Amérique—Introduction

Soixante ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme

En mai 1948, plusieurs mois avant l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Conférence interaméricaine avait adopté le premier document international du monde se rapportant aux droits humains

Si les droits humains se trouvent actuellement au cœur du projet des Nations unies, c’est en grande partie grâce aux efforts d’un certain nombre de pays d’Amérique latine. En effet, ces droits ne constituaient pas réellement une priorité pour les principales puissances de l’après-guerre – dont les États-Unis – ayant participé à l’élaboration de la Charte des Nations unies. Toutefois, en 1945, peu de temps avant la Conférence de San Francisco qui a donné naissance à l’ONU, la Conférence interaméricaine réunie à Mexico décidait de chercher à intégrer dans la Charte une déclaration des droits transnationale. Cette initiative a abouti plus tard, en 1948, à l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Plusieurs mois auparavant, en mai 1948, la Conférence interaméricaine avait proclamé la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, le premier document international du monde se rapportant aux droits humains.
Dans les années qui ont suivi, cette contribution essentielle à la défense internationale des droits fondamentaux a été éclipsée par les régimes militaires qui ont dominé une grande partie de la région. Entre les années 1960 et 1985 environ, de nombreux pays d’Amérique latine ont été dirigés pendant plusieurs années par des gouvernements militaires qui se sont caractérisés par des violations systématiques et flagrantes des droits humains. Certaines de ces pratiques, comme les disparitions forcées, sont devenues emblématiques de ces régimes, mais aussi des campagnes menées par Amnesty International dans la région au cours de cette période.
La fin des régimes militaires et le retour à des gouvernements civils élus selon des règles constitutionnelles a mis un terme à l’utilisation systématique et généralisée, contre les opposants politiques, des méthodes telles que les disparitions forcées, les exécutions extrajudiciaires et la torture. Toutefois, les espoirs d’avènement d’une nouvelle ère de respect des droits humains ont bien souvent été déçus.
La majorité des constitutions garantissent les droits fondamentaux et la plupart des pays de la région ont ratifié les principaux traités internationaux relatifs aux droits humains. Les États-Unis constituent dans ce domaine une exception notable : ils sont l’un des deux seuls pays à ne pas avoir ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, et l’un des rares à ne pas avoir ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le gouvernement américain a également signalé aux Nations unies qu’il n’avait pas l’intention de ratifier le Statut de la Cour pénale internationale (Statut de Rome).
Les régimes autoritaires du passé ont laissé des traces qui se reflètent dans les carences institutionnelles dont continuent à souffrir de nombreux pays d’Amérique latine, notamment en Amérique centrale et aux Caraïbes. La corruption, le manque d’indépendance des systèmes judiciaires, l’impunité accordée aux agents de l’État et la faiblesse de certains gouvernements ont sapé la confiance du peuple dans les institutions. Si l’égale protection des citoyens devant la loi existe bien dans les textes, elle reste souvent lettre morte dans la pratique, notamment pour ce qui est des catégories défavorisées de la population.

L’armée des États-Unis maintenait toujours en détention pour une durée illimitée, sur le territoire américain, le ressortissant du Qatar résidant aux États-Unis Ali al Marri, que le président Bush avait qualifié de « combattant ennemi » en juin 2003. En juin 2007, un collège de trois juges de la cour d’appel du quatrième circuit a décidé que la Loi relative aux commissions militaires n’était pas applicable dans le cas de cet homme et qu’il fallait mettre fin à sa détention par l’armée. Le gouvernement a toutefois obtenu la tenue d’une nouvelle audience devant l’ensemble des juges du quatrième circuit ; la procédure était en instance à la fin de l’année.

Le fossé entre la loi et la réalité qui perdure dans de nombreux pays de la région trouve ses origines dans les abus commis dans le passé en matière d’application des lois, et auxquels les gouvernements successifs n’ont pas su ou n’ont pas voulu remédier. La police, les forces de sécurité et les systèmes judiciaires ont longtemps servi à réprimer l’opposition, tout en favorisant la corruption et les intérêts bien ancrés des pouvoirs économiques et politiques. Cet abus de pouvoir dure encore de nos jours. Alors que les appareils judiciaires sanctionnent, voire emprisonnent, des personnes qui sont en grande majorité défavorisées ou dépourvues de moyens d’action, ils punissent rarement les responsables d’abus de pouvoir ou d’atteintes aux droits humains.
Bien que les pratiques abusives n’aient pratiquement pas changé, leurs objectifs ne sont plus les mêmes. Les techniques qui servaient autrefois à réprimer la dissidence sont désormais employées contre ceux qui dénoncent les injustices sociales et les discriminations – les défenseurs des droits humains, par exemple –, ou contre les personnes qu’ils cherchent à aider. Ces militants ont pris la défense d’un large éventail de droits au sein de mouvements dynamiques et de plus en plus assurés. Un ensemble d’organisations, bien éloignées du système de pensée et des expériences ayant forgé la Déclaration universelle des droits de l’homme il y a soixante ans, prolongent désormais la lutte engagée pour que les droits garantis par ce texte deviennent une réalité.

Regard sur 2007

« Guerre contre le terrorisme »
Six ans après le début de ce que l’on a appelé la « guerre contre le terrorisme », les États-Unis continuaient de maintenir des centaines de personnes en détention militaire pour une durée illimitée, sans inculpation ni jugement, en Afghanistan et à Guantánamo Bay. À ce nombre s’ajoutaient les milliers de détenus en territoire irakien.
En juillet, le président George W. Bush a autorisé la poursuite du programme de détention secrète et d’interrogatoire de l’Agence centrale du renseignement des États-Unis (CIA). Ce faisant, il rejetait clairement les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; en outre, cette décision n’était qu’un exemple dans la longue liste des politiques illégales adoptées par le gouvernement des États-Unis dans la « guerre contre le terrorisme ». En effet, le président Bush a signé ce décret un an après que deux organes de suivi des traités des Nations unies eurent fait savoir sans équivoque au gouvernement américain que les détentions secrètes constituaient une violation des obligations internationales des États-Unis.
En 2007, au cours d’une suite d’événements considérés comme cruciaux pour les droits humains, l’attention de ceux qui tentaient d’obtenir justice pour les détenus de Guantánamo s’est concentrée sur la Cour suprême des États-Unis. En février, la cour d’appel de circuit du District de Columbia a conclu que les dispositions de la Loi relative aux commissions militaires privant les tribunaux de la possibilité d’examiner les requêtes en habeas corpus s’appliquaient à tous les détenus de Guantánamo. La Cour suprême a dans un premier temps rejeté un recours formé contre cet arrêt, mais plus tard, en juin, elle a pris l’initiative très inhabituelle d’annuler ce dernier. Le 5 décembre, elle a entendu des représentants du gouvernement qui soutenaient que la procédure de réexamen judiciaire dont les détenus en question pouvaient bénéficier, même si elle était limitée, remplaçait de manière satisfaisante l’habeas corpus, auquel elles avaient effectivement droit (ce que le gouvernement contestait).
L’habeas corpus est un principe fondamental de l’état de droit. Des personnes détenues par les États-Unis et privées de ce recours ont été victimes de disparitions forcées, détenues et transférées en secret, torturées, soumises à d’autres formes de traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants, ou jugées au cours de procès inéquitables. De telles politiques et pratiques bafouent la vision du monde portée par la Déclaration universelle des droits de l’homme, soixante ans après son adoption. La Cour suprême doit se prononcer sur l’habeas corpus d’ici le milieu de l’année 2008.

En Colombie, toutes les parties au conflit commettaient encore des atteintes graves aux droits humains

Les situations de conflit
En Colombie, les civils continuaient de payer un lourd tribut au conflit armé interne qui sévissait de longue date dans le pays. Bien que le nombre des personnes tuées ou enlevées ait continué de décroître, toutes les parties au conflit – les forces de sécurité, les paramilitaires et les groupes de la guérilla – commettaient encore des atteintes graves aux droits humains. Des centaines de milliers de personnes ont de nouveau été déplacées en raison des affrontements.

Peine de mort
Pendant de nombreuses années, la politique des États-Unis relative à la peine de mort s’est inscrite à contre-courant de la tendance abolitionniste dans la région. En 2007, des condamnations à mort ont été prononcées aux Bahamas, à Trinité-et-Tobago et aux États-Unis, mais seul ce dernier pays a effectivement procédé à des exécutions. Certains signes montrent toutefois que même aux États-Unis le soutien à la peine de mort perd du terrain.
Le 17 décembre, le New Jersey est devenu le premier État américain depuis 1965 à abolir la peine de mort. Le lendemain, l’Assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution historique appelant à un moratoire mondial sur les exécutions. Soixante ans après la consécration du droit à la vie et de l’interdiction des châtiments cruels, inhumains ou dégradants par la Déclaration universelle des droits de l’homme, et trois décennies après la reprise des exécutions aux États-Unis, les partisans de la peine de mort sont de plus en plus sur la défensive dans le monde entier.
Aux États-Unis, les perspectives de la cause abolitionniste sont bien moins sombres qu’il y a seulement dix ans. Un certain nombre de facteurs ont contribué à faire évoluer la situation, et notamment la libération de prisonniers qui ont quitté le couloir de la mort après avoir été innocentés - plus de 100 depuis 1977, dont trois en 2007. Après avoir atteint un sommet au milieu des années 1990, le nombre de sentences capitales prononcées chaque année continue de décroître. On estime qu’un peu plus de 100 personnes ont été condamnées à mort aux États-Unis en 2007, alors que, pendant les cinq années de 1995 à 1999, la moyenne était de 304 par an.
Quarante-deux exécutions ont eu lieu aux États-Unis en 2007. Même si cela faisait 42 exécutions de trop, ce chiffre annuel est le plus faible observé depuis 1994. Il s’explique, au moins en partie, par le moratoire que les États-Unis ont observé sur les injections létales depuis que la Cour suprême fédérale a accepté de se prononcer, fin septembre 2007, sur un recours contestant la constitutionnalité de ce mode d’exécution.
Au Canada, une décision du gouvernement a suscité de nombreuses inquiétudes. Les autorités sont en effet revenues sur une politique établie de longue date consistant à solliciter la grâce pour les ressortissants canadiens condamnés à mort à l’étranger. Désormais, le Canada ne sollicitera plus de grâce si les condamnations sont prononcées dans une « démocratie respectueuse de l’état de droit ».


Violences contre les femmes

L’Amérique latine a continué de prendre des mesures importantes et novatrices pour faire de l’égalité entre les genres une réalité et pour éradiquer la violence contre les femmes.
Le Mexique et le Vénézuéla, notamment, ont adopté des lois destinées à combattre ce fléau, qui élargissent la définition de la violence contre les femmes et offrent un ensemble plus exhaustif de mécanismes de protection.
Certaines initiatives destinées à lutter contre cette violence – par exemple, la création de postes de police spécialisés au Brésil – pâtissaient toujours en 2007 d’un manque de ressources adéquates et d’incompréhensions persistantes quant à la nature et à l’ampleur du problème. Aux États-Unis, à la suite d’une campagne menée conjointement par une grande coalition d’organisations, le Congrès a recommandé une augmentation des fonds destinés à la mise en œuvre la Loi relative à la violence contre les femmes, un texte législatif fédéral comportant un ensemble de mesures applicables à l’échelon local et au niveau des États.
Dans la plupart des cas, les auteurs de ces violences n’ont pas eu à rendre des comptes, ce qui dénotait une absence de volonté politique persistante dans ce domaine. Les obstacles que rencontraient les femmes cherchant à obtenir justice étaient, en grande partie, très semblables d’un pays à l’autre.
Les recherches d’Amnesty International ont mis en évidence un manque flagrant de foyers d’accueil offrant une protection adéquate, l’insuffisance des formations dispensées aux responsables de l’application des lois sur les techniques d’enquête – et notamment les examens médicolégaux –, et l’inadéquation des systèmes de poursuites judiciaires, qui ne tenaient pas compte du besoin de protection des femmes, pas plus qu’ils ne garantissaient le respect de leurs droits et de leur dignité. Les femmes qui parvenaient à porter leur affaire en justice étaient souvent victimes de discrimination au sein de l’appareil judiciaire lui-même, ainsi que de manœuvres d’intimidation de la part leurs agresseurs.

Rufina Amaya, la dernière survivante du massacre d’El Mozote, est décédée en mars de mort naturelle. Selon les informations recueillies, 767 personnes ont été tuées dans ce village et ses environs en décembre 1980, au cours d’une opération des forces armées salvadoriennes. À ce jour, nul n’a eu à répondre de ces homicides ni des autres massacres perpétrés pendant le conflit armé interne.

Les discriminations en matière de genre étaient souvent aggravées par d’autres formes de discrimination. Une femme noire, autochtone, lesbienne ou pauvre doit surmonter des obstacles encore plus grands pour obtenir justice. Par ailleurs, si les agresseurs savent qu’ils peuvent battre, violer ou tuer une femme en toute impunité, ces agissements se répandent et s’enracinent encore davantage. Ainsi, aux États-Unis, les femmes amérindiennes ou autochtones de l’Alaska victimes de violences sexuelles se heurtent souvent à l’inertie ou à l’indifférence des autorités. Elles subissent également des niveaux disproportionnés de viols et de violences sexuelles.
D’après le ministère américain de la Justice, le risque pour les Amérindiennes et pour les femmes autochtones de l’Alaska d’être violées ou victimes d’une autre forme d’agression sexuelle est 2,5 fois plus grand que pour les femmes américaines en général. Selon les statistiques du gouvernement canadien, les femmes appartenant aux populations autochtones du Canada risquaient cinq fois plus que toutes les autres femmes de mourir des suites de violences. Ces chiffres démontraient l’absolue nécessité d’un plan d’action national exhaustif pour lutter contre ces violences et protéger les femmes autochtones des discriminations.

Justice et impunité
En avril, à Buenos Aires (Argentine), une cour d’appel fédérale a estimé que les mesures de grâce dont avaient bénéficié, en 1989, l’ancien dirigeant militaire Jorge Videla et l’ancien amiral Emilio Massera, pour des crimes sanctionnés par le droit international, étaient contraires à la Constitution et devaient par conséquent être annulées.
En septembre, la Cour suprême du Chili a rendu un arrêt historique : elle a accepté d’extrader l’ancien président péruvien, Alberto Fujimori, afin qu’il réponde d’accusations de corruption et d’atteintes aux droits humains au Pérou.
En novembre, cependant, arguant du fait qu’il y avait prescription, cette même Cour a acquitté un colonel à la retraite qui était accusé de la disparition forcée, en 1973, de trois personnes. Bafouant les normes internationales en matière de droits humains, cette décision représentait une défaite pour tous ceux qui cherchaient à obtenir justice et réparation pour les crimes commis sous le régime militaire de l’ancien président Augusto Pinochet. Au Panamá également, la Cour suprême a jugé que les disparitions forcées dont s’étaient rendus coupables des agents de l’État à la fin des années 1960 et au début des années 1970 étaient prescrites.
Au Chili et en Uruguay, les lois d’amnistie restaient en vigueur pour les crimes commis sous les régimes militaires des années 1970 et 1980. Toutefois, en Uruguay, une cour d’appel a confirmé en septembre la décision prononcée par une juridiction inférieure de placer en détention l’ancien président Juan María Bordaberry (1971-1976), en vue de son procès pour participation présumée à 10 homicides. En décembre, l’ancien président Gregorio Álvarez (1981-1985) a été arrêté et inculpé en tant que coauteur de la disparition forcée de plus de 30 personnes.
Au Mexique, un juge fédéral a conclu en juillet que le massacre de Tlatelolco, en 1968, était constitutif d’un crime de génocide, mais que les éléments retenus contre l’ancien président Luis Echeverría étaient insuffisants pour continuer les poursuites.
Dans la plupart des pays de la région, les enquêtes sur les violations des droits humains commises par des agents de l’État demeuraient insatisfaisantes. Au Brésil, au Salvador, au Guatémala, en Haïti et en Jamaïque, par exemple, rares étaient les poursuites engagées contre des responsables de l’application des lois pour ce type de crimes.
Dans de nombreux endroits de la région, les systèmes judiciaires se caractérisaient par la corruption, l’inefficacité et l’absence d’une réelle volonté politique dès lors qu’il s’agissait de traduire en justice des responsables de violations des droits humains. De plus, il était très inquiétant de voir que des agents auteurs de tels actes pouvaient être jugés par des tribunaux militaires ou de police. En Colombie, par exemple, où les forces de sécurité auraient tué plus de 200 personnes en 2007, nombre de ces affaires d’homicide ont été confiées à des tribunaux militaires. Ces derniers ont généralement accepté l’assertion du personnel militaire selon laquelle les victimes avaient été tuées lors de combats, et ont classé les affaires sans chercher à obtenir un supplément d’information. Au Mexique, la Commission nationale des droits humains a certes conclu que des militaires avaient sérieusement attenté aux droits fondamentaux d’un certain nombre de civils au cours d’opérations de maintien de l’ordre, mais elle n’a pas recommandé que ces affaires soient traitées par des tribunaux civils malgré l’incapacité générale des juridictions militaires à rendre la justice dans les affaires de droits humains.
Quant à l’attitude des États-Unis dans la « guerre contre le terrorisme », le non-respect de l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises constituait toujours un grave problème, notamment aux plus hauts niveaux de la chaîne de commandement.


Compétence universelle

De nouvelles lois intégrant le principe de la compétence universelle ont été adoptées en Argentine et au Panamá. En décembre, le président des États-Unis, George W. Bush, a promulgué une Loi relative à l’obligation de rendre des comptes en cas de génocide. Ce texte permet d’enquêter et de poursuivre pour génocide toute personne amenée ou localisée aux États-Unis, même si le crime a été commis à l’étranger.
Aucun progrès significatif n’a été constaté au sujet des poursuites lancées contre le général José Efraín Ríos Montt, ancien président du Guatémala, et contre d’autres anciens hauts gradés de l’armée de ce pays. La Cour constitutionnelle a jugé inapplicables les mandats d’arrêt et la demande d’extradition concernant le général Ríos Montt délivrés en 2006 par un juge espagnol. Cette décision, considérée comme une non-reconnaissance du principe de la compétence universelle, a suscité de très nombreuses critiques.
En décembre, un juge italien a décerné des mandats d’arrêt contre 146 anciens militaires et responsables politiques d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Chili, du Paraguay, du Pérou et de l’Uruguay. Ces mandats étaient liés au meurtre et à la disparition forcée, dans le cadre de l’opération Condor, d’un certain nombre de Sud-Américains d’origine italienne. Organisée dans les années 1970 et 1980 par au moins six gouvernements militaires de la région, le plan Condor visait à éliminer des opposants politiques.

Alors que l’on constatait une tendance persistante à traiter de vastes franges de la population comme secondaires lors de l’élaboration de projets de développement économique, divers groupes continuaient d’organiser des campagnes afin de faire valoir leurs droits, souvent au mépris des menaces et des manœuvres d’intimidation

Discrimination économique et sociale
Les nouveaux gouvernements d’Amérique latine et des Caraïbes subissaient des pressions accrues visant à leur faire tenir leurs promesses en matière de lutte contre des inégalités économiques et sociales profondément enracinées. Certains programmes de réduction de la pauvreté ont été salués pour leurs effets positifs, mais d’autres ont été critiqués parce qu’ils mettaient l’accent sur la charité plutôt que sur l’égalité et la concrétisation des droits humains.
De larges secteurs de la population, notamment les personnes d’origine africaine et les peuples autochtones, restaient exclus de la vie politique. Ce phénomène était lié aux discriminations et à divers obstacles bloquant l’accès à un ensemble de services essentiels à la réalisation des droits humains. Il s’accompagnait d’une tendance persistante à traiter de vastes franges de la population comme secondaires, ou à les exclure des projets de développement économique. L’absence de transparence et d’obligation de rendre des comptes servait souvent à protéger certains intérêts économiques et constituait un obstacle majeur à la lutte contre la pauvreté et les discriminations.
Divers groupes continuaient néanmoins d’organiser des campagnes afin de faire valoir leurs droits, souvent au mépris des menaces et des manœuvres d’intimidation. Au Mexique, par exemple, un grand nombre d’autochtones et de paysans se sont opposés à des projets tels que la construction d’un barrage à La Parota. Dans de nombreux pays des Andes du sud, des communautés se sont organisées pour s’opposer aux activités d’extraction minière qui risquaient d’empiéter sur des terres protégées ou de nuire gravement à l’environnement.
Plusieurs États, dont le Nicaragua et le Paraguay, n’ont toujours pas mis en œuvre les décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’homme relatives aux droits à la terre des peuples autochtones.
Des centaines de militants et de dirigeants communautaires de toute la région ont dû faire face à des accusations mensongères pour avoir tenté de protéger les terres de communautés rurales défavorisées contre des tentatives d’usurpation illégale, souvent imputables à des sociétés nationales et multinationales. Certains ont été injustement condamnés et emprisonnés.
Dans des pays comme le Pérou, la République dominicaine et le Guatémala, les autorités aggravaient l’exclusion sociale en ne fournissant pas de certificats de naissance en bonne et due forme à certaines catégories de population. Ceux qui ne disposaient pas de ces documents risquaient de ne pas pouvoir accéder à un ensemble de services, notamment à l’éducation et à la santé. Ils étaient par ailleurs privés du droit de vote, du droit de participer aux affaires publiques, du droit à la sécurité d’occupation de logements et de terres, et d’un emploi régulier.
Aux États-Unis, les discriminations raciales se traduisaient, entre autres, par des inégalités dans l’application des lois et dans le système pénal ; elles se reflétaient également dans le traitement infligé par les militaires américains aux étrangers détenus dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ».
Des lois discriminatoires sanctionnant les relations entre personnes du même sexe restaient en vigueur aux Caraïbes et en Amérique centrale. Toutefois, au Nicaragua, les dispositions érigeant ces relations en infraction étaient supprimées dans le nouveau Code pénal.
Le VIH/sida continuait de toucher une plus grande proportion de femmes que d’hommes ; c’est chez les femmes des Caraïbes (notamment en Haïti et en République dominicaine) que l’on constatait l’incidence la plus forte. Cuba restait l’exception, avec de faibles taux d’infection. Chez les peuples autochtones de la région, les discriminations devant l’accès aux services de santé se traduisaient par des taux disproportionnés d’infection par le VIH et de mortalité maternelle.
Quatre pays de la région persistaient à considérer l’avortement comme une infraction en toutes circonstances : le Chili, le Honduras, le Nicaragua et le Salvador. En octobre, près d’un an après que le Nicaragua eut érigé en infraction pénale toute forme d’avortement, des groupes de défense des droits des femmes ont signalé que des femmes payaient de leur vie ce retour en arrière dans la protection maternelle. Leurs recherches ont montré une augmentation de la mortalité maternelle, qui aurait pu être évitée si l’avortement avait été dépénalisé. À titre de comparaison, à Mexico, les décès liés à des avortements pratiqués dans des conditions peu sûres ont diminué après l’adoption, en avril, d’une loi dépénalisant l’avortement.
Dans de nombreux pays, il était toujours dangereux de dénoncer les abus. Des journalistes signalant des affaires de corruption ont été menacés et attaqués, tout comme des écologistes qui exposaient les dommages provoqués par la pollution des ressources naturelles, alors que des millions de personnes en dépendaient.
La Déclaration universelle des droits de l’homme promet d’affranchir l’individu de la peur et du besoin. Toutefois, dans de nombreux endroits de la région, au nord comme au sud, vivre à l’abri du besoin reste une illusion. Malgré l’extraordinaire augmentation des richesses de ces soixante dernières années, une injustice sociale fortement ancrée continue de priver des communautés entières des bénéfices potentiels liés à une telle croissance. Des millions de personnes restent en butte à l’exclusion sociale et aux discriminations. Des mouvements à la fois diversifiés et dynamiques relèvent pourtant ce défi, dans toute la région, et développent des formes radicalement nouvelles de militantisme et d’autonomisation. Ils exigent que l’ensemble des droits consacrés par la Déclaration universelle des droits de l’homme deviennent, pour tous, une réalité.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit