Afghanistan

ÉTAT ISLAMIQUE D’AFGHANISTAN
CAPITALE : Kaboul
SUPERFICIE : 653 225 km_
POPULATION : 23,9 millions
PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT DE TRANSITION : Hamid Karzaï
PEINE DE MORT : maintenue
CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : ratifiée
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : non signé

La dégradation de la situation en matière de sécurité a mis à mal les droits fondamentaux de la personne. Cette année encore, des atteintes graves à ces droits ont été commis et le conflit armé s’est poursuivi dans de nombreuses régions. Le système judiciaire, qui est resté inefficace, a constitué une source de violations plutôt qu’un moyen de rendre la justice ; les femmes et les jeunes filles étaient tout particulièrement victimes de discrimination. La police souffrait du manque de formation du personnel, dont les salaires étaient insuffisants, ainsi que de l’absence de structures de contrôle. Les conditions carcérales étaient déplorables et des prisonniers ont été maintenus en détention prolongée avant d’être présentés à un juge. Les femmes et les jeunes filles ont été exposées à des violences de grande ampleur. Les groupes armés auraient fréquemment eu recours au viol et à d’autres violences sexuelles. La violence domestique et familiale, ainsi que les mariages forcés, parfois imposés à de très jeunes filles, étaient monnaie courante. Des atteintes aux droits humains commises dans le passé n’ont donné lieu à aucune poursuite et la communauté internationale n’a pas fourni les moyens nécessaires pour permettre d’accomplir des progrès dans ce domaine. Les membres de la coalition dirigée par les États-Unis ont placé des personnes en détention arbitraire dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Le retour des réfugiés depuis les pays voisins s’est poursuivi, mais à un rythme très ralenti, en raison notamment de craintes pour la sécurité, l’emploi et le logement. Le caractère apparemment non volontaire des retours du Pakistan et d’Iran a constitué un sérieux motif de préoccupation.

Contexte

Les conditions de sécurité ont continué de se dégrader dans tout le pays et plus particulièrement dans le Nord, le Sud et le Sud-Est. Le gouvernement central ne contrôlait pratiquement que Kaboul. Des groupes armés locaux et des commandants régionaux, dont certains étaient toujours soutenus par les États-Unis, ont consolidé leurs bases de pouvoir et agi en toute impunité dans les zones qu’ils contrôlaient. Plusieurs projets pilotes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion lancés en octobre n’avaient pratiquement pas progressé à la fin de l’année.
Des affrontements sporadiques ont opposé différentes factions armées dans tout le pays. Des groupes armés ont commis des atteintes graves aux droits humains dans certaines régions qu’ils contrôlaient : enlèvements, détentions arbitraires dans des prisons privées, confiscations de terres et de biens, viols, enlèvements de femmes et de jeunes garçons et filles, conscription forcée des hommes et des jeunes gens figuraient parmi les violences infligées.
En octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) à opérer en dehors de Kaboul, à la suite d’appels répétés du gouvernement de transition et du secrétaire général des Nations unies, ainsi que d’organisations non gouvernementales internationales et locales. Toutefois, l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), qui a pris le commandement de la FIAS en août, a éprouvé certaines difficultés à obtenir des États membres qu’ils s’engagent à fournir les troupes supplémentaires requises pour cette mission. Une délégation des ambassadeurs auprès du Conseil de sécurité s’est rendue en Afghanistan en novembre. La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA), créée en mars 2002, a continué d’obtenir des résultats mitigés dans ses efforts de soutien à la mise en œuvre de l’accord de Bonn, conclu en décembre 2001 ; elle a en outre subi des critiques pour n’avoir pas vraiment intégré les droits humains dans ses activités. La Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan, établie en juin 2002, a accompli des progrès considérables bien que son action ait parfois été entravée par des responsables gouvernementaux. L’économie et les infrastructures n’ont pas connu d’amélioration significative. Le travail des enfants demeurait très répandu et n’était soumis à aucun contrôle. La production de stupéfiants, organisée et contrôlée par des commandants régionaux et des groupes armés, a augmenté, entraînant une hausse de la criminalité et, par voie de conséquence, des atteintes aux droits humains.

Élaboration de la Constitution

La réunion de la Loya Jirga (Assemblée tribale suprême) qui devait adopter une nouvelle constitution a été reportée jusqu’en décembre. Ce retard a menacé le déroulement du processus électoral, prévu pour s’achever en juin 2004. Il était à craindre que le projet de constitution ne soit pas conforme aux normes internationales. Selon certaines sources, la sélection des délégués à la Loya Jirga constituante s’est déroulée dans un climat d’intimidation et de menaces.

Inefficacité de la justice
La justice pénale est restée inefficace. Pour certains, la richesse et les relations avec le pouvoir ont constitué un gage d’impunité ; d’autres, plus démunis, ont été victimes d’une justice arbitraire. Le programme d’assistance judiciaire que la communauté internationale s’était engagée à mettre en œuvre manquait de direction stratégique et son démarrage a été retardé. Les policiers n’ont pas protégé les droits fondamentaux et ont souvent commis eux-mêmes des violations de ces droits. Le non-paiement des salaires, le manque de formation et l’absence de structures de commandement et de supervision ont favorisé un climat dans lequel des violations des droits humains ont continué à être commises en toute impunité. Des personnes ont été maintenues en détention prolongée, parfois pendant plus d’un an, avant d’être présentées à un juge. La police a fréquemment eu recours à la torture et à la détention arbitraire pour arracher des « aveux » ou extorquer de l’argent.
Les tribunaux mis en place étaient précaires et manquaient des moyens les plus élémentaires, tels que locaux, mobilier et textes juridiques. Les normes d’équité étaient régulièrement bafouées : les accusés ne bénéficiaient pratiquement jamais de l’assistance d’un avocat, la présomption d’innocence n’était pas respectée et les condamnations reposaient le plus souvent sur des preuves infimes voire inexistantes. De nombreux juges n’avaient pas reçu la formation requise ou n’étaient pas compétents et le système judiciaire restait très politisé. Dans beaucoup de régions, les juges et les procureurs indépendants ne pouvaient exercer leurs fonctions en toute impartialité en raison de rivalités politiques locales ou de menaces proférées par des groupes armés. Dans bien des zones rurales, la plupart des litiges, y compris les crimes tels que le meurtre, ont été arbitrés par des jirgas ou shuras (système traditionnel de justice non institutionnelle). Les femmes ont fait l’objet d’une discrimination particulière dans les systèmes de justice tant institutionnel que traditionnel.
Amnesty International a salué le transfert de l’administration des prisons du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice. Toutefois, les conditions de détention sont restées éprouvantes dans tout le pays. Dans certains cas, des personnes étaient détenues dans des maisons privées. Les prévenus étaient incarcérés avec les condamnés et, dans de nombreuses régions, il n’existait pas de locaux séparés pour les femmes et les mineurs, qui étaient ainsi davantage exposés aux agressions sexuelles, entre autres. Le personnel pénitentiaire, insuffisamment formé, est resté plusieurs mois sans être payé.

Restrictions aux droits légaux et sociaux des femmes
Une avancée d’importance pour les droits des femmes a eu lieu en mars, avec la ratification sans réserve par l’Afghanistan de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Toutefois, l’inégalité entre les sexes restait inscrite dans la législation nationale, notamment en matière de mariage et de divorce. Dans certaines régions du pays, l’emprisonnement des femmes accusées d’adultère et de celles qui tentaient de choisir leur mari constituait une pratique courante. L’accès des femmes aux soins médicaux, à l’éducation et aux ressources économiques demeurait extrêmement limité, notamment dans les régions rurales. Cette situation était aggravée par les restrictions culturelles imposées à leur liberté de mouvement et à leurs relations avec des hommes étrangers à la famille.

Violence contre les femmes
Comme les années précédentes, les femmes et les jeunes filles ont été victimes d’actes de violence de grande ampleur. Les viols et les agressions sexuelles imputables aux membres des factions armées et aux ex-combattants étaient, semble-t-il, monnaie courante. Les mariages forcés, imposés notamment aux très jeunes filles, et les violences domestiques, entre autres, restaient très répandus. Ces actes étaient perpétrés avec le soutien actif ou la complicité passive des agents de l’État, des groupes armés, des familles et des communautés locales.
Dans certaines régions, la tradition continuait d’être invoquée pour justifier des cas de mort violente : des femmes et des jeunes filles accusées d’avoir commis un adultère ou de s’être enfuies avec un homme auraient été tuées par leur famille. L’adultère, la fugue et les rapports sexuels illicites (entre un homme et une femme non mariés) étaient considérés comme des crimes de zina (relations sexuelles hors mariage) et donnaient lieu à des poursuites judiciaires. Des femmes accusées de zina et emprisonnées risquaient d’être tuées par leurs proches si elles étaient remises en liberté. Les victimes de viol pouvaient être accusées de zina si elles n’étaient pas en mesure de prouver leur absence de consentement, et elles avaient peu d’espoir que justice leur soit rendue. Il était pratiquement impossible aux femmes d’obtenir le divorce pour violences physiques, même si elles fournissaient des preuves de brutalités graves commises au sein de la famille.
Dans de nombreuses régions rurales, des échanges de femmes et de jeunes filles ont continué d’être pratiqués pour régler des conflits au sein des communautés locales ou des affaires de meurtre ou de fugue. Les femmes et les jeunes filles échangées dans ces conditions étaient mariées à un membre de la famille de la victime.
Le système judiciaire lui-même, toujours trop faible pour garantir efficacement le droit des femmes à la vie et à la sécurité physique, exposait celles-ci à la discrimination et à la menace de voir leurs droits bafoués. Des poursuites n’étaient que rarement engagées pour des actes de violence, et les mesures de protection pour les femmes gravement menacées étaient pratiquement inexistantes. Celles, peu nombreuses, qui sont parvenues à surmonter des obstacles énormes pour obtenir réparation ont rarement eu la possibilité de voir leur plainte prise en considération ou de faire valoir leurs droits. Les femmes détenues dans des postes de police ou des prisons ne bénéficiaient d’aucune protection contre les agressions sexuelles. Selon des informations non confirmées, à Hérat, à Mazar-e Charif et à Kaboul des détenues auraient été victimes de violences sexuelles.

Harcèlement de journalistes
Le pays comptait de nombreux journaux, magazines et stations de radio indépendants, mais les journalistes étaient régulièrement menacés pour avoir critiqué les autorités.
_À la suite de la parution d’un article dénonçant l’intervention de la religion dans la politique, Sayed Mirhassan Mahdavi, rédacteur en chef du quotidien Aftab, et Ali Payam Sistani, maquettiste travaillant pour ce journal, ont été arrêtés le 17 juin et accusés d’avoir « insulté l’islam ». Ils ont été remis en liberté une semaine plus tard, mais le président Karzaï a déclaré qu’ils seraient jugés. Ces deux hommes se sont exilés après leur libération.

Impunité pour les atteintes aux droits humains commises dans le passé
Bien que l’Afghanistan ait ratifié en février le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), peu d’initiatives ont été prises pour traduire en justice les auteurs d’atteintes graves aux droits humains commises dans le passé. Nombre de titulaires de postes gouvernementaux au niveau central et régional auraient été impliqués dans des atteintes aux droits humains et au droit humanitaire commises au cours de vingt-trois années de conflit armé. Beaucoup d’entre eux étaient apparemment liés à des groupes armés qui continuaient de se livrer à des exactions.
La communauté internationale s’est montrée réticente à prendre des mesures concrètes pour obliger les auteurs d’atteintes passées aux droits humains à rendre compte de leurs actes, et la MANUA s’est tenue à l’écart de cette question. En février, le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires a proposé la désignation d’une commission internationale chargée d’enquêter sur les atteintes aux droits fondamentaux perpétrées depuis 1978 en Afghanistan. La Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan avait appuyé cette proposition, mais la majorité des gouvernements s’y sont opposés ; la Commission des droits de l’homme des Nations unies ne l’a donc pas reprise à son compte. Malgré cet échec, la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan a continué de recenser les atteintes commises dans le passé ; elle a en outre sollicité une formation et une aide technique spécifique pour mener les enquêtes et des actions de surveillance.

Violations des droits humains imputables aux forces de la coalition dirigée par les États-Unis
Les forces de la coalition dirigée par les États-Unis, qui ont poursuivi leurs opérations militaires dans différentes régions du pays, ont procédé à des mises en détention arbitraires. Des hommes et des adolescents ont été arrêtés, placés en détention et transférés sans avoir été inculpés et en l’absence de toute procédure légale leur permettant de contester la légalité de leur détention. Des informations ont fait état de mauvais traitements infligés dans des centres de détention gérés par les États-Unis en Afghanistan. Les conclusions de l’enquête militaire interne menée sur la mort en détention de deux prisonniers, en décembre 2002, apparemment à la suite de mauvais traitements, n’ont pas été rendues publiques.
Des civils auraient été tués au cours de bombardements effectués par les États-Unis et leurs alliés. Au mois d’avril, Amnesty International a réclamé l’ouverture immédiate d’une enquête sur la mort de quatre hommes et sept femmes, tués lorsqu’une bombe a atteint leur maison, près de Shkin (province du Paktika). En décembre, 15 enfants ont été tués dans deux bombardements distincts effectués par les forces américaines.

Réfugiés et personnes déplacées
Les personnes réfugiées dans les pays limitrophes ont continué de rentrer en Afghanistan, mais en nombre beaucoup moins important que les années précédentes, en grande partie du fait de l’insécurité et du manque d’emplois et de logements. Le caractère apparemment non volontaire des retours d’Iran et du Pakistan a suscité de profondes inquiétudes en raison de la politique officielle d’expulsion (en Iran) et du harcèlement policier (au Pakistan). Le 28 avril, le Royaume-Uni a expulsé vers Kaboul 21 demandeurs d’asile déboutés. Le 20 mai, un second vol a été affrété pour transporter 34 demandeurs d’asile renvoyés du Royaume-Uni et quatre autres de France. Des craintes ont été exprimées quant à la durabilité de ces renvois et des autres retours.

Visites d’Amnesty International
La secrétaire générale d’Amnesty International s’est rendue en juillet en Afghanistan, où elle a rencontré le président Karzaï et d’autres hauts responsables gouvernementaux. Elle s’est aussi entretenue avec des responsables de la MANUA, des représentants d’organisations non gouvernementales et des défenseurs des droits humains. La délégation a par ailleurs visité une prison pour femmes à Kaboul. D’autres représentants de l’organisation se sont rendus en Afghanistan tout au long de l’année pour travailler avec des délégués présents sur le terrain et dont la mission a pris fin en août. Une délégation a assisté à la Loya Jirga constituante en décembre.

Autres documents d’Amnesty International
Afghanistan. La restructuration de la police est essentielle pour la protection des droits humains. Introduction, contexte et recommandations (ASA 11/003/2003).
Afghanistan. Exil et retour : les Afghans oubliés (ASA 11/014/2003).
Afghanistan. Un système carcéral qui s’écroule et qui doit être restauré de toute urgence (ASA 11/017/2003).
Afghanistan : Re-establishing the rule of law (ASA 11/021/2003).
Afghanistan. Les femmes privées de justice. « Personne ne nous écoute et personne ne nous traite comme des êtres humains » (ASA 11/023/2003).

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