Asie et Océanie : introduction

En 2003, la scène politique dans la région a essentiellement été dominée par la guerre en Irak et les questions de sécurité nationale. Plusieurs gouvernements n’ont pas hésité à s’en prendre aux droits humains sous prétexte de « guerre contre le terrorisme ». La pauvreté et la discrimination demeuraient le lot de millions de personnes et touchaient plus particulièrement les femmes et les populations indigènes. La protection des droits humains n’était toujours pas assurée de manière satisfaisante. Dans certains pays, les violations et les exactions se sont même multipliées, à la faveur d’un redémarrage ou de la poursuite de conflits armés.

Sécurité nationale et « guerre contre le terrorisme »

La sécurité s’est imposée comme la première préoccupation de la plupart des gouvernements de la région, qui se sont souvent alignés en la matière sur les positions défendues par les États-Unis. Un ressentiment croissant s’est cependant manifesté au sein de la société civile face à l’influence et au pouvoir grandissants de ce pays dans le monde, et plus particulièrement en Asie. L’accord de « partenariat stratégique » signé au mois d’octobre à Bali (Indonésie) entre la Chine et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) a été interprété par de nombreux observateurs comme le signe de la volonté de la Chine de s’opposer à l’unilatéralisme américain en renforçant les liens économiques et les relations dans le domaine de la sécurité entre les pays d’Asie du Sud-Est. Plus à l’est, les tensions se sont accrues entre la Chine et Taiwan, après que cette dernière eut adopté, en novembre, une loi autorisant la consultation de la population sur diverses questions, notamment celles touchant à la souveraineté nationale.
La philosophie de certains gouvernements, pour qui les droits humains pouvaient être limités sous couvert de « guerre contre le terrorisme », était particulièrement évidente en Chine, en Inde, en Malaisie, au Pakistan et en Thaïlande. Des centaines de personnes soupçonnées de « terrorisme » se sont retrouvées prises au piège dans de véritables no man’s land juridiques, les autorités choisissant d’agir en dehors de tout cadre légal, qu’il soit national ou international. Au Pakistan, plus de 500 personnes - dont un certain nombre de ressortissants de pays arabes et d’Afghans - soupçonnées d’appartenir à l’organisation Al Qaïda ou au mouvement taliban ont été arrêtées arbitrairement et remises aux autorités des États-Unis, en violation de la Loi pakistanaise de 1974 sur l’extradition. D’autres suspects seraient détenus dans le pays, en des lieux tenus secrets, mais les pouvoirs publics refusaient de donner des informations sur leur sort. En Inde, au Gujarat, des centaines de musulmans se trouvaient en détention illégale, tandis que les autorités enquêtaient sur une série de complots présumés contre la sûreté de l’État. En Chine, des milliers d’Ouïghours (chez qui l’islam est la religion dominante), accusés d’être des « séparatistes, des terroristes et des extrémistes religieux », ont été arrêtés ou incarcérés tandis que la répression s’abattait sur leur culture, sous la forme de fermetures de mosquées, de restrictions imposées à l’usage de la langue et de l’interdiction de certaines publications en ouïghour.
La mobilisation de 500 000 personnes à Hong Kong au mois de juillet a contraint les autorités à renoncer à plusieurs projets controversés qui visaient à faire de la trahison, de la sécession, de la sédition et de la subversion des crimes à part entière.

Droits économiques, sociaux et politiques

Conséquence de la libéralisation économique, l’augmentation des inégalités matérielles a été particulièrement marquée en Chine, l’État le plus peuplé du continent asiatique. Le redémarrage économique s’est poursuivi dans plusieurs des pays les plus touchés par la crise financière de 1997, notamment en Corée du Sud et en Thaïlande. Pour l’immense majorité de la population rurale de la région, cependant, la vie n’avait guère changé. Pauvreté et discrimination constituaient toujours la réalité quotidienne des plus faibles, notamment des femmes et des populations indigènes. Les organisations d’agriculteurs et, de manière générale, tous ceux qui défendaient les droits des habitants pauvres des campagnes, ont vivement déploré les conséquences prévisibles sur les droits humains de l’échec du sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui s’est tenu à Cancún (Mexique) au mois de septembre et dont les participants n’ont pas réussi à s’entendre sur une redéfinition des droit de douane et des subventions à l’agriculture. Poussés par la crise qui sévissait dans les campagnes, un nombre croissant d’hommes, de femmes et d’enfants ont gagné les villes voisines ou se sont expatriés ailleurs dans la région. Beaucoup de femmes, notamment, sont parties chercher du travail dans l’industrie du textile et les usines d’assemblage de produits destinés à l’exportation, où elles pouvaient espérer gagner davantage leur vie que dans leurs villages d’origine. Elles n’en étaient que plus exposées à de multiples violations de leurs droits, notamment à des violences sexuelles sur leur lieu de travail ou à des conditions d’emploi déplorables.
De nombreux gouvernements - en Chine, au Laos ou au Viêt-Nam, par exemple - n’ont pas accompagné le soutien qu’ils accordaient visiblement à une plus grande liberté de l’économie d’une volonté analogue dans le domaine politique, continuant de s’accrocher au pouvoir dans le cadre de régimes totalitaires. Les établissements pénitentiaires de Chine, des Maldives, du Myanmar et du Viêt-Nam abritaient toujours de nombreux prisonniers d’opinion, dont le seul tort était d’avoir voulu exprimer sans violence leurs convictions politiques. En Chine et au Viêt-Nam, en particulier, la répression s’est abattue sur celles et ceux qui téléchargeaient ou plaçaient sur Internet des informations relatives aux droits humains et à la démocratie. La libération de plusieurs de ces prisonniers a cependant pu être obtenue, après que la presse se fut fait l’écho de ces affaires.
Alors que le droit à la santé continuait d’être très largement bafoué, l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui a éclaté au mois de février a contraint certains gouvernements à faire preuve de plus de transparence et de sens des responsabilités. Au mois d’octobre, les autorités chinoises ont officiellement reconnu, pour la première fois, que le pays comptait 840 000 personnes séropositives et 80 000 malades du sida. Toutefois, les chiffres réels étaient vraisemblablement beaucoup plus élevés.

Conflits armés

Un certain nombre de zones de la région étaient toujours en proie à des conflits armés. Au Népal, pays secoué par des affrontements depuis sept ans, les hostilités ont repris en août, après six mois de cessez-le-feu. Les deux camps en présence n’ont pas su saisir la possibilité qui leur était donnée de mieux faire respecter les droits humains lorsque, en mai, la Commission nationale des droits humains leur a soumis un projet d’accord relatif aux droits fondamentaux. Bien que les deux parties se soient déclarées favorables, dans le principe, à ce projet, ni l’une ni l’autre ne l’avait signé au moment de la rupture du cessez-le-feu. En outre, les efforts déployés par la société civile et la communauté internationale pour mettre en place un cadre opérationnel de protection des droits humains sont restés vains. En attendant, on pouvait craindre que la poursuite des livraisons à l’armée royale népalaise d’armes en provenance de l’Inde, du Royaume-Uni, de la Belgique, d’Israël et des États-Unis, ne contribue à une escalade de la violence.
Un cessez-le-feu a également été rompu en Indonésie, dans le Nanggroe Aceh Darussalam (district spécial de l’Aceh), avec des conséquences désastreuses. L’état d’urgence a été décrété au mois de mai et ce territoire a été placé sous administration militaire. Des allégations ont alors commencé à circuler, faisant état de graves violations des droits humains, notamment d’exécutions extrajudiciaires, de « disparitions », de détentions arbitraires et d’actes de torture. Il était pratiquement impossible de vérifier ces informations, l’Aceh étant fermé, de facto, aux observateurs indépendants des droits humains, aux collaborateurs des organisations humanitaires et aux journalistes.
Au Laos, un conflit armé interne qui durait depuis des décennies a été remis sur le devant de la scène par quelques journalistes alors qu’il était presque oublié de la communauté internationale. Cette soudaine publicité a, semble-t-il, incité les forces gouvernementales à intensifier leurs opérations militaires, qui auraient fait de nombreux morts dans la population civile.
En Afghanistan, le désengagement de la communauté internationale, peu encline à financer la reconstruction du pays, en particulier depuis que l’attention s’est déplacée vers l’Irak, était préoccupant. La Loya Jirga (Assemblée tribale suprême) constituante s’est réunie fin décembre, sur fond de dégradation de la sécurité dans le pays. Les luttes entre les factions se poursuivaient, tandis que les talibans semblaient reprendre des forces. L’instabilité était d’autant plus inquiétante que le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des anciens combattants n’avaient guère progressé. Un accord devant déboucher sur l’adoption d’une nouvelle Constitution était sur le point d’être conclu entre les membres de la Loya Jirga à la fin de l’année. Malheureusement, la tenue de cette assemblée, présentée comme le signe que le pays était désormais engagé sur la voie de la stabilité, a été marquée par des actes d’intimidation à l’égard de certains délégués et par un manque général de transparence dans son fonctionnement. Elle aura surtout mis en lumière les fractures qui continuaient de diviser la société afghane.
Le gouvernement des îles Salomon a mis fin à cinq années de violence armée et d’anarchie en demandant à une force régionale d’intervention sous commandement australien de venir sur place rétablir l’ordre et remettre en route les services publics, y compris les postes de police, les prisons et les tribunaux. Cette opération, qui était toujours en cours fin 2003, était menée en application d’un mandat d’assistance régionale, en dehors du cadre des Nations unies. À partir du mois de juillet, quelque 2 500 hommes de cette force, composée d’effectifs venus des pays du Pacifique sud, ont collaboré avec la police locale. Ils ont procédé à l’arrestation de plus de 400 suspects de premier plan, dont de hauts responsables de la police et de la rébellion, accusés, pour nombre d’entre eux, d’atteintes graves aux droits humains. Ils ont mis au jour des tombes de personnes mortes sous la torture, pris les mesures conservatoires qui s’imposaient et veillé à ce que les personnes déplacées puissent rentrer chez elles en toute sécurité.

Armes nucléaires

La question nucléaire constituait toujours une préoccupation majeure dans toute la région, même si elle a été quelque peu occultée pendant la majeure partie de l’année par celle de la « guerre contre le terrorisme ». En février, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), estimant que la Corée du Nord ne respectait pas les garanties exigées en la matière, a saisi le Conseil de sécurité des Nations unies. En avril, ce dernier s’est déclaré préoccupé par le programme nucléaire de la Corée du Nord. À l’initiative principalement de la Chine, des pourparlers à six, réunissant également le Japon, les deux Corées, la Fédération de Russie et les États-Unis, ont été organisés afin de trouver une solution face à la menace posée par le programme nucléaire nord-coréen. La tension est un peu retombée en novembre, lorsque la Corée du Nord a annoncé qu’elle était prête à abandonner celui-ci, à condition que les États-Unis renoncent à leur « politique hostile ». Le gouvernement nord-coréen a accepté d’examiner une proposition des États-Unis aux termes de laquelle ce pays et les États voisins de la Corée du Nord s’engageaient par écrit à respecter la sécurité de cette dernière.
Les tensions entre le Pakistan et l’Inde, qui possèdent l’un et l’autre l’arme nucléaire, ont commencé à baisser en fin d’année, avec l’adoption de part et d’autre de mesures destinées à favoriser la confiance (rétablissement des transports entre les deux pays, par exemple), en vue d’une possible reprise du dialogue.

Insuffisance de la protection des droits humains

Dans une région confrontée à des défis majeurs dans les domaines tant politique et économique que de la sécurité, le cadre juridique censé assurer le respect des droits humains restait particulièrement faible. L’Asie était toujours le seul continent ne disposant d’aucun mécanisme régional relatif aux droits humains. De plus, les gouvernements de la zone rechignaient toujours à ratifier les grands instruments internationaux de protection de ces droits. L’Asie était ainsi le continent où le taux de ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) était le plus faible. Et le fait que pas moins de 18 pays de la région aient choisi de signer avec les États-Unis des accords d’immunité aux termes desquels ils s’engageaient à ne pas remettre à la Cour pénale internationale des ressortissants américains accusés de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, était une indication supplémentaire de l’absence, dans cette partie du monde, d’une réelle volonté de lutter contre l’impunité.
Dans des pays comme le Bangladesh, le Cambodge ou l’Indonésie, la faiblesse d’un appareil judiciaire corrompu ne faisait qu’aggraver la situation en matière de droits humains. La torture, les « disparitions » et les exécutions extrajudiciaires restaient monnaie courante dans toute la région.
Le droit à la vie était toujours aussi peu respecté dans nombre de pays d’Asie et d’Océanie. Toute cette zone semblait vouloir bouder la tendance à l’abolition de la peine capitale, sensible à l’échelle planétaire. Il y a eu davantage d’exécutions judiciaires dans la région en 2003 que dans toutes les autres parties du monde confondues. Ce triste privilège était en grande partie le fait de la Chine et de Singapour, mais pas exclusivement. Le nombre des condamnations à mort et des exécutions a fortement augmenté au Viêt-Nam. Singapour détiendrait depuis 1994 un record mondial en matière d’exécution, avec le plus fort taux de mise à mort par habitant.
Selon le Bureau des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (BCDPC), l’Asie était le plus gros producteur de drogue (opium et, de plus en plus, méthamphétamine). Malgré l’existence d’éléments tendant à démontrer son inefficacité, la peine de mort était souvent utilisée dans des pays tels que la Chine, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande ou le Viêt-Nam comme un moyen de lutte contre le trafic de stupéfiants. Le gouvernement thaïlandais semblait pour sa part se satisfaire des homicides de personnes soupçonnées d’infraction à la législation sur les stupéfiants, voyant apparemment là une méthode comme une autre de combattre le trafic et la consommation de drogue dans le pays. Selon des déclarations officielles, 2 245 personnes soupçonnées de trafic ou d’usage de stupéfiants auraient été tuées au cours d’une campagne de trois mois, commencée en février.
Dans trois États, les délinquants mineurs risquaient toujours d’être exécutés. Au Pakistan, la justice a continué de condamner à mort des enfants, en particulier dans les zones tribales. Cet état de fait traduisait l’incapacité du gouvernement à mettre en oeuvre au niveau national une législation interdisant cette pratique et en vigueur dans la majeure partie du territoire pakistanais. Aucun mineur n’a toutefois été exécuté cette année dans le pays. En Chine, en revanche, un jeune homme aurait été exécuté au mois de janvier après avoir été condamné pour un meurtre commis alors qu’il avait seize ans. Le Code pénal chinois interdit pourtant l’exécution de mineurs. Aux Philippines, au moins sept enfants étaient toujours sous le coup d’une condamnation à mort. Ils se trouvaient en détention dans les mêmes quartiers que les prisonniers adultes.
Les forces sous commandement des États-Unis ont poursuivi leurs opérations dans diverses régions d’Afghanistan, multipliant les arrestations et les placements en détention arbitraires. Les conditions de vie d’une centaine de prisonniers, détenus en dehors de tout cadre juridique sur la base aérienne américaine de Bagram, en Afghanistan, étaient particulièrement préoccupantes. Au mois de mars, deux représentants des forces armées des États-Unis auraient confirmé les informations selon lesquelles deux personnes détenues à Bagram seraient mortes par « homicide » en décembre 2002. L’état-major des armées américaines a ouvert une enquête sur cette affaire, mais ses conclusions n’ont pas été rendues publiques. Les bombardements effectués par les forces de la coalition dirigée par les États-Unis ont, cette année encore, fait des victimes parmi la population civile. Quinze enfants sont morts notamment, lors de deux attaques distinctes menées en décembre.

Mobilisation en faveur des droits humains

Les défenseurs des droits humains de toute la région ont encore renforcé leur coopération face aux menaces qui planaient sur les droits fondamentaux. Ce faisant, ils s’exposaient eux-mêmes à toutes sortes de violences, allant du harcèlement à l’assassinat, en passant par les arrestations arbitraires, la torture ou les « disparitions ».
En Indonésie, en particulier dans les régions touchées par des conflits armés, les défenseurs des droits humains ne pouvaient plus poursuivre leur action tant était grand le danger d’être eux-mêmes victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux. En Aceh, cinq militants ont « disparu » ou ont été tués. Ailleurs dans le pays, celles et ceux qui tentaient de faire respecter les droits humains étaient poursuivis en diffamation pour avoir osé divulguer des informations sur des violations. Dans plusieurs États indiens, notamment au Gujarat et dans l’Andhra Pradesh, les activités légitimes des défenseurs des droits humains étaient qualifiées d’« antinationales » et les militants étaient eux-mêmes harcelés et menacés, aussi bien par les forces gouvernementales que par d’autres agents. En Malaisie, le mouvement de défense des droits humains a subi un rude coup avec la condamnation à douze mois d’emprisonnement, pour « publication de fausses nouvelles dans le dessein de nuire », d’Irene Fernandez, directrice de l’organisation non gouvernementale Tenaganita, spécialisée dans l’action auprès des femmes immigrées. Irene Fernandez était poursuivie à la suite de la parution d’un rapport de son organisation dénonçant les mauvais traitements et les sévices dont étaient victimes les travailleurs immigrés dans certains camps de détention, ainsi que les morts constatées dans ces établissements des suites de maladies qui auraient pu être évitées.

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