui fuyaient les persécutions et avaient été empêchés d’entrer en Australie dans les semaines précédant les attentats du 11 septembre, ont été maintenus en détention au nom des mesures « antiterroristes » adoptées après ces attentats. Ces mesures répondaient indéniablement aux demandes de l’opinion publique, qui réclamait une sécurité renforcée. Elles violaient cependant les droits humains, notamment le droit pour toute personne de bénéficier d’une protection face au risque de renvoi forcé dans un pays où elle pourrait subir de graves violations de ses droits fondamentaux. De plus, selon toute vraisemblance, les étrangers qui souhaitent pénétrer dans un pays pour y commettre des actes « terroristes » ou d’autres crimes n’ont pas recours à la procédure de demande d’asile ; les autorités australiennes semblent avoir négligé ce fait.
Depuis le 11 septembre 2001, l’opinion collective et les politiques gouvernementales en matière de « guerre contre le terrorisme » ont également eu un impact négatif sur les droits des femmes. Dans son rapport de janvier 2003 à la Commission des droits de l’homme des Nations unies, la rapporteuse spéciale chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, a indiqué que « la lutte pour éliminer certaines pratiques culturelles violentes à l’égard des femmes [était] souvent rendue difficile par ce que l’on [pouvait] appeler le “regard arrogant” de l’étranger [...] Nombreux sont ceux qui pensent que ce “regard arrogant” est devenu encore plus inquisiteur depuis le 11 septembre ».
Pour Amnesty International, seul un effort concerté du mouvement mondial de défense des droits humains peut venir à bout du courant qui se manifeste dans la période actuelle, où l’on voit se produire des atteintes aux droits humains de plus en plus fréquentes au nom de la « guerre contre le terrorisme » et face aux exactions des groupes armés. L’action d’Amnesty International visera notamment à faire connaître largement et à dénoncer les mesures « antiterroristes » qui enfreignent le droit international humanitaire et relatif aux droits humains. L’organisation continuera de faire campagne contre la détention arbitraire, les procès inéquitables et la discrimination. Elle prendra fermement position contre les atteintes aux droits humains commises par les groupes armés d’opposition et agira pour que ces derniers soient contraints de rendre compte de leurs agissements. Enfin, Amnesty International entreprendra des analyses critiques des accords de coopération conclus en matière judiciaire ou dans le domaine du renseignement
et des traités relatifs au « terrorisme ».

Défendre les droits humains dans les conflits armés

Dans de nombreuses parties du monde, les conflits armés, et plus particulièrement les conflits armés internes, engendrent une multitude d’atteintes graves aux droits humains. Où qu’ils surviennent, ils se caractérisent invariablement par des exactions multiples, par exemple des homicides illégaux, des viols et autres violences sexuelles, des actes de torture, et la privation des droits économiques et sociaux les plus fondamentaux. Un grand nombre de conflits internes durent depuis plusieurs décennies, malgré des efforts importants de la communauté internationale pour y mettre un terme ; dans certains endroits, les affrontements revêtent un caractère véritablement endémique. Certes, des questions liées à l’identité peuvent susciter des conflits, mais les facteurs qui déclenchent les affrontements internes sont le plus souvent le dénuement des êtres humains et - paradoxalement - l’abondance de ressources minérales. Aggravés par les phénomènes de discrimination, les conflits portant sur les ressources persistent, en particulier dans les pays les plus pauvres, et les situations où des États faibles font face à des groupes armés économiquement puissants semblent appelées à se multiplier.

En 2003, Amnesty International, Oxfam et le Réseau d’action international sur les armes légères (RAIAL) ont lancé la campagne pour le contrôle des armes destinée à obtenir un contrôle plus strict des ventes d’armes, pour que les personnes soient réellement protégées contre la violence armée.

Les violences massives contre des civils se poursuivent dans un climat général d’impunité, malgré des progrès considérables sur le plan juridique, aux niveaux national et international. Des organisations internationales telles que les Nations unies ont développé leur capacité à suivre la situation des droits humains lors des conflits, mais la protection réelle des personnes semble dépendre trop souvent de la présence de forces militaires extérieures.
La résurgence des conflits internationaux et le rôle qu’y jouent les États-Unis forcent les Nations unies à faire la preuve de leur légitimité. La doctrine de l’« autodéfense préventive », illustrée par l’intervention des États-Unis en Irak, risque d’inspirer d’autres gouvernements qui ne craindront pas de réagir aux menaces dont ils croiront faire l’objet, ce qui entraînerait une escalade des conflits à l’échelle mondiale. Au cours de l’année 2003, Amnesty International a vigoureusement lutté pour défendre les droits humains en période de conflit et protéger les civils sur de nombreux fronts. Des évolutions positives se sont dessinées pour certains conflits de longue durée qui avaient donné lieu, au cours de la décennie précédente, à des crises particulièrement graves en matière de droits humains (Burundi, Libéria, République démocratique du Congo et Soudan). En revanche, d’autres conflits, encore plus anciens, semblent s’être intensifiés (par exemple en Israël et dans les Territoires occupés, au Népal, en Colombie). Enfin, de nouveaux conflits armés, comme celui de l’Irak, ont placé devant des difficultés sans précédent le système de défense des droits humains et le droit international.

Un père pleure sur les corps de ses enfants à Al Hilla, en Irak (avril 2003). Les survivants de l’attaque d’Al Hilla ont raconté que les explosifs étaient tombés du ciel « comme des grains de raisin ». L’utilisation de bombes en grappe sur l’Irak, et notamment sur Al Hilla, par les forces américaines et britanniques pourrait donner à ces opérations le caractère d’attaques sans discrimination, ce qui en ferait des infractions graves au droit international humanitaire.

La guerre en Irak a contraint les groupes de défense des droits humains à renouveler leur réflexion sur leur propre rôle : faut-il que ces groupes se prononcent au sujet de l’opportunité de l’usage de la force dans les relations internationales ? Jusqu’où une éventuelle prise de position doit-elle aller ? L’Irak se trouvait dans une situation déplorable, tant sur le plan humanitaire que sur celui des droits humains, sa population étant durement touchée par des années de répression interne et de sanctions imposées par les Nations unies. Certains groupes ont alors estimé qu’il était de leur devoir de se prononcer contre une invasion militaire, dont les conséquences ne pouvaient selon eux qu’être désastreuses. Mais d’autres pensaient que les défenseurs des droits humains devaient, compte tenu des atrocités commises par le gouvernement irakien, mettre en balance les risques prévisibles d’une intervention avec les bénéfices potentiels d’un changement de régime. Amnesty International a pour sa part exhorté les parties concernées à n’employer la force qu’en dernier recours. Lorsqu’il est apparu que la guerre était imminente, l’organisation, citant à l’appui de ses préoccupations les exactions constatées lors de conflits précédents, a insisté sur la nécessité du respect du droit international humanitaire par les belligérants. Quand les États-Unis et le Royaume-Uni ont attaqué l’Irak, Amnesty International a surveillé les deux parties en cherchant à savoir dans quelle mesure le droit de la guerre était respecté, et exprimé ses inquiétudes sur l’usage des armes à sous-munitions (bombes en grappe) par les forces américaines et britanniques. Ces armes ont provoqué parmi la population civile irakienne un grand nombre de morts. Après la chute de Bagdad, l’organisation a rapidement établi une présence sur le terrain et recueilli des éléments sur les violations des droits humains commises par les forces d’occupation, notamment des récits de torture, de mauvais traitements sur la personne de détenus et d’homicides illégaux. Amnesty International a soumis aux États occupants une liste détaillée de préoccupations relatives au respect de la Quatrième Convention de Genève et des normes internationales en matière de droits humains, ainsi qu’à la législation et à l’administration de la justice en Irak.

Des membres d’Amnesty International font campagne pour les droits humains au Sénégal et en Italie, peu avant l’invasion de l’Irak, en mars.

Alors que les médias du monde entier se concentraient sur l’Irak, la République démocratique du Congo (RDC), en proie à un conflit opposant des armées et des groupes armés locaux et des pays voisins, ne suscitait qu’un intérêt modéré au niveau international. Malgré des progrès réalisés sur le papier vers une solution politique et le retrait des armées étrangères, ce pays est resté le théâtre de graves exactions, notamment à l’Est. Amnesty International a axé son travail sur les relations entre l’exploitation des richesses minérales de la région et les atteintes aux droits humains commises par toutes les parties en présence. En Ituri, où les tensions ethniques, cyniquement manipulées par des leaders politiques, ont entraîné des massacres de civils, Amnesty International est parvenue à obtenir l’intervention d’une force de déploiement rapide mandatée par l’ONU, ainsi qu’un élargissement du rôle de protection de la MONUC (Mission des Nations unies en République démocratique du Congo). En octobre, une délégation d’Amnesty International s’est rendue en RDC, au Rwanda et en Ouganda. La secrétaire générale de l’organisation, Irene Khan, a rencontré les dirigeants de l’Ouganda et du Rwanda dans leur pays respectif, ainsi que des membres du gouvernement de transition de la RDC à Kinshasa. Elle a montré à quel point l’optimisme qui s’exprimait à Kinshasa contrastait avec le terrible cycle des exactions commises en RDC ; condamnant la complicité des États voisins avec les diverses factions présentes en RDC, elle a insisté pour qu’il soit mis fin aux violences dans les plus brefs délais et demandé instamment que les responsables présumés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocides fassent l’objet d’une enquête et soient traduits en justice.
En ce qui concerne Israël et les Territoires occupés, le plan de paix appuyé par la communauté internationale appelé « feuille de route », exempt de toute disposition assurant le respect du droit international par les parties concernées, n’a apporté aucune amélioration à la situation. Parallèlement, le nombre de victimes n’a cessé de croître dans ce conflit toujours plus violent : au moins 600 Palestiniens, dont plus d’une centaine d’enfants, ont été tués par l’armée israélienne. Les groupes armés palestiniens sont pour leur part responsables de la mort d’environ 130 civils israéliens, dont 21 enfants, et de quelque 70 soldats israéliens. La population palestinienne des Territoires occupés a été soumise à des mesures punitives toujours plus nombreuses, notamment la destruction de centaines de maisons d’habitation, d’édifices industriels ou commerciaux, de vastes étendues de terres agricoles, ainsi qu’à des restrictions sans précédent de sa liberté de mouvement. Le mur/clôture construit par Israël en Cisjordanie a confiné des centaines de milliers de Palestiniens dans des enclaves, les empêchant de travailler leur terre, d’exercer leur emploi, de faire appel aux services scolaires ou médicaux situés dans les villes ou villages voisins. Ces mesures ont entraîné chez les Palestiniens une hausse du chômage et de la pauvreté, ainsi que l’apparition de cas de malnutrition. Aux postes de contrôle, les soldats israéliens ont souvent retardé ou empêché le passage de Palestiniens, y compris lorsqu’il s’agissait de personnel médical ou de patients, et plusieurs femmes ont été contraintes d’accoucher sur place ; parfois, l’issue a été fatale. Au cours de l’année, de très nombreux Israéliens ont été emprisonnés pour avoir refusé d’effectuer leur service militaire ; ils s’opposaient aux violations des droits humains commises par l’armée israélienne dans les Territoires occupés.
L’année 2003 a également été marquée par la poursuite des hostilités en Colombie (où le conflit, qui dure depuis 1985, a fait plus de 60 000 morts et chassé de leur domicile plus de 2,5 millions de personnes) ; toutes les parties en présence ont commis des atteintes aux droits humains. Des unités paramilitaires soutenues par l’armée ont procédé à des exécutions extrajudiciaires, organisé des « disparitions » et commis des actes de torture dans la plus totale impunité. Des groupes de rebelles se sont livrés à des exactions de grande ampleur, notamment des attentats à la bombe qui ont tué des civils. Les FARC ont également capturé et exécuté des civils et des militaires. Amnesty International a exhorté les États-Unis et d’autres gouvernements à interrompre leur soutien logistique aux forces de sécurité colombiennes, qui sont responsables de graves violations des droits humains, directement ou en collaboration avec les groupes paramilitaires.
Au Népal, le cessez-le-feu entre le gouvernement et les insurgés du Parti communiste népalais (maoïste) a été rompu en août, relançant le cycle de la violence dans ce pays : exécutions extrajudiciaires, « disparitions » et détentions arbitraires pour les forces gouvernementales, homicides sur la personne de civils, exécutions sommaires de soldats capturés et enlèvements pour les insurgés maoïstes. Amnesty International s’est employée à faire cesser l’impunité pour les atteintes aux droits humains, notamment les « disparitions » et les enlèvements, et a demandé instamment au gouvernement d’inviter au Népal le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires.
Étant données la persistance, l’ampleur et la gravité des violences constatées dans ces conflits, il est légitime de s’interroger sur l’efficacité du travail d’Amnesty International et des autres organisations de défense des droits humains. L’action de l’ensemble du mouvement semble en effet n’avoir qu’une influence limitée sur les conflits les plus graves ; bien souvent, il est très difficile de faire pression sur les belligérants eux-mêmes, en particulier lorsque l’État concerné est faible. Il convient toutefois de noter que les conflits sont en général entretenus par des gouvernements étrangers, des entreprises privées, des entités internationales et des communautés en exil. Amnesty International est convaincue qu’en recentrant son travail de pression sur ces acteurs extérieurs si influents, elle obtiendra des améliorations beaucoup plus substantielles pour tous ceux qui subissent la violence des conflits armés.
Amnesty International va intensifier ses efforts pour faire reconnaître aux acteurs économiques et aux seconds gouvernements concernés leurs responsabilités dans les atteintes aux droits humains commises lors des conflits armés. Dans cette optique, elle restera attentive aux rôles joués par les sociétés transnationales au Soudan et en RDC, par les industries extractives et d’autres entités économiques internationales en Colombie et par les aides militaires extérieures dans de nombreux autres conflits. En s’appuyant sur le travail déjà effectué dans le cadre du processus de Kimberley (accord international sur la certification des diamants bruts destiné à interdire leur commerce dans les zones de conflit armé), Amnesty International participera à l’élaboration de règles clairement définies sur la responsabilisation des entreprises et d’autres acteurs externes dans les zones de conflit.
La prolifération des armes légères a contribué à aggraver et à prolonger les conflits, entraînant des atteintes massives aux droits humains dans le monde entier. En 2003, Amnesty International, Oxfam et le Réseau d’action international sur les armes légères (RAIAL) ont lancé la campagne pour le contrôle des armes destinée à obtenir des gouvernements un traité sur le commerce international des armes. Ce traité interdirait les transferts d’armes vers des destinations où risquent d’être commises de graves atteintes aux droits humains ou au droit international humanitaire. Dans cet esprit, l’organisation amplifiera son action en faveur de l’application stricte des embargos sur les ventes d’armes et du renforcement des accords régionaux portant sur la limitation du commerce des armes, dans le respect du droit humanitaire et relatif aux droits humains. Amnesty International s’est également associée à la Cluster Munition Coalition (CMC, Coalition contre les armes à sous-munitions) afin d’imposer un moratoire sur ce type d’arme.

Des représentants d’Amnesty International de 51 pays ont rendu visite au Premier ministre du Royaume-Uni pour exprimer leurs préoccupations quant aux atteintes au droit humanitaire signalées pendant la guerre en Irak (mars 2003).

Amnesty International continuera de militer pour mettre un terme au recrutement d’enfants soldats et assurer leur démobilisation et leur réinsertion dans la société. Elle usera de son influence auprès des Nations unies pour renforcer la protection des civils et exigera en particulier un strict respect du droit humanitaire et relatif aux droits humains lors des opérations de maintien de la paix. L’organisation s’attachera à faire prévaloir les droits humains, en particulier ceux des femmes, aux différentes étapes des processus de paix, notamment au stade des accords finaux, et dans les situations d’après-conflit. Enfin, Amnesty International s’attaquera aux tâches liées à la prévention des conflits et au renforcement de la paix. Si les atteintes massives aux droits humains et les crises humanitaires sont des conséquences inévitables des conflits armés, travailler à leur prévention apparaît comme une composante obligatoire de l’action d’une organisation de défense des droits humains.

Protéger les défenseurs des droits humains

Comme le montre le présent rapport, les gouvernements, les groupes d’opposition armés et les individus continuent à fouler aux pieds les normes internationales humanitaires et relatives aux droits humains. Dans ce contexte, les défenseurs des droits humains ont joué un rôle décisif, qu’il s’agisse de recenser les violences commises ou d’assister directement les victimes. Ces militants sont issus d’horizons disparates et participent à la protection des droits humains de différentes façons, selon une thématique très variée.

Une manifestante de Ruta Pacífica, un mouvement féministe colombien pour la paix, observe une minute de silence pour les morts de la guerre en Colombie.

En 2003, des défenseurs des droits humains ont été harcelés, incarcérés, torturés, victimes de « disparitions » et de meurtres partout dans le monde. Certains d’entre eux avaient milité pour que les gouvernements résolvent les inégalités flagrantes dans la répartition des richesses, pour qu’ils donnent à tous la possibilité de bénéficier de soins médicaux de base, d’être scolarisés, d’avoir de l’eau et de la nourriture. D’autres luttaient pour protéger l’environnement et défendre les droits économiques, sociaux et culturels, ou tentaient de dénoncer des crimes contre l’humanité, des exécutions extrajudiciaires, des « disparitions » ou des tortures. Beaucoup ont été pris pour cible parce qu’ils agissaient en faveur d’une réforme nécessaire à l’instauration de la démocratie ou de la justice, ou parce qu’ils critiquaient le caractère excessif de certaines mesures sécuritaires.
Les gouvernements ont invoqué de nombreux prétextes pour empêcher de s’exprimer ceux qui souhaitaient à juste titre critiquer leurs orientations, notamment en ce qui concerne la sécurité nationale et la « guerre contre le terrorisme ». Dans le monde entier, des militants ont subi des attaques car ils semblaient constituer une menace aux yeux de ceux qui bénéficiaient de certaines injustices inhérentes à l’ordre établi. Ces derniers cherchaient à se dérober à toute responsabilité judiciaire, à échapper au regard de l’opinion publique et à réduire les critiques au silence. Les défenseurs des droits humains affrontent des difficultés qui résultent directement des grandes tendances nationales et internationales dans les domaines sociaux, politiques et technologiques. Les conflits armés internes ou internationaux, les transitions faussées vers la démocratie, la prétendue « guerre contre le terrorisme », les systèmes juridiques non conformes aux normes internationales, le relativisme culturel sont autant de facteurs qui contribuent à créer un environnement néfaste pour les droits humains. Défendre ces derniers, c’est traduire l’aspiration des simples citoyens à la justice et, bien souvent, dénoncer l’absence de solutions de la part des acteurs institutionnels.
La campagne menée par Amnesty International contre la violence envers les femmes met en relief les efforts des mouvements qui militent en faveur des droits humains des femmes. Leur action s’oppose à la discrimination politique, économique et sociale qui s’exerce dans des secteurs tels que les soins médicaux de base ou l’éducation. Les femmes actives dans ces mouvements subissent souvent elles-mêmes les violations qu’elles combattent. De plus, elles sont visées en tant que femmes ; les atteintes qui leur sont infligées vont des injures aux violences sexuelles, dont le viol.
Au mois de novembre, Amnesty International a publié un rapport sur les défenseurs des droits humains dans les Amériques : c’est une région du monde où le nombre de militants tués a été particulièrement élevé au cours des dernières décennies. Cette étude a montré qu’en 2003, les défenseurs des droits humains n’étaient pas plus protégés, et parfois moins, qu’au cours des années précédentes. Les homicides constituaient un problème particulièrement sérieux en Colombie et au Guatémala. En mars, les autorités cubaines ont lancé une vaste opération de répression de la dissidence ; 75 personnes, dont plusieurs militants pour les droits humains, ont été arrêtées et condamnées à de longues peines d’emprisonnement, à la suite de procès expéditifs et inéquitables. Amnesty International a considéré ces personnes comme des prisonniers d’opinion.

« Chaque fois que je conduis sur ces routes et que je vois un char au loin, je me demande si je reverrai mes enfants. J’ai un permis d’un mois, mais si les soldats me tirent dessus et me tuent, ce permis ne vaudra pas grand-chose pour moi ou ma famille. Ils pourront toujours raconter que j’étais un terroriste, ou que mon comportement était suspect. Et même s’ils reconnaissaient leur erreur et s’excusaient, qu’est-ce que ça m’apporterait vu que je serais mort ? Alors j’essaye de me déplacer le moins possible. »
Un avocat palestinien spécialiste des droits humains, soumis aux entraves à la liberté de mouvement imposées par Israël dans les Territoires occupés. Plus de 200 enfants ont organisé un défilé à bicyclette, dans le cadre des manifestations contre la construction d’un gazoduc reliant la Thaïlande à la Malaisie dans la province de Songkla, en Thaïlande (juin 2003). Les habitants des alentours ont protesté contre ce projet du gouvernement qui, selon eux, mettrait en péril leurs moyens de subsistance.

Les défenseurs des droits humains mettent souvent leur propre sécurité en péril. Ils paient parfois leur dévouement de leur vie dans certaines zones de conflit armé qui échappent à toute observation extérieure, pour des raisons de sécurité ou parce que les autorités en interdisent l’accès aux organisations internationales.
L’activité des militants palestiniens pour les droits humains a été sérieusement limitée par les restrictions qu’a imposées l’armée israélienne aux mouvements des Palestiniens dans les Territoires occupés. Dans le même temps, des défenseurs internationaux et israéliens de la paix et des droits humains ont subi des attaques de plus en plus fréquentes. Au moins quatre d’entre eux ont été tués ou grièvement blessés par les soldats israéliens en quelques semaines, de mars à avril 2003.
Au mois de mai, en République tchétchène, des hommes armés ont tué une militante pour les droits humains, ainsi que trois autres membres de sa famille. Elle avait porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme pour dénoncer l’inaction des autorités russes, auxquelles elle avait signalé les tortures et les mauvais traitements subis lors de sa détention dans un camp de « filtration ». Des avocats courageux ont continué leur combat pour les droits humains et la liberté de la presse au Zimbabwe, se mettant parfois eux-mêmes en danger. Ainsi, au mois d’octobre 2003, Beatrice Mtetwa a demandé l’aide de la police après que des voleurs eurent tenté de voler sa voiture. Loin de l’assister, les policiers l’ont placée en garde à vue, prétendument pour conduite en état d’ivresse. Une fois au poste, l’avocate aurait été rouée de coups et a dû se faire soigner par la suite. Elle présentait de multiples contusions et coupures au visage, à la gorge, aux bras, à la cage thoracique et aux jambes. Au mois de décembre 2003, Beatrice Mtetwa a reçu le Human Rights Lawyer of the Year Award, prix prestigieux décerné chaque année par deux groupes britanniques de défense des droits humains à un avocat spécialisé dans ce domaine.
Pour une bonne part, le travail d’Amnesty International en Afrique a consisté à prêter main-forte aux défenseurs des droits humains, ainsi qu’à faire campagne pour l’adoption de mesures destinées à les protéger au niveau régional.
Plusieurs années de suite, Amnesty International et d’autres organisations non gouvernementales (ONG) ont exhorté la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à adopter une résolution reconnaissant les droits fondamentaux des défenseurs des droits humains et renforçant leur protection en Afrique. La Commission a mis en place un pôle chargé de centraliser et de traiter plus efficacement les informations sur les défenseurs des droits humains en Afrique, mais l’efficacité de ce dispositif suscite encore des interrogations.
En février, Amnesty International a organisé un atelier pour les défenseurs des droits humains au Somaliland. Vingt-trois ONG somaliennes y ont participé ; elles travaillaient sur divers aspects des droits humains, dans des zones différentes, y compris le sud de la Somalie, déchiré par les affrontements et toujours en état de désintégration. Cet atelier visait à rendre l’action des participants plus efficace en les familiarisant avec les différents instruments internationaux de défense des droits humains. Il détaillait également les méthodes les plus fructueuses en matière de défense de la liberté d’association et d’expression, de la justice, des droits des femmes et des minorités, et s’attachait généralement à développer le militantisme humanitaire. Ce type d’atelier est l’une des nombreuses initiatives qu’Amnesty International continuera de prendre pour impliquer les militants de tous les secteurs de la société, notamment des groupes marginalisés, dans des activités destinées à améliorer les compétences, à favoriser les synergies et à renforcer les mécanismes de défense des droits humains.
À mesure que les technologies de l’information se répandent, les défenseurs des droits humains recourent de plus en plus fréquemment à Internet pour communiquer entre eux, dénoncer les atteintes aux droits humains ou simplement pratiquer la liberté d’expression. Cette utilisation militante des réseaux informatiques a donné lieu à des mesures de répression, notamment en Chine et au Viêt-Nam. Un cyberdissident vietnamien a ainsi été condamné en juin à treize ans d’emprisonnement. Cette peine a ensuite été réduite à cinq ans en appel, à la suite d’un mouvement de solidarité internationale.

Plus de 200 enfants ont organisé un défilé à bicyclette, dans le cadre des manifestations contre la construction d’un gazoduc reliant la Thaïlande à la Malaisie dans la province de Songkla, en Thaïlande (juin 2003). Les habitants des alentours ont protesté contre ce projet du gouvernement qui, selon eux, mettrait en péril leurs moyens de subsistance.

De vastes projets économiques tels que la construction de barrages et de gazoducs se sont heurtés à l’opposition de militants car ils représentaient une menace pour l’environnement et la culture des terres. Des militants thaïlandais qui s’opposaient à un projet de gazoduc reliant la Thaïlande à la Malaisie ont été arrêtés et parfois menacés. Les opposants au barrage de Pak Mun, dans le nord-est de la Thaïlande, ont également été menacés en 2003. Certains ont reçu des menaces de mort et d’autres auraient même été la cible de tentatives d’assassinat. Dans de nombreux pays, les défenseurs des droits humains ont encore des difficultés à faire reconnaître la légitimité de leur travail, malgré les résolutions et les déclarations des Nations unies et d’autres organisations intergouvernementales (OIG) telles que l’Organisation des États américains. En Tunisie par exemple, le gouvernement a tout fait pour réduire au silence les groupes de défense des droits humains reconnus et a refusé d’accepter l’existence officielle d’autres organisations de même nature.
Consciente du rôle crucial que jouent, dans des secteurs très différents de la société, les défenseurs des droits humains, Amnesty International s’emploiera à mobiliser ces militants, surtout lorsqu’ils proviennent de groupes marginalisés, et à les associer à tous les aspects de son travail. Elle s’attachera en particulier à augmenter la visibilité et à élargir le rôle des défenseurs des droits de la femme. Comme ces militants éprouvent souvent des difficultés à obtenir une protection, Amnesty International profitera de son envergure mondiale pour accroître leur notoriété et créer des conditions susceptibles de faciliter leur action aux niveaux local, régional et national. Elle les aidera également à mettre sur pied leurs propres mécanismes de protection, afin de réduire leur dépendance vis-à-vis des organismes étrangers et internationaux.

Réformer et renforcer le secteur judiciaire

La primauté de la loi est la clé de voûte de la protection des droits humains et de tout système de gouvernance fondé sur les valeurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cependant, certaines institutions nationales, pourtant destinées à faire respecter cette primauté, présentent parfois de graves dysfonctionnements. C’est ainsi que, dans de nombreux pays, la justice pénale pratique une discrimination systématique ; elle est minée par la corruption ou rendue inopérante par un grave manque de ressources. Dans d’autres cas, les élites politiques ou certains groupes ethniques ou religieux manipulent le pouvoir judiciaire afin de perpétuer leur domination. Ces phénomènes entraînent des atteintes chroniques aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

Des femmes font appel à un écrivain public pour rédiger leur requête auprès d’un tribunal à Kaboul, en Afghanistan. Les femmes victimes de crimes n’accèdent que difficilement à la justice en Afghanistan. Amnesty International a insisté sur la nécessité d’intégrer aux réformes judiciaires et constitutionnelles des mesures protégeant les droits des femmes.

En théorie, l’appareil judiciaire doit fournir les mécanismes nécessaires à la réparation des atteintes aux droits humains commises par des agents de l’État ou des particuliers. Dans la pratique, toutefois, l’histoire des atteintes aux droits humains se confond fréquemment avec celle des défaillances de la justice.
Réformer le système judiciaire consiste d’une part à mettre au jour les failles de la législation nationale permettant de porter atteinte aux droits humains en toute impunité, et d’autre part à militer pour l’abolition des lois ou des procédures sur lesquelles s’appuient les auteurs de ces atteintes. Cette démarche implique la création d’institutions judiciaires véritablement indépendantes et impartiales et suppose que l’on encourage une vision du maintien de l’ordre qui place la protection des droits humains au cœur de la sécurité publique.
L’abolition de l’impunité est peut-être la tâche la plus importante à réaliser au niveau national pour que la justice soit réellement rendue. L’impunité ne relève pas simplement d’une incapacité à faire justice dans tel ou tel cas individuel. Il faudrait plutôt la comparer à un cancer attaquant les fondements mêmes du droit. La lutte d’Amnesty International contre l’impunité dans le monde devra tenir compte de l’influence de la pauvreté, de l’opprobre et de la marginalisation qui empêchent certaines couches sociales d’avoir accès à la justice.
L’année 2003 a donné lieu à de nouvelles occasions de battre en brèche l’impunité et de restaurer la confiance dans la primauté de la loi, essentiellement dans les pays engagés dans un processus de transition vers la démocratie. Dans les Amériques, par exemple, un ensemble d’initiatives visant à combattre l’impunité a constitué une étape importante vers une véritable responsabilisation des institutions démocratiques.
Les situations d’après-conflit se prêtent à l’adoption d’une nouvelle constitution, à l’élimination des lois non conformes aux normes internationales et à l’intégration dans la législation nationale des droits humains figurant dans les traités internationaux. Selon Amnesty International, les processus constitutionnels donnent l’occasion de faire progresser les droits des femmes, des enfants, des peuples indigènes et d’autres groupes particulièrement exposés. En Afghanistan, l’organisation a axé son travail sur les lois et les pratiques concernant les prisonniers, l’administration de la justice, la reconstruction des forces de police, ainsi que les droits et la condition des femmes. Dans son rapport de 2003 intitulé Afghanistan. Les femmes privées de justice. « Personne ne nous écoute et personne ne nous traite comme des êtres humains » (ASA 11/023/2003), Amnesty International estimait indispensable que des dispositions visant à protéger les droits des femmes soient présentes dans les réformes juridiques et constitutionnelles et intégrées au système judiciaire, ainsi qu’aux règles de maintien de l’ordre. En décembre, une délégation d’Amnesty International était présente à la Loya Jirga (Assemblée tribale suprême) chargée de débattre d’une nouvelle constitution pour l’Afghanistan, afin d’inciter les participants à la rendre entièrement conforme aux normes internationales en matière de droits humains. L’organisation a adressé au président Karzaï une lettre ouverte concernant différents problèmes inhérents au projet de constitution, notamment par rapport aux droits des femmes.

Des membres d’Amnesty International rassemblés devant la résidence du Premier ministre britannique, Tony Blair, pendant une visite du président américain, George W. Bush, en novembre. Les manifestants cherchaient à attirer l’attention sur les violations des droits fondamentaux de centaines de personnes détenues par les Etats-Unis sur la base de Guantánamo, à Cuba.

Les mécanismes internationaux visant à pallier les déficiences des systèmes judiciaires nationaux ont évolué rapidement au cours des dix dernières années. Toutefois, ils sont encore embryonnaires et contestés. Quant aux dispositifs internationaux et régionaux destinés à vérifier le respect par les États des normes internationales en matière de droits humains, ils ont eux aussi connu une montée en puissance mais traversent actuellement une crise au regard de leur capacité et de leur crédibilité. Un système international de justice et de contrôle renforcé pourrait constituer une garantie dans la lutte contre l’impunité et permettre une responsabilisation à l’échelle mondiale. À terme, il aurait également pour effet d’améliorer les systèmes judiciaires nationaux.
Amnesty International a fait campagne sans relâche pour l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI). Pendant l’année 2003, l’organisation a exhorté les États à intégrer dans leur législation les textes nécessaires à l’application de ce Statut, en adoptant notamment des dispositions donnant aux tribunaux nationaux une compétence universelle en matière de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de « disparitions ». Amnesty International s’est élevée avec vigueur contre les manœuvres du gouvernement des États-Unis consistant à signer des accords bilatéraux avec d’autres pays afin de garantir l’impunité des ressortissants américains mis en accusation devant la CPI. Cette année encore, d’autres initiatives novatrices ont permis de traduire en justice des responsables présumés d’atteinte aux droits humains, par le biais d’une coopération judiciaire transnationale. Ainsi, la Cour suprême du Mexique a créé un précédent important en matière de compétence extraterritoriale : elle a confirmé l’extradition d’un officier de la marine argentine vers l’Espagne, afin qu’il y réponde d’accusations de génocide et de terrorisme.
Les normes internationales humanitaires et relatives aux droits humains constituent un cadre directeur exhaustif permettant de faire progresser la justice mondiale. Dans les années à venir, Amnesty International axera essentiellement son travail sur la mise en œuvre des normes existantes, mais elle n’en soutiendra pas moins les efforts visant à développer de nouvelles normes, notamment dans les domaines où la responsabilité et l’obligation de rendre compte sont pratiquement inexistantes. Ainsi, l’organisation contribue à la création d’une procédure de plainte pour le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Elle cherche également à promouvoir les Normes des Nations unies sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises, adoptées par la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme en août 2003. Ces normes visent à faire entrer les entreprises, ces acteurs non gouvernementaux puissants et influents, dans le cadre des traités internationaux sur les droits humains.
L’année 2003 s’est caractérisée par l’émergence d’un mouvement mondial pour la justice en réponse à l’omniprésence des iniquités. Des millions de citoyens de toute la planète se sont rassemblés au Forum social mondial de Porto Alegre, au Brésil, ont manifesté dans les rues par solidarité avec le peuple irakien, ou se sont exprimés via Internet contre l’injustice des règles du commerce mondial. Ils font tous partie d’un courant, hétérogène mais universel, qui exige la justice dans les domaines juridique, économique et social. L’ère de la mondialisation comporte sans doute bien des dangers, mais elle offre également au mouvement de défense des droits humains l’occasion d’étendre à toute la planète le combat pour la justice sous toutes ses formes Par leur portée universelle, leur capacité d’amplification et d’évolution, les droits humains peuvent représenter, à l’échelle mondiale, une force de changement considérable.

Œuvrer pour l’abolition de la peine de mort

Lorsqu’Amnesty International a organisé à Stockholm (Suède), il y a plus de vingt-cinq ans, une conférence internationale sur la peine de mort, seuls 16 pays avaient aboli ce châtiment pour tous les crimes. Ils sont aujourd’hui plus de 75. Bien que le mouvement en faveur de l’abolition partout dans le monde se poursuive, la peine de mort continue d’exister et, dans certains pays, son usage s’amplifie - notamment dans le contexte de la criminalité et du « terrorisme ». Alors que certains gouvernements œuvrent en faveur de l’abolition dans le monde entier, d’autres s’opposent farouchement à cette idée.
Deux événements liés entre eux ont illustré cette divergence en 2003 : le 24 avril, la Commission des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution appelant tous les États non abolitionnistes à déclarer un moratoire sur les exécutions. Le texte, qui affirmait notamment que « l’abolition de la peine de mort contribue au renforcement de la dignité humaine et à l’élargissement progressif des droits de l’homme », a été présenté à l’initiative de 75 États, soit sept de plus que lorsqu’un projet de résolution similaire avait été déposé en 2002.
Le même jour, plusieurs pays se dissociaient de la résolution et transmettaient à la Commission des droits de l’homme une déclaration commune dans laquelle ils affirmaient qu’il n’existait pas de consensus international sur l’abolition de la peine capitale et qu’il fallait, avant de considérer cette dernière comme une atteinte aux droits humains, tenir compte des droits des victimes et du droit de la collectivité à vivre en paix et en sécurité. Soixante-trois pays ont signé ce texte, soit un de plus que l’année précédente, où une déclaration similaire avait été formulée.

Leroy Orange, condamné à tort à la peine capitale et gracié par le gouverneur George Ryan, est applaudi pendant un discours de ce dernier à la faculté de droit de la Northwestern University, à Chicago (Illinois), Etats-Unis (janvier 2003).

L’année 2003 a vu un certain nombre de progrès vers l’abolition de la peine de mort. En juillet, le président de la République d’Arménie, Robert Kotcharian, a commué toutes les sentences capitales ; en septembre, le pays a aboli la peine de mort en temps de paix en ratifiant le Protocole n° 6 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Le Parlement arménien avait auparavant adopté un nouveau Code pénal qui supprimait la peine capitale en temps de paix, mais dont une disposition laissait la porte ouverte au recours à ce châtiment dans une affaire se trouvant à ce moment-là en instance de jugement. Des commutations collectives ont également été enregistrées. En janvier, aux États-Unis, le gouverneur sortant de l’Illinois, George Ryan, a commué les peines de 167 condamnés à mort ; il a amnistié quatre autres personnes qui, selon lui, avaient « avoué » sous la torture des crimes qu’elles n’avaient pas commis. Au Kenya, on a annoncé, en février, la libération de 28 prisonniers qui avaient passé entre quinze et vingt ans sous le coup d’une sentence capitale ; 195 autres ont vu leur condamnation à mort commuée en réclusion à perpétuité.
À la fin de l’année, 77 pays avaient aboli la peine capitale pour tous les crimes. Quinze autres l’avaient abolie sauf pour les crimes exceptionnels, tels que ceux commis en temps de guerre. Au moins 25 pays étaient abolitionnistes dans les faits : ils n’avaient procédé à aucune exécution depuis dix ans et semblaient avoir pour politique ou pour pratique établie de s’abstenir de toute exécution judiciaire. Soixante dix-huit autres pays et territoires maintenaient la peine capitale, mais certains d’entre eux n’avaient pas prononcé de condamnation à mort ni procédé à une exécution au cours de l’année.
Le Protocole n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme est entré en vigueur le 1er juillet, après avoir été ratifié par le minimum nécessaire de 15 États. Il s’agit du premier traité international prévoyant l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances, sans exception. Fin 2003, il avait été ratifié par 20 des 45 États membres du Conseil de l’Europe. Le Protocole n° 6 à la Convention européenne des droits de l’homme, le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, et le Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, traitant de l’abolition de la peine de mort avaient été ratifiés respectivement par 43, 51 et huit États fin 2003.
À l’occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre, diverses manifestations ont été organisées dans plus de 60 pays et un appel a été lancé, via Internet, aux plus hautes autorités des pays non abolitionnistes afin qu’elles arrêtent immédiatement les exécutions et abolissent la peine de mort pour tous les crimes. Cette journée a été organisée par la Coalition mondiale contre la peine de mort. Formée en 2002, celle-ci rassemble des organisations nationales et internationales de défense des droits humains, dont Amnesty International, des associations de juristes, des syndicats et des collectivités locales.
Le 30 novembre, dans le cadre de la manifestation Des Villes pour la Vie - Des Villes contre la peine de mort, des bâtiments publics ont été illuminés dans plus de 100 villes du monde entier. Cet événement avait été mis en place par une organisation italienne, la communauté de Sant’Egidio, avec la collaboration d’autres mouvements et de certaines sections d’Amnesty International.
À l’issue du quatrième Sommet mondial des lauréats du prix Nobel de la paix, qui s’est tenu à Rome, les participants ont adopté, le 30 novembre, une déclaration finale dans laquelle ils affirmaient que « la peine de mort est un châtiment particulièrement cruel et anormal qui doit être aboli. Elle est d’autant plus inadmissible lorsqu’elle est infligée à des enfants » [traduction non officielle].
Amnesty International s’oppose inconditionnellement à la peine de mort, qu’elle considère comme une violation du droit à la vie et du droit de ne pas être soumis à une peine cruelle, inhumaine ou dégradante. Pour exiger son abolition, l’organisation se fonde également sur son effet déshumanisant, sur le risque d’exécuter des personnes innocentes et sur l’absence de preuve démontrant l’efficacité dissuasive de ce châtiment.
Outre ces considérations, l’un des principaux arguments contre la peine capitale est son caractère inique, qui se manifeste sous différents aspects, sur le plan des principes aussi bien qu’en pratique. Elle est en effet infligée de manière arbitraire, à la suite de procès inéquitables ou dans des cas où la torture a été utilisée, et on l’emploie plus fréquemment contre des personnes appartenant à certains groupes raciaux ou ethniques ou à des groupes économiquement ou socialement défavorisés ou marginalisés.
Dans son combat contre la peine de mort, Amnesty International va s’employer, dans les prochaines années, à mettre en lumière ces injustices.

Au cours de l’année 2003, 1 146 prisonniers, peut-être davantage, ont été exécutés dans 28 pays, et au moins 2 756 personnes ont été condamnées à mort dans 63 pays. Ces chiffres reflètent uniquement les cas dont Amnesty International a eu connaissance et sont certainement en deçà de la réalité. Comme les années précédentes, la grande majorité des exécutions recensées dans le monde se sont déroulées dans un très petit nombre de pays. En 2003, 84 p. cent des exécutions signalées ont eu lieu en Chine, aux États-Unis, en Iran et au Viêt-Nam.

Bien que les normes internationales relatives aux droits humains interdisent le recours à la peine de mort contre des personnes qui étaient âgées de moins de dix-huit ans au moment des faits pour lesquels elles ont été condamnées, quelques pays continuent de condamner à mort et d’exécuter des mineurs délinquants. Dans les années à venir, Amnesty International déploiera des efforts particuliers pour mettre un terme à cette pratique partout dans le monde.
La peine capitale a pratiquement disparu de certaines régions, comme l’Amérique latine, l’Europe et l’Océanie. Dans d’autres parties du monde, ce châtiment est tombé en désuétude et son abolition dans un avenir proche semble tout à fait plausible. En octobre, Amnesty International a lancé une campagne en faveur de son abolition en Afrique de l’Ouest, où seuls quatre pays sur 16 ont procédé à des exécutions au cours des dix dernières années. L’organisation lance un appel aux pays d’Afrique de l’Ouest qui ne l’ont pas déjà fait afin qu’ils déclarent un moratoire sur les exécutions et abolissent la peine de mort de jure.
Avec l’aide de ses membres et en collaboration avec d’autres organisations, Amnesty International continuera de lutter pour débarrasser le monde de la peine capitale.

Promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels

En juin 1993, à Vienne, lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, la communauté internationale s’était engagée à respecter l’ensemble des droits humains, considérés comme « universels, indissociables, interdépendants et intimement liés ». Pourtant, dix ans plus tard, le déni systématique des droits économiques, sociaux et culturels, l’aggravation des injustices au niveau mondial et l’incapacité des gouvernements à réduire sensiblement le nombre de personnes vivant dans un état d’extrême pauvreté sont autant de problèmes majeurs en matière de droits humains.
En étendant son action aux droits économiques, sociaux et culturels, Amnesty International doit surmonter beaucoup de difficultés. L’une d’elles - et ce n’est pas la moindre - découle de la tendance de nombre de personnes et d’États à considérer ces droits comme moins dignes d’attention que les droits civils et politiques. Différentes raisons sont invoquées pour justifier ce point de vue, notamment :
pour préserver les droits sociaux et économiques, il faut disposer de ressources financières ; Amnesty International ne devrait donc pas critiquer les gouvernements qui n’honorent pas leurs obligations dans ce domaine en raison d’un manque de ressources ;
à cause du manque de moyens, notamment, les tribunaux ont des difficultés à faire appliquer la législation relative aux droits économiques et sociaux ; or, si le système judiciaire ne fait pas respecter ces droits, ceux-ci ont forcément moins d’importance ;
_promouvoir ces droits nécessite que les gouvernements mènent des actions constructives, et non qu’ils renoncent simplement à certaines pratiques ; de plus, inciter les gouvernements à agir implique obligatoirement de s’immiscer dans leurs décisions budgétaires ;
la meilleure manière de défendre les droits économiques, sociaux et culturels est de militer pour la liberté d’expression et d’association et pour la participation à la vie politique car, dans un système démocratique et ouvert, les citoyens ont la possibilité de pourvoir à leur besoins essentiels.
L’un des principaux aspects du travail d’Amnesty International sur les droits économiques et sociaux consiste à réfuter ces arguments. Tous les droits humains ne bénéficient certes pas des mêmes garanties, notamment dans le droit international, mais la plupart des objections couramment opposées à la défense des droits économiques et sociaux sont infondées. Tous les droits humains requièrent que les gouvernements prennent des mesures concrètes, entre autres qu’ils engagent des dépenses : par exemple, appliquer les garanties relatives à l’équité des procès implique nécessairement des coûts. D’ailleurs, les tribunaux de nombreux pays rendent régulièrement des décisions concernant le droit à l’éducation, à un logement, à la sécurité sociale ou aux soins médicaux. L’idée selon laquelle certains droits seraient prioritaires ne tient pas compte du fait que tous les droits sont interdépendants et que les libertés politiques ne garantissent pas la justice sociale.
En 2003, le travail d’Amnesty International sur les droits économiques et sociaux a démontré concrètement cette interdépendance des droits humains. Souvent, en effet, les questions auxquelles l’organisation a été confrontée en matière de droits économiques et sociaux résultaient directement de son travail sur les droits civils ou politiques.

Pour se rendre à l’école, les enfants palestiniens doivent franchir le mur édifié par l’armée israélienne dans les Territoires occupés. Le mur/clôture coupe des centaines de milliers de Palestiniens de leur travail, des infrastructures éducatives et médicales, de leur famille et de leurs amis.

Les atteintes aux droits humains commises dans le cadre du conflit israélo-palestinien font l’objet d’abondants récits, portant le plus fréquemment sur des homicides de civils, des détentions arbitraires ou des mauvais traitements. Pour la plupart des Palestiniens, cependant, ces violences s’accompagnent également de restrictions généralisées et arbitraires de leur liberté de mouvement : des villes, des villages et des quartiers entiers sont coupés les uns des autres par les barrages de l’armée israélienne et souvent soumis à un couvre-feu. Même lorsqu’il est possible de se déplacer, les postes de contrôle militaires et les bouclages rendent les trajets difficiles, longs, voire dangereux. Nombre de ces restrictions s’apparentent à des châtiments collectifs ou sont par ailleurs injustifiées. Il est indéniable que la liberté de mouvement et le refus de cette liberté se situent au cœur même des activités menées traditionnellement dans le domaine des droits civils et politiques, mais les entraves à cette liberté ont également, dans le cas des Palestiniens, de profondes répercussions sur leurs droits économiques et sociaux, en premier lieu sur leur capacité à gagner leur vie. Ces mesures ont sérieusement réduit les possibilités de déplacement professionnel ainsi que la circulation des biens et services, et se sont traduites par l’effondrement quasi total de l’économie palestinienne. En 2003, Amnesty International a décrit de manière détaillée ces restrictions et leur impact sur le droit au travail des Palestiniens (voir le document Israël et Territoires occupés. Survivre en état de siège : entraves à la liberté de mouvement et droit au travail , MDE 15/001/2003).
L’action d’Amnesty International visant à dénoncer les atteintes subies par les personnes qui vivent dans les bidonvilles de Luanda, en Angola, a également permis d’illustrer l’interdépendance des droits humains. Ces dernières années, l’organisation avait signalé les brutalités et les arrestations dont étaient victimes ceux qui se mobilisaient pour que le gouvernement ne les expulse pas arbitrairement de leur logement. En 2003, Amnesty International s’est attachée à démontrer l’illégalité de ces expulsions, en soulignant qu’elles ne respectaient pas les garanties prévues par la loi ni les droits des habitants concernés.
De même, Amnesty International attire depuis longtemps l’attention sur la discrimination qui affecte les minorités au sein du système judiciaire, en particulier en ce qui concerne l’application de la peine de mort et les mauvais traitements en garde à vue. En 2003, au Kosovo (Serbie-et-Monténégro), en Bulgarie et en Thaïlande, l’organisation a pris des mesures pour lutter contre la discrimination visant les minorités et les groupes marginalisés en matière de droits économiques et sociaux fondamentaux tels que l’éducation, le logement, le travail et la santé.
La notion d’interdépendance des droits humains peut paraître abstraite, mais elle signifie simplement qu’il est difficile d’améliorer durablement un seul droit sans tenir aussi compte des autres. Par exemple, le droit de participer à la vie politique dépend de la liberté des médias, mais aussi du droit à l’éducation ; les droits aux soins médicaux, à la sécurité sociale ou à un niveau de vie correct sont mieux respectés lorsqu’il existe un appareil judiciaire équitable et efficace. Amnesty International s’emploiera à démontrer ces interdépendances et à défendre ainsi une vision globale de la protection des droits humains. Cette démarche revêtira une importance particulière dans les problèmes de droits humains qui sont liés à l’extrême pauvreté.
La persistance de ce fléau et, plus spécifiquement, le fait que plus d’un milliard de personnes en souffrent constituent un problème bien connu, dont on s’accorde à dire que seule une action mondiale peut venir à bout. Tous les États membres et de nombreux organes des Nations unies, ainsi que les institutions financières internationales, se sont engagés, à travers la Déclaration du Millénaire, à s’occuper de la question de l’extrême pauvreté.
La Déclaration universelle des droits de l’homme et les normes internationales ultérieures renferment la promesse d’une certaine dignité de vie : chaque personne devrait avoir un niveau de vie correct et jouir des droits essentiels - à l’alimentation, à l’eau, à un logement, à l’éducation, à un travail et aux soins de santé notamment - qui transforment cette promesse en réalité. La pauvreté bafoue ces droits et, partant, la dignité humaine.

Quelque 15 000 personnes écoutent le président du Comité exécutif international d’Amnesty International au Forum social mondial, à Porto Alegre (Brésil).

Ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté subissent en outre des atteintes aux droits humains résultant de la marginalisation et de l’exclusion qui s’abattent sur la population démunie dans toutes les sociétés. Ils sont vulnérables à l’exercice arbitraire du pouvoir par l’État, qui entraîne des violations de l’ensemble des droits humains. Pour défendre leurs droits, les gens doivent pouvoir se tourner vers la police, les tribunaux et les services administratifs, et être traités en toute équité par ces institutions. Or, les personnes démunies sont trop souvent privées de cette possibilité et elles se heurtent fréquemment à une discrimination de la part des acteurs institutionnels.

Amnesty International s’est développée avec l’objectif de dénoncer les injustices. L’organisation estime que le cadre des droits humains peut et doit être utilisé pour combattre les inégalités sociales avec la même rigueur qui a caractérisé la lutte contre les injustices politiques et civiles. Pour atteindre ce but, Amnesty International essaiera de veiller à ce que les groupes marginalisés ou exclus aient davantage accès aux institutions qui doivent défendre leurs droits, et dénoncera les discriminations dont souffrent ces personnes devant ces instances. L’organisation militera également pour que tous les gouvernements, au niveau mondial, reconnaissent et assument leur obligation de venir à bout de l’extrême pauvreté et de respecter les droits économiques et sociaux fondamentaux.

Mettre fin à la violence contre les femmes

En 2003, Amnesty International a intensifié son travail contre les violations des droits des femmes et approfondi son analyse concernant les effets des violences fondées sur le genre qui sont commises au foyer et dans la collectivité par des particuliers, des groupes ou des agents de l’État. L’organisation a poursuivi son travail visant à attirer l’attention de l’opinion publique sur ce type de violence, dans des pays aussi différents que l’Afghanistan, l’Irak ou la République démocratique du Congo.
Les rapports publiés et les recherches menées en 2003 ont fait apparaître un problème majeur : le décalage qui peut exister entre le moment où des violences sexuelles se produisent, qu’elles soient ponctuelles ou généralisées, et le moment où elles sont signalées. Il s’écoule parfois plusieurs années avant qu’un acte ne soit révélé.

D’anciennes « femmes de réconfort » sud-coréennes, utilisées comme esclaves sexuelles par l’armée impériale japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale, demandent réparation pour le préjudice subi.

Un certain nombre de facteurs peuvent empêcher les femmes d’exprimer leurs souffrances : la discrimination, l’opprobre, voire la crainte d’être tuées par leurs proches. L’indifférence ou l’inefficacité du système judiciaire, la répression des autorités et la passivité de l’opinion publique peuvent également contribuer à ce que de nombreuses années s’écoulent avant que les femmes demandent réparation. Ce décalage dans le temps peut susciter de vives préoccupations quant à l’équité du procès des individus mis en cause. En revanche, lorsque l’État est directement impliqué, de telles préoccupations n’ont pas lieu d’être. Le Japon s’était ainsi rendu coupable d’esclavage sexuel à l’égard de milliers de « femmes de réconfort » pendant la Seconde Guerre mondiale ; en juin, Amnesty International a soutenu publiquement le droit des victimes à exiger réparation auprès du gouvernement nippon. En avril, la Cour suprême du Japon avait rejeté l’appel d’un groupe de « femmes de réconfort » sud-coréennes qui souhaitaient obtenir une indemnisation de l’État japonais.

Agnes Siyiankoi, la première femme masaï à avoir traduit son mari en justice parce qu’il la battait. En octobre 1998, un magistrat kenyan a déclaré son époux coupable et l’a condamné à six mois d’emprisonnement ainsi qu’à une amende. Pour avoir eu le courage de parler, Agnes Siyiankoi a été très critiquée et accusée de trahir la culture masaï.

Au mois de juillet, Amnesty International a publié un rapport sur des allégations faisant état du viol de centaines de Kenyanes par des soldats britanniques dans les années 60 et 70 ; les faits auraient eu lieu dans les zones du centre du Kenya utilisées par l’armée britannique comme bases d’entraînement. L’organisation a demandé qu’une enquête publique soit ouverte sur l’indifférence manifeste de l’État face aux plaintes récentes et récurrentes.
Même lorsque les demandes de réparation ont été déposées en temps voulu et que les plaignants ont insisté, il est arrivé que l’État n’a pas pris de mesures concrètes. À Ciudad Juárez et à Chihuaha, dans le nord du Mexique, les violences infligées à des jeunes femmes ces dix dernières années et les carences systématiques de l’État en matière de protection ont donné lieu à la publication d’un important rapport d’Amnesty International en août. Ce document mettait également en évidence le rôle de la mondialisation dans cette situation : des manufactures se sont implantées dans la zone de libre-échange où se situe Ciudad Juárez et ont attiré des femmes à la recherche d’emploi ainsi que de nombreuses personnes venant des régions les plus pauvres du Mexique. C’est dans cet environnement, caractérisé par un manque de réglementation et une absence de justice, que des centaines de femmes ont été tuées. Les associations féminines et les mouvements de défense des droits humains, mais surtout les familles des femmes portées disparues ou tuées, poursuivent leur lutte héroïque afin d’obtenir l’ouverture de véritables enquêtes et de forcer l’État à rendre des comptes au sujet de son incapacité à empêcher ces crimes et à punir leurs auteurs. D’intenses pressions nationales et internationales - notamment la campagne d’Amnesty International basée sur ce rapport et la visite d’Irene Khan, secrétaire générale de l’organisation, qui a rencontré des représentants des autorités et le président Vicente Fox - ont poussé le gouvernement à entreprendre des actions importantes pour tenter de remédier à cette situation. Mais les femmes de Ciudad Juárez et de Chihuaha devront encore attendre longtemps pour que la justice et la sécurité soient garanties.
En décembre, Amnesty International a publié un rapport consacré aux effets psychologiques, sociaux et économiques constatés chez les femmes dont le mari a « disparu » après avoir été arrêté par les forces de sécurité dans la région de la Casamance, au Sénégal. Cette étude montrait combien ces femmes souffrent de ces morts non officielles, de l’absence de réparation judiciaire, de l’impossibilité de faire leur deuil et de l’insécurité économique provoquée par cette situation (elles ne touchent aucune pension ou compensation financière). Le rapport décrivait également le cas de victimes de viols qui se sont vu refuser une assistance physique et psychologique digne de ce nom et n’ont bénéficié d’aucune réparation.
Début 2003, Amnesty International a publié un compte rendu sur les violences sexuelles infligées à des détenues en Turquie. L’organisation a également décrit de manière détaillée les conséquences pour les collectivités lorsque de tels actes sont perpétrés par des agents de l’État, et a exhorté le gouvernement, la police et les autorités judiciaires à s’attaquer à la violence contre les femmes en détention.
Amnesty International cherche également à sensibiliser l’opinion publique aux conséquences qu’ont sur les femmes les arrestations et les détentions sans inculpation ni jugement dont des centaines d’hommes ont été victimes, dans de nombreux pays, au nom de la « guerre contre le terrorisme ».
L’insécurité résultant des interventions militaires en Afghanistan et en Irak a eu des implications particulièrement néfastes pour les femmes. Bien que les situations de ces deux pays soient très différentes, l’effondrement des institutions étatiques a accru le risque que les femmes soient victimes de violences dans leur communauté locale, que celles-ci soient commises par des groupes armés ou des proches. En Afghanistan, certaines détenues couraient également le risque d’être tuées si elles étaient remises en liberté. Amnesty International a demandé que les femmes accusées de zina (relations sexuelles illicites) et menacées par leur famille soient placées dans des centres de protection ou des foyers spécifiques, et non plus en prison.
Amnesty International a prié instamment les nouvelles autorités d’Afghanistan et d’Irak de mettre en place et d’appliquer des lois protégeant les droits de tous les citoyens, en particulier ceux des femmes et des jeunes filles.
En Afrique, l’organisation a signalé des atteintes généralisées aux droits des femmes, y compris des homicides, des tortures, des viols et d’autres formes de violence sexuelle. Le conflit en République démocratique du Congo (RDC), qui a fait plus de trois millions de morts, s’est caractérisé par un nombre de viols collectifs pratiquement jamais égalé dans le monde. Amnesty International a demandé que les autorités de la RDC et le procureur de la Cour pénale internationale ouvrent des enquêtes sur ces faits.
Un rapport d’Amnesty International sur les enfants soldats en RDC a révélé le lourd tribut qu’ont dû payer les jeunes filles et les femmes pendant ce conflit. De nombreuses adolescentes ont expliqué qu’elles avaient été enlevées et enrôlées de force dans un groupe armé pour combattre au front. La plupart d’entre elles disent avoir été violées et exploitées sexuellement par leurs supérieurs et d’autres soldats de leur unité.
Dans les Territoires occupés comme en RDC, certains éléments montrent que dans les situations de conflit les femmes subissent des violences accrues non seulement de la part de l’État ou des combattants, mais également de la part de leur famille.
L’un des nouveaux axes de travail qui se développent au sein d’Amnesty International consiste à dénoncer les conséquences de cette violence sur la santé des femmes - notamment dans le contexte de l’extension du VIH et de la pandémie du sida qui frappent l’Afrique orientale et australe. Il s’agit aussi de faire pression pour améliorer l’accès des victimes aux soins et aux médicaments, ainsi qu’à la justice. D’autres organisations ont centré avec un succès grandissant leurs campagnes locales et internationales sur la délivrance non discriminatoire de médicaments et des services médicaux indispensables. Pour sa part, Amnesty International continuera à suivre de près les restrictions imposées à l’exercice des droits civils et politiques et les attaques dont les défenseurs des droits humains, et notamment les personnes qui dispensent des soins de santé, font l’objet alors qu’ils essayent de diffuser des informations sur les pratiques sexuelles protégées ou d’assurer l’accès aux soins.
Amnesty International estime que la pénalisation des rapports sexuels entre adultes consentants est totalement injustifiée et considère comme des prisonniers d’opinion les personnes incarcérées pour ces motifs. Par ses travaux, elle a révélé qu’au Nigéria des lois promulguées dans certaines régions du pays font encourir la peine de mort aux femmes enceintes à la suite de rapports sexuels hors mariage. En 2003, devant la Commission des droits de l’homme des Nations unies, Amnesty International a fait pression sur les gouvernements afin qu’ils adoptent une résolution proposée par le Brésil aux termes de laquelle l’orientation sexuelle ne saurait constituer un motif de discrimination. L’examen de cette proposition a été ajourné mais l’organisation s’est engagée à soutenir la résolution, ou toute initiative similaire, en 2004.
Amnesty International continue à faire campagne pour démontrer la responsabilité de l’État dans les atteintes aux droits humains commises par des particuliers, lorsque les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour traduire en justice les auteurs présumés de ces actes ou pour protéger les victimes. En 2003, la section espagnole a publié un rapport intitulé No hay excusa qui analyse les lacunes et les déficiences de la législation nationale et des moyens offerts aux femmes risquant de subir des violences de la part de la personne avec laquelle elles vivent.
Au Royaume-Uni, des militants d’Amnesty International ont analysé la politique qui consiste à refuser toute assistance aux femmes réfugiées exposées à la violence domestique, ou aux femmes dont la nationalité est incertaine et dépend de l’existence de liens matrimoniaux.
L’organisation poursuit son étude des lois sur la violence domestique et les infractions sexuelles dans de nombreux pays. Elle a déjà fait part de ses commentaires sur les normes nécessaires pour faire respecter les droits fondamentaux des femmes dans les nouvelles législations ou les projets de constitution dans deux pays en situation d’après-conflit, l’Afghanistan et l’Irak, ou encore en Turquie, au Swaziland et en Afrique du Sud.
Amnesty International s’emploiera à promouvoir la définition du viol selon la Cour pénale internationale et à favoriser son intégration dans les législations nationales. Elle continuera également à faire campagne pour que les États ratifient les traités internationaux dans ce domaine, notamment le Protocole facultatif à la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Amnesty International lancera en 2004 une campagne mondiale intitulée Halte à la violence contre les femmes. Essentiellement axée sur la violence au sein de la famille et dans les situations de conflit et d’après-conflit, cette action permettra aux membres de l’organisation de travailler sur un ensemble de thèmes connexes, d’insister plus fortement sur la dimension de genre dans les travaux en cours, et d’analyser et de contrer les multiples formes de discrimination auxquelles sont confrontées les femmes victimes de violences liées au genre.
La campagne pour le contrôle des armes lancée en octobre dans 63 pays par Amnesty International, Oxfam et le Réseau d’action international sur les armes légères (RAIAL) fournit également l’occasion d’établir une relation entre une militarisation croissante, la prolifération des armes légères et autres armes classiques et les atteintes aux droits humains, notamment la violence contre les femmes.

Côte d’Ivoire. Femme assise devant sa maison détruite lors du conflit qui a éclaté en septembre 2002.

Défendre les droits des réfugiés et des migrants
Les migrations forment depuis toujours une composante essentielle des phénomènes humains. Elle résultent d’un ensemble de facteurs, certains d’ordre social ou économique, d’autres liés à la nécessité de fuir un conflit armé ou des atteintes aux droits humains. Sur l’ensemble de la population mondiale, soit 6,3 milliards de personnes, on compte environ 175 millions de migrants, dont plus de 14 millions de réfugiés, à peine plus d’un million de demandeurs d’asile et quelque 25 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
À certains égards, il est devenu plus facile de se déplacer pour un grand nombre de personnes. Pour certains, la mondialisation économique a été synonyme de nouvelles opportunités. Pour d’autres en revanche, les possibilités de migration légale se sont restreintes et les solutions illégales, aux mains des passeurs et des trafiquants d’êtres humains, sont devenues de plus en plus risquées. Bien que seulement 3 p. cent environ des habitants de la planète vivent en dehors de leur pays d’origine, la dynamique migratoire est rapidement devenue l’une des caractéristiques les plus saillantes du monde contemporain.
Ces dernières années, le débat sur les droits des réfugiés, des migrants et des personnes déplacées s’est radicalisé et a donné lieu à des polémiques toujours plus importantes. Cette question a fait l’objet d’une couverturemédiatique excessive et abusivement négative. La volonté politique de protéger les réfugiés marque un net recul depuis une décennie, et 2003 n’a pas constitué une exception à cette tendance. De nombreux responsables politiques n’ont pas manqué d’entretenir les inquiétudes de l’opinion quant à la menace que constituerait le développement de l’immigration pour l’identité ou le mode de vie national. Aussi bien dans les États développés que dans les pays en développement, les réactions à l’arrivée d’immigrés ou de réfugiés ont souvent été teintées de xénophobie et de racisme.
Quelles que soient les décisions politiques, le fait est que des migrants continueront à traverser les frontières, qu’ils en aient ou non l’autorisation. Certains tenteront de déposer une demande d’asile. Si elles sont trop strictes, les mesures de contrôle de l’immigration ou celles destinées à renforcer la sécurité nationale risquent de faire basculer un nombre croissant de personnes dans la clandestinité et de les priver de toute protection légale. Les « déracinés » sont en effet vulnérables à de multiples atteintes à leurs droits fondamentaux, notamment ceux qui, faute d’autre possibilité, se tournent vers les trafiquants d’êtres humains.
Pour répondre aux nouveaux défis dans ce domaine et jeter les bases d’un changement constructif pour la décennie à venir, Amnesty International a cherché, en 2003, à identifier et mettre en évidence les principaux aspects des lois et des politiques ayant un impact négatif sur les droits des personnes qui ont quitté leur foyer, qu’il s’agisse de réfugiés, de demandeurs d’asile ou de migrants.
À titre d’exemple, à la suite des récents changements de régime en Afghanistan et en Irak, certains États ont tenté de préparer le retour de réfugiés et de demandeurs d’asile afghans ou irakiens dans leur pays d’origine, bien que les conditions en matière de droits humains et de sécurité ne justifiaient absolument pas une telle démarche. Amnesty International a exprimé ses préoccupations quant au caractère prématuré de ces initiatives et s’est inquiétée de savoir si ces retours s’effectuaient, ou s’effectueraient, sur une base volontaire et de manière durable. L’organisation a également insisté sur la nécessité, lorsque le changement dans un pays résulte d’un renversement par la force du régime en place, d’analyser encore plus rigoureusement les conditions en matière de sûreté, de sécurité et de droits humains, car il est extrêmement difficile de prévoir si ce changement est durable ou non.
En Côte d’Ivoire, la xénophobie a largement contribué à déclencher le conflit au cours duquel, pendant un an, des réfugiés, notamment libériens, ont été pris pour cible, tout comme des travailleurs émigrés originaires d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, tel le Burkina Faso. Beaucoup de Burkinabè résidaient en Côte d’Ivoire depuis plusieurs générations. Depuis le début de la crise, en septembre 2002, un grand nombre d’entre eux ont été contraints de quitter leur foyer et certains ont même dû gagner leur pays d’origine, où ils n’avaient aucune réelle attache sociale ou économique. Arrivés sur une terre où ils n’avaient, pour la plupart, jamais mis les pieds, ils se sont retrouvés dans la situation peu commune d’être des réfugiés dans leur propre pays. Amnesty International a décrit les risques que courent les étrangers dans les conflits à motivation xénophobe, et a fait part de ses craintes concernant l’absence de protection, aussi bien sur un plan pratique que juridique et politique, des réfugiés et des immigrés déplacés de force par ces conflits.
Début 2003, le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE) et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ont effectué des propositions différentes, mais apparentées, en vue d’établir des dispositifs extraterritoriaux chargés du traitement des dossiers des demandeurs d’asile arrivant dans les pays de l’UE. Il s’agirait de placer certains requérants dans des centres fermés, où leur demande serait étudiée. La proposition britannique, la plus sujette à controverse, prévoyait d’installer ces centres en dehors du territoire de l’UE et visait clairement à contourner les obligations internationales en matière de protection des réfugiés. Amnesty International a craint que cette initiative ne donne naissance à une version européenne à peine modifiée de la « solution du Pacifique », une politique critiquée mise en œuvre par le gouvernement australien, et que les solutions de compromis éventuelles n’atténuent qu’insuffisamment la menace pesant sur le droit d’asile. En juin, peu avant le sommet réunissant les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’UE à Salonique (Grèce), et alors qu’allait s’ouvrir une importante réunion au HCR (le Forum du haut-commissaire), Amnesty International a donc publié un rapport dans lequel elle faisait état de ses craintes. Il apparaît clairement que l’intervention d’Amnesty International a pesé sur les décisions de certains pays quant à la suite à donner à ces « nouvelles approches » en matière de traitement des demandes d’asile.

Des membres d’Amnesty International de 22 pays d’Asie participent à une marche vers la résidence du Premier ministre australien, John Howard, à Sydney. Ils exigent la libération des enfants réfugiés ou demandeurs d’asile détenus dans des camps des îles du Pacifique (juillet 2003).

Les pays industrialisés continuent à chercher de nouveaux moyens et des voies innovantes leur permettant de se soustraire à leurs obligations vis-à-vis des réfugiés ; dans cette optique, ils avancent avec une insistance grandissante l’argument de la possibilité de refus de protection au motif que les demandeurs d’asile auraient pu trouver une « protection efficace » ailleurs. Certains États tentent ainsi de modeler un concept de « protection efficace » leur permettant de renvoyer les demandeurs d’asile vers les pays de premier accueil ou vers ceux par lesquels ils ont transité. Amnesty International estime que la plus grande clarté doit entourer cette notion de « protection efficace », en théorie comme en pratique, et qu’il faut veiller à ce que cette doctrine ne soit pas nivelée par le bas pour rendre certaines réalités acceptables. L’organisation continuera à défendre une approche conforme aux principes en matière de droits humains.
Il est de plus en plus manifeste qu’Amnesty International doit élargir son action afin d’englober la promotion et la protection des droits des migrants, pour faire obstacle à la pratique de nombreux États qui tendent à placer ces personnes dans des catégories où elles sont exclues de la reconnaissance, sur un plan politique aussi bien que juridique, de leurs droits fondamentaux.
Les droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants continuent d’être bafoués, au départ, en transit, à l’arrivée, pendant le séjour ou au retour. Parmi les atteintes les plus courantes, on peut citer la discrimination, essentiellement motivée par le racisme et la xénophobie, la détention arbitraire, ainsi que diverses formes d’exploitation.
Depuis la fin de la guerre froide, le rôle des facteurs économiques, sociaux et culturels dans le déclenchement des conflits et des migrations qui en résultent s’est dessiné de plus en plus clairement. Ces facteurs, et les droits qui leur correspondent, posent des problèmes grandissants dans les pays d’asile et de transit. Afin de dissuader les nouveaux arrivants, des États tels que l’Australie, le Danemark et le Royaume-Uni ont ainsi délibérément durci leur politique d’accueil à l’égard des migrants et des demandeurs d’asile, violant leurs droits à un niveau de vie adéquat.
Le recul marqué de la volonté politique de protéger les réfugiés est aggravé dans certains grands États par une volonté moindre de protéger les droits humains en général, et ceux des étrangers en particulier. Cette tendance représente un défi considérable pour le mouvement de défense des droits humains.
Amnesty International, comme d’autres organisations, devra persuader les responsables politiques, les dirigeants et l’opinion publique qu’il est impératif de préserver le droit d’asile, de combattre la discrimination contre les réfugiés et les migrants et de protéger leurs droits économiques, sociaux et culturels. Il faudra également que la communauté internationale mette en place des dispositifs efficaces pour protéger ces droits et remédier aux situations qui y portent atteinte.

« Je suis très reconnaissant pour toute l’assistance qu’Amnesty International m’a accordée pendant ma longue détention. Je me suis senti très proche des membres de toutes les sections d’AI du monde à travers les cartes [...] d’encouragement que j’ai reçues [...] Ils ne peuvent peut-être pas s’imaginer un seul instant le courage, le réconfort moral, la protection et le bonheur que ces cartes m’ont procurés. Des lettres sont tombées sur les tables de toutes les autorités compétentes, demandant soit ma libération soit mon transfert dans un centre médical [...] Ces lettres m’ont procuré une grande protection. [...] Je resterai à jamais reconnaissant envers tous les amies et amis membres de toutes les sections et les membres de l’équipe du Secrétariat international d’AI. Je réserve une particulière gratitude à la section française d’AI, qui m’a envoyé à deux occasions une assistance sociale sans laquelle je n’aurais pas tenu le coup en prison, car nous mangions et nous nous soignions à nos propres frais. »
Lettre de N’sii Luanda Shandwe, République démocratique du Congo

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