Yémen

Les fréquentes violations des droits civils et politiques avaient des répercussions négatives sur la vie courante de nombreux Yéménites, au plan social et économique. Elles ont été exacerbées à la suite de la recrudescence des affrontements armés dans le nord du pays et des manifestations dans le sud. Les mauvais traitements et la torture étaient fréquents. Des condamnations à mort et des peines de flagellation ont été prononcées et appliquées. Les défenseurs des droits humains continuaient de tenir bon face à ces obstacles.


Contexte

De nouveaux affrontements ont éclaté en janvier entre les forces de sécurité et des partisans armés de feu Hussain Badr al Din al Huthi, un dignitaire religieux de la communauté chiite zaïdite du gouvernorat de Saada. Les affrontements se sont poursuivis par intermittence tout au long de l’année, en dépit d’un cessez-le-feu négocié sous les auspices du gouvernement du Qatar. Les forces de sécurité ont procédé à des arrestations massives. Des civils auraient été tués par les forces gouvernementales et 30 000 personnes environ ont été déplacées à la suite des violences. On a disposé de peu d’informations pendant les six premiers mois des affrontements, car le gouvernement avait interdit l’accès de la région aux médias et à presque tous les observateurs indépendants et maintenait par ailleurs une stricte censure.
En juillet, sept touristes espagnols et deux chauffeurs yéménites qui les accompagnaient ont trouvé la mort lors d’un attentat-suicide perpétré à Marib, dont le gouvernement a attribué la responsabilité à Al Qaïda.
En août, de très nombreux militaires retraités de l’armée de l’ex-République populaire démocratique du Yémen (RPDY) et leurs sympathisants ont été arrêtés à l’issue de manifestations pacifiques organisées à Aden et dans d’autres villes du sud du pays. Ils se plaignaient de ne pas bénéficier du même traitement que les militaires du nord du Yémen en matière de conditions de travail et de retraite. Toutes les personnes arrêtées avaient été libérées en novembre sans inculpation, et le gouvernement a accepté de prendre en compte leurs revendications. Le Yémen est né en 1990 de la réunion de la RPDY et de la République arabe du Yémen.


Homicides imputables aux forces de sécurité

Des informations non confirmées ont fait état d’exécutions extrajudiciaires imputables aux forces de sécurité dans le cadre des violences dans le gouvernorat de Saada. Des membres présumés d’Al Qaïda qui étaient armés ont également été tués dans des circonstances peu claires alors qu’ils tentaient, semble-t-il, d’échapper à une arrestation.
 ?Le 10 septembre, les forces de sécurité ont abattu Walid Salih Ubadi et une autre personne au cours d’une manifestation pacifique organisée à Al Dali en faveur des militaires retraités. Huit autres manifestants ont été blessés. Une enquête aurait été ouverte, mais les conclusions n’ont pas été rendues publiques.
 ?En octobre, quatre personnes ont été tuées et 15 autres ont été blessées par les forces de sécurité lors d’une manifestation pacifique à Radfan. On ignorait si une enquête avait été effectuée.

Prisonniers politiques
Plusieurs centaines de partisans présumés de Hussain Badr al Din al Huthi et de membres et sympathisants d’Al Qaïda ont été interpellés à la suite de la flambée de violence de Saada et de l’attaque menée en juillet contre les touristes espagnols. D’autres personnes ont été arrêtées dans le cadre des manifestations des militaires retraités, mais elles ont toutes été remises en liberté. La plupart des personnes arrêtées en raison de leurs liens avec Al Qaïda ou de leur participation aux affrontements de Saada ont été maintenues en détention sans inculpation ni jugement. Elles étaient essentiellement incarcérées à Saada, Hajjah, Dhamar, Ibb, Sanaa et Hodeïda.
 ?Muhammad Abdel Karim al Huthi et au moins quatre autres membres de la famille Al Huthi, ainsi qu’Abdul Qadir al Mahdi, étaient maintenus en détention dans la prison de la Sécurité politique, à Sanaa. Muhammad Abdel Karim al Huthi avait été arrêté le 28 janvier. Abdul Qadir al Mahdi, interpellé le 19 février, a été maintenu au secret pendant deux mois avant de pouvoir recevoir la visite de sa famille. Le versement de son salaire a été suspendu, ce qui a mis son épouse et ses enfants dans une situation difficile.
Des personnes arrêtées les années précédentes figuraient au nombre des prisonniers politiques.
 ?Walid al Kayma était maintenu en détention sans inculpation dans la prison des services de la Sécurité politique, à Sanaa, depuis son arrestation, en 2004 ou 2005. À l’instar de certains de ses codétenus, il était autorisé à recevoir la visite de ses proches mais il était privé de tout contact avec un avocat. Il ignorait s’il serait inculpé et jugé, ou bien remis en liberté.

« Guerre contre le terrorisme »
Cinq anciens prisonniers de Guantánamo renvoyés au Yémen par les autorités américaines et arrêtés à leur arrivée dans leur pays ont été remis en liberté sans avoir été inculpés. Parmi eux figuraient Sadiq Muhammad Ismaïl et Fawaz Numan Hamoud. Cinq autres hommes incarcérés à leur arrivée au Yémen en décembre 2006 ont été élargis en mars sans inculpation. Un sixième, Tawfiq al Marwai, a été libéré après avoir été jugé et déclaré coupable de falsification de passeport.


Procès inéquitables

Au moins 111 personnes, dont 109 étaient traduites devant le Tribunal pénal spécial chargé de juger les affaires de terrorisme et deux devant des juridictions pénales ordinaires, n’ont pas bénéficié d’un procès équitable. Parmi celles qui étaient déférées devant le Tribunal pénal spécial, au moins 73 étaient inculpées, dans sept affaires distinctes, de planification d’attaques contre des installations pétrolières et contre l’ambassade des États-Unis, de tentative de trafic d’armes vers la Somalie et de falsification de documents destinés à des combattants qui voulaient se rendre en Irak, entre autres inculpations. Dans les six procès menés à terme, 53 accusés au moins ont été condamnés à des peines allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement ; cinq ont été acquittés.
Dans la septième affaire, dite de la « cellule de Sanaa 2 », 15 personnes étaient accusées de meurtre, de complot en vue d’empoisonner l’eau potable à Sanaa et d’autres actes de violence liés aux troubles dans le gouvernorat de Saada. Le journaliste Abdel Karim al Khaiwani a été inculpé à cause d’articles qu’il avait rédigés à propos des événements de Saada. Amnesty International le considérait comme un prisonnier d’opinion.
Comme dans les autres affaires, des avocats et des défenseurs des droits humains ont dénoncé le non-respect des normes internationales d’équité par le Tribunal pénal spécial. Cette instance prive notamment les accusés et leurs avocats de l’accès à leurs dossiers, ce qui restreint leur possibilité de préparer leur défense. Les avocats des accusés de l’affaire de la « cellule de Sanaa 2 » ont demandé à la Cour constitutionnelle de déclarer le Tribunal pénal spécial contraire à la Constitution. Aucune décision n’avait été rendue à la fin de l’année.
En juillet, la cour d’appel de Taizz a ordonné la remise en liberté de quatre hommes peu avant l’expiration de la peine d’un an d’emprisonnement à laquelle un tribunal ordinaire les avait condamnés pour avoir mis en doute la moralité des élections locales et présidentielle de septembre 2006. Dans une autre affaire, également liée aux élections de 2006, 36 personnes au moins ont comparu devant un tribunal ordinaire de Sanaa. Elles étaient poursuivies en raison de la mort d’un agent de l’État, tué au cours d’une bagarre à Hajjah ; six accusés ont été condamnés à mort et les autres à des peines allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement. L’inéquité de ces deux procès était source de préoccupation.

Liberté d’expression
En juin, le ministère de l’Information a annoncé son intention de faire adopter une nouvelle loi sur les médias, ce qui a fait craindre de nouvelles restrictions à la liberté de presse. Cette loi devait interdire la publication d’informations considérées comme portant atteinte à la stabilité nationale, et empêcher les médias de rendre compte de questions politiquement sensibles, telles les violences dans le gouvernorat de Saada. Des concepts vagues comme la sécurité ou la stabilité nationales étaient régulièrement invoqués pour justifier des restrictions à la liberté de la presse et des sanctions contre des journalistes. La nouvelle loi n’était toutefois pas en vigueur à la fin de l’année.
Des journalistes ont été harcelés. Les autorités ont bloqué l’accès de sites Internet qui contenaient des commentaires politiques, entre autres critiques, et elles ont interdit l’utilisation de certains services de messagerie téléphonique.
 ?Abdel Karim al Khaiwani et Ahmad Umar Ben Farid ont été enlevés en août, respectivement à Sanaa et à Aden, par des hommes non identifiés apparemment liés aux services de sécurité. Ces deux journalistes ont été battus et abandonnés dans des endroits déserts. Abdel Karim al Khaiwani aurait été pris pour cible en raison de ses articles sur les événements de Saada et Ahmad Umar ben Farid à cause de ses écrits sur les manifestations organisées dans le sud du pays.
 ?En juillet, des hommes appartenant, semble-t-il aux services de sécurité ont dispersé par la force un rassemblement hebdomadaire de sympathisants de l’ONG Femmes journalistes sans restrictions, qui réclamaient l’autorisation de publier un magazine. Un certain nombre de personnes ont été blessées.

Discrimination et violences contre les femmes
Les femmes continuaient d’être exposées, tant par des agents de l’État que par des particuliers, à la discrimination et aux violences ; parmi celles-ci figuraient le viol et d’autres sévices sexuels, ainsi que le trafic d’êtres humains. Ces atteintes aux droits des femmes étaient particulièrement graves dans les zones rurales, où vivent 80 p. cent des femmes, où elles sont particulièrement confrontées à des difficultés économiques et où l’accès à l’éducation est en général plus restreint pour les filles que pour les garçons.
Dans un rapport parallèle publié en même temps que le sixième rapport du Yémen au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, un collectif d’organisations féminines et de défense des droits humains a critiqué les lois qui demeurent discriminatoires envers les femmes et appelé le gouvernement à prendre des mesures pour protéger leurs droits, notamment en érigeant la violence domestique en infraction pénale.
 ?Anissa al Shuaybi a engagé une procédure contre des agents du Service des enquêtes criminelles,
à Sanaa, qu’elle accusait de l’avoir torturée, et notamment violée, au cours des années précédentes. Le témoignage de cette femme à propos des actes de torture et autres mauvais traitements infligés aux détenues a fait grand bruit. L’affaire n’était pas terminée à la fin de l’année.
 ?Samra al Hilali, une adolescente de quinze ans, a affirmé avoir été torturée par des policiers à Ibb avant la tenue de son procès pour meurtre ; celui-ci s’est terminé par son acquittement, en août.

Torture et autres mauvais traitements
La torture et les mauvais traitements en garde à vue étaient répandus. Selon certaines sources, parmi les personnes détenues par la Sécurité politique ou la Sécurité nationale, deux branches des services de sécurité, nombreuses étaient celles qui ont été torturées. Les méthodes décrites étaient les coups de poing, les coups de matraque et de crosse de fusil, l’aspersion d’eau bouillante, le port de menottes serrées, le port prolongé d’une cagoule, la privation d’eau et d’accès aux toilettes, ainsi que les menaces de mort.
 ?Shayef al Haymi, un homme qui a été détenu au secret pendant quarante jours dans les locaux de la Sécurité nationale, s’est plaint, en avril, d’avoir été torturé au point que ses membres étaient paralysés et que tout son corps était couvert de marques. Une enquête a été effectuée par le parquet. Shayef al Haymi a été remis en liberté et une indemnité a été versée à sa famille.
Toutefois aucun responsable n’a été traduit en justice et, après que cet homme eut fait état publiquement du traitement qui lui avait été infligé, les autorités ont affirmé qu’il s’était blessé lui-même et elles l’ont de nouveau arrêté.

Châtiments cruels, inhumains et dégradants
Les tribunaux prononçaient presque quotidiennement des peines de flagellation pour des infractions sexuelles ou liées à l’alcool. Les condamnés qui n’avaient pas la possibilité d’interjeter appel étaient flagellés immédiatement en public.

Peine de mort
Au moins 15 personnes ont été exécutées. Bien que la législation yéménite prohibe l’exécution de personnes qui n’avaient pas atteint la majorité au moment des faits qui leur sont reprochés, l’un des suppliciés était un mineur délinquant. Un autre mineur délinquant, Hafez Ibrahim, a vu sa sentence de mort annulée mais il en restait encore un certain nombre parmi les centaines de prisonniers sous le coup d’une condamnation à mort.
 ?Adil Muhammad Saif al Muammari a été exécuté en février malgré des appels lancés en sa faveur au niveau international et des éléments médicaux prouvant qu’il avait moins de dix-huit ans au moment du meurtre pour lequel il avait été condamné.
 ?Radfan Razaz, qui était peut-être mineur au moment des faits qui lui étaient reprochés, risquait une exécution imminente. Condamné dans un premier temps à une peine d’emprisonnement en raison de son âge, il avait ensuite été condamné à mort par la cour d’appel.
Au moins 90 prisonniers étaient sous le coup d’une sentence capitale dans la prison de Taizz. En septembre, dans un épisode particulièrement troublant, deux prisonniers – Sharaf al Yusfi et Issam Tahla – grièvement blessés à la suite d’exécution ratées, mais toujours vivants, auraient finalement été tués par des gardiens.

Visites d’Amnesty International
Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Yémen en janvier et en septembre.

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