COTE D’IVOIRE

Les tensions se sont considérablement exacerbées au lendemain du scrutin présidentiel de novembre ; l’élection a plongé le pays dans une impasse politique et entraîné de graves violations des droits humains, perpétrées pour la plupart par les forces de sécurité fidèles au président sortant, Laurent Gbagbo. De très nombreuses personnes ont été tuées, placées en détention, enlevées ou victimes de disparition. Plusieurs milliers de personnes se sont réfugiées dans les pays voisins ou dans d’autres régions de Côte d’Ivoire. Tout au long de l’année, les Forces nouvelles (coalition de groupes armés contrôlant le nord du pays depuis 2002) ont continué de commettre des atteintes aux droits humains. Les actes de harcèlement et les violences contre les personnes étaient toujours très courants, en particulier aux barrages routiers.

RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE
PEINE DE MORT : abolie
POPULATION : 21,6 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 58,4 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 129 / 117 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 54,6 %

Contexte

Ajournée à plusieurs reprises depuis 2005, l’élection présidentielle a finalement eu lieu en novembre 2010. Le président sortant, Laurent Gbagbo, et son adversaire, Alassane Ouattara, se sont tous deux déclarés vainqueurs et ont chacun nommé des gouvernements rivaux, entraînant le pays dans une situation de paralysie politique.
La communauté internationale, notamment l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a unanimement reconnu Alassane Ouattara comme le vainqueur du scrutin. Des sanctions contre Laurent Gbagbo et certains de ses proches sympathisants ont été adoptées par l’Union européenne (UE) et les États-Unis.
En décembre, Laurent Gbagbo a demandé à l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et à la force Licorne, mission française de maintien de la paix, de quitter le pays. Le Conseil de sécurité des Nations unies a toutefois rejeté la requête qui lui était adressée et a prolongé le mandat de l’ONUCI pour une période supplémentaire de six mois. Le gouvernement français a également déclaré que sa force demeurerait sur le sol ivoirien.
Malgré plusieurs efforts de médiation entrepris par l’UA et la CEDEAO, l’année s’est achevée sans qu’aucune solution politique n’ait été trouvée. Parallèlement, la Côte d’Ivoire connaissait une situation de pénurie croissante et les prix des produits de base se sont envolés.
Alors qu’il était prévu par l’accord de paix signé à Ouagadougou en 2007, le désarmement complet des Forces nouvelles et des milices progouvernementales n’était pas terminé à la fin de 2010. Plusieurs milliers de membres des Forces nouvelles avaient toutefois été intégrés dans les rangs de l’armée régulière. Cette situation a encore envenimé la crise politique, les deux camps faisant appel à leurs membres armés pour réprimer et intimider leurs opposants politiques.

Police et forces de sécurité

Les forces de sécurité ont recouru, tout au long de l’année, à une force excessive pour disperser des manifestations, tuant illégalement de nombreuses personnes. Dans le but d’extorquer de l’argent, elles ont aussi commis de multiples atteintes aux droits humains aux postes de contrôle ou lors de vérifications de pièces d’identité.

  • En février, les forces de sécurité ont violemment réprimé plusieurs manifestations, en particulier dans la ville de Gagnoa, où cinq manifestants au moins ont été abattus. Les manifestations visaient la décision du président Gbagbo de dissoudre le gouvernement et la commission électorale.
    Après l’élection présidentielle au résultat controversé, les forces de sécurité fidèles à Laurent Gbagbo se sont rendues coupables d’exécutions extrajudiciaires, d’arrestations arbitraires et de disparitions forcées.
  • À Abidjan, les forces de sécurité ont effectué, le 1er décembre, une descente dans les locaux du Rassemblement des républicains (RDR), le parti d’Alassane Ouattara, entraînant la mort d’au moins quatre personnes et faisant plusieurs blessés.
  • Le 16 décembre, les forces de sécurité et des miliciens sympathisants de Laurent Gbagbo ont tué au moins 10 manifestants non armés à Abidjan, au cours de protestations de grande ampleur dénonçant l’impasse politique dans laquelle était plongée la Côte d’Ivoire. Salami Ismaël, un laveur de voitures qui se trouvait à proximité et ne participait pas à la manifestation, a été abattu par deux hommes encagoulés vêtus d’uniformes militaires.
  • Le 18 décembre, Brahima Ouattara et Abdoulaye Coulibaly, membres d’une organisation appelée Alliance pour le changement (APC), ont été arrêtés par des membres de la Garde républicaine dans un quartier d’Abidjan. À la fin de l’année, aucune information n’était disponible sur le sort qui leur avait été réservé ni sur le lieu où ils se trouvaient.
    Exactions perpétrées par des groupes armés
    Des combattants et des sympathisants des Forces nouvelles se sont rendus coupables d’atteintes aux droits humains – notamment de torture et d’autres mauvais traitements –, de détentions arbitraires et de très nombreux cas d’extorsion. Dans le nord du pays, un climat d’impunité prédominait en raison de l’absence d’un système judiciaire efficace.
  • En avril, Amani Wenceslas, élève dans un collège, a été tué par une balle perdue lors d’un échange de tirs à Bouaké entre deux factions des Forces nouvelles. Deux combattants armés ont également été tués au cours de cet affrontement.
    À la suite de l’élection de novembre, les Forces nouvelles auraient menacé et harcelé des habitants de la région frontalière avec le Liberia (ouest du pays), qu’elles accusaient d’être des sympathisants de Laurent Gbagbo. De ce fait, des milliers de personnes se sont réfugiées au Liberia.

Violences et impunité dans l’ouest du pays

Durant toute l’année, des habitants de l’ouest du pays ont été victimes de violences et d’atteintes sexuelles infligées par des bandes criminelles et des milices proches du parti du président Gbagbo. Ni les forces de sécurité gouvernementales ni les Forces nouvelles, qui contrôlaient séparément certaines zones de la région, n’ont assuré une protection aux habitants. D’un côté comme de l’autre, les combattants ont profité des postes de contrôle mis en place pour se livrer, en toute impunité, à des extorsions d’argent et des violences contre la population.
Après l’élection de novembre, les informations recueillies ont fait état de plusieurs affrontements entre les partisans des deux candidats au scrutin.

  • En novembre, un gendarme à la retraite a tiré sur un groupe de sympathisants présumés d’Alassane Ouattara, dans la ville de Sinfra. Ceux-ci se sont ensuite rendus au domicile du retraité et ont tué son épouse.

Liberté d’expression – médias

Plusieurs journalistes, publications et médias ont été pris pour cible et menacés par les autorités.

  • En mai, Dembélé Al Séni, directeur de publication du quotidien L’Expression, et l’un de ses journalistes ont été convoqués au siège de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Ils ont été interrogés pendant plusieurs heures sur la publication d’un article relatif aux manifestations de l’opposition survenues à Gagnoa en février. Les journalistes avaient fourni à France 24, une chaîne française d’actualités télévisées, des images vidéo montrant la violence dont avaient fait preuve les forces de sécurité face à ces mouvements de protestation. Les programmes de France 24 ont été suspendus pendant plusieurs jours parce que la chaîne avait couvert l’événement.
    Plusieurs journaux proches d’Alassane Ouattara ont été interdits de publication pendant plusieurs jours en décembre, après l’élection présidentielle. Certains médias étrangers, dont Radio France internationale (RFI) et France 24, ont été interdits de diffusion jusqu’à la fin de l’année.

Responsabilité des entreprises

Plus d’un an après être parvenues à un accord à l’amiable avec l’entreprise de courtage pétrolier Trafigura à la suite du déversement de produits toxiques en Côte d’Ivoire, des milliers de victimes attendaient toujours d’être indemnisées.
En janvier, une juridiction ivoirienne a décidé, en appel, que le montant de l’indemnisation devait être transféré sur le compte bancaire d’un groupe portant le nom de Coordination nationale des victimes de déchets toxiques de Côte d’Ivoire (CNVDT-CI), qui prétendait abusivement représenter les 30 000 victimes concernées par l’accord, conclu au Royaume-Uni.
À la suite de cette décision de justice, les avocats des requérants n’ont vu d’autre solution que de conclure un accord avec la CNVDT-CI en vue de procéder conjointement à la distribution des fonds. Le processus de versement mis en place s’est caractérisé par des retards à répétition ; en outre, on s’interrogeait avec inquiétude sur le véritable rôle de la CNVDT-CI. En juillet, 23 000 personnes, d’après les estimations, avaient perçu une indemnisation mais la procédure de distribution s’est interrompue peu après. En septembre, la CNVDT-CI a entamé un nouveau processus de distribution qui a, de nouveau, été suspendu. À la fin de l’année, plusieurs milliers de demandeurs légitimes attendaient toujours le versement de leur indemnisation. Compte tenu du manque de transparence du processus et des allégations de détournement de fonds, des inquiétudes sérieuses subsistaient quant aux sommes restant à verser.

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