Turquie

RÉPUBLIQUE TURQUE
CAPITALE : Ankara
SUPERFICIE : 779 452 km_
POPULATION : 71,3 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Ahmet Necdet Sezer
CHEF DU GOUVERNEMENT : Abdullah Gül, remplacé par Recep Tayyip Erdo_an le 14 mars
PEINE DE MORT : abolie en août, sauf pour crimes exceptionnels
CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES : ratifié

Afin de satisfaire aux critères d’adhésion à l’Union européenne, le gouvernement de l’ Adalet Kalkinma Partisi (AKP, Parti de la justice et du développement) a continué de faire adopter un certain nombre d’importantes réformes législatives portant sur la protection des droits humains et appelées « lois d’harmonisation ». Leur mise en œuvre a été inégale et il était encore trop tôt, cette année, pour mesurer les progrès accomplis dans le domaine des droits humains. Selon des informations très préoccupantes, la police aurait maltraité et torturé des personnes placées en garde à vue et fait un usage disproportionné de la force pour disperser des manifestations, mais le recours à certaines méthodes de torture semblait toutefois moins fréquent. Comme les années précédentes, des personnes qui tentaient d’exercer leur droit de manifester pacifiquement ou d’exprimer une opinion divergente sur certaines questions ont fait l’objet de poursuites pénales.

Contexte
Le 1er mars, le Parlement a refusé d’autoriser le déploiement de troupes américaines sur le territoire turc, faisant ainsi comprendre que la Turquie ne s’impliquerait pas de façon trop complète dans la guerre en Irak.
Une modification de la Constitution, introduite par le nouveau gouvernement de l’AKP, a permis à Recep Tayyip Erdo_an, dirigeant de ce parti, de se présenter à une élection législative partielle dans le département de Siirt. Il a remplacé Abdullah Gül au poste de Premier ministre le 14 mars.
Quatre grandes réformes dites d’« harmonisation » ont été adoptées les 11 janvier, 4 février, 19 juillet et 7 août. Parmi les changements importants figuraient les dispositions visant à éliminer certaines règles et pratiques ayant favorisé l’impunité pour les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements ; la possibilité de bénéficier d’un nouveau procès dans le cas où la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’une décision de justice rendue en Turquie constitue une violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) ; l’abrogation de l’article 8 de la Loi antiterroriste, qui réprimait les actes de propagande séparatiste ; la levée des restrictions à la diffusion de programmes dans des langues autres que le turc par les chaînes privées de radio et de télévision ; la suppression de la détention au secret et le droit de consulter sans délai un avocat pour les personnes accusées de crimes relevant des cours de sûreté de l’État. Des changements ont également été introduits dans l’organisation et le statut du Conseil national de sécurité.
D’autres textes législatifs ont par ailleurs été modifiés, notamment les lois relatives aux associations, à la presse, aux partis politiques, aux rassemblements et manifestations et aux fondations. Cependant, il s’agissait davantage de modifications de certains articles que d’une refonte générale des lois elles-mêmes, réclamée par les militants des droits humains et les avocats spécialisés dans la défense de ces droits. Il était à craindre que malgré ces modifications et l’abrogation de certains articles du Code pénal et de la Loi antiterroriste, le fait qu’il n’y ait pas eu d’approche globale ne permette le maintien, dans d’autres lois, d’articles similaires à ceux qui ont été supprimés. Amnesty International craignait que les procureurs ne puissent les utiliser à la place des articles abrogés.
À la suite de l’adoption de la loi permettant de rejuger des personnes condamnées, quatre anciens députés du Demokrasi Partisi (DEP, Parti de la démocratie) considérés par Amnesty International comme des prisonniers d’opinion - Leyla Zana, Hatip Dicle, Orhan Do_an et Selim Sadak - ont assisté à la première audience de leur nouveau procès le 28 mars. Selon l’organisation, les premières condamnations de ces personnes, incarcérées depuis 1994, avaient été motivées par leurs activités politiques, pourtant non violentes, sur la question kurde. Des audiences d’une journée ont eu lieu par la suite, au rythme d’une fois par mois. Amnesty International et d’autres observateurs internationaux ont exprimé leur profonde préoccupation quant à l’équité du procès et au maintien en détention des quatre anciens députés.
Le Halk ?n Demokrasi Partisi (HADEP, Parti démocratique populaire), mouvement pro-kurde, a été interdit par la Cour constitutionnelle le 13 mars.
La Turquie a ratifié, le 23 septembre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Le 25 septembre, elle a signé la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction (accord d’Ottawa). Au cours de l’année, dans les départements du sud-est et de l’est du pays, au moins 15 personnes, dont plusieurs enfants, ont été tuées et de nombreuses autres blessées par l’explosion de mines terrestres ou d’explosifs abandonnés.
Le 15 novembre, deux attentats à l’explosif, attribués à des militants islamistes, ont été perpétrés contre les synagogues Neve Shalom et Beth Israël à Istanbul ; 26 personnes ont été tuées et des centaines d’autres ont été blessées. Le 20 du même mois, 31 personnes ont trouvé la mort et plusieurs centaines ont été blessées, également à Istanbul, dans des attentats visant le consulat britannique et le siège de la banque HSBC.

Torture et mauvais traitements
Le recours à la torture et aux mauvais traitements contre des personnes placées en garde à vue restait très préoccupant. Les informations faisant état de l’utilisation de certaines méthodes de torture telles que les décharges électriques, la falaka (coups assenés sur la plante des pieds) et la suspension par les bras ont nettement diminué, mais d’autres méthodes ont été régulièrement dénoncées : les passages à tabac, les violences sexuelles, les privations de sommeil, de nourriture et d’eau, ainsi que le fait de forcer les détenus à se déshabiller entièrement, ou de les empêcher de se rendre aux toilettes.
La persistance de la torture et des mauvais traitements était, entre autres, due au fait que les responsables de l’application des lois ne respectaient pas les procédures prescrites, notamment l’obligation d’informer les détenus de leurs droits et de les autoriser à consulter un avocat. Des avocats ont affirmé que, dans certains cas et sans leur en fournir la moindre preuve, des policiers leur avaient dit que tel détenu ne souhaitait pas les rencontrer. Par ailleurs, les certificats médicaux ne faisaient pas suffisamment état des traces de torture et de mauvais traitements et les tribunaux acceptaient à titre de preuve des déclarations obtenues sous la torture.
La police a fait une utilisation disproportionnée de la force au cours de diverses manifestations. Les journaux télévisés ont diffusé régulièrement des images montrant des manifestants battus, frappés à coups de pied et maltraités par des responsables de l’application des lois. Parmi les groupes particulièrement visés figuraient les sympathisants du Demokratik Halk Partisi (DEHAP, Parti démocratique du peuple) et de divers partis de gauche, ainsi que les syndicalistes, les étudiants et les militants opposés à la guerre.
Dans de nombreux cas, des personnes auraient été enlevées par des policiers en civil, puis torturées ou soumises à d’autres formes de mauvais traitements. Ces informations étaient extrêmement préoccupantes. Il était pratiquement impossible d’enquêter sur ces cas de détention non reconnue et les auteurs de tels agissements continuaient de bénéficier de l’impunité.
S. T., seize ans, a affirmé avoir été enlevé dans la rue le 26 novembre, à Siirt, dans le sud-est du pays, par des policiers en civil qui lui avaient recouvert la tête d’un sac avant de le pousser dans une voiture. Selon ses déclarations, les policiers lui ont attaché les mains et les pieds et l’ont frappé à la tête jusqu’à ce qu’il perde connaissance, ils l’ont passé à tabac et menacé en appuyant le canon d’une arme sur sa tête pour le contraindre à fournir des renseignements sur son frère. L’adolescent a ensuite été relâché dans un cimetière en dehors de la ville.
Gülbahar Gündüz, membre de la branche féminine de la section d’Istanbul du DEHAP, a déclaré qu’elle avait été enlevée le 14 juin dans une rue d’Istanbul par des policiers en civil, qui lui ont bandé les yeux avant de l’emmener en voiture jusqu’à un immeuble non identifié où ils l’auraient violée et soumise à d’autres formes de torture. Une enquête interne ouverte par la police a été classée, alors que le rapport de l’institut médico-légal établissant l’existence de traces de torture n’avait pas encore été déposé.

Impunité pour des brutalités policières
L’ensemble de réformes adoptées le 11 janvier ne permettait plus aux policiers condamnés à des peines d’emprisonnement pour des actes de torture ou des mauvais traitements d’obtenir le bénéfice du sursis ou le remplacement de leur peine par une amende. L’application de la nouvelle loi n’ayant pas été rétroactive, les procès ont été régulièrement suspendus et les condamnations prononcées ont continué d’être assorties du sursis, dans certains cas sur la base des lois antérieures.
Le 18 février, le procès du commissaire de police Süleyman Ulusoy (surnommé « le Tuyau ») a été suspendu en vertu de la loi d’« amnistie » de décembre 2000 (Loi n° 4616 relative aux libérations conditionnelles, à la suspension des procès et à l’application des peines pour les infractions commises jusqu’au 23 avril 1999). En 2000, la télévision avait diffusé les images d’une cassette vidéo sur laquelle on le voyait frapper des travestis à coups de tuyau d’arrosage dans le poste de police de Beyo_lu, à Istanbul. Süleyman Ulusoy est resté en fonction à Istanbul.
_Deux policiers reconnus coupables d’avoir infligé des mauvais traitements à Veli Kaya, un étudiant qui avait participé à une manifestation le 6 novembre 2002, ont été condamnés, en juin, à six mois d’emprisonnement avec sursis. La télévision avait montré comment des gens avaient aidé ce jeune homme à sortir d’un dépôt situé au-dessous d’une agence de la banque Seker à Ankara, dans lequel des policiers l’avaient battu. L’affaire a été renvoyée devant la Cour suprême.
Les réformes du 11 janvier ont également supprimé l’obligation de solliciter l’autorisation d’un responsable avant d’ouvrir une enquête sur des actes de torture ou des mauvais traitements imputés à des policiers. Cette réforme restait parfois lettre morte.
Ali Ulvi Uludo_an et son frère Ilhan Uludo_an ont été arrêtés le 25 mai pour n’avoir pas respecté un feu rouge dans le district de Kulu (département de Konya). Pendant leur garde à Kulu, ils auraient été battus, frappés à coups de pied et soumis à des insultes à caractère sexuel. Au mépris des réformes du 11 janvier, le représentant local des autorités de Kulu a décidé le 8 août de ne pas autoriser l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture et de mauvais traitements formulées par les deux hommes.
L’ensemble des réformes du 7 août prévoyait que les procès pour torture et mauvais traitements seraient prioritaires. Pourtant, le nombre de poursuites engagées contre des membres des forces de sécurité est resté extrêmement bas, par rapport au nombre de cas de torture et de mauvais traitements signalés.
_Le procès des policiers accusés d’avoir torturé Fatma Deniz Polattas et la jeune N. C. S., seize ans, en mars 1999 au siège de la police d’_skenderun, a été ajourné à plusieurs reprises parce que l’institut médico-légal omettait de fournir les certificats médicaux détaillant les sévices infligés ; cette situation durait depuis deux ans.
Dans quelques rares cas, des mesures ont été prises pour obliger les auteurs de violations des droits humains à rendre compte de leurs actes.
_Dans la phase finale du procès des « enfants de Manisa », la cour d’appel a approuvé, le 4 avril, les peines comprises entre cinq et onze ans d’emprisonnement infligées à 10 policiers du siège de la police de Manisa reconnus coupables d’avoir torturé 16 adolescents en décembre 1995. Cette affaire, qui a eu un grand retentissement, avait presque dépassé le délai de prescription ; des affaires moins médiatisées risquaient d’être prescrites et classées sans suite.
Le 22 septembre, Adil Serdar Saçan, ancien chef de la Brigade du crime organisé à Istanbul, aurait été révoqué par le ministère de l’Intérieur pour avoir fermé les yeux sur des tortures infligées par ses subordonnés. L’acte de mise en accusation donnait également des détails sur des actes de torture qu’il avait lui-même commis. Cette décision de justice a marqué un tournant.

Harcèlement des défenseurs des droits humains
Une série de lois et de règlements ont été utilisés pour restreindre la liberté d’expression et entraver les activités des défenseurs des droits humains. Des déclarations et des activités pacifiques ont entraîné des poursuites pour « insultes » envers différentes institutions (article 159 du Code pénal), « complicité avec une organisation illégale » (article 169) ou « incitation à la haine » (article 312). D’autres activités étaient interdites ou réprimées par la Loi n° 2911 sur les rassemblements et manifestations, la Loi relative aux associations, les lois sur la presse et celles relatives à l’ordre public. Des défenseurs des droits humains ont été emprisonnés. Toutefois, la plupart des enquêtes et des procès ont débouché sur des non-lieux ou des relaxes ou sur des condamnations assorties du sursis ou transformées en peines d’amende ; pour Amnesty International, cette pratique s’apparentait à un harcèlement judiciaire systématique visant les militants des droits humains.
Des personnes semblent avoir été prises particulièrement pour cible. C’était notamment le cas d’Alp Ayan, un psychiatre de la Fondation turque des droits humains (T_HV) à Izmir, de Ridvan Kizgin, président de la section de Bingöl de l’Association turque pour la défense des droits humains (_HD), et d’Eren Keskin, une avocate qui est l’une des responsables d’un programme d’assistance juridique mis en place pour les femmes victimes de sévices sexuels en détention. Les amendes représentaient une lourde charge pour certaines sections de ces associations et pour leurs membres.
La première audience d’un procès intenté à la T_HV a eu lieu le 12 novembre à Ankara. Le procureur, qui a requis la suspension de neuf membres de son conseil d’administration, a soutenu qu’en 2001 la T_HV avait enfreint la Loi sur les fondations en « coopérant » avec des organisations internationales sans avoir obtenu l’autorisation du Conseil des ministres et en collectant des fonds par l’intermédiaire d’Internet. La « coopération » en question avait consisté à traduire des rapports et à les remettre au rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, ainsi qu’au rapporteur du Parlement européen pour la Turquie et au commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
_Özkan Hoshanli a commencé, le 28 octobre, à purger une peine de quinze mois d’emprisonnement. Cet homme avait tenté d’observer des manifestations en avril et en mai 1999 à Malatya, en sa qualité de président de l’Association des opprimés, un groupe de défense des droits humains. Il a été condamné, en mai, à une peine d’emprisonnement assortie d’une amende aux termes de la Loi n° 2911 sur les rassemblements et les manifestations pour avoir « participé à une manifestation interdite, ne pas avoir obtempéré aux ordres et avertissements et n’avoir évacué les lieux qu’après l’intervention des forces de l’ordre qui ont dû recourir à la force ». Amnesty International le considérait comme un prisonnier d’opinion.
L’Association turque pour la défense des droits humains (_HD) a, selon ses propres déclarations, fait l’objet de 450 procédures depuis 2000, contre 300 pour l’ensemble des quatorze années précédentes. Le 6 mai, la police a perquisitionné au siège de l’_HD et à ses bureaux d’Ankara ; elle a saisi des livres, des rapports sur les violations des droits humains, des dossiers, des cassettes et des ordinateurs. Le ministère de la Justice a informé Amnesty International que cette perquisition avait été ordonnée par la cour de sûreté de l’État d’Ankara aux termes de l’article 169 du Code pénal, car l’_HD était soupçonnée d’avoir « coordonné une campagne de soutien à l’organisation terroriste PKK-KADEK [Parti des travailleurs du Kurdistan-Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan] ».
Les enseignants et les membres du personnel de santé qui participaient à des activités syndicales ou de défense des droits humains étaient souvent mutés loin de leur domicile à titre de sanction disciplinaire. Des militants étudiants ont été exclus de l’université à titre temporaire ou définitif.

Violence contre les femmes
Les sévices sexuels et le harcèlement auquel les femmes étaient soumises en garde à vue restaient profondément préoccupants. Amnesty International a publié un rapport sur ce sujet en février.
Les violences au sein de la famille, notamment les meurtres pour des questions d’« honneur », étaient également un sujet de préoccupation. L’organisation a soutenu la campagne lancée par des groupes de femmes en Turquie en faveur de l’abrogation des articles discriminatoires dans le projet d’amendement du Code pénal, dont une sous-commission parlementaire a commencé la rédaction en octobre.

Homicides commis dans des circonstances controversées
Une vingtaine de civils ont été abattus par les forces de sécurité et des gardiens de villages, la plupart dans les départements du sud-est et de l’est du pays. Il se peut qu’un grand nombre d’entre eux aient été victimes d’exécutions extrajudiciaires ou d’un usage excessif de la force.
Le 8 juillet, cinq habitants du village de Pul (département de Bingöl) ont été tués par des hommes non identifiés. Des allégations contradictoires ont attribué ces homicides tantôt aux forces de sécurité, tantôt au PKK-KADEK.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus en Turquie aux mois de mars, juin et novembre, afin d’y effectuer des recherches sur la situation des droits humains et d’assister à des procès en tant qu’observateurs.

Autres documents d’Amnesty International
Turquie. Halte aux violences sexuelles contre les femmes en détention ! (EUR 44/006/2003).
Concerns in Europe and Central Asia, January-June 2003 : Turkey (EUR 01/016/2003).

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