YÉMEN

Plusieurs centaines de personnes ont trouvé la mort au cours d’affrontements armés entre les forces de sécurité et des opposants politiques, dans la province de Saada ; nombre de ces homicides étaient probablement illégaux. Des centaines d’arrestations ont eu lieu. La plupart des personnes incarcérées les années précédentes étaient maintenues en détention sans inculpation ni jugement. Les rares prisonniers qui ont été jugés ont comparu devant des juridictions appliquant des procédures non conformes aux normes internationales d’équité. Les journalistes étaient de plus en plus souvent l’objet de mesures punitives et les restrictions à la liberté de presse ont été renforcées. Comme les années précédentes, des étrangers ont été renvoyés vers des pays où ils risquaient d’être victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux. Des cas de torture et de mauvais traitements étaient signalés. Les tribunaux ont prononcé des peines de flagellation, qui ont été appliquées. Les organisations féminines continuaient de faire campagne contre la discrimination et les violences contre les femmes. Six personnes au moins ont été exécutées et de très nombreuses autres, peut-être des centaines, étaient sous le coup d’une sentence capitale fin 2004.

République du Yémen
CAPITALE : Sanaa
SUPERFICIE : 527 968 km²
POPULATION : 20,7 millions
CHEF DE L’ÉTAT : Ali Abdullah Saleh
CHEF DU GOUVERNEMENT : Abdel Kader Bajammal
PEINE DE MORT : maintenue
COUR PÉNALE INTERNATIONALE : Statut de Rome signé
CONVENTION SUR LES FEMMES : ratifiée avec réserves
PROTOCOLE FACULTATIF À LA CONVENTION SUR LES FEMMES : non signé

Contexte

Les autorités et des organisations non gouvernementales (ONG) ont oeuvré à la promotion des droits humains en organisant des conférences et des séminaires tels que la Conférence intergouvernementale de Sanaa sur la démocratie, les droits humains et le rôle de la Cour pénale internationale, ou la conférence portant sur Les droits humains pour tous, préparée par Amnesty International et l’Organisation nationale pour la défense des droits humains et des libertés fondamentales, une ONG locale (voir le résumé régional sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, au début de cette partie).

Malgré cela, la situation des droits humains, déjà profondément mise à mal par une « guerre contre le terrorisme » ignorant l’état de droit, a été aggravée par des affrontements armés opposant, dans la province de Saada, les forces de sécurité aux partisans du défunt Hussain Badr al Din al Huthi, un dignitaire religieux zaïdite.
Au mois d’août, le ministère du Travail et des Affaires sociales a autorisé les réfugiés à travailler. Des dizaines de milliers de réfugiés originaires de Somalie et d’Éthiopie, entre autres, vivaient au Yémen depuis des années sans bénéficier du droit au travail.

Homicides dans la province de Saada

En juin, des affrontements ont opposé les forces de sécurité aux partisans de Hussain Badr al Din al Huthi, dans la province de Saada. Des tensions s’étaient créées en 2003 à la suite de protestations des adeptes du dignitaire religieux zaïdite, avant et pendant l’invasion de l’Irak par les forces de la coalition dirigée par les États-Unis. Par la suite, les manifestations s’étaient poursuivies toutes les semaines après la prière du vendredi, devant les mosquées, notamment la grande mosquée de Sanaa. Les participants scandaient des slogans anti-américains et anti-israéliens. Ces rassemblements étaient toujours suivis d’arrestations et de placements en détention (voir ci-après). En juin, le gouvernement a appelé Hussain Badr al Din al Huthi à se rendre, mais celui-ci a refusé. Les tensions ont dégénéré en affrontements armés, qui ont duré jusqu’en septembre, quand les autorités ont annoncé la mort de Hussain Badr al Din al Huthi.

Plusieurs centaines de personnes ont trouvé la mort au cours des affrontements. Les forces de sécurité auraient utilisé des armes lourdes, notamment des hélicoptères de combat. On ne disposait d’aucun détail sur les homicides car les forces de l’ordre empêchaient les journalistes de se rendre à Saada. Dans un cas au moins, un hélicoptère de combat aurait visé des cibles civiles et tué plusieurs personnes. Le nombre élevé de victimes semblait résulter, directement ou indirectement, de l’usage excessif de la force et d’exécutions extrajudiciaires. Selon certaines sources, des enfants ont été tués. Amnesty International a réclamé l’ouverture d’une enquête sur les homicides de civils, mais aucune mesure en ce sens ne semblait avoir été prise à la fin de l’année 2004.

Arrestations massives et détention sans inculpation ni jugement

Des centaines de personnes ont été arrêtées. Plusieurs centaines d’autres qui l’avaient été les années précédentes étaient maintenues en détention sans inculpation ni jugement. Parmi ces prisonniers figuraient des partisans de Hussain Badr al Din al Huthi et des personnes appréhendées dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».

Quelque 250 partisans de Hussain Badr al Din al Huthi auraient été arrêtés au cours du seul mois de janvier. Des centaines d’autres ont été interpellés dans les mois suivants, particulièrement après les affrontements de Saada ; parmi eux figuraient des enfants âgés de onze ans. Bon nombre de ces prisonniers n’auraient pas participé à des activités violentes.
 Adil Shalli aurait été arrêté parce qu’il avait, semble-t-il, diffusé un texte dénonçant l’opération militaire contre les partisans de Hussain Badr al Din al Huthi.
Hormis quelques cas, comme celui du juge Muhammad Ali Luqman, accusé de soutenir Hussain Badr al Din al Huthi, et qui a été jugé et condamné à dix ans d’emprisonnement, les autres prisonniers - plusieurs centaines - ont été maintenus en détention sans inculpation ni jugement. Aucun d’entre eux n’a bénéficié d’une assistance juridique.
On ne disposait d’aucune information sur les personnes arrêtées dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme », dont 17 au moins avaient été renvoyées au Yémen par les autorités de pays étrangers.
 Walid Muhammad Shahir al Qadasi, un Yéménite de vingt-quatre ans détenu depuis 2002 sur la base américaine de Guantánamo Bay (Cuba), a été renvoyé au Yémen en avril et arrêté dès son arrivée. Onze jours après son incarcération dans une prison de la Sécurité politique, cet homme a déclaré à Amnesty International que sa famille n’avait pas été informée de son retour au Yémen et qu’il n’avait pas été présenté à un juge ni autorisé à consulter un avocat. On ignorait s’il se trouvait toujours en détention à la fin de l’année 2004.

Plus d’une centaine de personnes incarcérées les années précédentes dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » ont été libérées, mais quelque 200 autres étaient maintenues en détention sans inculpation ni jugement. Ces prisonniers auraient été libérés après avoir accepté d’entamer un dialogue avec des personnalités religieuses et s’être engagés par écrit à renoncer à leurs convictions « extrémistes ». Ils restaient toutefois soumis à certaines contraintes, par exemple, se présenter régulièrement à la police ou ne pas s’éloigner de leur domicile. Il leur était également interdit de rencontrer des journalistes sans l’autorisation des forces de sécurité.

Harcèlement de journalistes

Les journalistes étaient de plus en plus souvent l’objet de mesures punitives. Certains ont été arrêtés, incarcérés ou condamnés à des peines d’amende et d’emprisonnement avec sursis.
 Abdulkarim al Khaiwani, rédacteur en chef du journal Al Shura, l’hebdomadaire de l’Union des forces populaires, un parti d’opposition, a été condamné en septembre à un an d’emprisonnement par un tribunal de Sanaa, en raison de son soutien à Hussain Badr al Din al Huthi. Al Shura a également été fermé pendant six mois. L’audience d’appel, qui devait se tenir en décembre, a été reportée.
 Saeed Thabet, correspondant au Yémen d’une agence de presse basée à Londres, a été détenu au mois de mars pendant une semaine pour avoir signalé qu’on avait tiré sur le fils du chef de l’État. Les autorités ont démenti cette information. Saeed Thabet a été condamné en avril à une peine d’amende assortie d’une interdiction professionnelle d’une durée de six mois.
 Fin décembre, quatre hommes, parmi lesquels figuraient Abdul Wahid Hawash et Abdul Jabbar Saad, respectivement rédacteur en chef et journaliste au quotidien Al Ehyaa al Arabi, ont été condamnés à des peines comprises entre quatre et six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir rédigé et publié des articles critiquant, semble-t-il, l’Arabie saoudite.

Procès inéquitables

Trois hommes ont été condamnés à mort et 18 autres à des peines d’emprisonnement à l’issue de deux procès particulièrement longs qui n’ont pas respecté les normes internationales d’équité. Les débats avaient connu de nombreux retards. Les avocats, qui avaient été empêchés dans un premier temps de lire des documents importants, n’ont pu s’entretenir avec leurs clients qu’au cours des audiences, sans que la confidentialité soit respectée. Certains d’entre eux se sont ensuite retirés en arguant que les accusés ne pouvaient pas bénéficier d’un procès équitable.

 Hizam Saleh Megalli, poursuivi pour sa participation à l’attentat contre le pétrolier français Limburg, perpétré en octobre 2002, a été condamné à mort le 28 août à Sanaa. Quatorze autres hommes, dont l’un a été jugé par contumace, se sont vu infliger des peines comprises entre trois et dix ans d’emprisonnement dans le cadre de cette affaire, ainsi que pour une tentative d’assassinat et une fusillade contre un avion appartenant à la compagnie pétrolière américaine Hunt Oil. Ils étaient tous en instance d’appel à la fin de l’année 2004.
 Jamal Mohammed al Badawi a été condamné à mort le 29 septembre à Sanaa, pour son implication dans l’attentat contre le destroyer américain USS Cole, au mois d’octobre 2000. Abd al Rahim Nashiri, jugé par contumace, a également été condamné à mort ; il était maintenu en détention aux États-Unis à la fin de l’année. Quatre autres hommes ont été condamnés à des peines comprises entre cinq et dix ans d’emprisonnement. Leurs appels n’avaient pas été examinés fin 2004.

Renvois

Comme les années précédentes, des étrangers ont été renvoyés contre leur gré dans des pays où ils risquaient d’être victimes d’atteintes à leurs droits fondamentaux. C’était le cas, notamment, de 15 Égyptiens détenus au Yémen depuis 2001. Parmi eux figuraient Sayyid Abd al Aziz Imam al Sharif, en faveur duquel Amnesty International avait lancé un appel en février 2002 priant les autorités de ne pas le renvoyer en Égypte, ainsi qu’Uthman al Samman et Muhammed Abd al Aziz al Gamal, condamnés à mort dans leur pays d’origine par un tribunal militaire, en 1994 et en 1999 respectivement. Tous ont été extradés en février en échange du renvoi au Yémen du colonel Ahmed Salem Obeid, ancien vice-ministre de la Défense de l’ex- République populaire démocratique du Yémen, qui avait fui la guerre civile en 1994 et vivait depuis cette date en Égypte. Cet homme a été maintenu au secret jusqu’au mois de mai, puis remis en liberté sans inculpation ni jugement. L’organisation ignorait tout du sort de ces 15 Égyptiens. Leurs familles et leurs proches étaient, semble-t-il, également sans nouvelles d’eux.

Mise à jour : Abd al Salam al Hiyla

Abd al Salam al Hiyla, homme d’affaires yéménite de trente-deux ans et ancien haut responsable de la Sécurité politique, s’était rendu en Égypte en septembre 2002 pour affaires et n’était pas rentré dans son pays. Sa famille est restée sans nouvelles de lui jusqu’en octobre 2004 ; elle a alors appris qu’il avait été détenu à Kaboul, puis à Bagram, en Afghanistan. Elle a ensuite reçu une lettre par l’intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) indiquant qu’il avait été transféré à Guantánamo.

Torture
De nouvelles informations ont fait état de recours à la torture et aux mauvais traitements. La flagellation était toujours pratiquée en public à titre de châtiment judiciaire pour toute une série d’infractions, entre autres la consommation d’alcool, la calomnie et les délits sexuels.
 Muhammed al Qiri, un journaliste qui photographiait des arrestations, a été frappé au visage après son interpellation par les forces de sécurité devant la grande mosquée de Sanaa, le 26 mars. On lui aurait bandé les yeux durant les interrogatoires et il aurait été contraint de rester debout face à un mur, les mains levées. Il s’est également plaint d’avoir été insulté et menacé d’être battu à nouveau. On lui aurait en outre cogné la tête contre une barre de fer. Cet homme a été relâché le lendemain matin, sous la condition de ne plus photographier les arrestations à l’avenir. Aucune enquête ne semblait avoir été ordonnée sur ses allégations de mauvais traitements.
 En juin, 14 accusés dans l’affaire du pétrolier Limburg (voir ci-dessus) se sont plaints à l’audience d’avoir été torturés par des membres des services de renseignements pendant leur détention provisoire. L’un d’entre eux aurait crié pendant les débats que certains accusés avaient reçu des décharges électriques. Le tribunal a ordonné une enquête sur ces allégations. Amnesty International ne disposait d’aucune autre information à la fin de l’année.

Discrimination et violences contre les femmes

Les organisations féminines poursuivaient leur campagne contre les nombreuses formes de discrimination et les violences contre les femmes. En janvier, le ministre de la Justice a annoncé que des juges de sexe féminin seraient nommées présidentes des tribunaux pour enfants. En septembre, le ministère de l’Administration locale a lancé un programme de formation des femmes en vue d’accroître leur participation à l’administration locale. La Commission nationale des femmes a affirmé qu’elle avait pour objectif de veiller à ce que celles-ci occupent jusqu’à 30 p. cent des sièges dans tous les organes élus et non élus, notamment le Parlement, le Majlis al Shura (Conseil consultatif), les ministères et le corps diplomatique. La présidente de la Commission a affirmé que des propositions de modification de certaines lois discriminatoires envers les femmes avaient été soumises au Parlement pour approbation. En septembre, des responsables féminines des trois principaux partis politiques ont réclamé l’instauration d’un système de quota pour les femmes lors des prochaines élections législatives. En décembre, une conférence a été organisée sous les auspices du ministère des Droits humains par le Forum arabe des sœurs pour les droits humains sur le thème L’émancipation politique des femmes est une étape nécessaire pour la réforme politique dans le monde arabe. Les délégués auraient préconisé une modification temporaire de la loi électorale en vue d’accorder aux femmes un quota de 30 p. cent des sièges au Parlement jusqu’en 2010 au moins.

Peine de mort

Des condamnations à mort ont été prononcées et six personnes au moins ont été exécutées. Selon les sources, un nombre important de prisonniers - peut-être plusieurs centaines - se trouvaient sous le coup d’une sentence capitale à la fin de l’année.
 En août, le chef de l’État a demandé à la Cour suprême de réexaminer la condamnation à mort prononcée à l’encontre de Fuad Ali Mohsen al Shahari, reconnu coupable de meurtre en 1996. Cette juridiction a confirmé la sentence capitale en mars. Des tortures et des mauvais traitements avaient, semble-t-il, été infligés à Fuad al Shahari pour lui extorquer des aveux. Cet homme risquait d’être exécuté.
 Nabil al Mankali, de nationalité espagnole, restait sous le coup d’une condamnation à mort. La sentence capitale avait été entérinée par le président Ali Abdullah Saleh en septembre 2003. Nabil al Mankali risquait d’être exécuté de façon imminente.
 Layla Radman Aesh, une Yéménite déclarée coupable d’adultère et condamnée à mort par lapidation en 2000, a été remise en liberté au mois de mars.

Visites d’Amnesty International
Trois délégations d’Amnesty International se sont rendues au Yémen pour y effectuer des recherches. Les représentants de l’organisation se sont également entretenus avec des responsables gouvernementaux et ont organisé la conférence Les droits humains pour tous.

Autres documents d’Amnesty International

 Golfe et péninsule arabique. Les droits humains sacrifiés au nom de la « guerre contre le terrorisme » (MDE 04/002/2004).

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