ÉTHIOPIE

En mai, le Front démocratique révolutionnaire populaire éthiopien (FDRPE, au pouvoir) a remporté les élections législatives, qui se sont déroulées sur fond de manœuvres d’intimidation, d’actes de harcèlement et de restrictions en matière de liberté d’association et de réunion. Une loi entravant fortement les actions en faveur des droits humains est entrée en vigueur. La presse indépendante était soumise à de sévères restrictions. Les ressources, les aides et les opportunités offertes par l’État ont été largement utilisées pour tenir en main la population.

RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DÉMOCRATIQUE D’ÉTHIOPIE
CHEF DE L’ÉTAT : Girma Wolde-Giorgis
CHEF DU GOUVERNEMENT : Meles Zenawi
PEINE DE MORT : maintenue
POPULATION : 85 millions
ESPÉRANCE DE VIE : 56,1 ans
MORTALITÉ DES MOINS DE CINQ ANS (M/F) : 138 / 124 ‰
TAUX D’ALPHABÉTISATION DES ADULTES : 35,9 %

Contexte

Les élections législatives ont eu lieu en mai, tout comme celles pour les Conseils des États. Le FDRPE et une petite coalition de partis affiliés ont remporté 99,6 % des sièges parlementaires. Une coalition d’opposition, le Medrek (Forum pour la démocratie et le dialogue), a accusé le gouvernement de fraudes électorales et demandé l’organisation d’un nouveau scrutin. Le Conseil électoral national a rejeté cette requête ; un recours déposé par la suite devant la Cour suprême fédérale a également été écarté.
Dans son rapport final, la Mission d’observation électorale de l’Union européenne relevait que les élections n’avaient pas respecté les engagements internationaux en la matière. Elle concluait à l’absence de conditions équitables pour tous les partis en lice, ainsi qu’à l’existence d’atteintes à la liberté d’expression, de réunion et de circulation des membres des partis d’opposition. Le document faisait également état d’une utilisation abusive des ressources publiques par le parti au pouvoir et de l’absence de couverture médiatique indépendante. Le Premier ministre a qualifié le rapport final de « torchon sans intérêt » et l’Observateur en chef de l’Union n’a pas été autorisé à pénétrer sur le territoire éthiopien pour le présenter.
La croissance économique éthiopienne était considérée comme l’une des plus rapides du continent africain. Les Nations unies ont félicité le gouvernement éthiopien pour les mesures prises dans l’objectif de réduire de moitié le taux de pauvreté pour l’horizon 2015. L’organisation a toutefois observé que les inégalités croissantes relevées dans les zones urbaines et la médiocrité du niveau d’éducation constituaient des freins au développement. Les Nations unies ont également constaté que l’Éthiopie n’enregistrait pas d’avancée suffisante sur les questions relatives à l’égalité entre hommes et femmes et à la mortalité maternelle.

Violences préélectorales et répression

À l’approche des élections de mai, les ressources accordées par l’État, les aides publiques et des opportunités diverses ont été utilisées à maintes reprises comme moyens de pression pour contraindre les citoyens à quitter les partis d’opposition. Les possibilités en matière d’éducation, l’obtention d’un emploi dans le service public et l’aide alimentaire étaient souvent subordonnés à l’adhésion au parti au pouvoir. Juste avant le scrutin, des électeurs d’Addis-Abeba auraient été menacés de se voir privés d’aide publique s’ils ne votaient pas pour le FDRPE.
La période préélectorale a été émaillée d’épisodes de violences à caractère politique.

  • Le 2 mars, Aregawi Gebreyohannes, candidat de l’Arena-Tigray (l’un des partis d’opposition composant le Medrek), a été tué à l’arme blanche par six inconnus dans le Tigré. Le gouvernement a rejeté les allégations de l’opposition selon lesquelles cette attaque avait des motifs politiques et a déclaré qu’il s’agissait d’« une querelle d’ordre privé » survenue dans un bar. Un homme a été jugé et condamné à une peine de 15 ans d’emprisonnement. L’opposition a dénoncé un procès « arrangé et orchestré » et a indiqué qu’Aregawi Gebreyohannes avait, par le passé, déjà fait l’objet de manœuvres de harcèlement de la part du gouvernement.
    D’autres homicides ont également été signalés. Le Congrès fédéraliste oromo a indiqué que Biyansa Daba, militant de l’opposition, avait été battu à mort le 7 avril en raison de ses activités politiques. En mai, le gouvernement a annoncé qu’un policier avait été tué à l’arme blanche par deux membres de l’opposition en possession de cartes d’adhésion au Medrek, qui avaient avoué le crime. D’après les informations recueillies, ces deux personnes ont été jugées et condamnées en l’espace d’une semaine. Les 23 et 24 mai, deux membres du Congrès du peuple oromo ont été abattus dans la région d’Oromia. L’opposition a déclaré que le gouvernement cherchait à empêcher les mouvements de protestation, tandis que les autorités ont prétendu que ces hommes avaient tenté d’investir un bureau où étaient entreposées des urnes électorales.
    En février, le Medrek a affirmé que des hommes armés empêchaient ses membres de s’inscrire en tant que candidats.
    Les membres des partis d’opposition auraient été harcelés, frappés et interpellés par le FDRPE à l’approche des élections. Plusieurs centaines de personnes auraient été arrêtées de façon arbitraire dans la région d’Oromia, souvent au motif qu’elles soutenaient le Front de libération oromo (FLO, un groupe armé). Des membres de l’ethnie oromo auraient été placés en détention sans jugement, torturés et assassinés. Le 7 février, Merera Gudina, dirigeant du Congrès du peuple oromo et président du Medrek, a déclaré aux médias qu’au moins 150 responsables de l’opposition oromo avaient été arrêtés en moins de cinq mois.

Liberté d’expression – journalistes

La presse indépendante ne pouvait quasiment pas fonctionner en Éthiopie. Les journalistes travaillaient dans un climat de peur en raison du risque de harcèlement et de poursuites de la part de l’État. L’information était étroitement surveillée par les organes publics, notamment par l’Agence de radio et de télévision et par la Presse éthiopienne, l’éditeur officiel.

  • En janvier, Ezeden Muhammad, rédacteur en chef et éditeur d’Hakima, l’hebdomadaire islamique le plus diffusé dans le pays, a été condamné à un an d’emprisonnement pour « provocation », en raison d’une chronique publiée en 2008 dans laquelle des propos du Premier ministre étaient critiqués. Il a recouvré la liberté en septembre, mais son fils de 17 ans, Akram Ezeden, qui avait assuré les fonctions de rédacteur en chef pendant la détention de son père, a été arrêté le jour même de cette libération. Il a été remis en liberté par la suite et les charges retenues contre lui ont été abandonnées.
  • Voice of America a fait savoir le 4 mars que ses programmes en amharique étaient brouillés. Le 19 mars, le Premier ministre a déclaré que la station de radio avait diffusé des programmes de « propagande de nature à créer des troubles » et l’a comparée à la radio rwandaise Mille Collines, la station qui avait incité à la haine ethnique avant et pendant le génocide rwandais de 1994.
  • En mai, Woubshet Taye, rédacteur en chef de l’Awramba Times, a démissionné après que l’autorité de régulation des médias audiovisuels eut averti qu’il serait considéré comme « responsable de toute effusion de sang susceptible de survenir dans le cadre de l’élection à venir ». La semaine précédente, l’Awramba Times avait publié un article concernant une manifestation en faveur de la démocratie tenue au moment des élections de 2005.
    En mars, la Cour suprême a rétabli les amendes qui, dans la foulée de la répression postélectorale de 2005, avaient été infligées en 2007 à quatre éditeurs indépendants puis annulées la même année à la faveur d’une grâce présidentielle. Les éditeurs n’ont pu s’acquitter de ces amendes. Le gouvernement a demandé à la Haute Cour de bloquer leurs actifs ainsi que ceux de leurs conjointes.
    Le contenu des sites Internet était censuré par l’État et certains sites ont été bloqués. Le Conseil électoral national a imposé un code de la presse qui restreignait les activités journalistiques pendant les élections, interdisant notamment les interviews d’électeurs, de candidats et d’observateurs le jour du scrutin.
    La Loi sur les médias et la liberté d’information demeurait en vigueur, accordant au gouvernement des pouvoirs disproportionnés, notamment celui d’engager des procédures pour diffamation, d’imposer des sanctions financières et de refuser aux médias la possibilité de se faire enregistrer et d’obtenir une licence.

Défenseurs des droits humains

Adoptée en 2009, la Loi sur les sociétés et associations caritatives est entrée en application. Elle imposait des contrôles sévères sur les organisations de la société civile et prévoyait des sanctions pénales, notamment des amendes et des peines d’emprisonnement. Des ONG locales se voyaient interdites d’exercer leurs actions en faveur des droits humains et de la démocratie si plus de 10 % de leur financement provenait de fonds étrangers. Du fait de ce texte, les défenseurs des libertés fondamentales redoutaient de mener leurs activités et ont été contraints de s’autocensurer.
Certaines organisations ont réorienté profondément leur ligne d’action et cessé leur travail de défense des droits humains. À la suite de la mise en application de la loi, plusieurs militants des droits fondamentaux ont fui à l’étranger par crainte de subir des persécutions de la part du gouvernement.
Un petit nombre d’organisations ont toutefois continué à œuvrer en faveur des droits humains et de la démocratie, notamment le Conseil éthiopien des droits humains et l’Association des avocates éthiopiennes. Les nouvelles règles en matière de financement ont toutefois contraints les deux groupes à réduire leurs effectifs et fermer des bureaux. À la fin de l’année, le Conseil éthiopien des droits humains ne disposait plus que de trois bureaux (contre 12 auparavant). Bien que cette organisation et l’Association des avocates éthiopiennes soient parvenues à se réinscrire auprès de l’Agence des sociétés et associations caritatives (l’autorité administrative), leurs comptes bancaires demeuraient gelés depuis la fin de 2009.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

La Loi relative à la lutte contre le terrorisme demeurait en vigueur. La définition très large du terrorisme donnée par ce texte érigeait dans les faits en infraction la liberté d’expression et de réunion pacifique. La menace d’une action en justice contribuait à entretenir l’autocensure, notamment chez les journalistes, susceptibles d’être poursuivis lorsqu’ils publiaient des articles faisant référence à des individus ou des groupes considérés comme « terroristes ».

Prisonniers d’opinion et prisonniers politiques

Un grand nombre de prisonniers politiques et plusieurs personnes pouvant être des prisonniers d’opinion se trouvaient toujours en détention.
Cette année encore, de nombreux Oromos soupçonnés de soutenir le Front de libération oromo (FLO) ont été incarcérés. Dans bien des cas ils étaient de toute évidence mis en cause pour des raisons politiques.

  • À l’issue d’un procès collectif qui s’est achevé en mars, 15 hommes et femmes oromos ont été reconnus coupables d’appartenance au FLO et condamnés à des peines allant de 10 ans d’emprisonnement à la peine de mort. Ces 15 personnes – arrêtées en 2008 avec d’autres Oromos remis en liberté par la suite – étaient issues de diverses professions et, pour la plupart, ne se connaissaient pas avant leur arrestation et leur procès collectif. Il était à craindre que la procédure n’ait pas respecté les normes internationales et ait été motivée par des considérations politiques à l’approche des élections. Une grande partie des accusés ont déclaré avoir été torturés. Deux des détenus qui avaient été libérés avant le procès sont décédés immédiatement après leur remise en liberté, semble-t-il des suites du traitement subi en détention.
  • La prisonnière d’opinion Birtukan Mideksa, dirigeante du parti Unité pour la démocratie et la justice (UDJ), a recouvré la liberté en octobre. Cette femme se trouvait en détention depuis décembre 2008. Elle avait déjà été emprisonnée une première fois pendant une période de deux années.

Conflits dans les régions somalie et d’Oromia

Un conflit d’intensité modérée opposait toujours le FLO et les forces gouvernementales. Des enfants éthiopiens réfugiés au Kenya ont déclaré avoir été enrôlés de force dans ce pays par le FLO et avoir été ramenés en Éthiopie pour faire office de porteurs ou de cuisiniers.
Les affrontements se sont poursuivis dans la région somalie, en proie à un conflit opposant de longue date le Front de libération nationale de l’Ogaden (FLNO) et les forces gouvernementales. Le 4 février, le FLNO a publié une déclaration exhortant l’Union africaine à diligenter une enquête sur les violations des droits humains, en particulier sur les crimes de guerre qui auraient été commis par les forces gouvernementales dans la région. Les autorités ayant restreint l’accès au territoire somali pour les journalistes internationaux et certaines organisations humanitaires, le secteur demeurait en grande partie inaccessible. Une journaliste de Voice of America a été expulsée d’Éthiopie en juin, après avoir fait état d’affrontements entre le gouvernement et le FLNO.
Un accord de paix aurait été signé entre une faction dissidente du FLNO et les autorités le 12 octobre. Le protocole prévoyait, selon les informations recueillies, que les membres de la faction étaient exonérés de poursuites et que ceux qui avaient été capturés par le gouvernement seraient remis en liberté. Le groupe principal du FLNO aurait refusé cet accord, qu’il considérait comme « sans intérêt ».
Selon des informations obtenues en novembre, plus de 100 civils ont été arrêtés dans la ville de Degeh Bur et conduits dans une prison militaire à Jijiga. En décembre, on a appris que des soldats éthiopiens avaient incendié un village dans le secteur de Qorahey. Cette attaque s’est soldée par la mort de trois personnes parmi la population civile.

Peine de mort

De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées mais aucune exécution n’a été signalée.

  • Un ancien haut fonctionnaire au niveau régional, Jemua Ruphael, a été condamné à mort en juin pour homicide et pour soutien à un groupe armé appuyé par l’Érythrée.
  • En mars, Hassan Mohammed Mahmoud, ancien membre du groupe armé somalien Al Itihad Al Islamiya, a été reconnu coupable d’actes de terrorisme perpétrés dans les années 1990 et condamné à mort.
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